「 𝘊hapitre III 」 ⁀➷ Brimades du Soir
Le ciel se parait de ses plus belles couleurs pour accueillir le crépuscule : les oiseaux esquissaient leur dernier chant, qui se perdait dans les confins du vent. Soleil Funèbre fit glisser son regard sur le lac, où se peignait des nuances de mauve, de pourpre, de cuivré et de tangerine. La nuit ne tarderait pas à tomber, elle couvrirait alors le firmament de son voile ténébreux. Il frissonna. Il n'aimait pas la nuit, il ne l'aimait plus. Il savait que chaque soir, ses cauchemars allaient revenir pour le hanter.
Si Eclair d'Obsidienne n'en montrait rien, il savait que ses nuits agitées l'empêchait de dormir. Pour régler ce problème, il avait trouvé une solution simple : il ne dormait plus. C'était stupide, mais il voyait avec satisfaction que cela marchait : le matou couleur encre semblait avoir repris du poil de la bête.
- Nuage du Soleil ?
- Quoi encore ? Et je m'appelle Soleil Funèbre, rétorqua-t-il, maussade.
- Ouais, ouais... Du coup, Nuage du Soleil, on va où comme ça
- Je m'appelle Soleil Funèbre !
Il soupira, puis reprit d'un ton désintéressé :
- On va voir ces coeurs de renard du Clan de l'Ombre.
Eclair d'Obsidienne s'arrêta, perplexe.
- Mais si ce sont des coeurs de renard, pourquoi les voir ? demanda-t-il en secouant les oreilles.
- Le Clan du Vent n'est pas adapté à nos entraînements, et je déteste me mouiller les pattes, alors on peut dire adieu au Clan de la Rivière. Il ne reste donc que le Clan de l'Ombre, même si je n'ai pas de grandes attentes les concernant, finit-il dans un grognement.
- Tu es trop pessimiste. Je suis sûr qu'ils nous accepteront ! répondit-il joyeusement.
Soleil Funèbre fouetta l'air de sa queue, les oreilles plaquées en arrière.
Toi, ils vont t'accepter quand ils sauront ton nom. Pour moi, c'est une autre affaire, pensa-t-il amèrement.
- Ton optimiste te perdra un jour ou l'autre...
- Ma parole, tu es plus grincheux que Feuille Tombante ! grogna Eclair d'Obsidienne.
Puis il se tut, pensif.
- Non, personne ne peut être plus grincheux que Feuille Tombante, reprit-t-il. Mais tu es pratiquement à son niveau.
Il fouetta l'air de sa queue, les oreilles plaquées en arrière. Ses coussinets lui faisaient mal : il avait été habitué au doux sol mousseux des bois, par au par-terre rocailleux de ce territoire qui semblait inexploré. Il releva son museau vers le ciel, la gueule ouverte. À ce rythme, ils arriverait bientôt aux frontières du Clan de l'Ombre.
L'épuisement le gagnait peu à peu. Ils avaient décidé de faire un large détour afin de ne pas croiser et sentir ne serait-ce qu'une légère odeur provenant des membres du Clan du Tonnerre. Il se demandait dorénavant si cela n'avait pas été une mauvaise idée. Une idée illogique, irrationnelle, de celles qu'Eclair d'Obsidienne aurait pu avoir.
- Nuage du Soleil ?
- Quoi encore ?
- C'est normal qu'on sente déjà l'odeur du Clan de l'Ombre ?
Soleil Funèbre se stoppa, les yeux plissés. Il huma l'air puis dévisagea son camarade.
- Je ne sens rien, déclara-t-il d'une voix perplexe.
- Pourtant, leurs guerriers puent tellement que j'arrive à les sentir à des centaines et des centaines longueurs de queues de renard, et je peux te jurer que leur frontière est toute proche. C'est sûrement ton museau qui est défaillant.
Le doré esquissa une grimace.
- Admettons que tu ais raison, ce n'est pas normal. On devait arriver vers minuit. Ils n'auraient tout de même pas avancé leur frontière, si ?
- J'en ai aucune idée, mais avec eux, il faut s'attendre à tout, répondit le noiraud en haussant brièvement les épaules*.
Il secoua la tête, de toute façon, cela n'avait pas grande importance. Il se mit à trottiner, pressé d'aller à l'encontre de ses anciens ennemis et de faire taire la voix dans sa tête qui faisait ressortir ses doutes.
Etoile Nivéenne n'est pas aussi superstitieuse qu'Etoile Rousse, se dit-il. Enfin, je l'espère, ajouta-t-il mentalement, les moustaches frémissantes. Il n'avait aucun moyen de savoir ni d'anticiper la réaction de la meneuse, il ne pouvait qu'attendre et subir son sort. Il se retint de planter ses griffes dans le sol, il détestait ne rien pouvoir faire ! C'était une torture, une géhenne qui prenait la forme de mots venant de chats vieillots et d'actions réalisées par un stupide matou aveuglé par sa foi. Une bande de cervelles de souris, comme Eclair d'Obsidienne. Il ronronna à cette idée. Eclair d'Obsidienne leurs a transmis sa bêtise, ça explique tout !
- Tout va bien, Soleil Funèbre ?
L'intéressé releva la tête, surpris. Eclair d'Obsidienne qui l'appelait par son nouveau nom ? Du jamais vu. Il émit un grognement coupable.
C'était méchant.
- C'est la première fois que je te vois ronronner depuis la dernière fois que tu as mangé un poisson. Donc longtemps.
De toute façon, il n'est pas du genre à se vexer.
- Oui, pardon. Je pensais à un truc. Et je crois qu'on est arrivé, si je ne me trompe pas.
Ils s'arrêtèrent devant une vieille souche qui empestait fortement une odeur de pin et de marais. Si ce n'était pas celle du clan de l'Ombre, alors il ne voyait pas à qui elle pourrait bien appartenir. Eclair d'Obsidienne avait raison, ils puaient vraiment. Il vit son ami frissonner. Ils pensaient sûrement tout les deux à la même chose.
Moi aussi, je vais avoir cette odeur ?
- On fait quoi, maintenant ? On attend jusqu'à ce qu'une patrouille passe ? s'enquit le noiraud.
- Je pense qu'ils viennent de passer, autant essayer de les rattraper, fit-il en s'étirant. Je te laisse passer devant, tu as un meilleur odorat que le miens.
Puis Eclair d'Obsidienne commença à courir, Soleil Funèbre sous ses talons. Ils ne mirent pas longtemps à trouver la patrouille : à vrai dire, ils n'eurent qu'à se diriger vers une souche visible de loin. L'accueil fut, à contrario, moins facile et plus désagréable.
Une femelle au pelage roux sombre se dressait de toute sa hauteur, les yeux plissés. Derrière elle, un jeune apprenti au pelage noir et blanc feulait, toutes griffes dehors. Un mâle crème se tenait un peu en retrait, ses yeux verts dardaient du regard Éclair d'Obsidienne. Ce dernier murmura :
- Elle, c'est pas la nouvelle lieutenante des guerriers de l'Ombre ? Et lui, c'est... Pluie du Matin, le frère d'Etoile Nivéenne, ajouta-t-il en agitant ses oreilles vers le matou. Et bien, on est mal barré.
Soleil Funèbre lui indiqua de se taire en fouettant l'air de sa queue. Il s'avança d'un pas, prudent.
- Salutations, guerriers du Clan de l'Ombre. Nous venons sans intentions belliqueuses. S'il vous plaît, nous aimerions rencontrer votre chef, s'exprima-t-il d'un ton qu'il espérait posé.
Les félins adverses s'échangèrent des coups d'oeil. L'imposante chatte s'exprima finalement, d'une voix faisant écho au féroce grondement de la foudre.
- Très bien. Mais nous vous tenons à l'oeil.
Ils se mirent en marche. Soleil Funèbre sentit l'état fébrile d'Eclair d'Obsidienne, qui laissait échapper des ronronnements traduisant un stress certain. Le trajet lui sembla plus long qu'il n'aurait du être. L'appréhension gagnait du terrain sur son raisonnement qui se devait d'être logique pour sa survie.
Arrivés au camp, l'atmosphère puait l'agressivité, l'air était étouffé par la méfiance. Les doyens de la tribu jetaient un œil sévère sur les nouveaux arrivants. Les reines les surplombaient du regard, cachant leurs chatons à l'intérieur de la pouponnière. Les apprentis arrondissaient leur dos, les guerriers sortaient les griffes, à l'affut. Seul le guérisseur semblait garder son calme.
Etoile Nivéenne ne prit pas longtemps à faire son entrée. La petite femelle au pelage crème et tigré fouettait l'air de sa queue touffue. Ses yeux noisettes faisaient des va-et-vient entre sa lieutenante et les deux guerriers. Soleil Funèbre s'avança.
- Salutations, Etoile Nivéenne. Je suis Soleil Funèbre, et voici Eclair d'Obsidienne. Nous sommes venus pour discuter.
La cheffe les toisa un court instant, puis répondit sans grande conviction :
- Oh, oui, je me souviens. Le petit Nuage d'Eclair n'a pas bien changé. Etoile Rousse a du placer beaucoup d'espoir en lui pour le nommer ainsi.
Soleil Funèbre avait l'impression de la voir raconter un discours appris par cœur. Sa voix monotone ne laissait transparaître aucune émotion. Il la laissa néanmoins continuer.
- Et toi. Nuage du Soleil, si je me souviens bien. Quel nom étrange et sinistre. Mais c'est bien le genre d'Etoile Rousse. Quel sombre présage peut donc planer au dessus de ta petite tête pour que ce cœur de truite t'ait donné un tel nom ?
Surpris, Soleil Funèbre n'eut pas le temps de répondre que déjà son aîné renchérissait :
- Non, laisse-moi deviner. Tu vas détruire le Clan du Tonnerre, ou bien provoquer la chute du Clan des Etoiles ? Vu l'expression que tu fais, j'imagine que c'est bien cela que Murmure des Arbres t'a lâché à la figure, fit-elle en plissant les yeux. Personne ne t'a dit que cette cervelle de moineau n'avait pas toutes les idées en place ? J'en ai marre de voir débarquer ici tout un beau monde seulement parce qu'Etoile Rousse est superstitieux à en perdre ses moustaches !
Hébété, le matou au pelage solaire se terra dans le silence. Il n'était donc pas le premier à venir ici ? Qu'est-ce qu'Etoile Nivéenne savait, exactement ? Tout se bousculait dans son esprit. Il ne comprenait plus bien la situation.
La meneuse interrompit de nouveau ses réflexions.
- Oui, toi et ton ami peuvent rester, et ce durant deux lunes. Faites vos preuves d'ici-là, et peut-être que vous pourrez intégrer le clan pour de bon. De toute-
- Hé. Hé ! Attendez un peu ! coupa sèchement Eclair d'Obsidienne.
Le noiraud s'était avancé. Visage dur, posture ferme, il continuait :
- Ce que vous nous dites, là... C'est n'importe quoi. Vous partez dans tout les sens. Expliquez-nous plus clairement. Ce n'est pas la première fois qu'un rejeton du Clan du Tonerre vient chez vous ? Depuis quand ? Et pourquoi ?
Coup d'œil de la cheffe vers son guérisseur. Queue qui fouettait l'air, oreilles agitées : elle semblait réfléchir.
- Oh, oui. Peut-être que je suis allée trop vite. Suivez-moi, ordonna-t-elle en commençant à s'éloigner vers sa tanière.
Le guérisseur sur les talons, il y avait tout juste de l'espace pour cinq ou six chats. La meneuse s'assit, et Soleil Funèbre s'installa plus confortablement.
- Par où commencer ? Comment dire... cette histoire remonte à une vieille époque, du temps où Etoile Rousse et moi, nous étions apprentis. Voyez-vous, déjà jeune, il était très talentueux. Très ferme, très dur, aussi, ajouta-t-elle en retrousant le museau. Mais surtout, très superstitieux. Il croyait plus que quiconque au Clan des Etoiles, aux signes, et tout ce qui va avec... Oh, il n'était pas guérisseur, ça c'est sûr, mais il faisait tout comme si. Il se trompait beaucoup, fit-elle.
À côté de lui, Eclair d'Obsidienne s'impatientait.
- Et donc ? laissa-t-il échapper.
- Depuis qu'il est devenu chef, cela a empiré. Le Clan du Vent avait reçu une prophétie, sur une attaque de blaireaux ou de chats errants, je ne sais plus bien... Le Clan du Tonnerre, lui, n'en a jamais reçu, malgré les dangers qu'il a dû traversé. Je crois qu'il est devenu un peu jaloux avec le temps, ricana-t-elle. Et, depuis, parfois, quelques chats du Clan du Tonnerre viennent, crasseux et perdus. A chaque fois, ils me sortent la même histoire, et à chaque fois, leurs noms coïncident tous avec une allusion au soleil. Oh, ce n'est pas souvent, je vous rassure. C'est toujours espacé par des dizaines et des dizaines de lune. Avec toi, cela fera neuf. Oui, je suis très vieille, finit-elle en riant.
Soleil Funèbre nota que la femelle était devenue beaucoup plus expressive, plus émotive.
- Des neuf, tu es le seul à qui je le raconte. Tu es le seul à connaître la vérité.
Le mâle au pelage solaire osa ajouter :
- Que sont devenus les autres ?
Les yeux d'Etoile Nivéenne se plantèrent dans les siens. Elle répondit, lourdement :
- Ils sont morts.
「❝」 BRIMADES DU SOIR - FIN 「❞」
*Alors, oui, je sais que les chats ne peuvent pas hausser les épaules, mais allez expliquer ça aux Erin. Je me désiste de toute accusation.
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