𝗖𝗵𝗮𝗽𝗶𝘁𝗿𝗲 𝗖𝗶𝗻𝗾
Décembre 2011
Aux alentours de dix-neuf heures, j'enfile mes baskets en repensant à ma vie. Résumons : actuellement, ma meilleure amie est la cible amoureuse de ce garçon arrivé tout juste cette année, et à cause de ce blog stupide, j'endosse le rôle d'entremetteuse. Évidemment, Minori ne sait rien de tout ça, et j'espère que ce ne sera jamais le cas. Je n'imagine pas le malheur que ça serait si elle venait à découvrir que j'agis dans son dos. Je me sens mal de lui mentir.
Je me redresse pour enfiler un manteau. Le plus surprenant dans tout ça, je crois, c'est que j'y prends goût. Bien sûr, ce type me tape sur le système tant il peut être stupide parfois, mais je ne peux pas m'empêcher de le trouver attachant. Aider le nouveau ne me soulagerait-il pas du rejet de Yusaku ? Peut-être que ça me donne l'impression que je suis finalement capable de gérer une relation. Et qu'indirectement, je veux prouver à Yusaku que j'aurais fait une super petite amie.
Mon téléphone vibre sur la commode. Je le prends pour ouvrir le clapet d'une main : c'est une notification d'Asako, me prévenant qu'ils sont au bout de la rue.
Je range mon appareil dans la poche de mon manteau, puis fixe mon reflet dans le miroir. Dans quelques minutes, je serais rendue à la soirée du nouvel an organisée par Ami. La première soirée de ma vie, d'ailleurs. Maintenant que j'y pense, je n'ai jamais vu sa maison, à Ami. En passant le seuil de chez moi, je m'imagine un palace immense avec une piscine en forme de haricot, un tapis rouge à l'entrée et des majordomes en costard tant qu'on y est. J'aurais l'air bien bête dans ce décor, avec mes baskets usées et mon collant troué mais genre j'ai remonté un peu pour que ça se voit pas sous la jupe.
Je marche sur le trottoir et observe les alentours. Noël est passé depuis quelques jours, mais les voisins laissent leurs affreuses guirlandes clignotantes briller sur les gouttières, va savoir pourquoi. Okay, c'est le nouvel an ce soir, mais je ne vois pas le rapport avec l'esprit de Noël. Contrairement au convivial moment en famille, les gens prennent juste le prétexte de la nouvelle année pour se détruire le foie avec de l'alcool à volonté. Dé-bile.
Des phares m'éblouissent. Je mets ma main en visière pour distinguer une petite clio qui se rapproche. Elle s'arrête devant moi, et c'est avec surprise que je reconnais des visages familiers à l'intérieur.
« Je vous dépose quelque part, mam'zelle ? »
« Koji ? M'exclamai-je surprise - c'est bien la première fois que je vois mon camarade sans nourriture sous la main. Depuis quand tu as une voiture ? »
« Depuis que j'ai décidé d'en avoir une ! Allez grimpe, on a encore Ryuji à aller chercher. »
« Le nouveau ? Demandai-je alors que Minori m'ouvre sa porte à l'arrière. Il vient avec nous ? »
« Bonne déduction, » rit ma meilleure amie alors que je me rapproche d'elle.
« Mais si vous traînez on va être en retard, peste Koji. Poussez-vous un peu derrière, on file ! »
Je ne me fais pas attendre et m'installe collée à Minori parce qu'Asako est assise de l'autre côté. Elle me fait un petit coucou mais je n'ai pas le temps de lui rendre car je me cramponne au siège, Koji venant de passer à la quatrième vitesse.
« Depuis quand t'as ton permis ? » demandai-je au chauffeur.
« Qui a dit qu'il fallait un permis pour conduire ? » rit-il alors en prenant un virage.
Il est si serré que les filles s'écrasent sur moi, malgré les ceintures. Alors que je me demande si on arrivera en un seul morceau à la fête, je remarque enfin Sumire assise à l'avant, côté passager.
« Tu approuves ça, toi ? » dis-je en me penchant vers notre déléguée.
« Il est dix-neuf heures dix-sept, ce qui signifie qu'il nous reste treize minutes pour arriver à l'heure chez Ami dans le quartier opposé au mien. Parfois, il faut avoir le sens du sacrifice. »
Je ne sais pas si pour elle le sens du sacrifice signifie mourir pour arriver à l'heure à une fête, mais je n'ai pas l'occasion de lui poser la question car Koji freine brusquement. Moi et Asako nous prenons les sièges avant dans la face, et Minori manque de rencontrer le pare-brise. Koji se penche par la fenêtre pour saluer un gringalet qui se rapproche.
« Et voilà notre dernier passager ! Ça va vieux ? » lui dit-il en tendant la main.
« Ça va, » répond le nouveau en lui checkant amicalement - depuis quand sont-ils amis au juste ?
Je regarde la scène subjuguée puis je me reprends vite en constatant la suite des évènements.
« Eh, une minute ! Dis-je en me tournant vers les filles. Y'a que trois places à l'arrière, où est-ce qu'il va monter ? »
« On aura qu'à se tasser un peu, dit Minori en se remettant de sa presque chute. Asako pourra s'asseoir sur moi vu que je suis plus grande qu'elle, et toi t'auras qu'à t'asseoir sur Ryuji ! »
« Pardon ?! »
Je déglutis et au même moment le nouveau ouvre la porte dans mon dos. Non, c'est hors de question que je fasse ça ! Le plan, c'est de caser le nouveau avec Minori. Immédiatement, je grimpe sur les genoux de ma meilleure amie pour rejoindre Asako.
« Nope, c'est mort, je reste avec Asako moi. T'as qu'à y aller sur les genoux du nouveau, tiens ! »
« Hein mais... ! fait ma meilleure amie pendant que je la piétine, Taiga qu'est-ce qui te prends ?! »
« Euh, vous faites quoi ? » demande le nouveau en me voyant essayer de m'installer sous Asako qui se cramponne au siège avant.
« Bon vous avez fini votre bazar ? Nous lance Sumire de son ton habituel. A ce rythme, on ne sera jamais à l'heure ! Koji, t'as intérêt à foncer. »
« C'est parti, accrochez-vous ! » réagit-il en écho à la déléguée.
Le nouveau a juste le temps de poser son derrière et claquer la porte que Koji se déchaîne sur la pédale d'accélérateur et nous propulse en avant. Minori se voit bien obligée de prendre place sur les genoux du nouveau, même si elle passe son temps à l'écraser à chaque virage trop brusque. Le jeune homme est rouge comme une tomate en-dessous, et me lance des regards. Je les lui rends avec un sourire fier. Ne me remercie pas, surtout ! J'échange un clin d'œil complice avec Asako assise sur moi, puis on passe le restant du trajet à essayer de survivre à la conduite de Koji.
*
« Terminus, tout le monde descend ! »
Personne n'est vraiment d'humeur à se réjouir comme le fait Koji en claquant sa portière. Je sors de l'engin après tout le monde, le corps bredouille. Il faut que je trouve quelqu'un pour me ramener chez moi - autre que Koji - après la fête ; je ne garantie pas une seconde survie avec mon ami au volant. Mais je semble la seule à y songer puisque, devant moi, les autres s'engagent dans l'allée avec insouciance. Minori vagabonde déjà en s'agitant comme une gamine excitée, Asako tente tant bien que mal de la suivre, et Sumire avance aux côtés de notre chauffeur ambulant, d'une attitude sereine qui me laisse perplexe.
Je n'ai pas loisir d'y réfléchir étant donné que la façade du bâtiment d'Ami me laisse bouche-bée. Un immeuble. Ami habite dans un appartement, à priori bien banal. On est loin de la villa immense de mon imagination, son tapis rouge et ses hommes en costard. Je m'arrête d'avancer pour observer du coin de l'œil le quartier aux airs très modestes. Les balcons sont dénués de guirlandes électriques. Aurai-je mal jugé Ami, finalement ? Son arrogance aurait-elle une raison dont je n'ai pas connaissance ?
« Tu viens ? »
Je sors de mes pensées en tombant face au nouveau. Vu le froid vide qui nous entoure, la question vient sûrement de lui. Je fourre nerveusement mes mains dans mes poches en reprenant la marche.
« Ouais. Allons-y. »
Nous entrons dans le bâtiment, sur les talons de nos congénères.
*
Oh bordel c'est quoi ce monde.
Nous jouons des coudes rien que pour passer l'entrée exiguë. Ami ne riait pas en disant qu'elle inviterait toutes les Terminales. C'est un décor étrange ; comme une dimension parallèle où le lycée aurait les traits d'un appart en bazar, aux senteurs d'alcool et à la musique atroce. C'est amusant, presque. Mais le nouveau ne semble pas de mon avis lorsque je me tourne vers lui.
« C'est plus encombré qu'un placard, non ? »
Il hausse un sourcil puis soupire en regardant droit devant nous.
« Retrouvons les autres. »
Il me passe devant et je souris en le suivant. Quelque chose me dit que je ne suis pas la seule à me rendre à une soirée pour la première fois. Je repère le buffet du coin de l'oeil - Koji y est déjà installé, sans grande surprise. Il déguste la part d'une quiche lorraine apportée par je-ne-sais-qui, l'air dans son élément. Et l'air de se régaler. Mais alors que j'allais bifurquer pour le prévenir de me garder une part, je me prends le dos du nouveau.
« Eh ! Me plaignai-je agacée. Préviens quand tu t'arrêtes comme ç- »
« Ryuji, tu as pu venir ! S'exclame une voix que, malheureusement, je reconnais. Je suis si heureuse de te voir, si tu savais. »
Je me décale d'un pas sur le côté tandis que le nouveau fixe étrangement ses pieds. Ami lui fait face, et je comprends mieux. Elle est en bombe. Littéralement. Sa robe de soirée semble avoir été taillée pour elle, son visage est encore plus resplendissant qu'à l'ordinaire. Rien qu'en nous adressant la parole, elle attire tous les regards de la soirée. Même moi je suis bouche-bée. Le nouveau a l'air de ne plus savoir où se mettre.
« Bah, j'ai eu une invitation de ta part, alors... »
Il se tourne vers moi comme si j'étais sa bouée de sauvetage et me désigne grossièrement du menton.
« C'est Taiga qui me l'a donné. Je savais pas que vous étiez amies toutes les... »
« Mais évidemment que tu étais invité ! Rit Ami d'un ton bien trop exagéré pour être naturel. Viens, je vais te présenter à mes amis, ils sont sur le balcon ! Oh, et salut Taiga. »
Sans même attendre son avis, la jolie fille entraîne le nouveau apeuré à sa suite. Je tente un geste pour les retenir ; elle va pas kidnapper mon client comme ça, non mais ! J'ai un boulot à faire pour cet idiot, ce soir. Mais je n'ai même pas fait un pas qu'on me prend aussi par le poignet pour m'attirer dans le sens opposé.
« Taiga viens voir, ils ont un babyfoot ! »
Minori, évidemment, qui m'entraîne je-ne-sais-où de sa démarche bien trop rapide pour un humain normalement constitué.
« Ton objectif, c'est de me détruire le bras tous les mois ? »
Elle rigole, bien sûr, parce que c'est forcément hilarant de son point de vue. Cependant de mon côté, ça m'embête un peu ; mon objectif, c'est de caser mon excentrique de meilleure amie avec l'autre crétin qui ne sait décidément rien faire de lui-même. En attendant, je suis coincée entre des adolescents déjà bourrés pour la plupart, et un babyfoot même pas propre. Je sens que ça va être long.
*
Bon, ça a duré plus longtemps que prévu. J'ai carrément mis au second plan le nouveau. En même temps, c'est assez prenant le babyfoot, finalement, je m'en veux d'avoir toujours qualifié cette activité de puérile et idiote. Je me suis éclatée.
Aux commandes avec Minori, on a tout donné contre les duos qui nous ont fait face, on était imbattables. J'ai même tiré la révérence - bon j'avoue, les verres d'alcool ont un peu aidé - au milieu des applaudissements de Terminales que je ne connais même pas.
Alors que je me demandais quelle démarche on allait pouvoir adopter au milieu des couloirs avec ma meilleure amie pour faire régner notre loi sur le lycée, Sumire a débarqué et nous a mis à plat. Je l'ai jamais vu aussi concentrée et fière de victoire - sauf peut-être à la dernière éval de maths.
Koji l'applaudit avec grande joie à ses côtés pendant que moi et Minori restons figées et dépitées. Il est venu jouer en collabo avec Sumire à la base, mais il a préféré jeter son dévolu sur une assiette de surimis - honnêtement, je le comprends. Pourquoi jouer avec Sumire de toute façon, puisqu'elle finit toujours par gagner d'elle-même ?
« De piètres adversaires », sourit Sumire en soufflant sur ses ongles comme si elle venait de les limer.
Je lève les yeux au ciel et décide de m'en aller, en bonne perdante que je suis - j'ai juste poussé une fille par terre en chemin, mais elle était dans mon passage, c'était à elle de s'écarter. Il est plus de vingt-trois heures.
Après un bon verre d'eau de l'évier, je constate que la cuisine est aussi petite que l'appartement en lui-même. J'en viens même à me demander si Ami vit seule ici. Ami...
Je recrache mon verre, soudain, aspergeant la table face à moi. J'ai laissé le gars que je suis sensée aider sans surveillance, aux griffes de cette femme fatale ! Quel genre d'héroïne je fais ? Je repose le verre dans le lavabo et sors en coup de vent de la pièce.
La masse d'adolescents est encore plus compacte qu'à mon arrivée. Je scrute la foule à m'en tordre le cou, mais rien à faire ; pas de gringalet en vue. Je peste intérieurement. Même quand il n'est pas là, il me tape sur les nerfs, cet idiot.
Mais dans cette foule, une chevelure rose foncé sort du lot. Minori ! Je la vois jouer des coudes pour avancer, alors je viens à sa rencontre.
« Hey ! Dis-moi, tu n'aurais pas vu... »
Ma meilleure amie pose ses yeux sur moi et je n'achève pas ma question. Je ne l'ai jamais vu comme ça : le regard terne, les lèvres pincées d'agacement. Je prends un ton plus lent en la scrutant.
« Quelque chose ne va pas ? »
« Non. C'est juste... Quelqu'un vient de me prendre la tête. »
« Quelqu'un ? » demandai-je en écho.
Elle se pince l'arête du nez en soupirant. C'est lorsqu'elle fait un mouvement pour passer derrière moi que je comprends que je ne pourrai plus rien en tirer.
« Peu importe, je vais prendre l'air. »
« Prendre l'air ? Mais il fait moins quinze... Minori ! »
Elle ne m'écoute pas - ou alors, elle fait semblant de ne pas m'entendre : sa silhouette élancée a filé parmi les autres pour atteindre le balcon.
Je reste sur place, perplexe un moment, sans savoir quoi faire. Qu'arrive-t-il donc à ma Minori si joyeuse ? De plus, ce n'est pas dans ses habitudes de se prendre la tête avec quelqu'un. Qui a bien pu la mettre dans cet état ?
« Taiga ? »
Je sursaute et me retourne avec vitesse pour découvrir qui m'interrompt dans mes réflexions. Et devinez quoi ? Bien joué, c'est cet autre crétin de nouveau, qui apparaît comme une fleur alors qu'il est la source de tous mes problèmes.
« Toi ! Le pointai-je du doigt avec violence. Tu tombes bien, on a un souci urgent ! »
« Un souci urgent ? » répète-t-il surpris en louchant sur mon index dans sa figure.
« Oui ! Figure-toi que pendant que tu faisais le guignol avec cette pimbêche, Minori s'est disputée avec quelqu'un ! »
« Eh ! Ami n'est pas une pimbêche ! »
« C'est ça, et moi je suis la Reine d'Angleterre ! Tu laisses tomber Minori, si j'ai bien compris ? »
« Quoi ?! Non, j'ai jamais dit ça ! »
« Coucou vous deux, j'ai à boire ! Tiens quelque chose ne va pas ? »
On se tourne tous les deux vers Asako, elle aussi sortie de nulle part avec deux gobelets aux mains. Le nouveau fait un geste pour se munir d'un des verres, mais je lui donne une frappe sur la main ; on a autre chose à faire.
« On a une urgence sur le dos : Minori se sent mal, elle est partie sur la terrasse. »
« Vraiment ? s'interloque Asako, l'air soucieuse. Je ne comprends pas, elle qui a tant de joie de vivre... »
« Moi non plus, dis-je en me tournant vers le nouveau. C'est là que notre preux chevalier entre en scène. »
« M-moi ? » demande le nouveau l'air inquiet soudain en se pointant lui-même du doigt.
« Non, le pape. Bien sûr que oui, toi, c'est ta chance, tu ne vois donc rien ?! Elle a besoin de réconfort, alors tu vas lui en donner ! T'as pas de meilleures occasions que maintenant. »
« Mais qu'est-ce que je lui dis ?! »
« Ce que tu veux, tant que c'est pas des onomatopées. Allez, bouge-toi ! » dis-je en commençant à le pousser vers la baie vitrée du balcon.
« J'y arriverai pas ! » se lamente le nouveau.
« Courage, Ryuji ! Fait Asako d'un ton enjoué et doux comme un nuage. Tu as déjà réussi à lui parler une fois, il n'y a aucune raison pour que ça ne marche pas cette fois. »
Cela semble lui redonner un peu de niac. Il se redresse un peu, inspire et se met à avancer tout seul. Tant mieux, je commençais à avoir mal aux bras. Le nouveau ouvre la baie vitrée et nous jette un regard qu'on lui rend de pouces en l'air. Je pensais notre mission réussie avec succès un temps, mais c'était avant qu'une bombe vienne aborder notre introverti.
« Ryuji ! Je te cherchais partout, où étais-tu ? »
« Euh... » se contente de répondre le nouveau, bloqué dans son trajet.
Ami. Encore.
Non, là cette fois, j'en peux plus. Asako n'a pas le temps de me retenir que je m'élance vers la jolie lycéenne qui continue son jeu ridicule face à mon client.
« Dégage, Ami. »
Elle me remarque et cligne des yeux, l'air interloquée, pendant que le nouveau en profite pour faire un pas en arrière.
« Pardon ? »
« T'es sourde ? Je t'ai dit de dégager. »
« Mais qu'est-ce qui te prend, Taiga ? Je suis ton amie, non ? » demande-t-elle en replaçant une mèche derrière son épaule.
« Arrête avec ça ! Dis-je hors de moi. Arrête de croire que tu peux avoir tout ce que tu veux juste avec ta belle gueule ! Quand est-ce que tu arrêteras de prendre tous les mecs pour tes objets de collection ? »
Ami me fixe avec de grands yeux. Et puis, elle avance vers moi sourcils froncés. Les gens se rassemblent autour de nous peu à peu. Évidemment, quand ça sent la bagarre, ils se ramènent ces idiots.
« Excuse-moi, Taiga ? Fit-elle en se penchant, les mains sur les hanches. Je fais bien ce que je veux de ma vie. Ai-je vraiment besoin de leçons de morale de la part d'une fille qui monte un business autour d'histoires d'amour qui ne la concernent même pas parce qu'elle n'a rien de mieux à faire de sa vie ? »
Son ton est tranchant, sans hésitation. Son air sûr d'elle n'a jamais autant brillé qu'à cet instant. J'ai les nerfs à vif ; elle est stoïque alors que je boue de rage. Peut-être que c'est pour ça que je n'arrive pas à l'aimer : parce qu'elle est tout ce que je ne serai jamais.
« Ferme-la... »
« C'est tout ce que tu trouves à dire ? Comme c'est pathétique. »
Ami a commencé à glousser de sa voix d'ange, mais très vite, elle s'est arrêtée lorsqu'elle s'est prise ma main dans sa gueule. La main sur la joue, elle me fixe. Et puis elle riposte, et les Terminales autour de nous encouragent le tout de paroles indistinctes. Je crois même apercevoir Sumire les mains en porte-voix entre deux coups de pieds dans les tibias d'Ami. Des feux d'artifices déchirent le ciel par la fenêtre. Bonne année 2012 les gars.
Au bout d'un moment, on vient quand même nous séparer, et à ma grande surprise c'est le nouveau qui me tire loin d'Ami. Il me tient sous les bras alors que je m'agite, encore prête à défouler mes nerfs sur celle qui est source de toute ma jalousie.
« Lâche-moi, crétin ! »
« Taiga, tu saignes du nez ! »
« Je m'en fiche ! Laisse-moi refaire le portrait de cette... »
En regardant face à moi, je me stoppe de tout mouvement. Celui qui est venu éloigner Ami loin de moi lui a passé un mouchoir qu'elle utilise pour s'essuyer le visage. Un lycéen à lunettes, à la carrure d'athlète et aux gestes si doux.
Yusaku.
« Tout va bien ? » lui demande-t-il d'un air si inquiet.
Je détourne le regard et fais en sorte que le nouveau me lâche. Le nez vers le sol, je m'éloigne en direction de la sortie. J'ai mal partout, j'ai faim, et mon trou de collant s'est élargi. Quelle soirée de merde.
« Taiga ! Taiga, tu vas bien ? Où est-ce que tu vas ? »
C'est Asako, que je n'avais pas entendu approcher. Elle se place devant moi pour me barrer le passage.
« Oui. Dis-je sans la regarder. Mais je rentre. »
« Elle est là... » fait une voix hésitante dans mon dos.
« Taiga ! Mais qu'est-ce qui s'est passé avec Ami ? Ryuji m'a dit que vous vous êtes battues. »
Je fais volte-face pour voir le nouveau et surtout Minori, qui me prend l'épaule avant de retenir un bruit en voyant mon visage. Je la repousse gentiment.
« Ça n'a pas d'importance. Laissez-moi, je vais rentrer. »
« Dans un état pareil ?! C'est hors de question ! Fit ma meilleure amie hors d'elle. Ryuji, va chercher Koji ! »
« Pas besoin, je suis là, fit une voix reconnaissable. Qu'est-ce qui se passe ? »
« Taiga est blessée, explique Minori. On remballe ! »
« Je suis pour, dit alors Sumire en arrivant comme une fleur. Cette fête est puérile. »
Je n'écoute pas vraiment la conversation. Tout ça me paraît à des kilomètres. Je sens Minori me mettre un blouson sur les épaules et on sort en petit groupe. Le froid me surprend quelque peu, mais dans ma tête, la scène se rejoue. Ami et son rire d'ange, et puis Yusaku qui vient à sa rescousse. Comme un conte de fée. Le prince vient sauver la belle princesse. Et moi je suis condamnée à être la méchante sorcière. Qui, au lieu d'arranger les choses, crée du désastre. Dans la voiture de Koji, je ne fais même plus attention aux virages serrés et aux freinages brusques. Sur les genoux d'Asako, j'entends d'une oreille la conversation de Minori et le nouveau.
« Tu as bien fait d'intervenir pour les séparer. »
« Euh, c'est normal... J'allais pas les laisser faire non plus. »
« C'est clair - elle eut un léger gloussement - mais c'est ce que la plupart des gens font, ici. »
« O-ouais, balbutie le nouveau. Mais, je suis pas comme ça. »
« J'ai bien vu ça, affirme Minori. Tu es très courageux. »
Ça prend le nouveau de court. Je ne le vois pas, mais je suis sûre qu'il rougit. Ma meilleure amie se tourne un brin, et je la vois sourire au garçon sur lequel elle est assise.
« Ne change pas, d'accord ? »
Le nouveau la regarde un instant. Puis, il hoche la tête, et je crois même le voir sourire.
« D'accord. »
Koji fait un nouveau virage serré, mais un silence apaisant demeure. Mes yeux se ferment progressivement. Finalement, j'ai réussi mon objectif de ce soir. Le nouveau rougit, et Minori sourit.
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