10:00
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Héloan ferma les yeux, laissant le vent balayer ses cheveux, le moteur vrombir et la moto fendre les routes à toute vitesse. Il était cramponné à Théo, et ce dernier restait concentré sur la route, surveillant surtout la potentielle présence des forces de l'ordre.
Ils longèrent de nouveau la côte, passèrent entre les champs de lavande puis évitèrent les nombreux nuages grisonnants mais secs qui planaient au-dessus de leurs têtes. Ils ne firent que profiter de leur dernier jour ensemble, enregistrant tous ces précieux moments, les conservant bien au chaud dans leur mémoire. Ils voulaient les chérir, s'en souvenir toute leur vie. Pouvoir un jour raconter à leurs amis respectifs qu'ils pensaient toujours à ce jeune homme, cet inconnu avec qui ils n'avaient passé qu'une nuit, une seule et unique nuit.
Un temps infime, un temps éternel. Les minutes défilaient mais ils avaient fait le choix de les ignorer. Ils préféraient savourer l'instant, ne pas penser au lendemain et rester coincés dans cette bulle, cette bulle de douceur, de tendresse, d'envie, de chaleur. Cette bulle d'eux.
— Tu comptes faire quoi comme métier ?
— Aucune idée ! Mais un truc dans le dessin.
— Peut-être qu'un jour je te verrai aux infos.
— Tu crois que je te verrai quelque part ?
— Si j'passe à la télé ce sera sûrement parce que j'aurai fini par avoir un accident.
— Alors j'veux jamais te revoir, surtout pas à la télé. Tu mets ton casque et ta veste, hein ?
— Quand j'ai pas un moucheron derrière moi, ouais, je le mets... parfois.
— C'est moi que tu traites de moucheron, là ?
Théo ricana avant d'accélérer subitement. Héloan sentit une douce sensation dans son ventre et eut l'impression de flotter ; il adorait la moto. Peut-être pas au point d'en faire sa vie comme le noiraud, mais assez pour profiter pleinement des jolies balades.
— On s'arrête ici ?
Le plus grand hocha la tête et aida son cadet à se débarrasser de ses équipements une fois qu'il eut posé les pieds à terre. Ensuite, ils s'approchèrent des barrières qui surplombaient le paysage et admirèrent l'océan s'écraser avec plus de douceur que les jours passés, en bas de la falaise. Héloan jeta un petit coup d'œil sur le plan qui avait été mis à disposition par la ville la plus proche et reporta son attention sur Théo. Ce dernier était passé par-dessus les bouts de bois, aussi le bleuté sentit son cœur s'arrêter jusqu'à ce que le noiraud ne lui envoie un petit sourire rassurant.
— Viens. J'vais pas sauter.
— T'as vraiment peur de rien, toi.
— Mh...
Le plus jeune fit le choix de rester derrière les barrières. Il y appuya ses avant-bras et admira Théo, assis sur ces objets qu'il n'était pas supposé dépasser pour sa sécurité. Il se pencha légèrement sur le côté pour venir cueillir les lèvres du plus jeune. Ce dernier ne se priva pas le moins du monde mais le baiser resta doux, délicat, léger et parfumé. Tabac et pomme, comme toujours. Ils s'écartèrent avec lenteur, affichèrent de fins sourires et reportèrent leurs yeux sur les vagues, en contrebas.
— T'en veux ?
Héloan tourna la tête pour fixer une boite verte. Il crut un instant voir un paquet de cigarettes jusqu'à ce que le noiraud ne lui donne une légère tape sur le crâne avec l'objet, le grondant :
— C'est pas des clopes, abruti. J't'en proposerai jamais. C'est des bonbons.
— À la pomme, hein ?
— Mh.
— Tu sens toujours la pomme.
— Pour cacher le tabac.
— Ça me gêne pas plus que ça.
— Ah ouais ? Attends alors, j'en profite.
Sans se faire prier, le noiraud l'attira de nouveau contre lui, l'embrassant à en perdre haleine. Il passa une jambe de l'autre côté des barrières pour se retrouver à califourchon dessus avant d'attraper Héloan par les hanches pour le faire grimper à son tour. Il ne lâcha pas sa taille, par sécurité, mais poursuivit le baiser avec fougue et empressement, comme s'il jouait là sa vie. Le bleuté pouffa, mais se laissa prendre au jeu. Il enroula ses bras autour de son cou et rapprocha son corps du sien, passant ses cuisses sur les siennes, se lovant le plus possible contre lui. Il avait besoin d'être proche de lui, besoin de sentir ses bras autour de son corps. Il était certain que cette sensation allait lui manquer terriblement, aussi il en profita le plus possible.
— J'ai presque pas envie de te laisser partir. Ça fait trop longtemps que j'ai pas rencontré quelqu'un qui m'apprécie autant, moi et ma vie étrange. Pourtant je sais que c'est ce qu'il faut faire, mais... Mais c'est pas si simple, en fait. On n'aura plus rien pour se contacter, aucun moyen de se revoir.
— C'est ça qui rend les choses un peu plus magiques, Héloan. J'sais pas où tu habites, et toi tu ne sauras jamais où est-ce que je suis avec ma moto. Et tu sais quoi ? Je crois que ça nous rapproche encore plus que si on s'échangeait nos numéros ou quoi que ce soit pour rester en contact. Parce qu'au fond, j'suis certain qu'on pensera l'un à l'autre bien plus fort et qu'en fermant les yeux, on pourra être réunis, là, juste dans ta tête.
— C'est dans mon lit que je veux qu'on soit réunis, pas dans ma tête.
— Alors prie pour me croiser un jour dans ta ville ou ici par miracle.
Théo l'enlaça davantage. Sa main gauche, du côté de la falaise, vint passer dans le bas de son dos. La droite grimpa et se posa sur sa nuque, caressant tendrement la naissance de ses cheveux bleus. Il lui embrassa furtivement le haut du crâne avant de rire lorsqu'il sentit les lèvres du plus jeune dans son cou.
— J'suis bien avec toi. Il y a pas tous les problèmes que j'ai chez moi, pas toutes les contraintes de la vie. Il y a juste... juste toi. Juste toi et tes jolis yeux, toi et aucun a priori, aucun préjugé.
Le noiraud ne répondit pas, seul son sourire discret le fit. Il appréciait grandement ce petit bout d'homme aux cheveux bleus mais il se savait incapable de l'aimer correctement, de lui offrir la vie dont il avait besoin, le couple qu'il méritait. Il l'aurait abîmé en essayant et c'était bien là son dernier souhait. Puis, plus que tout, il ne se voyait pas lui-même en couple. Il était plutôt du genre solitaire, à ne laisser personne entrer dans sa vie. Il n'avait que son meilleur ami, en réalité. Que son meilleur ami et désormais Héloan.
— Tu veux bien me promettre un truc ? M'oublie pas, Enver. Oublie jamais tout ça. On pourra vivre dans les mémoires l'un de l'autre. On pourra se revoir dans nos rêves.
— Je comptais pas t'oublier, abruti. Tu crois vraiment qu'un type comme toi ça s'oublie aussi vite, surtout après ce qui s'est passé ici ? Non, jamais. J'arrive déjà pas à bien réaliser qu'on a baisé pour de vrai, alors bon...
Théo ricana et se balança doucement de droite à gauche, berçant involontairement le plus jeune, dans ses bras. Héloan se redressa puis s'écarta légèrement. Il voulut se tourner vers les vagues mais manqua de tomber, de basculer vers l'avant. Il ne dut son salut qu'aux étonnants réflexes du motard, qui le gratifia d'un regard noir avant qu'il ne revienne contre lui, de dos cette fois, afin d'être mieux installé. Le plus grand entoura donc son ventre de ses bras et déposa quelques baisers dans son cou, puis sur son épaule. Ensuite, ils profitèrent simplement du vent jusqu'à ce qu'une nouvelle pensée ne pousse Héloan à briser le silence.
— Le destin est quand même bien fait. Il nous a foutu tous les deux au même endroit, au même moment.
— Et s'il le veut, il le refera pour que l'on se recroise. Tu veux bien essayer de m'attendre ?
— Carrément. Une nuit c'était génial, mais vas-y, je dis pas non pour une deuxième, une troisième et même des centaines.
— Mh... Tu sais, il reste toujours cette nuit...
Le sourire plus qu'équivoque du plus grand fit glousser le cadet. Il hocha donc la tête et se cala tout contre lui, fermant les yeux et laissant les vagues lui chanter une douce mélodie. Ils ne rentrèrent à la maison d'hôtes que pour dîner, et décidèrent de manger avec Chris pour ce dernier soir. Théo et lui mirent un peu de côté la rancœur qu'ils avaient l'un envers l'autre pour faire plaisir à Héloan, et une discussion plutôt intéressante pris place entre eux trois.
Le soir, le bleuté et le noiraud se retrouvèrent de nouveau dans la chambre du plus grand. Ils hésitèrent un long moment, se demandant si une deuxième nuit n'allait pas gâcher un peu leurs souvenirs, tacher cette expérience inédite mais éphémère. Finalement, ils s'endormirent dans les bras l'un de l'autre avant même d'avoir pu trancher sur quoi que ce soit. Héloan s'éveilla cependant au milieu de la nuit. Il admira Théo et se demanda de quoi il pouvait bien rêver, là, alors qu'il avait l'air de si bien dormir, de, dans son sommeil, si joliment sourire.
Il regarda ensuite les vagues calmes par la fenêtre et retint un soupir. Il pria un instant pour que le temps s'arrête, pour qu'il puisse rester ici, tout contre le noiraud pour toujours. Puis il se souvint soudainement de tout ce qu'il avait appris ici. Tout ce qu'il avait découvert sur lui-même. Il ne pouvait pas perdre ça, pas rendre tous ses efforts vains. Il devait laisser Théo partir et remettre de l'ordre dans sa vie, une fois qu'il serait rentré chez lui.
Il comptait quitter son travail et même son appartement. Il allait en louer un plus petit dans une ville plus accueillante, avant de trouver un travail qui lui correspondrait bien plus. Puis, il comptait surtout arrêter de se tuer le moral avec des histoires d'amour qui ne l'intéressait pas : il ne voulait pas de vie de famille. Il ne voulait pas se marier, et l'idée de finir sa vie célibataire ne le dérangeait absolument pas. Il avait des amis sur qui compter et des souvenirs incroyables auxquels se raccrocher. Il n'avait besoin de rien d'autre dans sa vie, sa vie à lui.
Peut-être que lorsqu'il se sentirait assez stable mentalement, assez fort et satisfait de son existence, alors pourrait-il songer à partager un bout de sa vie avec quelqu'un qui saurait faire vibrer autant son cœur que Théo ici. Il ferma donc les yeux en souriant, se lovant contre le noiraud et lui embrassant la joue juste avant de laisser le sommeil l'emporter de nouveau. Il ne craignait plus de voir le soleil se lever, de voir le lendemain arriver. Il était prêt et certain de son choix. Lorsqu'il quitterait la maison d'hôtes, ce serait seul et pour remettre de l'ordre dans sa vie. Il ne suivrait pas le motard, il le laisserait partir.
Il ne reverrait plus jamais Théodore Clifford.
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là c'est la partie où on sort les mouchoirs lol- oopsi
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