06:00
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Au matin, Théo prit place face à un Héloan mal réveillé pour le petit-déjeuner. Cette fois cependant, ils se fixèrent tous les deux, ne sachant pas comment commencer à taquiner l'autre en ce lundi matin. S'ils continuaient tous les deux d'ignorer l'autre pour le rendre fou, alors cela ne fonctionnerait pas. Le bleuté semblait avoir trouvé comment ronger ses freins pour ne plus rien laisser paraître, tandis que le noiraud, bien qu'agacé, savait se taire et retenir sa frustration. En définitif, s'ils continuaient ainsi, ils ne s'adresseraient plus un mot, or, ce n'était absolument pas ce qu'ils désiraient. Il leur fallait donc procéder autrement.
— Héloan ? Ça te dirait de venir faire un tour avec moi en ville, cet après-midi ?
Le plus petit en taille – et le cadet, il avait appris l'âge de Théo hier soir un peu avant d'aller dormir, en croisant le propriétaire – ne sut pas quoi répondre. Déjà parce que son cerveau n'était pas encore allumé, mais surtout parce qu'il était partagé dans ses souhaits. D'un côté, il avait réellement envie de profiter d'une balade avec Chris, il appréciait beaucoup le bouclé et la ville voisine se trouvait être vraiment chaleureuse. Seulement, les pupilles sombres de Théo semblèrent lui envoyer un refus catégorique. Il avait quelque chose de prévu et Héloan était de la partie. Il marmonna donc en se frottant les yeux :
— Oh... J'aurais beaucoup aimé mais j'ai déjà quelque chose cet après-midi. Demain, si tu veux.
— Oh, ça marche. Demain, dans ce cas.
Chris lui offrit un sourire, loin de se douter que le petit rictus narquois que Théo afficha était lié à la conversation. Il ne comprenait pas ce motard étrange de toute façon. L'Australien aimait plutôt les personnes douces, ouvertes et expressives. Si le noiraud était doté d'un visage qui retranscrivait plutôt bien ses émotions via de jolies expressions faciales, il n'en restait pas moins froid comme la glace et sec comme du bois brûlé. Puis son regard était terrifiant, un mélange de jugement permanent et de fatigue, de lassitude.
Théo semblait épuisé, épuisé par la vie. Il noyait son vague à l'âme dans ses infâmes cigarettes, il empestait le tabac et ce point précis était un stop définitif pour Chris. Il avait encore trop en travers de la gorge sa rupture et le profil du nouveau petit-ami de l'élue de son cœur. La drogue, l'alcool et les cigarettes étaient donc tout bonnement des choses qu'il haïssait au plus haut point.
Il ne resta pas plus longtemps dans la pièce et se leva, saluant poliment ses deux compagnons de vacances et filant s'isoler dans sa chambre. De son côté, Héloan émergea enfin, baillant à s'en décrocher la mâchoire avant de porter son bol de café à ses lèvres. Théo en profita pour venir le taquiner subtilement, faisant mine de traîner sur son téléphone tout en rapprochant dangereusement ses pieds, sous la table. Le bleuté s'étouffa avec sa boisson lorsqu'il sentit que le noiraud touchait doucement l'intérieur de sa cuisse, puis lui lança un regard noir. L'aîné ne fit pour une fois pas semblant de ne pas le voir ; au contraire, il soutint le contact visuel avant de lui décocher un sourire insolent au possible.
— J'arrive pas à croire que t'as le culot d'faire ça mais de me baragouiner qu'il faut attendre pour passer à autre chose.
— En même temps, c'est toi qui mets trop de temps à gagner. J'ai vraiment envie que t'y arrives, tu sais ? Mais si t'y arrives pas, alors ce sera moi.
— T'as qu'à gagner plus vite si t'es pas content. J'fais du mieux que je peux. C'est toi, tu te barres tout le temps. Tu m'agaces quand tu fais ça.
— Faux, toi tu me veux mais ta patience de moineau enrage.
— Moineau toi-même, c'est toi qui as commencé ce matin, j'te signale.
— Moi ? J'ai rien fait.
Théo pencha la tête sur le côté avant de monter son pied encore plus haut. Héloan dut plaquer sa main sur sa bouche et morde la manche de son pull pour qu'aucun son ne puisse lui échapper, bien trop fier pour laisser le noiraud l'avoir si facilement. À la place, ses yeux lancèrent des éclairs et il sembla prêt à assassiner son vis-à-vis sur le champ. Ce dernier ne broncha même pas, ricanant simplement tout en continuant son petit jeu, se délectant du mal fou que prenait Héloan à retenir tous les sons qui menaçaient de quitter ses lippes.
— Arrête ça.
— Vraiment ?
Silence. Le plus grand ne bougeait plus, sondant bien plus sérieusement le regard de son cadet. Une part de lui vérifiait qu'il n'était pas en train de faire une bêtise, pas en train de forcer et de briser le respect mutuel. L'autre, en revanche, savait déjà que Héloan n'avait soufflé ces mots que pour grogner ; il ne voulait pas faire cesser les choses le moins du monde. Pourtant, le noiraud prit grand soin d'attendre une réponse pour continuer ou, au contraire, pour se retirer.
— Non... Mais décide-toi, putain. Va jusqu'au bout ou ne fait rien, mais arrête avec les entre-deux frustrants.
— C'est toi que j'attends.
Pour appuyer ses dires, Théo pouffa et se leva subitement, comme à son habitude. Il n'ajouta rien et s'éclipsa, Héloan sur les talons.
— Arrête de faire ça !
— « Arrêter quoi ? »
La voix moqueuse du plus grand fit comprendre au bleuté qu'il reprenait ses mots de la veille, se jouant de lui une nouvelle fois pour le faire enrager. Il tenta donc de ne pas tomber dans son piège, cependant, son corps ne répondait déjà plus et son esprit encore embrumé n'était visiblement pas capable d'agir calmement ce matin. Il attrapa donc le bras du noiraud, l'empêchant de fuir de nouveau lançant :
— Arrête de me rendre fou, putain.
— C'est pourtant ce que tu m'as demandé.
En disant, Théo se rapprocha délicatement de lui, glissant sa main libre sur sa taille pour le faire se rapprocher. Il fit ensuite en sorte de le pousser sans grande force contre le mur de la salle à manger. Leurs visages ne furent alors plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Un souffle séparait leurs lèvres, leurs paumes, leurs bassins. Leurs yeux s'étaient accrochés, hypnotisés les uns par les autres. Et puis leurs cœurs, leurs ventres, leurs esprits ; tout semblait imploser lentement, foudroyé par un éclair soudain, secoué par les vibrations du tonnerre qui, pour changer, grondait encore dehors.
— Oui mais si tu continues de jouer comme ça, j'vais certainement pas tenir jusqu'à vendredi soir. J'en ai marre d'attendre, putain, tu veux quoi, hein ? J'te veux, j'te veux tout entier, juste toi, juste toi toute une nuit. Personne d'autre. Ça te suffit pas ? Tu vas te faire désirer encore combien de temps, hein ?
— Jusqu'à ce que tu te décides à gagner.
Héloan leva les yeux au ciel. Théo ricana avant d'effacer la distance entre leurs lippes, entre leurs mains, entre leurs bassins. Il plaqua tout son corps contre celui du bleuté, souriant lorsqu'il lâcha un lourd gémissement mais ne se privant pas de l'imiter dans la seconde suivante.
— J'te déteste.
— Mh. Toujours pas, Enver.
— Baise-moi, putain.
— Non plus.
Le plus jeune pencha la tête sur le côté tandis que le noiraud s'attaquait à son cou, ne s'arrêtant pas à mi-chemin, cette fois. Il laissa derrière lui une marque bien plus visible que la précédente ; elle n'était pas trop prononcée, mais assez vive pour que tout le monde la remarque, pour que cet idiot d'Australien arrête de vouloir traîner le bleuté partout, surtout. Ses sourires polis, sa voix sage et ses attitudes trop prudentes lui tapaient sur le système. Il détestait les gens qui craignaient les choses jugées controversées, détestait ces personnes qui haïssait quelqu'un pour le simple fait qu'il n'était pas bavard, pas extraverti, pas irréprochable. Puis, il avait bien remarqué que Chris détestait l'odeur du tabac, alors cela ne faisait que rajouter une couche à tout ce qui l'agaçait chez ce jeune homme.
Héloan, lui, ne semblait même pas dérangé par tout cela bien au contraire. Le silence et la discrétion de Théo étaient sans doute ce qui avait piqué au vif sa curiosité. Le fait qu'il fume, qu'il ose conduire sans casque mais qu'il soit en réalité très attentionné ; tout ceci n'avait fait qu'achever ses dernières barrières. Puis, le goût de leurs baisers avait quelque chose de particulier. Toujours, le bleuté sentait la pomme et le tabac, un mélange qu'il n'oublierait sans doute jamais et qui, à n'en pas douter, resterait un long moment sur ses lippes.
— J'veux qu'tu sois à moi pour une nuit.
— Mh, mh.
— Théo... Ce soir.
— Nan.
Héloan lui envoya un nouveau regard noir avant qu'un coup de reins ne le surprenne. Il eut presque honte du couinement qui lui échappa mais n'eut même pas le temps d'y songer que Théo s'était déjà écarté, fidèle à lui-même. Le bleuté tenta donc de le rattraper, de le retenir et le motard l'entraîna alors derrière lui, enlaçant discrètement leurs doigts et ignorant toutes les questions qui fusèrent de la bouche de son homologue.
— On refait un tour de moto ? Il pleut encore un peu.
— Mh, mh.
— T'as vraiment rien d'autre dans ton vocabulaire ?
— Nan.
Le cadet soupira, masquant très mal son sourire. Le plus grand lui posa alors son casque sur la tête. Ensuite, il lui fit enfiler la veste de protection puis, comme la fois précédente, grimpa sur la bécane et l'aida à prendre place derrière lui. Un rictus incontrôlable déforma ses traits lorsqu'il sentit les bras de Héloan entourer son ventre, puis il démarra sans autre forme de procès. Ils fendirent les routes à toute vitesse, ignorant les orages impétueux, les éclairs crépitants, la chaleur inconstante. Plus rien ne comptait à leurs yeux, plus rien sauf eux.
Eux, les deux inconnus, ceux qui ne savaient rien l'un de l'autre, et qui, pourtant, rêvaient de la même chose. Ils ne se connaissaient pas le moins du monde, ils ignoraient tout. Ils ne savaient qu'une seule et unique chose : l'un d'eux devait gagner, l'emporter.
Posséder l'autre, rien que pour une nuit.
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*pars s'exiler en Papouasie*
(j'sais même pas où c'est la Papouasie)
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