Chapitre 14
Le soleil venait de se coucher, et Cœur d'Amande dormait déjà profondément. Il était seul dans la tanière des guerriers, les autres profitaient encore de bavarder et de se remémorer les événements de la journée. Le guerrier au poil mi-long, lui, n'y pensait déjà plus. Ses esprits se tournèrent d'abord vers son père, du Clan du Vent, puis invariablement vers Plume de Lynx et Petite Sauterelle. Sa famille entière n'était plus, et le guerrier ne comptait jamais son père. Ce dernier l'avait abandonné, dans le Clan de la Rivière, et jamais il ne lui avait parlé. Il savait tout juste qui il était, grâce à ses piteux souvenirs. Une mélancolie absurde le saisi, le faisant se demander ce qu'il faisait là, dans un clan, alors qu'il n'avait aucun but à y être. Il aurait aussi bien pu vivre avec ces chats errants, finalement. Eux qui voulaient recruter des apprentis... Même s'il était guerrier, il ne se sentait pas encore comme tel.
Le jeune chat repoussa vivement cette idée. Il partirait bientôt pour le territoire des Bipèdes, et tous ses soucis s'envoleraient. Plus des songes étranges, de défunts venant le hanter... Plus rien de tout cela. Se délectant de cette pensée, Cœur d'Amande finit par s'endormir paisiblement.
Le matou se fit réveiller par un bruissement, signe que quelqu'un entrait ou sortait de la tanière. Les yeux mi-clos, il redressa la tête pour apercevoir la fine silhouette de Branche de Laurier s'extirper de son nid. Le ventre gonflé par ses petits, elle avait de la peine à se déplacer dans un endroit aussi restreint.
- Branche de Laurier ? chuchota Cœur d'Amande. Tout va bien ?
Les étoiles ponctuaient le ciel bleu sombre, et la lune brillait d'un fin croissant lacté.
- Ça va, ça va, ne t'occupes pas de moi, grommela la reine.
Son ancien apprenti ne fut pourtant pas dupe, Branche de Laurier avait un problème.
- Tu devrais aller dans la pouponnière, ces prochaines nuits. Tes petits sont prêts à naitre et tu devrais t'y être installée depuis des jours, ce que ne cesse de te répéter Feuille d'Automne. Tu veux que j'aille la chercher ?
Le guerrier eut l'air inquiet quand son ancien mentor se courba pour encaisser une douleur soudaine. Sans plus attendre, il sortit en trombe de la tanière et traversa le camp. Une fois dans la tanière de la guérisseuse, il alla la réveiller en lui donnant des coups de pattes.
- Feuille d'Automne, Feuille d'Automne !
- Quoi ? grogna la femelle.
- C'est Branche de Laurier !
Le tigré n'eut rien besoin de dire de plus, la guérisseuse était déjà debout, des remèdes pleins la gueule. En vitesse, elle rejoignit la reine, qui avait, par on ne sait quel moyen, réussi à sortir dans le camp. Ses pattes tremblaient, et Cœur d'Amande fut prit de pitié en voyant que sa courageuse ancienne mentor peinait à tenir sur ses pattes. La guérisseuse demanda au jeune guerrier de l'aider à l'épauler pour se rendre dans la pouponnière. Une fois la tâche terminée, elle l'envoya chercher Harfang des Neiges. Le tigré s'y dépêcha et revint quelques instants plus tard suivi du vétéran. Branche de Laurier avait l'air de souffrir, et entre temps, Nuage de Lune était venue voir comment se passait la mise bas. Tout en lui expliquant différentes chose, Feuille d'Automne tentait de calmer la reine. Cœur d'Amande, sentant que sa place n'était pas ici, rejoignit sa tanière et se roula en boule près de sa compagne. Il espérait ne jamais devoir être à la place de Harfang des Neiges.
Il ne put s'endormir qu'au moment où Branche de Laurier cessa de gémir, trop inquiet. Il fut d'ailleurs bien assez vite réveillé par le soleil déjà levé, bien trop tôt à son goût. Dans la clairière, beaucoup de guerriers avaient encerclé Harfang des Neiges pour le féliciter, ne pouvant rendre visite à Branche de Laurier dans la pouponnière. Cœur d'Amande alla s'asseoir à côté de Souffle de Grêle, qui posa la tête sur son épaule.
- Il parait que tu as aidé Feuille d'Automne, pour la mise-bas de Branche de Laurier...
- Oh... Je n'ai pas fait grand chose, tu sais...
- Je suis sur que sans toi, elle ne s'en serait pas sorti, aussi petits soient tes actes.
- Peut-être bien, murmura le jeune guerrier, rougissant sous son épais pelage.
Ils restèrent là, tous les deux, éloigné des guerriers heureux. Cœur d'Amande se sentait bien, il ne voulait pas quitter sa compagne... Et pourtant, la demi-lune approchait, et il était convenu qu'il partirait quand celle-ci apparaitrait. Bien décidé à tenir cette promesse, il profita des derniers instants qu'il aurait en compagnie de Souffle de Grêle. Il ne savait pas ce qu'il ferait chez les bipèdes, mais il savait que lorsqu'il reviendrait dans le Clan de la Rivière, il serait prêt à devenir pleinement un guerrier.
Aide-les à t'aimer...
Ces paroles lui revinrent, et il se demanda comment faire. Depuis qu'il était guerrier, Patte de Criquet venait moins l'embêter, et les autres le laissaient tranquille. Pourtant, il ne se faisait pas encore traiter comme un vrai chat des clans, et ça l'énervait, l'agaçait et le vexait.
Le ciel c'était couvert, et un orage était prêt à éclater. Cœur d'Amande partait chasser, mais l'air humide lui déplaisait. Il serait en compagnie de Patte de Criquet, Cœur d'Ajoncs et Nuage d'Ombre, l'apprentie de Cœur d'Ajoncs. Ils partirent donc en direction de la rivière. Nuage d'Ombre passerait son évaluation finale, mais Cœur d'Amande ne l'accompagnerait pas. Ils allaient d'abord chasser un peu, et ensuite Patte de Criquet et lui devrait se séparer de leurs camarades. Le guerrier tigré redoutait ce moment, où il serait seul avec Patte de Criquet... Mais il devrait faire avec, alors il se mit en route, ouvrant la marche. Patte de Criquet la fermait, et Cœur d'Ajoncs et Nuage d'Ombre trottinaient entre eux. La queue de la femelle frétillait d'impatience, et ses oreilles étaient dressées sur sa petite tête fine. Cœur d'Amande ouvrit la gueule et renifla l'air, tout en marchant silencieusement. Soudain, il s'arrêta, et fit signe à ses camarades de faire de même. Il tourna la tête vers une souche épaisse dont le bas était creusé, et montra au reste de la patrouille le nid de musaraignes qui s'y trouvait.
- Bien joué, murmura Cœur d'Ajoncs pour le féliciter. Je ne l'avait pas repéré.
Patte de Criquet allait rétorqué quelque chose, mais il s'abstint pour une fois.
- Nuage d'Ombre, fit le guerrier brun foncé, peut-être voudrais-tu nous faire part d'une tactique pour les capturer ? Ce ne sont que des jeunes, ce ne sera pas bien compliqué.
- Oui, répondit la jeune chatte en bombant le torse. Patte de Criquet, met-toi là.
Le guerrier s'exécuta et se plaça sans mot dire à gauche de la souche. Ensuite, Nuage d'Ombre demanda à Cœur d'Amande de se mettre à droite du tronc, et à Cœur d'Ajoncs de se mettre un peu plus loin, face à l'entrée de la tanière. Elle se positionna ensuite face à la tanière, se mit en position de chasse et avança lentement mais furtivement. Une fois qu'elle fut sûre de ne pas rater ses proies, elle bondit, lançant à ses camarades le signal silencieux. Réunis en une sorte de cercle, ils piégèrent les petites musaraignes et les tuèrent rapidement, pour abréger leurs souffrances et leur peur. Satisfaite, Nuage d'Ombre reçu les éloge de son mentor, puis il demanda à Cœur d'Amande et Patte de Criquet s'ils voulaient bien ramener les proies au camp tandis qu'eux poursuivraient l'évaluation de la petite chatte. Les deux guerriers acceptèrent et attrapèrent chacun autant de bébés musaraignes qu'ils le pouvaient. Pendant la courte marche, Patte de Criquet était dans l'incapacité de parler, chose tout à fait logique lorsque l'on a une proie dans la gueule. Cœur d'Amande s'en réjouit, et profita du silence de la forêt. Une fois au camp, les deux guerriers déposèrent les proies puis repartirent pour poursuivre la chasse. Une fine pluie se mit à tomber alors qu'ils marchaient, toujours silencieusement. Ce fut ce moment que Patte de Criquet choisit pour prendre la parole.
- Tu auras intérêt à bien te nettoyer, je ne veux pas de boule de poil froide et humide dans ma tanière, cette nuit !
- Parle pour toi, grommela Cœur d'Amande.
- Quoi ? demanda le matou. Il ne me semble pas avoir très bien entendu...
Cœur d'Amande ne prit pas la peine de répondre au guerrier, mais eu soudain une certitude : l'aube de demain sonnerait le commencement de sa nouvelle vie sur le territoire bipède.
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