Prologue


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  « Pour expliquer convenablement l'Histoire de notre monde, il me semblerait pertinent de remonter jusqu'à sa création, à l'aube des temps. Mais pour ce faire, il me faudrait d'abord me perdre dans de longues explications concernant toutes les civilisations qui ont foulé nos terres, bien avant notre ère. Cela me prendrait un temps considérable de relater avec précision et justesse tous ces évènements, tous ces conflits qui ont construit le monde que nous connaissons aujourd'hui. Le but de cet ouvrage n'étant pas d'être risiblement long, ni même de vous perdre dans de trop longues digressions, je vais me permettre de survoler ces points clefs pour en venir droit au but, à notre époque. Je ne parlerai donc que des Anciens, du Roi Premier et de la Grande Guerre, trois évènements importants qui, si je ne m'abuse, ont façonné notre présent.

  À l'origine, le monde que nous connaissons maintenant n'était qu'une grande étendue de terre, de déserts, d'eau et de forêts. Un peuple dont nous ne savons plus rien aujourd'hui évoluait au sein même de la nature, sans organisation hiérarchique. Nous les appelons les Anciens, car emplis de sagesse et de clairvoyance. Pour eux, il n'existait pas de mots tels que la "guerre" ou la "jalousie". Le vice lui-même n'était pas encore né. Le folklore raconte que ces mortels ont connu les dieux, que de nombreuses divinités ont côtoyé ces hommes d'un passé presque oublié. Il est impossible de le prouver, tout comme il n'est pas possible de le nier. Aussi, je n'entrerai pas en détail sur cette période : libre aux croyances de chacun de peindre le tableau des Anciens.

  Ce que les convictions de tous ne peuvent changer ou altérer, en revanche, sont les villes qui ont été érigées par la suite. Sur ce vaste paysage, de nombreuses cités ont commencé à émerger, aux quatre coins du monde. Ces dernières fonctionnaient en parfaite autonomie, indépendantes les unes des autres. Je pense pouvoir dire sans me tromper que le vice est né à cet instant : le propre de l'être humain a pris racine dans un cœur déjà corrompu, et la graine n'a pas cessé de pousser. Selon les mythes, une ville en particulier a réussi à s'élever plus haut que toutes les autres, plus loin que toutes ses voisines. À la tête de la légendaire ville d'Altan se trouvait un homme déjà damné depuis la naissance, noyé dans le poison de la pléonexie. Selon les quelques maigres livres qu'il nous reste de cette époque, ce forcené aurait tenté d'imposer sur le monde entier une suprématie tyrannique. Il voulait plus de pouvoir, plus de terres, plus de tout. Un homme s'est donc élevé pour s'opposer à lui, pour le stopper avant que le monde ne sombre dans le chaos et l'oubli.

  Cet homme, nous le connaissons aujourd'hui sous le fameux titre de "Roi Premier". Ce dieu vivant est parvenu à faire tomber le tyran, et s'est ensuite démené pour ramener calme et paix au sein des villes. Ces dernières ont accepté de s'unir pour ne plus former qu'un seul pays ; seuls le clan Hiems et le peuple Auster ont refusé de se plier à ceci. Le mythique Roi Premier est ainsi monté sur le trône du tout premier Royaume de l'Histoire : la majestueuse Alasia.

  Si tant est qu'elle ait bien existé, la grande Altan aurait été rasée de la carte par le Roi Premier lui-même à cette période, afin que plus jamais personne ne soit rendu fou par le pouvoir. Au sein d'Alasia, les cités purent ainsi apprendre la coopération et l'entraide. Le Roi Premier devint une figure légendaire, respectée par tous. Chacun de ses sujets fit preuve d'une soumission naturelle : dans toutes les villes, on ne rechigna pas à l'idée de n'obéir qu'à un seul et même homme, à n'être plus qu'une seule et même patrie, la grande et prestigieuse Alasia. Intransigeant, craint mais bon, le Roi Premier possédait humilité, courage, logique mais aussi sens de la justice et sensibilité. Plus que tout, et l'adjectif que nous retrouvons dans tous les ouvrages encore lisibles : puissance.

  Ces six grandes qualités, il les légua à ses six enfants, à qui il offrit des parts de son Royaume. Chacun de ses héritiers devint le fervent représentant d'un trait de caractère, et la grande Alasia fut ainsi divisée en six. Le Roi Premier disparut alors aussi abruptement qu'il s'était élevé au pouvoir. Quelques légendes racontent qu'il aurait toujours méprisé le pouvoir que son peuple lui avait offert, d'autres encore spéculent sur le fait qu'il n'ait pas voulu influencer le règne de ses enfants. La vérité, nous ne l'obtiendrons sans doute jamais. Tout comme son nom et ceux de ses héritiers, elle s'est perdue il y a bien des années.

  La paix a longtemps duré après le règne du Roi Premier, toutefois, inéluctablement, elle fut troublée par l'égo et la fierté de l'être humain, quelques siècles plus tard. Par excès de confiance et manque de jugeote, le Roi représentant le Courage vola du terrain à son voisin, le Roi représentant la Logique. De ce simple geste est né un conflit gigantesque, violent et sans pitié. Nous avons perdu bien des témoignages du passé dans le sang, et les cendres de milliers d'ouvrages se sont envolées dans le vent. Des villes entières ont péri et des Royaumes complets ont tout perdu. Les pays de l'Humilité et de la Sensibilité ont flanché, écrasés par les plus grands. Toutefois, au milieu de ce chaos indescriptible s'est alors élevée une voix singulière, inédite : celle d'une jeune femme, de la puissante Azarya Oriens. Il me semble important de noter qu'à cette époque, les héritières étaient évincées du trône au profit de leurs frères, au profit des hommes. Princesse Puissance de l'époque, la jeune Oriens n'était pas une exception, bien qu'ainée de sa fratrie.

  Par des tours de passe-passe plus brillants les uns que les autres, néanmoins, Azarya Oriens s'est imposée maitresse de ce jeu de fierté. Lorsque la paix fut rétablie après de longs combats sanglants, la carte du monde fut alors modifiée : la Terre Blanche fut créée – zone de parfaite harmonie, au sein de laquelle aucun Royaume n'a de pouvoir sur les autres. La jeune femme sélectionna ensuite elle-même les nouveaux représentants de l'Humilité et de la Sensibilité parmi les quelques enfants de sang noble encore en vie, puis fit signer le Traité de paix aux six nouveaux Rois et Reines. "L'Ordre des Six" fut créé dans la foulée, et six élus furent ainsi désignés comme les Gardiens de la paix au sein d'Alasia. Chargés de veiller à ce que chaque Royaume applique les lois du Traité de paix à la lettre, ils devinrent des figures d'autorité suprême, puisqu'ils obtinrent le droit d'anéantir un territoire complet si ce dernier venait à menacer la paix.

  Toutefois, et malgré tous les efforts de la jeune Azarya Oriens, les injustices laissées par les combats se creusèrent. Des nouvelles familles royales, on ne parla que très peu de celles qui représentaient l'Humilité ou la Sensibilité. Elles étaient la honte d'Alasia. Il fut un moment discuté de leur sort, de l'idée que leurs voisins ne reprennent ces bouts de terres affaiblis par la guerre pour agrandir les territoires des plus puissants. Évidemment, les Gardiens se sont fermement opposés à cette idée, refusant catégoriquement que l'équilibre soit rompu, que les six traits de caractères soient touchés. Ils restèrent inflexibles, accrochés dur comme fer aux idées du Roi Premier.

  Naquit ainsi le principe de « Dynastie », afin de garder à jamais le chiffre six, l'ordre et la paix. Portant chacune l'une des qualités des tous premiers héritiers d'Alasia, les six Dynasties se proclamèrent une à une lors d'un haut congrès tenu par les Gardiens, scellant à jamais leurs noms, leurs rôles et leur importance au sein d'Alasia. Elles suivirent l'ordre de naissance des enfants du Roi Premier, et se présentèrent comme suit :

  La Première, forte et stable ; Puissance.
  La Deuxième, stratège et riche ; Logique.
  La Troisième, brave et intrépide ; Courage.
  La Quatrième, calme et prospère ; Justice.
  La Cinquième, humble et ouvrière ; Humilité.
  La Sixième, délicate et discrète ; Sensibilité.

  Les souverains signèrent un dernier accord, promettant de préserver pour toujours le trait de caractère qui leur avait été attribué. Grâce à ceci, la paix fut alors maintenue des siècles durant. Les Dynasties se plièrent à des règles hiérarchiques strictes, respectèrent les lois du Traité à la lettre, et se mélangèrent lentement entre elles via mariages ou alliances. Pour ne citer ici que les plus grandes unions, la Deuxième s'allia par exemple avec la Troisième, garantissant la paix entre les deux Royaumes. La Quatrième vint prêter main forte à la Cinquième et la Logique vint lui proposer une alliance également. Quelques affiliations eurent lieu entre leurs souverains afin de maintenir la prospérité et l'entente entre chaque Dynastie d'Alasia.

  De son côté, la Sensibilité resta loin de toute aide, de tout pacte et de toute alliance, refusée et oubliée de tous. L'état déplorable de son territoire effrayait bien trop. Ainsi, seule la vive et impressionnante Première Dynastie ne se rapprocha volontairement d'aucune autre, si ce n'est de la Logique, avec qui elle accepta un simple accord de commerce – ne l'engageant donc en rien si cas de guerre. Crainte, respectée et admirée, la Puissance n'a aujourd'hui toujours rien à envier à personne. Elle est à elle seule une utopie que bien des monarques voisins tentent d'atteindre : elle est la fille ainée et préférée du Roi Premier. La lignée Oriens est à sa tête depuis l'aube des temps, féroce, inébranlable et solitaire. La grande Azarya Oriens est d'ailleurs la Reine la plus estimée de toute l'Histoire d'Alasia.

  Des siècles et des siècles se sont écoulés et, de nos jours, aucun changement majeur n'est à relever. Il existe bien des modifications dans les alliances, cependant le présent ouvrage n'a pas pour but de les détailler en profondeur. Il me tient davantage à cœur de vous relater l'histoire d'Alasia, d'en décortiquer tous ses secrets, tous ses mystères. Malheureusement, nous ne disposons pas de plus d'informations sur le passé au temps des Anciens, ni sur le Roi Premier lui-même ; aujourd'hui, il est donc impossible de remonter assez loin pour pointer du doigt l'exact moment où les Oriens et les Enwyld ont mis la main sur la couronne.

  Ces deux lignées sont les plus anciennes de tout Alasia, nous le savons tous. Nous supposons même que la famille Oriens est à la tête de la Puissance depuis la deuxième ou troisième génération d'Alasia, car quelques maigres textes épargnés par les flammes relatent déjà de ce nom. Concernant la lignée Enwyld, nous supputons quelque chose de plus récent : ce nom est probablement arrivé au pouvoir après le mariage de la première génération d'après Grande Guerre. Du reste, nous ne savons rien. Les tous premiers héritiers sont aussi méconnus que leur père, nous n'avons pu conserver d'eux que leurs réputation et quelques mythes – car dans ce monde, un être humain s'oublie plus facilement qu'une bonne légende.

  La paix se maintient donc depuis que les Six Dynasties ont vu le jour au sein d'Alasia. C'est une conclusion que vous retrouverez dans bien des ouvrages écrits à la gloire des Gardiens, produits dans l'unique but de flatter l'égo de ceux qui possèdent déjà tout. Mais la réalité me semble plus complexe que cette simple constatation superficielle. La guerre en tant que conflit armé n'a plus fait surface depuis des siècles il est vrai, mais peut-on en déduire que la paix règne ? Ne peut-on pas plutôt sentir le grondement de la terre, l'éclat des premières braises ? L'équation « absence de sang, résultat : paix » me semble bien trop simple, bien trop fausse également. Il est donc une question que je me dois de poser afin de creuser plus loin ; une question que je me dois d'écrire ici, dans ce prologue que je nommerai, si vous me le permettez, genèse de l'Histoire avec un grand « H » : quel est donc le réel prix de cette paix, de cet ordre tant rêvé ? »

Extrait de La boite de Cadivus, Baldwyn M.

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