11:00


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Chris quitta la maison d'hôtes le premier. Il salua ses deux compagnons de vacances, puis prit la route sur sa moto, laissant derrière lui les nombreuses larmes qu'il avait versées pour son ancienne petite amie. Il se sentait mieux ; il n'avait pas oublié et était encore loin d'être remis totalement sur pieds, cependant il était déjà moins abattu qu'à son arrivée. Surtout, il se laissait sourire de nouveau et envisageait de nouveau un avenir.

Héloan lui avait offert une douce étreinte avant de le laisser partir. Ne restait donc plus que Théo et lui, seuls sur le petit parking, leurs sacs posés par terre. Un silence de mort régnait entre eux, ils ne savaient pas quoi dire, quoi faire. Aussi, il fallut attendre que l'aîné parvienne à bégayer :

— Tu... tu rentres comment ?

— En train. J'vais attendre le bus, il va m'emmener à la gare. J'espère qu'il fait pas trop chaud dedans, je transpire déjà... C'est dingue, y'a un peu soleil aujourd'hui.

— Tu veux que je t'y dépose ?

— Si tu fais ça, je pense que je t'embarque dans le train...

Le noiraud pouffa puis soupira. Il passa un bras autour des épaules de son cadet et l'attira contre lui. Héloan l'enlaça à son tour, pestant intérieurement contre la boule qui se forma dans sa gorge. Il se trouva ridicule à vouloir pleurer pour un inconnu dont il ne savait rien. Seulement, il ne put retenir la petite larme qui lui échappa.

Ce fut la seule à cet instant. Théo vint la cueillir avec son pouce avant d'attraper le menton du plus jeune. Il lui offrit ce qui ressembla à un dernier baiser, un baiser d'adieu. Il insuffla à son geste une tonne d'autres mots ; merci, , regrets, reconnaissance. Un flot d'émotions se mélangea entre eux, d'autant plus lorsqu'ils s'écartèrent pour se fixer.

Le bleuté admira une dernière fois les yeux sombres de ce jeune homme qu'il ne connaissait pas, ceux-là même qui l'avaient fait tomber pour lui, pour ce fumeur intriguant, secret et discret. Théo, lui, fixa ses jolies joues rebondies, celles qui avaient serré son cœur, fait céder ses envies face à lui, ce dessinateur curieux, caractériel et impatient.

— Tiens, garde ça, ça te fera un souvenir.

L'aîné lui donna sa boite de bonbons et Héloan pouffa. Il la glissa dans la petite pochette de son sac avant de faire la moue. Il n'avait rien à lui offrir en échange, hormis les breloques qu'il avait aux poignets. Il douta un instant que le noiraud accepte un simple bracelet sans aucune signification particulière, aussi, il n'osa rien dire. Du moins, jusqu'à ce que le plus grand ne l'y pousse, voyant bien qu'il se retenait.

— J'ai rien à te donner, moi. Genre... Les bonbons à la pomme, ça a du sens parce que c'est ce dont je me souviendrai le plus. Le goût de quand on s'embrasse. Mais un bracelet, tu vas faire quoi avec ça ?

— Le porter et sourire chaque fois que je le verrai ? Regarde, en plus t'en a un vert, comme les bonbons.

Le bleuté piqua un fard. Théo pouffa en le voyant et attrapa tendrement son poignet. Il détacha alors le bijou puis l'enroula autour de son propre bras. Héloan l'aida à attacher le fermoir, souriant doucement. Ils n'avaient peut-être jamais parlé de bijoux, mais la couleur de l'objet collait parfaitement avec leur thème, finalement. Le destin faisait bien les choses, et jusqu'au bout.

— Ton bus arrive à quelle heure ?

— Il ne devrait pas tarder.

Théo hocha la tête avant de l'accompagner jusqu'à l'arrêt. Ils se lovèrent l'un contre l'autre en patientant, jusqu'à ce que le cœur du plus jeune ne se comprime lorsque le véhicule apparut, au loin sur la route. Il sentit son ventre se tordre mais il ne recula pas. Il inspira un grand coup puis se leva, remontant son sac sur soépaule. Il fit quelques pas vers le bord de la route avant de faire subitement demi-tour, se jetant dans les bras du noiraud, l'enlaçant de toutes ses forces. Il nicha sa tête dans son cou et profita de son odeur une dernière fois, certain qu'ils prenaient la bonne décision.

Ils s'entendaient bien mais ne pourraient jamais rien construire tous les deux, pas en l'état actuel ; leurs vies et leurs santés mentales ne le permettaient pas. Ils possédaient des points communs mais étaient bien trop différents pour vivre ensemble, pour faire quelque chose. Ils étaient incapables de s'aimer, s'aimer pour de vrai et non pas juste par attirance physique. Ils ne se savaient pas en capacité de réussir à rendre l'autre heureux avec leurs situations actuelles et respectives. Alors ils devaient se laisser, se laisser le droit de vivre. Vivre ces vies radicalement opposées, et pourtant similaires par leur excentricité. Malgré tout, il ne put s'empêcher de murmurer d'une voix chevrotante :

— J'veux pas être à nouveau seul, Théo-tout-court...

— Ça me fait mal aussi, Héloan. Mais c'est mieux ainsi, je te le promets. On n'est pas en état pour quoi que ce soit.

— Théo...

Le bus se gara devant eux et le noiraud attrapa le visage du plus jeune entre ses mains. Il sécha ses larmes et lui embrassa le front avant de le pousser gentiment jusqu'au véhicule. Héloan monta dedans, reniflant tristement, tout en étant conscient qu'il lui valait mieux rentrer chez lui. Il ouvrit tout de même la fenêtre une fois assis. Théo lui envoya un joli sourire et s'approcha. Il tendit la main gauche et le bracelet vert entra dans le champ de vision du bleuté. Il lia donc ses doigts à ceux de son aîné, puis l'écouta sagement.

— L'année prochaine, la nuit, au milieu du mois de juin, tu penseras à moi. Tu penseras à moi et on se reverra là, dans tes souvenirs. On se reverra là, avec les vagues, les orages, la chaleur et la pluie. Avec ton bracelet et mes bonbons à la pomme. On se reverra là.

— Théo...

— Tu mérites une meilleure vie, Héloan. Une vie que je ne peux pas te donner. Il faut que tu me laisses partir, que je te laisse partir. C'est mieux comme ça, d'accord ? Promis, c'est mieux comme ça.

— Pourquoi ? Je sais rien de toi. Rien du tout.

— C'est mieux comme ça, Héloan, s'il te plaît. J'suis pas un dealer de drogue, j'suis pas un meurtrier. J'suis juste... juste un mec un peu paumé qui n'est pas capable de te rendre heureux. J'aimerais. J'aimerais pouvoir te regarder avec des yeux clairs, avec des yeux qui ne sont pas fatigués et lassés en permanence. Pas tristes et déprimés. Mais c'est pas possible. Et tenter quelque chose maintenant, ça te ferait mal. Alors s'il te plaît, garde en tête tous ces précieux souvenir. Garde en tête mes sourires et ce joli petit jeu. Un jour on se reverra. D'accord ?

— Tu penseras à moi toi aussi ? Promis ?

— Promis, trésor. Promis.

Le chauffeur du bus fit vivement signe au noiraud qu'il comptait redémarrer. Il ferma les portes mais Héloan serra la main du plus grand plus fort. Théo le fixa un instant et lui offrit un joli sourire. Il murmura :

— Un dernier et après on se dit au revoir pour de vrai, mh ?

Le bleuté hocha la tête avant de se pencher par la fenêtre. Théo se hissa sur la pointe des pieds pour l'embrasser tendrement, glissant une main sur sa joue et la caressant avec délicatesse. Héloan savoura une dernière fois le goût de leur échange, ce mélange si particulier de pomme et de tabac avant qu'il ne lui échappe définitivement.

Il admira son vis-à-vis puis sentit sa main s'écarter lentement. Le noiraud recula légèrement et Héloan se repositionna sur son siège, le souffle coupé. Il hocha ensuite la tête puis gagna un joli sourire. Théo avait raison ; s'il ne se sentait pas capable de rendre Héloan heureux, ce dernier ne se savait pas en capacité de l'aimer non plus, pour le moment. Après tout, il y avait songé hier soir, il voulait vivre une vie loin des codes de la société, il avait besoin de se reconstruire avant de pouvoir s'engager dans une quelconque relation.

— Au revoir, Enver. J'espère te revoir à la télé.

Le bleuté sentit le bus se mettre en marche, aussi, il pinça les lèvres. Il acquiesça ensuite, puis pencha de nouveau la tête par la fenêtre.

— J'espère que je ne t'y verrai jamais, Théo-tout-court. Prends soin de toi, d'accord ?

— Mh. Merci, Héloan, réellement.

Héloan lui offrit un sourire, avant de lui faire un signe de main en guise d'au revoir. L'autobus s'éloigna ensuite vers la gare, vers la nouvelle vie du bleuté. Théo, de son côté, traversa la route et marcha jusqu'à sa moto. Il se baissa, ouvrit son sac puis en tira quelques boîtes et une ordonnance, donnée par son médecin quelques mois plus tôt. Il la faisait renouveler chaque fois qu'il revenait dans sa ville natale en repassant chez son spécialiste. Il se rendait ensuite à la pharmacie pour prendre les petites boîtes bleues qui lui servaient toujours le soir, depuis trois ans.

Un sourire vint décorer ses lippes. Il fixa ensuite son bracelet vert et une larme roula sur sa joue, une larme de joie. Il se redressa et déchira lentement le papier avant de le jeter vivement dans la poubelle la plus proche. Les boîtes, il fila les donner au vieil homme qui tenait la maison d'hôtes, lui demandant de les donner à la première pharmacie qui récupérait les médicaments encore utilisables. Il grimpa ensuite de nouveau sur sa moto et fixa son paquet de cigarettes. Il hésita quelques secondes et le jeta dans la poubelle à son tour, fixant son nouveau bijou, son nouveau trésor vert. Il hocha ensuite la tête, puis enfila sa veste et son casque, le cœur léger.

Il n'était pas guéri. Il n'était pas non plus encore débarrassé de ses addictions. Pourtant, pour la première fois de sa vie, il avait envie d'y croire. Croire qu'il était enfin sur le bon chemin, enfin assez fort pour y arriver, pour se défaire de ce qui, depuis de longues années, était inscrit sur cette stupide ordonnance.

— Héloan Enver...

Il se laissa sourire en prononçant son nom, puis jeta un nouveau coup d'œil vers son nouveau porte-bonheur. Il hocha la tête tout seul et démarra, le visage de cet inconnu en tête, sa voix douce, ses jolies joues et ses yeux noisette. Et puis ses t-shirts de jeux-vidéo, son talent en dessin, et toutes ces choses qu'il ne connaissait pas à son sujet.

— Un jour on se reverra.

Sa moto s'élança sur les routes, quittant cette maison dans laquelle il était arrivé avec le moral au plus bas, avec des envies sombres et bien différentes de celles qui l'avaient envahi en voyant Héloan. Il quitta la maison avec le souvenir de cette canicule, ces vagues de chaleur qui lui avaient retourné la tête, avec le souvenir de Héloan, ce jeune homme qu'il avait désiré comme il n'avait jamais désiré personne.

Avec le souvenir d'un parfait inconnu qui, sans le vouloir, lui avait permis de faire un pas énorme dans ses combats personnels. Théo était convaincu que le destin leur permettrait de se recroiser aussitôt qu'ils auraient réglé tous leurs problèmes, aussitôt qu'il serait lui-même enfin en mesure de l'aimer pleinement, de le rendre heureux.

Pour le moment, il leur fallait attendre. Attendre des mois ou des années avec la simple satisfaction d'avoir passé des vacances mémorables, d'avoir pu savourer une nuit inoubliable avec un parfait inconnu.

Inconnu. Ils n'étaient que deux inconnus qui ignoraient tout de l'autre. Deux inconnus que le destin avait décidé de réunir là, pour qu'ils s'aident mutuellement. L'un, pour qu'il quitte la morosité de sa vie, qu'il ose faire ce que bon lui semblait sans plus dépendre de l'avis de sa famille. L'autre, pour qu'il parvienne à trouver la force et le courage de se battre contre une maladie, contre ce mot entêtant, écrit noir sur blanc sur son ordonnance.

— Héloan Enver.

Théodore Clifford venait inconsciemment d'aider Héloan Enver l'inconnu à se construire une vie meilleure. Il lui avait fourni assez de leçons, assez de bons souvenirs et d'expériences nouvelles pour le pousser à changer, pour le pousser à choisir sa voie, à trouver un meilleur emploi. De son côté, Héloan Enver avait sans le vouloir sauvé Théo-tout-court, cet inconnu. Durant ces deux semaines il lui avait donné de quoi croire à nouveau en lui-même, de quoi soigner ses blessures et influer envie et courage dans son sang. Il l'avait aidé à se battre contre ce qui dévorait sa vie depuis des années : sa dépression. Il ne l'avait pas guérie, loin de là. Mais il lui avait donné le courage de se battre.

Se battre, pour, un jour, sortir la tête de l'eau. Pour, un jour, se débarrasser définitivement de ses visites chez le médecin, chez le psychologue. Pour qu'un jour il puisse sourire avec légèreté, pour que ses yeux brillent à nouveau et qu'il puisse enfin profiter de la vie pleinement.

Pour qu'un jour, ils puissent enfin se retrouver et partager, encore, le goût sucré de la pomme dans leurs baisers.

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heheh, une petite partie mot de la fin arrive dans la foulée <3

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