Chapitre 39
/!\ je le rappelle, mais n'allez pas chercher sur internet la signification des fleurs citées ici s'il vous plait (question de spoil). si vous décidez de le faire malgré les avertissements, merci de ne pas le partager en commentaires ! /!\
⋆ ♚ ⋆
— Vous êtes sûr que c'est encore ouvert ?
— Non mais tant qu'on ne va pas vérifier, on ne saura pas.
— Jusque-là ça se tient, ouais, merci, j'avais pas remarqué.
Adaryn ricana face à la remarque, descendant les marches du palais en ne portant sur le dos qu'une simple chemise en velours. Azriel l'observa quelques secondes, caché sous sa grosse cape épaisse, tremblotant de froid. Il trottinait derrière lui, essayant de le rattraper malgré ses enjambées plus petites. Le noiraud semblait à peine touché par le vent frais. Il portait une veste à la main mais le blond aurait pu parier qu'elle n'irait jamais se poser sur son dos. C'était à se demander pourquoi il se donnait la peine de l'emporter.
— Il y a encore du monde en ville à cette heure-là. Vous êtes sûr que ça va aller ?
— Mh-mh. La boutique n'est pas loin, je ne vais pas mourir pour si peu.
— Je ne dis pas le contraire, mais vous savez, vous avez le droit d'avoir peur.
Le Roi esquissa un sourire narquois qui masqua plus ou moins la niaiserie sur son visage – moins que plus, à dire vrai. Il secoua la tête, faussement désespéré par la phrase, et pourtant touché de voir qu'Azriel visait toujours juste. Pour cette raison, il s'approcha vivement de lui et lui claqua un baiser furtif sur la tempe. Puis, comme si de rien n'était, il glissa les mains dans ses poches et continua sa route, un bleuet aussi rouge qu'une pivoine derrière lui. Bleuet qui, pour combler le silence et calmer son cœur battant, se sentit obligé de trouver la première question à sa portée :
— Vous... vous n'avez pas froid, là, sans veste ?
— Il ne fait pas si froid que ça.
— Non, il fait assez froid pour tomber en hypothermie, mais c'est rien.
L'ainé pouffa tout en passant un bras autour des fines épaules de sa fleur préférée. Il le fit rougir une seconde fois après qu'il eut déposé un léger baiser sur sa joue, puis tira sur sa capuche comme pour le maintenir au chaud. Azriel fronça les sourcils et lui jeta un regard noir qu'il ne retint pas à temps.
— Il ne fait pas froid, selon vous, mais vous m'étouffez quand même avec une capuche... Si vous commencez à être encore moins logique que d'habitude, je ne vais jamais réussir à comprendre, vous savez ?
— Une jolie fleur comme vous, ça attire les yeux. J'ai pas envie que qui que ce soit vienne vous cueillir sous mon nez.
— J'sais pas si j'ai envie de me moquer de vous parce que vous êtes jaloux, ou si j'ai envie de rire parce que c'était joli.
Adaryn afficha un fin sourire énigmatique, l'un de ceux qui lui allaient le mieux, l'un de ceux qui plaisaient le plus au blond. Son visage pâle ne disait jamais rien, mais ses rictus et ses yeux s'avéraient bien plus expressifs, bien plus parlants. Azriel se souvint soudainement de leur rencontre, le premier jour de l'automne. Il revit cet homme puissant mais inexpressif descendre les mêmes marches qu'ils venaient de dévaler ; il eut de nouveau ces frissons qui avaient envahi son corps lorsque leurs yeux s'étaient croisés pour la première fois. Plus que tout : il sentit ce brasier dans son cœur, celui-là qui, il s'en rendit compte à cet instant, brûlait depuis le début.
Aujourd'hui, les flammes avaient dévoré son pauvre organe vital. Adaryn s'en était emparé, l'avait calciné pour le faire sien et ne plus jamais le lui rendre. Pour le garder rien que pour lui et en prendre soin à sa manière, avec son feu apaisant, ses attentions ardentes. Azriel se demanda un instant si le cœur du souverain avait quant à lui été noyé, inondé. Est-ce que la rivière du bleuet avait coulé jusqu'à lui pour emporter ses sentiments ? Est-ce que, comme le brasier, l'eau avait tout consumé pour que le blond soit le seul propriétaire de cet amour ?
— Regardez-donc où vous marchez, au lieu de baver.
— Hein ?
Azriel piqua un fard en se rendant compte qu'il dévisageait son ainé depuis une bonne dizaine de secondes, maintenant. Il baissa donc la tête, fixant ses pieds, réprimant tant bien que mal son sourire niais. Il voulut bredouiller quelque chose mais, derrière eux, un soldat ronchon rouspéta.
— Mais j'vais devoir vous dire combien de fois de m'attendre !
— Autant de fois que tu me laisseras filer, Hywell, je suppose. C'est à toi qu'il faut t'en prendre.
— J'ai envie de vous envoyer des chouquettes à la tête.
Le ricanement du Roi fit grogner son escorte qui, en grommelant, croisa les bras. Il n'ajouta plus rien d'autre et ce fut en silence qu'ils descendirent jusqu'à la ville. Azriel se sentit rougir une énième fois lorsqu'Adaryn entrelaça discrètement leurs doigts. Il jeta ensuite un coup d'œil curieux dans sa direction, scrutant la moindre de ses réactions face à la population encore nombreuse dans les rues. Le bleuet voulut être prêt à le soutenir au moindre signe de fatigue.
— Elle n'a pas fermé y a au moins vingt ans, la boutique de monsieur Masul ?
— Si.
— Pourquoi qu'on y va alors ?
— J't'en pose des questions, Hywell ?
Le blond gloussa dans son coin, heureux de voir qu'il n'était pas le plus curieux, ce soir. Il se contenta d'observer les détails d'Imperium qui, jusque-là, lui avaient échappé. Il fixa les jolies dorures sur les portes de certaines habitations, les quelques ornements sur les murs, les pots de fleurs qui pendaient à toutes les fenêtres. Il admira aussi les innombrables ponts qui survolaient les canaux, eux-mêmes décorés de centaines de plantes. Le paysage semblait irréel.
Azriel se sentit bien plus apaisé que toutes les fois précédentes ; son cerveau s'accordait le droit de s'écarter de la réalité, de plonger loin dans ses songes, loin dans ses réflexions. Adaryn était à ses côtés : rien de mal ne pouvait lui arriver, et le noiraud n'était jamais gêné par le fait de devoir se répéter lorsque son bleuet distrait ne l'écoutait pas.
— Je crois qu'il vaudrait mieux faire le tour par les petites rues, votre Altesse.
Le ton sérieux de Hywell attira soudain l'attention du plus jeune. Il reposa les pieds sur terre, quittant les nuages de ses rêveries pour fixer un amas de personnes devant une boulangerie. Le soldat guida donc son Roi et le faux Prince vers une ruelle, veillant à ce que personne ne les remarque.
Le garde avait beau être charrié à longueur de journée, il effectuait son travail à la perfection : ses yeux vifs scrutaient chaque recoin des rues, devant, derrière et même dans les hauteurs. Il avait l'air détendu et décontracté, pourtant sa main droite, posée calmement sur le pommeau de son épée, montrait que tous ses sens étaient en alerte. Il pouvait réagir à n'importe quoi en moins d'une seconde, assurant ainsi la sécurité du monarque qui, de son côté, veillait attentivement sur sa jolie fleur.
Adaryn était plus discret. Il n'observait pas les alentours, se contentant de regarder ce qui l'intéressait. Il donnait l'impression de ne porter attention à rien d'autre que sa direction, pourtant, Azriel le comprit vite : il était aux aguets aussi, d'une autre manière, simplement. Il ne se focalisait pas sur la vue, le cadet le compris quand il le vit tourner rapidement la tête après qu'il eut entendu un drôle de bruit derrière eux. Il sentit alors son cœur se serrer lorsque le bras de son ainé glissa de ses épaules à sa taille, se dissimulant sous sa grosse cape.
Sur le chemin et bien qu'ils empruntèrent des venelles peu passagères, quelques personnes dévisagèrent le Roi et reconnurent sa tâche de naissance. Il ne portait pas sa couronne, cependant son peuple connaissait bien trop son visage.
Aussitôt, en le voyant, ces gens souriaient, s'inclinaient respectueusement. Les enfants firent de grands signes de main, criant à qui voulait l'entendre qu'ils avaient eu la chance de voir le souverain Oriens de près. Le noiraud pouffa à plusieurs reprises, bien qu'il fut légèrement tendu. Il envoya quelques sourires malicieux en direction des plus jeunes et salua poliment les adultes, crispant tout de même progressivement sa main sur la hanche d'Azriel.
Ce dernier se rapprocha de lui pour tenter de signifier sa présence, pour lui accorder le droit de se reposer sur lui en cas de besoin. Lorsqu'ils débouchèrent sur la place, Adaryn lâcha le blond une seconde pour déposer sa veste sombre sur ses propres épaules, et son cadet tiqua : elle n'était pas là pour le froid, mais bien plutôt pour préserver son dos. Le Roi ne se donnait pas la peine d'utiliser les manches, l'habit violet était simplement posé sur lui à la manière d'une cape, assez épaisse pour, peut-être, bloquer les brûlures des yeux.
Azriel en profita pour glisser secrètement sa main sous le vêtement, la déposant avec délicatesse entre les omoplates de son ainé. Le noiraud lui décocha un regard malicieux en se déridant, se détendant, et le Prince factice appuya sa tête contre son épaule en souriant, ravi de pouvoir se rendre utile.
— C'est ici ?
— Oui ! C'est là qu'on est venus avec Lyan.
— Ça a l'air vieux et abandonné.
Azriel s'assura qu'Adaryn se sentait mieux, puis avança vers la vitrine, collant ses paumes et son nez contre le verre, tentant d'apercevoir l'intérieur. Il perdit le sourire lorsqu'il ne vit personne, attristé par le fait que monsieur Masul ne se trouvait pas là.
— Vous êtes bien sûr que c'est là ?
La question de Hywell fit froncer les sourcils du blond. Il n'était pas fou : il portait un collier que le commerçant lui avait offert. Il ne pouvait pas l'avoir inventé. Rumeur ou non, le vieil homme avait ouvert sa porte et permis à Lyan, Frewen et lui d'y entrer.
— J'en suis sûr et certain... mais peut-être qu'il est trop tard ? Le soleil est bientôt couché.
Adaryn, qui n'avait plus dit un mot depuis de longues minutes, fit quelques pas en avant. Il posa sa main sur la poignée de la porte avant de sourire lorsque cette dernière accepta de pivoter. Il ouvrit ensuite le battant de bois, faisant signe à Azriel de passer le premier. Celui-ci s'engouffra à l'intérieur, excité à l'idée de revoir ce vieux monsieur excentrique. Seulement, il déchanta bien vite lorsqu'il vit une jeune femme totalement inconnue. Ses cheveux châtains tenaient en équilibre précaire dans un chignon désordonné. Ses yeux noirs sondèrent les visiteurs avec curiosité mais politesse. Elle était grande, presque autant que Hywell, aussi, Azriel se sentit minuscule face à elle.
— Bonsoir, je peux vous aider ?
— Nous cherchons le vieux Masul.
La voix du souverain était calme, posée. Il avait les mains dans les poches, le regard légèrement froid. Son visage était redevenu pareil à de la pierre : il n'exprimait plus rien, ni joie, ni colère. Il était neutre, mais pas moins impressionnant pour autant. Au contraire.
— Ah, mon grand-père n'est pas disponible ce soir, navrée. Je peux peut-être vous aider ! Je préfère vous dire tout de suite que je ne suis pas capable de faire ce qu'il fait. Mais je peux toujours prendre commande ou vous aider à choisir.
— À vrai dire, il... il voulait juste me revoir pour que... j'lui raconte un truc.
— Ah ! Vous devez êtes Azriel, dans ce cas, je me trompe ?
Le concerné hocha doucement la tête, s'agrippant inconsciemment à la manche d'Adaryn. Ce dernier fixa son geste avec une pointe d'amertume, visiblement attristé de voir qu'Azriel peinait toujours à prendre la parole face à des inconnus. Quand bien même, il le félicita à voix basse pour son courage et les quelques mots qui quittèrent ses lippes tant bien que mal. Le blond progressait et il ne faisait nul doute qu'un jour, il pourrait se faire assez confiance pour ouvrir la bouche sans crainte.
— Bien, je vais le chercher. Il m'a prévenu que vous viendriez aujourd'hui.
— Quoi ? Comment est-ce qu'il pouvait savoir ?
— Aucune idée, c'est un d'ses pouvoirs de vieux.
La châtaine arracha un rire à Hywell, puis disparut derrière un lourd rideau. Ils l'entendirent monter de vieilles marches en bois avant qu'une porte ne grince. Sa voix résonna sans que ses mots ne soient compréhensibles, puis deux personnes redescendirent. Une touffe hirsute et une moustache blanche émergèrent en premier, et Azriel se mit à sourire, heureux au possible.
— Mon p'tit oiseau ! Oh, t'es pas v'nu seul à c'que j'vois. Bonsoir, votre Altesse.
— « Votre Altesse » ? Oh, désolée, je... Je ne vous avais pas reconnu...
La jeune femme s'inclina à son tour face à un Adaryn malicieux. Il les incita bien vite à se relever, n'appréciant que très peu les politesses, puis il croisa le regard de ce vieillard loufoque, curieux. Azriel en profita alors pour s'écarter un peu, rassuré, tout sourire, et monsieur Masul le questionna d'un air taquin :
— On dirait qu'on a visé juste, hein ?
Ses yeux affutés repérèrent tout de suite le bleuet qui pendait autour du cou du monarque, bien que partiellement caché sous sa chemise noire. Il n'avait pas fermé son col, laissant une partie de ses clavicules à l'air libre, dévoilant ainsi le bijou aux regards des plus curieux.
— Cyn, tu veux bien aller faire du thé ?
— J'y cours, j'y vole.
Ladite Cyn disparut de nouveau derrière le rideau, et monsieur Masul désigna des chaises, dans un coin de la pièce. Hywell fut réquisitionné pour les disposer autour d'une table en désordre, puis ils prirent tous place autour, une fois que la châtaine fut revenue. Dans le fond de la pièce, les horloges cliquetaient toujours, pour le plus grand plaisir d'Azriel.
— J'pensais qu't'allais jamais entrer ici, Adaryn.
Si le bleuet fut surpris par le tutoiement, l'intéressé ne fit qu'esquisser un demi-sourire en sirotant sa boisson, ne se donnant pas la peine de répondre. Le commerçant ne s'en formalisa pas, sûrement conscient que le jeune homme face à lui était avare de mots.
— D'puis combien d'temps que j'te vois épier ma vitrine du haut d'la tour de garde ? Tu d'vais avoir sept p'tites années la première fois que j't'ai vu. Même qu'les gens du château t'cherchaient partout mais qu'tu rigolais, en haut d'ton perchoir. Si j'peux m'permettre un truc : tes yeux n'ont pas changé d'un pouce.
Azriel admira le regard brûlant de son magnolia, fasciné par les lueurs de malice et d'insolence qui y brillaient. Il semblait replonger dans ses souvenirs, lui-même amusé par les bêtises qu'il avait commises. Monsieur Masul l'admira avec tendresse, le cœur touché par ce petit garçon qu'il avait vu grandir sans même l'approcher une seule fois.
— Vous m'avez fait passer pour un fou, le vieux.
— Moi ? Oh, les gens n't'ont pas cru quand t'as dit m'avoir vu, hein ?
— C'est vrai que vous ne laissez entrer que les personnes qui ont bon cœur ?
Cyn pouffa dans sa tasse et son grand-père quitta le monarque des yeux pour fixer le blond qui triturait ses doigts, gigotant nerveusement sur sa chaise. Il était peu à l'aise avec l'idée de parler devant cette jeune femme qu'il ne connaissait pas le moins du monde.
— J'laisse entrer les gens qu'j'aime bien. Ceux qui, comme toi, veulent offrir des cadeaux pour l'plaisir d'voir l'sourire de l'autre. J'laisse pas entrer les gens qui veulent offrir les bijoux les plus chers juste pour faire croire qu'ça a plus de valeur. Moi j'te l'dis mon p'tit, la vraie valeur elle vient du cœur. Que t'offres un truc en diamant ou un machin en terre cuite, c'ton geste qui compte le plus ! Puis d'ailleurs c'est cher la terre cuite, c'pas un bon exemple...
— Comment vous voyez ça ?
— Dans les yeux des gens. Ça s'voit tout d'suite c'qu'ils veulent. Toi quand t'es rentré, tu voulais juste un cadeau symbolique pour qu'celui qu't'aimes ait un p'tit bout d'toi partout avec lui. Ton copain, par contre, l'rouquin, là, j'l'aurais pas laissé entrer si c'était pour lui.
— Lyan ? Pourquoi ?
Le vieux monsieur se tourna vers sa petite-fille et lui demanda d'expliquer, préférant boire son thé. Cyn gagna alors un joli sourire apaisant, laissant ainsi Azriel se détendre, rassuré par ces deux personnes chaleureuses.
— Papy dit toujours que les gens qui n'ont pas un cœur bon sont ceux qui suivent les règles à la lettre. Ceux qui ont laissé les autres teinter leur vision du monde et, doucement, colorer de gris leurs cœurs. C'est ceux qui suivent l'effet de groupe aussi, et qui ont tendance à laisser les autres leur bander les yeux sans même rechigner. Ton ami Lyan est comme tout le monde, en somme, mais il n'a jamais rien fait pour tenter de s'émanciper, et là est le problème. Être comme tout le monde n'est pas un mal en soi, parce que parfois, on n'a pas le choix. Mais suivre le courant volontairement par pure envie de renier la différence, c'est ce que papy juge mauvais.
— C'est vrai que Lyan respecte toujours les ordres... mais il est gentil... et il n'est pas contre la différence !
— Ça ne veut pas forcément dire qu'il est méchant et qu'il renie la différence des autres. C'est simplement que son esprit s'est plié et qu'il ne tolèrerait pas le fait d'être lui-même « déviant ». Il n'observe les choses que sur un plan très rationnel et théorique, là où papy regarde plutôt le monde avec son cœur et ses émotions. Je pense que ton ami a décidé de renier sa propre sensibilité.
— C'comme pour les cadeaux. Lyan il verra pas la magie d'la symbolique. Lui c'est l'cadeau qui compte, c'est tout. L'cadeau en lui-même il vaut rien, en vrai, c'est la symbolique qui vaut tout l'or du monde, mon bonhomme. La preuve, j'mettrais ma main à couper qu'ton cadeau il a fortement plu au p'tit malin qui faisait des pieds d'nez à toute sa famille.
Le blond tourna la tête, croisant le regard de son noiraud préféré. Il revit alors les larmes sur ses joues et la joie dans ses yeux. Il sentit à nouveau sa tête, nichée dans son cou alors que des sanglots secouaient son corps. Il eut l'impression que sa propre main caressait encore son dos tandis qu'il pleurait contre lui, heureux au possible. Le bleuet se mit à sourire doucement, bientôt imité par son ainé qui se cacha derrière sa tasse de thé.
— Gardez-les bien, vos colliers, hein ? Ils sont p't'être pas d'une bijouterie de luxe, vous les avez p't'être pas eus sur l'marché d'la Logique, mais au moins ils sont vous.
— Merci encore, Monsieur Masul...
— Bah, bah, bah ! J't'ai dit que ça sert à rien, bonhomme. Vous voir sourire ça m'suffit. Cyn, dis, tu veux bien m'passer l'sucre ma grande ?
La châtaine s'exécuta avant que Hywell ne vole un petit gâteau, amusant le vieillard qui poussa la boite en ferraille jusqu'à lui, le gratifiant d'un joli sourire au passage. La curiosité d'Azriel s'éveilla alors, prête à débiter un nombre incalculable de questions. Adaryn tenta de les compter, secrètement hilare.
— C'est vrai que votre boutique a fermé alors ? Mais pourquoi vous travaillez encore, dans ce cas ? Et c'est quoi toutes ces légendes ? Comment vous faites pour savoir ce qui se cache dans les yeux, d'abord ? On dirait que c'est un pouvoir des gens dans la Première.
— C'est l'pouvoir d'ceux qui en ont eu peur pendant longtemps, mon p'tit bonhomme. Avant, j'étais terrorisé par l'regard des gens, par la méchanceté qui s'lisait, par leur jugement quand ils voyaient des gens « différents ». Pis finalement j'me suis dit qu'j'allais m'concentrer sur les gens bons, ceux qui ont un esprit ouvert et qui acceptent tout l'monde sans conditions.
— On peut vraiment lire si facilement dans les yeux ?
— D'mande donc à ton amoureux chéri, il doit bien savoir.
Adaryn s'étouffa avec le surnom et son thé, manquant de peu de les recracher tous les deux. Azriel lui tapota le dos gentiment, riant discrètement. Hywell ne put que l'imiter, amusé par sa réaction. Le roi vira alors au rouge tomate, lançant un regard noir vers le vieillard qui, lui, ne put que rire doucement, grignotant un petit biscuit.
— Vous savez mes p'tits zoziaux, quand on vieillit on voit tout un tas d'choses qu'on voit pas étant jeunes. Le p'tit malin il a beau jouer au dur, son p'tit cœur il a déjà tout fondu, hein.
Le blond tenta de ne pas rire plus fort, masquant difficilement son ricanement en toussant faussement. Adaryn, lui, essaya de disparaitre dans sa tasse de thé, tournant la tête vers l'extérieur pour admirer la pluie et le beau temps, soudainement convaincu par l'idée de se reconvertir en plante verte ou en meuble.
— Papy, t'es gênant...
— J'dis qu'la vérité, moi. C'pas ma faute s'il a un p'tit cœur d'artichaut et qu'le p'tit bonhomme il lui a volé, hein.
Le Roi Oriens abandonna toute tentative de riposte, se laissant glisser lentement sur sa chaise, fixant le vide, mort intérieurement. Azriel vint alors attraper sa main discrètement, liant leurs doigts pour faire pardonner son rire. Les yeux de monsieur Masul se posèrent sur leurs paumes tendrement avant qu'un sourire chaleureux n'étire sa moustache, laissant son visage rayonner. Il murmura :
— Z'avaient pas menti quand y z'ont dit qu'Adaryn Oriens s'rait l'meilleur Roi que la Puissance elle ait jamais connu.
— Qui a dit ça ?
— Les Anciens.
— Les Anciens ?
— Dans les vieux livres d'prophéties. Attends, bonhomme, Cyn va aller t'chercher ça.
La petite-fille du marchand se leva et fila à l'étage, redescendant avec un énorme livre qu'elle posa devant elle. Elle tourna les pages jusqu'à trouver son bonheur, puis lut à voix haute :
— « Avant la Grande Guerre, de nombreux parchemins circulaient de villes en villes. Ces derniers auraient été écrits par un peuple éteint, avant que le Roi Premier ne monte sur le trône, avant même l'aire Cadivus et la naissance d'Alasia. On raconte qu'ils auraient tous été archivés dans la bibliothèque de la grande Altan, avant que cette dernière ne sombre durant la guerre qui permit au Roi Premier d'accéder au pouvoir. Parmi les rouleaux se trouvaient des prédictions, des mythes, des messages laissés par les Anciens, ces Hommes mythiques qui, à une époque où le vice n'existait pas, côtoyaient les Dieux et les Cieux ».
— Lis donc l'truc qui parle d'la Dynastie Puissance.
— « D'une mauvaise graine, une fleur noble et forte poussera. Plus puissante qu'aucune autre avant, son nom se répandra dans tout Alasia. Elle osera, le jour où du ciel et du sol on ne distinguera plus la limite, s'opposer à l'inflexible, afin d'offrir l'hellébore blanche à l'interdit. »
Azriel fronça les sourcils, ne comprenant pas un traitre mot de ce qu'il venait d'entendre. Adaryn, de son côté, arqua un sourcil, fixant le livre, silencieux. Son esprit semblait avoir trouvé la signification de chaque mot en une fraction de secondes, ses pensées défilaient toujours, vives, impossibles à stopper. Ses yeux semblaient les extérioriser, transmettant une multitude de choses, mais le blond n'en capta pas une bribe, frustré.
— Vous m'intriguez, le vieux.
— J'te retourne le compliment, mon grand.
— Où est-ce que vous avez eu ce bouquin ?
— De famille. L'prochaine qui l'aura c'est Cyn, et ses enfants si elle en a. Certains disent que not' famille c'est des sorciers, moi j'te dis qu'on s'fie juste aux Anciens. Ils avaient la clef d'not' monde entre les mains, avant que la guerre entre Cadivus et l'Roi Premier ne brûle tout.
Le blond resta muet face à l'échange, déconcentré quelques secondes par Hywell qui semblait passionné par une pépite de chocolat. Il revint sur terre quand Adaryn afficha son éternel rictus narquois, sirotant de nouveau son thé, aussi arrogant et sûr de lui qu'à son habitude. Avait-il réellement compris ce que Cyn venait de dire ? L'inflexible, l'interdit, le jour où du ciel et du sol on ne distinguera plus la limite... Qu'est-ce que cela voulait dire ? Et l'hellébore blanche, quelle était la signification de cette fleur ? Et que venait faire le mythe de la cité d'Altan, dans tout ceci ?
— Tu comprendras quand c'sera l'moment, mon bonhomme.
— D'accord...
Adaryn observa son blond préféré quelques secondes, perdu dans ses pensées, puis il se laissa sourire doucement, sans expliquer pourquoi. Il attrapa ensuite et soudainement la boite de gâteaux, puis fouina dedans jusqu'à trouver son bonheur, visiblement déjà passé à autre chose. Masul discuta alors un moment des deux pendentifs et de leur fabrication. Cyn ajouta quelques mots de temps à autres pour taquiner son grand-père, et Azriel posa une tonne de questions, comme à son habitude. Le temps fila ainsi sans qu'ils ne le voient passer, bien qu'ils entendirent les coucous chanter à de nombreuses reprises, derrière eux.
— Bien, mes p'tits zoziaux. J'veux pas vous foutre dehors mais j'voudrais pas qu'vous rentriez dans la nuit par l'froid qui court. Bougez vos derrières avant que le p'tit moineau ne se retrouve frigorifié. Bien que j'doute pas du fait qu'le grand oiseau lui tienne chaud...
Adaryn stoppa ses gestes en route, gardant la bouche ouverte et la main dans les airs, prêt à manger un énième biscuit. Il fusilla du regard le doyen des lieux avant de se racler la gorge, faisant mine de rien. Le bleuet pouffa devant ses joues rouges, puis il se leva, aidant poliment Cyn à débarrasser. Il se sentit minuscule à côté d'elle mais ne releva pas, revenant le plus vite possible aux côtés de son magnolia pour se donner l'impression qu'il ne mesurait plus un mètre vingt, même les bras levés – personne n'osa relever le fait qu'Adaryn n'était pas bien grand non plus...
— Allez, zou, rev'nez m'voir de temps en temps, j'suis sûr que Cyn s'rait ravie d'avoir un peu d'compagnie de son âge.
— Je reviendrai, merci pour le thé, monsieur Masul !
— Arrête de m'appeler m'sieur, mon bonhomme. Papy Masul ça suffit, j'aime pas qu'tu sois si formel. Surtout qu'on n'est pas si différents toi et moi.
Le marchand lui offrit un petit clin d'œil tout en les mettant dehors, et Azriel resta figé, les yeux écarquillés. Le Roi dut entourer sa taille pour le faire sortir de la boutique alors que le blond gardait la bouche grande ouverte, perturbé. Il voulut dire quelque chose mais sa voix resta bloquée dans sa gorge, ses pensées se bousculèrent dans sa tête, craignant le pire, redoutant le fait que sa première intuition puisse se confirmer. Monsieur Masul ne pouvait pas savoir qu'il ne possédait pas de sang royal. Impossible.
— Au revoir, le vieux.
— Rentrez bien mes p'tits zoziaux. Ah, eh, Adaryn ?
— Mh ?
Alors que le Prince factice semblait toujours sous le choc, le vieillard lança trois mots dans l'air avant de claquer sa porte, laissant Adaryn tomber subitement dans le même état que son bleuet, bouche-bée.
— Accepte les anémones.
➺⎯♚⎯➢
coucou les copain•es ! je reviens après une petite pause d'un mois, j'avais graaaand besoin de m'éloigner de wattpad. les commentaires désagréables et la pression qu'ils engendraient ont beaucoup trop joué sur ma santé ; puis j'ai été pas mal occupée par tout un tas de choses assez cool dans ma vie !
je reviens donc uniquement avec dynasty, pour le moment. le rythme de post sera plus lent qu'auparavant, je pense tabler sur un chapitre le dimanche, toutes les 2 ou 3 semaines en fonction de la charge de travail que j'ai à la fac.
pour le reste de mes projets en cours, j'ai envie d'attendre. j'me sens pas encore prête à revenir dessus, ni même à faire à nouveau face à la tonne de commentaires parfois super blessants qui arrivent. je préfère rester sur dynasty : il y a moins de monde, et vous êtes tous•tes toujours adorables <3
bref, des bisous et à bientôt ! :p
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top