𝗖𝗵𝗮𝗽𝗶𝘁𝗿𝗲 𝗨𝗻
Septembre 2011.
« Asseyez-vous. »
On s'est à peine assis à nos places que quelqu'un crie :
« Aïe ! Fais gaffe avec ta chaise, pauvre con ! »
C'est Sumire, la déléguée de classe provisoire, bien qu'elle va sûrement obtenir la place qu'elle convoite étant donné qu'elle a été à la tête du conseil des élèves pendant deux ans consécutifs. Même si elle aime la discipline, cela ne l'empêche pas de démarrer au quart de tour lorsqu'elle est énervée et d'insulter quiconque se trouve sur son chemin.
« J'ai rien fait, pauvre cruche ! » fait une seconde voix au milieu du vacarme des chaises. « C'est toi qui est dans le passage. »
Sous l'injustice de cette accusation, Sumire s'est retournée et lui a flanquée une gifle sévère, mais pas assez pour se faire reprendre par la professeure principale. Ça a causé pas mal de problèmes, surtout à partir du moment où le gars qui s'est fait frapper est tombé sur son voisin de classe à cause de la gifle, et que celui-ci qui portait encore son sac à la main l'a renversé sur Rima à l'avant. Comme son sac pèse trois tonnes, Rima a perdu l'équilibre sur sa chaise et sa paire de ciseaux qu'elle a sorti de sa trousse s'est échappée de ses mains pour tomber sur la cuisse de Shun qui a hurlé. Mais comme Ayana lui parlait avant, elle pensait qu'il l'engueulait, alors elle s'est mise à pleurer. Les amis d'Ayana se sont mis debout pour se disputer avec Shun, puis tout le monde s'est levé pour s'embrouiller avec n'importe qui. Je regarde vers Sumire et je la trouve en train d'écrire les noms des élèves les plus indisciplinés sur un rapport.
Tout ce bazar, ça me donne faim. Je fixe la cafétéria par la fenêtre en me demandant dans combien de temps sera la pause méridienne. Koji, à quelques tables derrière, n'a pas ce problème : il grignote son goûter tout en observant la scène.
La professeure frappe onze fois dans ses mains jusqu'à ce qu'on retrouve notre calme. Elle est en colère, mais semble se contenir derrière ses lèvres pincées. Elle attend que tout le monde se rassoit pour nous faire la morale sur notre comportement abominable et désastreux et que c'est tout à fait inapproprié et Sumire hoche la tête à tout ce qu'elle dit d'un air important.
Madame Yuri, car c'est le nom de notre institutrice, a soupiré et a fouillé dans ses papiers étalés sur la table en répétant des "où en étais-je". Pendant ce temps, Rima et Shun massent leurs blessures et Koji sort un paquet de chips de son sac à goûter. Mais le son du paquet alerte Madame Yuri puisque plus personne ne parle. Elle avance à toute allure entre les rangs pour rejoindre le bureau de Koji et lui demander ce qu'il est en train de fabriquer bon sang de bonsoir.
« Je me nourris, Madame », a-t-il répondu comme d'habitude - Koji aime bien se nourrir.
Ça ne plaît trop à Madame Yuri qui lui met une punition pour non respect du règlement et Sumire argumente dans son dos de "Oui ! C'est vrai !" parce qu'elle connait le règlement par cœur. Elle propose à la professeure de citer l'article concernant le matériel interdit à posséder au sein de la classe, mais Madame Yuri est déjà retournée à son bureau l'air fatiguée en confisquant le goûter de Koji qui affiche une mine triste. Je suis un peu triste, moi aussi. J'aurais bien voulu lui demander de me passer quelques chips à la récrée.
Madame Yuri pose ses mains à plat sur son bureau en nous regardant. En général, c'est la position que prennent les profs lorsqu'ils veulent dire quelque chose d'important. Intérieurement, j'espère que ce sera une bonne nouvelle - qu'elle soit absente ce vendredi, par exemple, ça nous ferait un week-end de trois jours et je pourrai bosser sur mon blog.
« Bien, dans un instant, nous allons accueillir un nouvel élève », dit-elle finalement.
Apparemment, la professeure a l'air de bien se ficher de mes projets de week-end. Un peu déçue, je n'écoute pas trop la suite. De toute façon, elle ne fait que répéter des recommandations du style "je compte sur vous pour bien l'accueillir et blablabla". J'ai déjà hâte de sortir. Malheureusement, il va encore falloir subir deux heures entre ces murs. Deux heures de pure torture.
C'est quand l'élève passe la porte que je sors de mes pensées. Un seul coup d'œil me permets de déterminer son profil. Il n'aime pas les gens, et il est capable de tuer ces derniers en un regard. Un peu comme moi. Tout le monde se raidit sur sa chaise. Il a comme jeté un froid à son arrivée.
« V-voilà, balbutie Madame Yuri pas très rassurée non plus. Tu peux te présenter. »
Le garçon se tourne vers elle puis vers nous. C'est la classe qui a peur de lui, mais moi j'ai l'impression que c'est lui qui a peur de la classe.
« Ryuji...Takasu. »
Il a un peu bégayé. Mais j'ai l'air d'être la seule à l'avoir remarqué. Autour de moi, tous les élèves ont frémis, même Sumire. Madame Yuri lui indique la seule place libre qui est aux côtés de Yusaku, l'air de vouloir écourter les présentations qui la mettent tout aussi mal à l'aise que le nouveau. Il va s'asseoir sans faire plus de cérémonie. Les élèves sont rassurés de ne plus croiser son regard de tueur en série et la prof reprend son cours comme si de rien n'était. Moi, je mets ma tête dans mon cahier pour prendre des notes sur ce qu'elle dit et aussi sur cet étranger. Il a des caractéristiques intéressantes, ça m'inspire un peu de proses.
On sort à la fin du cours un peu tous en même temps, du coup certains se marchent dessus. Bon, j'avoue, je fais partie de ceux qui écrase les pieds des autres pour avancer, mais j'ai envie de manger, et dans ces cas là rien ni personne ne peut m'arrêter.
Bien sûr, je n'ai pas prévu que Minori débarque à cet instant précis pour me tirer par le bras dans la direction opposée à la cafétéria.
« Eh ! » je me plains. « La nourriture, c'est par là-bas ! »
« Mais ta prochaine mission, me répond-t-elle sans s'arrêter, c'est par ici. Quelqu'un a besoin de tes services. »
« Oh », je constate.
Alors je me dégage de sa prise et j'avance sans broncher. Quand ça concerne mes missions, je suis prête à tout, même à lâcher le déjeuner. Il y a tant d'âmes en peine qui ont besoin d'être secourues au sein de cette école.
On a tourné à l'angle d'un mur. Là, adossée à un distributeur, une fille pas plus grande que moi attend.
« C'est Lina », explique-t-elle en fixant au-dehors - on s'est placées près des grandes fenêtres du couloir. « Je lui ai dit que je préférais qu'on reste amies lorsqu'elle m'a avoué ses sentiments. Mais, maintenant qu'elle est avec lui... »
« Tu t'es rendue compte que tu l'aimais. Je me trompe ? »
L'élève ne s'est pas tournée pour me regarder. Timidement, elle hoche négativement la tête.
« Bien, alors c'est simple. »
Cette fois-ci, elle m'accorde toute son attention. Avec un sourire en coin, je serre le poing devant moi.
« Elle t'aime encore. Et on va le lui faire comprendre ! »
La jeune fille me sourit et Minori tape des mains, toute contente. C'est pour ces réactions là que je vie. Pour redonner le sourire, et réparer les cœurs brisés.
Parce que je n'ai pas eu cette chance là.
~
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Je souris en zieutant comme tous les jours cette page d'accueil. C'est Minori qui a eu l'idée du numéro, un soir où on était fatiguées, et par chance il n'était pas utilisé. J'ai regretté un peu d'avoir mis ce projet en ligne, croyant au bad buzz, mais finalement ça a bien fonctionné. Bon, je suis modeste : ça a cartonné ! Ça va maintenant faire trois ans que le blog a été créé à l'intention des élèves du lycée, et ça a porté ses fruits. Avec le temps je suis devenue une pro de la matière, sans prétention. Et Minori m'aide beaucoup.
Je m'étire après avoir fait le rapport concernant l'affaire de Lina et la fille. Tout est rentrée dans l'ordre en un rien de temps, et les concernées ne manquent pas de m'en remercier dans les commentaires. Je leur ai dit que ce n'était rien, qu'elles s'étaient trouvées toutes les deux et que j'étais heureuse pour elles. Car après tout, chaque histoire d'amour mérite d'être vécue.
J'éteins mon ordinateur et m'affale sur mon matelas. Le visage de Yusaku refusant mes sentiments me revient en tête, comme tous les soirs. Bien sûr, je suis passée à autre chose depuis la fin de l'année dernière. Pourtant la scène se rejoue sans cesse : son sourire désolé, son attitude polie mais froide, puis son "okay à plus alors" avant de disparaître. Un caillou insignifiant dégagé du chemin.
Je soupire en fermant les yeux. Je sais que je ne devrais pas avoir de remords, et accepter la situation telle qu'elle est. Mais tout mon monde reposait sur lui, lui et nos interactions, sa gentillesse, nos sorties... Alors que tout ça, ce n'était que de l'amitié à ses yeux. Je me suis fait des films, et j'en endosse désormais les conséquences.
Je me retourne sur le ventre en fixant mon oreiller. Aujourd'hui, c'est à peine s'il me regarde. On ne s'est pas vus des vacances d'été. Je l'ai aperçu de loin aujourd'hui à la rentrée, mais c'est tout. Pas même un geste de main, un sourire crispé, c'était comme si je n'existais plus pour lui. On est comme des étrangers alors qu'on se côtoie depuis l'école maternelle.
Durant cette soirée de juin, j'ai décidé de ne plus accorder mon amour à personne. Ce serait pareil après, de toute façon. J'allais tomber amoureuse, et on allait m'envoyer bouler. J'ai besoin de l'ignorer à mon tour, et continuer d'aller de l'avant.
Je me réfugie sous la couette, éteignant au passage ma lampe de chevet. Yusaku, toi qui était si gentil... En y réfléchissant, il est toujours gentil avec tout le monde. Il le sera sans doute avec le nouveau qui lui sert de voisin maintenant.
« Ryuji Takasu. »
J'ai murmuré en ouvrant les yeux pour fixer le mur. Son nom m'est resté en tête, et je ne sais pas pourquoi. Jusqu'à la réalisation ; en panique, je me redresse.
« Merde, mes notes ! »
À m'agiter, je me suis retrouvée par terre. Je cours à quatre pattes péniblement jusqu'à mon bureau, et grimpe sur ma chaise afin d'allumer à nouveau mon ordinateur. Je suis allée dans la barre des annonces - le site étant resté en veille- et j'ai recopié à toute vitesse.
" La solitude, c'était le climat dans sa tête,
Le vide, le partenaire dans son lit,
La douleur, un écho dans sa démarche. "
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