Chapitre 31


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    — Qu'est-ce que c'est que ça ? Et ça, là ?

  Alden pouffa de rire en attrapant son protégé par la capuche de sa cape, l'empêchant ainsi d'avancer trop loin sans lui. Une vague protestation lui échappa et il marmonna dans son coin, légèrement agacé de ne pas pouvoir avancer plus vite. Depuis un petit quart d'heure, les six jeunes hommes s'étaient séparés en deux groupes. Lyan, Ehann et Hywell étaient partis sur la partie Ouest du marché, tandis que la rouge, Frewen et Azriel s'étaient attaqués au côté Est.

    — Ça ce sont des myrtilles. Vous n'en avez jamais vu ?

    — Non, du tout. Dans la Sixième, à part des pommes, des poires, deux ou trois fraises et des légumes, il n'y a pas grand-chose. La diversité des produits, ça n'existe pas...

    — C'est vrai ça, tiens. Je n'en ai jamais mangé, plus jeune. J'avais complètement oublié... c'était il y a longtemps il faut dire, je me souviens de si peu de choses. Quoi qu'il en soit ici, dans la Première, il y a une petite variété de fruits et légumes résistants au froid. Autrement, on produit plutôt des céréales. C'est pour ça qu'Adaryn se doit d'entretenir le traité de commerce avec la Logique : ils sont nos principaux fournisseurs de légumes et de fruits. En retour on les fournit en blé, orge et tout ce que la Puissance produit de mieux.

  Azriel acquiesça, sincèrement ravi d'en apprendre plus sur l'endroit, puis il fixa les petites baies bleues avant d'en fourrer discrètement une dans sa bouche, tournant le dos au vendeur. Il écarquilla les yeux tandis que le rouge attrapait une cagette de petite taille pour la ramener au château. Il payait quand le blond se rua presque sur Frewen pour lui tendre un fruit.

    — Eh, Frewen, t'en veux ? C'est super bon, j'te jure, goûte !

  L'escorte accepta timidement, hochant doucement la tête, appréciant le goût. Il fut étonné par cette baie bleue venue d'ailleurs mais ne trouva rien à redire. Azriel lui décocha alors un sourire fier et le plus vieux vint le taquiner, un sourire tendre mais malicieux aux lèvres.

    — Meilleur que le cheese-cake ?

    — Rien ne peut être meilleur que du cheese-cake.

    — Un cheese-cake à la myrtille ?

    — Vous me prenez par les sentiments, là.

  Alden pouffa et lui ébouriffa les cheveux. Ils continuèrent ensuite leur route sans que le plus jeune ne se plaigne trop du bruit ambiant. De temps à autres, ils le virent poser subitement ses mains sur ses oreilles pour seconde, affichant une légère grimace, puis tout s'évaporait ; il était trop occupé à dévorer des yeux toutes ces nouvelles choses qu'il ne connaissait pas, trop concentré sur les étalages tous plus attrayants les uns que les autres. L'ainé ne le quitta pas du regard, touché par ce jeune homme qui découvrait des milliers de choses après une existence fade au pays du rien. Même Frewen souriait, amusé par le comportement si explosif et vif du blond qui courait partout, n'osant pas déranger les commerçants, mais criant presque tous les trois mètres pour demander à Alden le nom de telle ou telle chose. Il semblait découvrir une vie qui lui avait été refusée jusque-là, la dévorant sans laisser aucune miette.

    — Faut pas oublier les chou... Oh ! Alden, Alden ! Regardez, il y a des peluches ! Comme celle que... ma mère... m'a offerte...

  Le bleuet se pencha timidement sur l'étalage, soudain bien calme. Un sourire tendre dévora ses lippes alors qu'il songeait à sa mère. Ses yeux se promenèrent lentement sur tous les doudous qui se présentaient à lui, essayant d'imaginer qu'un enfant pourrait s'y attacher autant que lui à l'avenir, que quelqu'un pourrait y voir un frère, un compagnon pour toute une vie. Puis il remarqua le drôle de regard que le vendeur lui lançait mais n'en tint pas compte : il se fichait bien d'avoir soi-disant « passé l'âge » pour des objets considérés si enfantins. La symbolique qui se cachait derrière sa peluche n'avait rien de frivole. Elle était importante à ses yeux, aussi, il se fichait bien de l'avis des autres. Alden le vit tout de même se tourner vivement, les sourcils froncés, les lèvres pincées.

    — Qui donc a encore refusé de céder à vos caprices ?

    — Je suis pas capricieux, je n'ai juste pas la monnaie de votre Dynastie... Ils ne prendront pas la mienne, hein ? Est-ce qu'il y a un bureau d'échange par ici ? C'est idiot que la Sensibilité n'ait pas rejoint la monnaie commune.

    — Laissez. Laquelle voulez-vous ?

  Alden lui offrit un joli sourire avant de poser son bras sur ses épaules, l'attirant contre lui afin qu'il lui montre quelle peluche lui faisait de l'œil. Le plus jeune bredouilla de longues secondes, perturbé. De toute sa vie, il n'avait jamais eu le privilège de voir quelqu'un lui acheter quelque chose. Il avait bien évidemment reçu des cadeaux lors de ses anniversaires, mais jamais il n'avait eu quoi que ce soit en dehors de ces derniers. L'argent manquait trop, il ne pouvait pas se permettre de pareilles futilités. Lorsqu'il avait eu besoin de quoi que ce soit, le Roi l'avait toujours envoyé le chercher lui-même, sans lui fournir autre chose qu'une liste de courses supplémentaire. Il avait donc rapidement compris la valeur de l'argent : il savait comment économiser pour se faire plaisir de temps en temps, à de très rares occasions. Pour cette raison, lorsqu'il vit le rouge sortir sa bourse comme si une peluche n'était pas l'une des choses les moins nécessaires dans sa vie, il se trouva bien bête à ne pas pouvoir lui répondre, médusé.

    — Majesté ?

  Le plus grand pouffa légèrement devant sa mine déconfite, observant avec tendresse ses yeux ambrés, cachés par ses cheveux blonds. Il ne le pressa pas, attendant simplement qu'il rassemble ses idées, lui laissant tout le temps dont il avait besoin pour retrouver ses mots.

    — Le... le chat, là-bas, s'il vous plait. Pas celui qui n'est que d'une couleur, l'autre.

  Alden paya et observa un instant la peluche. Il s'agissait d'un chat tacheté de plusieurs teintes : crème, noir et gris. Le jeune homme aux cheveux rouges ne mit pas une seconde pour faire le lien avec trois matous qu'il connaissait très bien, et esquissa un sourire malicieux, perçant à jour le plan du plus jeune. Ce dernier revint enfin à lui, remerciant son ainé au moins cinq fois avant que celui-ci ne proteste.

    — Ne me remerciez pas autant, Majesté.

    — Mais c'est votre argent, il faut y faire attention...

    — J'y fais attention. Je ne le dépense pas à tout va, simplement dans ce qui me tient à cœur et qui est utile. Et si je ne me trompe pas, ce joli chat va être très utile, non ?

    — C'est... probable.

  Alden lui fit un clin d'œil et l'entraina vers un nouvel étalage, se chargeant des chouquettes tandis qu'Azriel fixait son nouveau petit trésor. Il ne comptait pas garder l'objet très longtemps, en réalité. Il lui avait trouvé une utilité bien plus pertinente auprès de quelqu'un d'autre.

    — Oh, il y a un marchand de fleurs !

    — Majesté, ne courez pas, vous...

    — Appelez-moi Azriel, j'm'en fiche des formalités. Ça m'énerve d'ailleurs, parce que vous êtes l'ainé. C'est à moi d'être le plus poli. C'est même inutile que vous me vouvoyiez aussi. On a neuf ans d'écart, c'est ridicule.

    — Vraiment ?

    — Mh ! On peut aller voir les fleurs, maintenant ?

    — Si tu ne cours pas, oui. J'ai passé ma vie à courir derrière Adaryn, pas une deuxième fois...

  Azriel gagna un sourire rayonnant qui attira même le regard de quelques personnes sur son chemin. Il n'y fit pas attention et fonça vers son but, son joli chat en peluche dans les mains. Il observa ensuite les différentes plantes et fouilla dans les tréfonds de sa mémoire pour tenter de retrouver la signification de chacune. Lorsque ses yeux se stoppèrent sur une magnifique fleur bleue, il fronça les sourcils, forçant son esprit à lier ce qu'il voyait aux définitions du livre.

    — « Hémérocalles bleues : symbolisent la persévérance. »

  Alden le regarda avec malice, comprenant bien que le blond n'osait pas lui demander d'acheter encore quelque chose. Il s'adressa donc au marchand et paya la délicate plante bleue, souriant d'un air taquin. Azriel bougonna légèrement, se sentant coupable.

    — Eh... je vais vous ruiner...

    — Si je peux te tutoyer, il en va de même pour toi, Azriel.

    — D'accord, mais ça n'efface pas ce que je viens de dire, hein.

    — Qu'importe, ce n'est pas une peluche et une fleur qui vont me ruiner. Puis j'en connais un qui va être heureux de voir tout ça.

  Azriel piqua un fard tout en hochant la tête, comprenant que sa petite idée était percée à jour. Il marmonna donc tout seul dans son coin un instant, puis ses pensées s'échappèrent à nouveau vers le monde autour de lui. Il accéléra alors le pas joyeusement en direction d'un étalage de fruits toujours plus colorés. Dans un sourire, Frewen soupira doucement :

    — On va finir par le perdre s'il continue.

    — Il faut croire qu'Adaryn et lui se sont bien trouvés.

  Frewen cligna plusieurs fois des yeux, pas certain de bien comprendre. Il n'en eut cependant pas l'occasion puisqu'Azriel disparut au détour d'un carrefour et qu'il leur fallut presser le pas pour ne pas le perdre. Ils passèrent une heure supplémentaire à lui courir après, le sourire aux lèvres. Entre temps, le blond s'émerveilla devant des centaines de choses, d'objets qui n'existaient pas dans la Sixième. Il observa encore de nombreux fruits sans forcément les goûter, tout de même un peu rebuté par tant de nouvelles saveurs. Il se laissa le temps de profiter de cette vie si riche en couleurs que pouvait lui offrir la Première Dynastie, puis il tomba nez à nez avec Ehann, Lyan et Hywell. Ils décidèrent donc de continuer la route ensemble, puis, lorsque midi sonna et que de nombreuses personnes envahirent les allées du marché, le jeune homme aux cheveux rouges les fit sortir de l'endroit, au plus grand bonheur d'Azriel qui commençait à se sentir oppressé par le bruit ambiant et le manque d'espace personnel.

    — Que diriez-vous d'aller manger dans une petite taverne ?

    — Oh, j'ai faim.

    — C'est pas à toi qu'on parle, Hywell. T'as toujours faim.

  Tout en écoutant les deux plus grands en taille se crêper le chignon, les autres avancèrent vers le bâtiment qu'Alden leur désigna, nommé « À la vieille tour ». Ils déjeunèrent dans la bonne humeur, laissant le rire du Général des Armées résonner dans toute la salle. Ils attirèrent donc quelques regards amusés, curieux, mais n'y firent pas attention, trop occupés à pouffer devant le fait que l'escorte du Roi avait perdu un bras de fer contre le bicolore. Ils ne rentrèrent donc au château que quelques heures plus tard, souriant, riant toujours, légers.

    — Je vais aller poser tout ça dans ma chambre. Tu m'accompagnes, Azriel ?

    — Oh... Non, vas-y, Lyan. J'ai autre chose à faire. On se revoit tout à l'heure !

    — Qu'est-ce que tu mijotes encore, hein ?

  Le rouquin pouffa et gagna sa chambre, suivi de près par un Général qui l'aidait à porter les sacs qui contenaient les trouvailles qu'il avait faites au marché. Hywell disparut pour, sûrement, tenter de trouver le Roi, et Alden s'éclipsa quelques minutes plus tard, alerté par un jeune employé du fait que Mendel demandait à le voir. Il précisa aussi que le monarque était de nouveau introuvable, ce qui fit sourire le bleuet.

    — Frewen ? Tu restes avec moi ?

    — Toujours, Majesté.

  Le brun fut donc contraint de gambader dans tout le château, entrant dans toutes les pièces où Azriel passa le nez, puis dans les jardins. Ils s'enfoncèrent ensuite dans la forêt, et Azriel eut un instant de jugeote. Il bifurqua subitement et sans prévenir vers la gauche, à l'opposé même du kiosque. Il passa devant un amas de fleurs jaunes et se stoppa subitement, se tournant vers son escorte en souriant gentiment.

    — Ah... tu ne peux pas me suivre, par-là.

    — Vous allez au kiosque, je suppose.

    — Oui... C'est grave si tu retournes au château ? J'sais pas combien de temps je vais rester là-bas, je ne voudrais pas te faire attendre indéfiniment aux grilles de la forêt.

    — Ai-je réellement le choix, de toute façon ?

    — Non, en effet. Désolé, Frewen...

  Le plus grand haussa les épaules et rebroussa chemin, ronchon. Après s'être assuré que le brun s'était éloigné, Azriel fit également demi-tour et gagna la réelle route du kiosque. Il passa alors la barrière d'orties, remerciant silencieusement ses bottes de l'en protéger, puis avança doucement dans les profondeurs de l'endroit. Il trouva le mur de lierres quelques minutes plus tard, puis, une fois derrière, se mit à sourire grandement lorsqu'il trouva Adaryn, allongé dans l'herbe au milieu des bleuets.

  Le soleil caressait sa peau tendrement, laissant tout le loisir au plus jeune d'observer son visage apaisé, ses yeux clos, ses longs cils, sa tache de naissance et tous les détails qui, aussi étonnant que cela puisse paraitre, lui avaient échappés jusque-là. Il resta bien une dizaine de secondes immobile, admirant le jeune homme sans couronne qui dormait, enroulé paisiblement dans les bras de la nature. Il était protégé par les bleuets, choyé par les rayons de lumière, surveillé de près par son ami le ciel. Dire qu'il était magnifique aurait presque été une insulte tant le mot ne pouvait plus suffire à décrire la scène.

    — Vous comptez rester planté là longtemps ?

    — J'imite bien les bleuets, non ? Attendez j'peux bouger avec le vent aussi.

  Azriel se dandina d'un côté à l'autre et Adaryn pouffa sans même ouvrir les yeux, imaginant très bien la scène. Il garda ses mains derrière sa tête, profitant encore un peu du calme et de la sérénité de l'endroit. Le cadet se rapprocha donc de lui discrètement et vint s'assoir sur le sol à sa droite, gardant dans son dos les deux jolis cadeaux qu'il avait prévu de lui offrir.

    — Vous n'avez pas eu de soucis, au marché ?

    — Non, c'était génial, même ! J'ai découvert tout plein de trucs qui n'existent même pas dans la Sixième. C'est impressionnant comme la Première est jolie. Puis les myrtilles ont presque détrôné les cheese-cakes, aussi. Je crois que j'ai trouvé une nouvelle fixette.

    — Demandez donc à Alden de vous faire des cheese-cakes à la myrtille.

  Le bleuet ne put s'empêcher d'imaginer le résultat, aussi, il se mit à sourire davantage, fixant le vide tout en laissant ses songes défiler. Il ne remarqua pas les paupières du Roi qui se soulevèrent lentement, ni même ses yeux noirs qui se posèrent sur lui, l'admirant sans rien dire.

    — Vous avez trouvé votre bonheur, en écartant les myrtilles ?

    — Mh ! Enfin, pas... pas pour moi.

  Azriel eut un court instant de latence durant lequel il se rendit compte qu'il n'avait même pas cherché quoi que ce soit pour lui-même. Il n'avait fait qu'arpenter les allées à la recherche d'objets significatifs qu'il pourrait offrir à son ainé, trouvant les présents plus parlant que les mots. Se mordillant la lèvre inférieure, le Prince factice hésita alors un instant, triturant les jolis présents qu'il cachait dans son dos. Ils étaient son langage, sa manière à lui de s'exprimer. Aussi, il eut l'espace d'un instant la futile idée qu'Adaryn ne les comprenne pas de la même manière que lui. Toutefois, bien vite, il pouffa face à cette pensée stupide, puis il dévoila vivement ses petits trésors, convaincu et sûr de lui.

    — Ce n'est pas grand-chose matériellement parlant, mais je me suis dit que ça pourrait peut-être vous aider aussi. J'ai essayé de parler comme vous et de parler comme moi, alors ça m'a donné tout ça.

  Parler comme le noiraud avec la fleur, parler comme le blond avec le cadeau. Azriel avait inconsciemment maintenu l'équilibre entre eux. Adaryn eut un léger temps de latence en fixant ce que le plus jeune tenait dans ses mains. Il se redressa finalement en affichant un sourire indescriptible, peint d'une certaine mélancolie. Il s'appuya ensuite sur un coude pour attraper les présents de son vis-à-vis de sa main libre, puis ne chercha pas une seule seconde à réprimer la joie qui illumina son visage, pas plus qu'il ne cacha son rire à la vue de la jolie peluche. Il ne prit pas non plus la peine de questionner Azriel sur la fleur : il avait déjà compris.

    — Azriel...

  Si l'écureuil du blond veillait sur lui, le chat en peluche avait désormais le même rôle pour le monarque. Si le premier était un gardien contre la rivière et les voix, le second devint un solide guerrier contre le brasier et les yeux. L'hémérocalle bleue ne soulignait que plus encore le message : persévérance. Persévérance contre ce qui semblait l'effrayer, lui faire du mal, brûler sa peau. Son dos.

    — Je ne me souvenais plus très bien des significations des autres fleurs. J'espère que je n'ai pas fait de bourde, avec celle...

  Il ne termina pas sa phrase, coupé par le fait que le noiraud se pencha vivement jusqu'à lui, déposant sa main sur sa joue, bloquant son regard dans le sien. Bien que pris d'un élan soudain, Adaryn n'en oublia pas ses principes : il attendit qu'Azriel soit conscient du geste qu'il comptait initier, il attendit son approbation avant de déposer ses lèvres sur les siennes. Il agissait ainsi par morale mais surtout par connaissance de l'aversion de son cadet pour l'imprévisibilité et les contacts physiques. Lier les deux n'aurait rien donné de bon pour lui, et aurait rendu leurs baisers amers, désagréables. Aussi, lorsque leurs lippes se rejoignirent, le blond se sentit planer, et les mêmes gestes revinrent, comme une habitude qu'ils semblaient posséder depuis toujours.

  Leurs mains libres se lièrent avec douceur, au même titre que leurs cœurs. L'ainé captura la taille de son cadet, le plus jeune s'accrocha au cou du plus grand. Leurs lippes se firent plus délicates que les fois précédentes, laissant tout le loisir à Adaryn d'insuffler à ses gestes une signification, un mot, un « merci ». Il y ajouta même un bleuet, qu'il attrapa distraitement et à l'aveuglette pour le poser sur l'oreille de son blond préféré, ajoutant à ses remerciements une jolie déclaration. Ils parlaient sans même user de leurs voix et, lorsqu'Azriel le comprit, il ne put que sourire, serrant plus fort la paume de son ainé dans la sienne. Ils ne se détachèrent l'un de l'autre que pour respirer, et le plus grand en profita pour chuchoter :

    — Un bleuet à la myrtille, nouveau concept.

  Le blond gloussa, incapable de masquer le fait qu'il avait dévoré presque toutes les baies bleues sur le chemin du retour. Adaryn ne sembla pas s'en formaliser puisqu'il s'empara de ses lèvres à nouveau, plus vivement cette fois. Il avança lentement, se penchant toujours plus. Au contraire, Azriel glissa vers l'arrière, frissonnant lorsque le bras de son ainé remonta le long de son dos pour accompagner sa descente vers l'herbe. Il s'y retrouva délicatement allongé quelques secondes plus tard, le cœur tambourinant, les joues rouges, un magnolia au sourire malicieux au-dessus de lui. Adaryn prit quelques secondes pour l'observer, dégageant son front de ses mèches rebelles pour lui voler un dernier baiser. Il s'allongea ensuite sur le dos à ses côtés, puis, en silence, ils observèrent le ciel bleu, laissant le temps à leurs organes vitaux de se calmer, à leurs joues de reprendre une teinte plus claire.

    — Elnath, Seiros et Adhara vont avoir un nouveau copain.

  Le Roi se laissa rire face à la remarque. Il attrapa la petite peluche et l'observa un instant, amusé, attendri. Azriel en profita pour ouvrir la sacoche de cuir qu'il trainait partout derrière lui, exhibant son précieux écureuil et l'approchant du noiraud. En quelques secondes, leurs yeux s'illuminèrent d'une étincelle juvénile, celle d'une enfance qui leur avait échappé, qui ne leur avait pas été permise. Ils hésitèrent un instant, trouvant ridicule l'envie qui s'insinua dans leurs esprits, criée par les enfants qui sommeillait toujours en eux, ceux-là même qui avaient sans doute dû disparaitre trop tôt. Ils s'éveillèrent en même temps, attirés par ces objets qui représentaient à eux seuls cette partie de leur vie si délicate.

  Adaryn fut le plus réticent, dérangé par la présence de celui qu'il avait été, par ce bambin insouciant qui voulut simplement s'émerveiller devant ce doudou. Il ravala toutes ses pensées et cligna lourdement des yeux, chassant vivement l'idée qu'il avait eue, la trouvant risible. Azriel le vit faire et décida du contraire : il n'y avait rien d'idiot, rien de stupide, rien de futile. À ses yeux, la fonction de l'objet en question ne définissait pas la tranche d'âge à laquelle elle était destinée. Surtout, elle ne remettait pas en cause le niveau de maturité de l'individu la possédant. Pour cette raison, il osa faire ce minuscule geste auquel le magnolia s'était refusé.

  Lentement et simplement, il approcha l'écureuil du chat et les fit se coller l'un contre l'autre, mimant une étreinte. Il afficha ensuite un sourire amusé, espiègle. Adaryn l'observa un instant puis céda à son tour, acceptant de couler dans cet écart hors du temps, cette pause qu'ils accordèrent à cette part d'eux qui, comme chez tout humain, se cachait derrière responsabilités et vie d'adulte. Son visage se détendit et un rictus malicieux l'illumina alors qu'il rapprochait davantage le chat de l'écureuil. Son geste fut minime et pourtant il sembla vouloir dire beaucoup, peut-être même bien plus qu'il ne l'avait escompté.

  Un rire lui échappa alors avant qu'il ne reporte son regard sur le blond à ses côtés, l'admirant peut-être un peu trop longtemps. Il revint tout de même à l'instant présent et attira le plus jeune contre lui. Azriel posa timidement sa tête sur son torse et osa passer un bras mal assuré autour de son ventre. Le noiraud le nota et vint lier leurs doigts pour le rassurer, comme pour lui dire sans mot qu'il ne craignait rien. Il décida même de le lui assurer à voix haute, explicitement.

    — Si jamais je fais quelque chose qui vous dérange, dites-le tout de suite, d'accord ? Vous avez le droit de refuser chacun de mes gestes, qu'on soit bien clairs là-dessus.

    — Merci, Adaryn... D'ailleurs, ça marche dans l'autre sens, hein ? Si jamais je fais une boulette, dites-le. J'ai toujours peur de...

    — De ?

    — Vous n'avez pas l'air à l'aise avec votre dos, je me trompe ? Je ne voudrais pas faire de bêtise en posant mes mains là où il ne faut pas.

    — Vous avez l'œil pour tout, c'est pas possible...

  Dans un sourire énigmatique, l'ainé l'enlaça plus fermement, venant perdre sa main libre dans ses cheveux blonds, tandis que son pouce caressait tendrement la paume délicate qu'il tenait toujours. Azriel se trouva presque obligé de fermer les yeux pour profiter davantage. Il sentit alors le soleil sur sa peau, l'odeur de l'herbe, des bleuets. L'atmosphère du kiosque le berça doucement, apaisant son cœur et chassant la rivière de sa tête, la remplaçant par une douce brise colorée, bienveillante.

    — Si je le pouvais, je resterais ici toute ma vie.

  Sa voix endormie fit sourire tendrement le Roi, qui, perdu dans ses pensées, mit quelques secondes avant d'enregistrer ce qu'il venait d'entendre. Peu certain d'avoir bien compris, il fronça les sourcils, demandant un peu en retard :

    — Au kiosque ?

    — Non... enfin oui, j'aimerais aussi, mais ce n'est pas mon endroit préféré.

    — Et où est-ce que vous voulez rester, mh ?

  Azriel gagna un petit sourire malicieux, parfaitement conscient qu'Adaryn avait compris ses insinuations mais que sa fierté voulait entendre le blond prononcer son idée de vive voix. Le cadet laissa alors planer un petit silence durant lequel il bougea légèrement pour s'accrocher plus fort à son ainé. Sa tête se nicha dans son cou, ses doigts enlacèrent les siens plus fermement, puis il abandonna ses derniers mots à la brise, laissant le vent les porter jusqu'aux oreilles d'un magnolia qui afficha un sourire des plus arrogants.

    — Dans vos bras.

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j'ai déjà dit combien j'aime les chapitres au kiosque ? non ? alors laissez-moi le redire : j'adore ce genre de petits moments un peu hors du temps, qui ont l'air innocents mais qui, en réalité, vous ont donné tout plein d'indices :)))

À mercredi ou dimanche prochain ! <3

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