Chapitre 15
Un soleil pâle montait à l'horizon quand Cœur d'Amande sentit une fourrure se coller à la sienne. Assis face aux Rochers du Soleil, le matou contemplait le ciel depuis l'aube.
— Bonjour, murmura Souffle de Grêle en se positionnant à coté du jeune guerrier.
Pour toute réponse, ce dernier posa sa tête sur l'épaule de la femelle, ne détachant pas son regard du ciel.
— Alors, c'est le grand jour ? lança la femelle avec un entrain feint et empli de tristesse.
— Je suis désolé... commença Cœur d'Amande avant que sa compagne ne le coupe.
— Je sais. Je sais que tu es désolé, mais ce n'est pas ça qui changera quelque chose.
— Tu es fâchée ?
Souffle de Grêle hocha doucement la tête.
— Pourquoi ne le serais-je pas ? Tu es mon ami de toujours, mon compagnon, même, et tu me laisses seule au clan de la Rivière, partant pour je ne sais quelle aventure en territoire bipède ! Sans aides !
— Tu... Tu voudrais m'accompagner ? demanda le jeune guerrier.
Souffle de Grêle gratta le sol avec sa patte avant, la tête penchée.
— Non, je préfère rester au camp pour effectuer mes tâches de guerrière. Perdre un guerrier, même pour un temps, affaibli le clan, alors imagine si deux partaient ?
Cœur d'Amande ne savait pas comment s'excuser auprès de sa compagne, alors il enlaça sa queue avec la sienne. Ils restèrent un moment comme ça, silencieux, la tête vers le ciel bleu annonçant leur aurevoir.
Cœur d'Amande se trouvait au centre d'un attroupement de guerriers. Patte de Criquet, sur sa gauche, susurra :
— Bon débarras, clan mêlé !
Cœur d'Amande ne prit même pas la peine de lui répondre et redressa le menton. Étoile Enneigée choisit ce moment pour s'approcher. De son pas fluide, elle traversa le camp, se fraya un passage entre ses guerriers qui s'étaient écartés, puis s'assit devant le matou tigré.
— Cœur d'Amande.
Elle le fixa dans les yeux, comme en signe de défi, mais il ne tint pas longtemps et les baissa vers ses pattes flageolantes. La meneuse reprit alors d'une voix royale :
— Aujourd'hui est un grand jour, pour toi comme pour nous tous ici réunis.
— C'est ça, grommela Patte de Criquet.
Étoile Enneigée n'y fit pas attention et poursuivit :
— Te laisser partir, c'est un peu pour moi comme pour une mère oiseau de regarder s'envoler son oisillon. Tu n'es pas mon fils et ne le sera jamais, mais sache que je t'ai toujours apporté une attention particulière.
La meneuse se pencha vers son oreille, de sorte qu'il fût le seul à entendre la suite.
— Je sais que tu es spécial, Cœur d'Amande. Depuis toujours. Et je sais que tu peux réussir à devenir un guerrier d'exemple pour le reste du clan. Trouve ta voie, Cœur d'Amande, et arpente là dans le bon sens.
La chatte blanche se redressa et se râcla la gorge.
— Bon voyage, mon ami, et que le Clan des Étoiles illumine ton chemin !
Cœur d'Amande se retourna, les yeux luisants, sous le regard chaleureux de ses camarades. Il les salua tour à tour d'un signe de la queue, tout en marchant vers la sortie du camp de la Rivière. Tout près se tenait Souffle de Grêle restée, à l'écart.
— Souffle de Grêle...
La chatte posa sa queue touffue sur le museau de son compagnon pour lui signifier le silence et lui lécha le dessus de la tête avant d'enrouler sa queue avec la sienne. Quelques murmures attendris de la part des autres guerriers se firent entendre, mais ni l'un ni l'autre n'y firent attention.
— Bonne route, Cœur d'Amande. Reviens vite.
Dans une dernier frôlement de la queue, Cœur d'Amande se détourna de sa compagne, et, sentant son cœur se déchirer lentement et douloureusement, il sortit du camp en redressant son menton et en bombant le poitrail, donnant à sa carrure un air sûr de lui. Ses yeux lui piquèrent, et il se força à ne pas tourner la tête vers Souffle de Grêle.
Une fois hors de vue de ses camarades, il se mit à courir en direction du territoire des bipèdes. Il y fut bien vite, car il n'avait qu'à traverser son propre territoire pour parvenir au Chemin du Tonnerre le séparant du lieu de vie des bipèdes. Une fois devant la large bande grise et puante, le matou serra les dents, les yeux plissés par l'odeur. Un monstre lui passa devant le nez et de l'eau gicla sur ses pattes. Le ciel était clair et parsemé de petits nuages moutonneux. Un temps parfait pour voyager, songea le jeune guerrier. Il tourna le tête pour vérifier qu'aucun monstre n'arrivait, se fia ensuite à son ouïe, et voyant le chemin désert, s'y élança. La traversée, bien qu'elle lui parut interminable, se déroula sans accros. Une fois de l'autre côté, Cœur d'Amande se permit tout de même de souffler un peu. Alors seulement il leva les yeux vers les nids de bipèdes, soudain plus déterminé que jamais à trouver sa voie, comme avait dit Étoile Enneigée.
Le soir pointait lorsque le guerrier sentit son ventre gargouiller. Il se décida donc à aller chasser en bordure du territoire bipède, mais ne dénicha qu'une maigre souris. Il la mangea tout de même puis se trouva un buisson épineux sous lequel dormir. Dense, l'arbuste le protégerait des créatures pataudes, en particulier des bipèdes et des chats domestiques. Après s'être étiré, le guerrier s'allongea dans la tanière provisoire, ne sachant pas ce qu'il allait faire le lendemain. Inquiet sur son sort et la suite de son voyage, il eut pourtant à peine le temps de regretter la chaleur de ses camarades contre son flan avant de sombrer dans le sommeil.
Cœur d'Amande ouvrit un œil, puis deux, aveuglé par la lumière matinale.
Aveuglé ?
Le jeune guerrier se redressa d'un bond en se rendant compte qu'il n'était plus sous son buisson. Tout d'abord il paniqua, mais observa qu'il se trouvait dans les terrains de chasse du Clan des Étoiles. À ce train là, se dit-il, je connaitrai par cœur ce territoire avant même d'y entrer pour de bon !
— Bonjour, Cœur d'Amande.
À la grande surprise de celui-ci, ce ne fut pas Étoile d'Écorce qui apparut de derrière un arbre, mais une femelle rousse. Il se demanda qui elle était, car il ne l'avait jamais vue. Comme si elle lisait dans ses pensées, elle se présenta.
— Je suis Œil de Chêne, ancienne guérisseuse du Clan du Tonnerre. Et voici ma sœur, Patte de Pin.
Une autre femelle rousse sortit de sa cachette. Bien qu'elle soit la sœur d'Œil de Chêne, elle avait un pelage bien plus ébouriffé, et ses pattes larges étaient plus musclées. Elle avait également un museau plus carré qu'une balafre sillonnait.
— Cette nuit nous sommes venues pour t'annoncer que tu serais l'un des deux élus qui sauvera le clan d'une famine, lança Œil de Chêne en allant droit au but. Tu n'es pas le seul à rêver souvent des défunts sans pourtant avoir l'esprit guérisseur.
— U... Une famine ? Quand ça ? Mais il faut que je retourne au camp !
L'image de Souffle de Grêle amaigrie, affamée, les yeux vitreux s'immisça dans son esprit, et il ferma les yeux pour la réprimer.
— Non, Cœur d'Amande, tu as d'abord ta voie à trouver, ajouta Patte de Pin en reprenant les mots d'Étoile Enneigée. C'est important, ça, les voies.
Le guerrier grommela, puis des questions fusèrent dans sa tête.
— Pourquoi sont-ce des guerrières du Clan du Tonnerre qui viennent me voir ? Vous avez dit que j'étais l'un des deux élus... Qui est le deuxième ? Vient-il du Clan du Tonnerre lui aussi ?
— Plus tard les questions ! coupa Patte de Pin. D'abord voici la prophétie.
La vieille femelle se recula légèrement, laissant la place à sa sœur, qui récita :
— À l'aube d'un grand changement,
Lorsque les proies se feront rares,
Que les attaques reviendront,
Seuls les contraires pourront sauver le clan.
Lorsqu'Œil de Chêne se tut, les deux sœurs commencèrent à devenir transparentes. Cœur d'Amande s'affola, criant qu'elles n'avaient pas répondu à ses questions. Mais il ne comprit l'unique et dernière chose que lui dit Œil de Chêne :
— Je suis guérisseuse, Cœur d'Amande, pas guerrière.
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