Jour Cinq

C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil,
Dans l'ombre,
Ta face et ton profil ?

- A. de Musset.

Un paquet de pq sous le bras, je me dirige vers la cabine de toilette. Il n'y en a qu'une, pour tout le café. Et nous utilisons la même que les clients. Autrement dit, je dois souvent me retenir. Seulement, il n'y a aucun client pour l'instant. Et j'ai entendu une adolescente remarquer tout à l'heure qu'il n'y avait plus de rouleaux.

En ouvrant la porte, soudain, une fille me fait face.

Je sursaute, mais me rends à l'évidence qu'il ne s'agit que d'Isao. Vu sa tête, elle a eu l'air aussi effrayée que moi.

- Purée, tu m'as fichu la frousse ! S'exclame ma supérieure, une main sur la poitrine. Ne m'effraie pas comme ça !

Je ne sais plus où me mettre. Embarrassé, je désigne d'un geste du menton le paquet de pq sous mon bras.

- Pardon. Je venais ramener ça.

- Ah, super.

Étrangement, ça semble la réjouir. Isao soupire en ajustant sa casquette, et pose une main sur sa hanche avant de se tourner vers la bouche d'aération. Ce n'est qu'à cet instant que je remarque la caisse à outils sur le lavabo.

- Tu réparais un truc ?

- Ouaip, me répond-t-elle. La grille était bouchée depuis cinq jours. Mais maintenant, l'air passe à nouveau normalement.

J'opine du chef, mais elle n'en tient pas vraiment compte. Elle plonge la main dans sa boîte à outils pour retourner tout son matériel entre ses doigts.

- Par contre, pas moyen de trouver mon tournevis dans ce bordel. J'ai dû utiliser une vis, et je te dis pas le temps que ça m'a pris pour démonter ce truc.

Je ne dis pas grand chose, patientant toujours à la porte avec mes rouleaux blancs sous le bras. Je porte mon regard à la plaque d'aération.

Je ne sais pas pourquoi, mais je ne la sens pas du tout cette histoire de vol de tournevis.

*

Marius est toujours en arrêt maladie. Du coup, je me coltine ses heures à la place. Je me demande depuis quand Marius est malade, d'ailleurs. Il n'a jamais posé de congés. En fait, ça m'aurait arrangé de ne pas rester seul pour fermer le café. À chaque fois qu'Isao s'en va, je me sens étrangement mal à l'aise, tout seul.

Penché sur le présentoir à pâtisseries, je nettoie les étagères. Quand soudainement, le noir complet. Je me redresse immédiatement, le cœur battant. Il n'y a plus de courant. Comme le premier soir. C'est exactement pareil.

La porte d'entrée s'ouvre. Des clients entrent, mais je ne distingue que leurs silhouettes. Le détail qui me perturbe, c'est leurs yeux.

Couleur sang.

Je fais trois pas en arrière, le souffle coupé. Je suis mon instinct, qui fait courir mon jambes jusqu'à la pièce privée. Les clients aux yeux rouges sont partout.

Assis aux tables.
Accoudés au bar.
Derrière la baie vitrée.
Dans la voiture sur le parking.
Dans le bus.
Au pied de l'immeuble.

Je n'en vois plus la fin. Je claque la porte de la pièce privée. Je dois aller dans la remise. Je dois remettre le courant.

Arrivé devant le compteur électrique, je l'ouvre, la respiration haletante, et active l'interrupteur. Rien ne se produit. C'est cassé. Je martelle tous les boutons, en panique. J'ai peur. Je ne veux plus être dans le noir. Je veux retrouver la lumière.

Je perçois une respiration. Je me fige. Son souffle me donne des frissons désagréables dans la nuque. Ils parcourent mon corps entier. Je me retourne immédiatement.

Une silhouette se dessine, au bout de l'allée de la remise. La fille à la capuche. Des briques de lait, éparpillées sur le sol. La fille a un verre de lait à la main. Elle me fixe. Mon corps ne répond plus. Et je ne vois plus rien. Plus rien à part ses yeux au milieu du noir.

Elle ouvre la bouche. Seulement, sa voix produit le son d'une alarme.

J'ouvre les yeux en sursaut. Mon réveil sonne, posé sur ma table de chevet. Je me redresse lentement, repoussant ma couverture. Un cauchemar. C'était un cauchemar.

Je porte ma main à mon front humide. Je suis couvert de sueurs froides. Sept heures du matin. Je suis rentré du café depuis des heures. Il ne s'est rien passé d'étranges aujourd'hui.

Je n'en peux plus.

Je désactive mon réveil, et saisis mon téléphone, posé juste à côté. Je le déverrouille et de l'index, je tapote l'icône de mes contacts. Je fais défiler la liste alphabétique de mon répertoire avec lenteur, de manière à déchiffrer chaque nom. Je m'arrête aux H.

Tout ceci doit s'arrêter.

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