Chapitre 30
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La lumière du jour entra avec vivacité dans la pièce. Les rayons du soleil se lovèrent sur les meubles de la grande chambre bleue et soulignèrent la délicatesse des nombreuses fleurs qui ornaient les vases. Au centre de l'immense lit, perdu entre une montagne d'oreillers, Azriel fronça les sourcils et tira sur la couverture, ronchon. Il pesta contre le soleil qui ne l'avait pas attendu pour se réveiller, puis agrippa un oreiller et l'écrasa sur son propre visage pour se cacher de la clarté de la pièce. Près des rideaux et des fenêtres, Alden pouffa, amusé par les humeurs du jeune Prince Orbis. Il fut cependant assez surpris de le voir se redresser subitement sur son matelas, comme piqué par une mauvaise bête. Azriel fit valser les coussins en s'asseyant, les yeux écarquillés. Il eut l'air d'avoir vu un fantôme, aussi, le rouge s'inquiéta :
— Tout va bien, Majesté ?
— Ah... Oui. Oui... Oui ?
Azriel cligna plusieurs fois des paupières alors que son esprit replongeait droit vers ses souvenirs. Un sourire niais vint orner ses lippes, son regard s'illumina et ses joues chauffèrent progressivement alors que son cerveau lui offrait une vision parfaite de sa soirée passée. Le bleuet, les sourires puis les dernières barrières brisées ; leurs lèvres liées, le bras du souverain Oriens fermement accroché autour de sa taille et, surtout, ses doigts entrelacés aux siens. Azriel avait cru rêver cette scène dans la nuit, pourtant, l'évidence était bien là : la délicate fleur bleue que le Roi lui avait offerte trônait fièrement dans un vase, sur sa table de chevet. Il avait véritablement embrassé Adaryn Oriens. Pour de vrai.
— Oh...
Alden pouffa dans son coin tout en s'éclipsant, se doutant de quelque chose mais ne souhaitant pas poser de questions. Il laissa plutôt le blond se jeter dans ses oreillers, criant aussi bien d'excitation que de frustration. Il se sentit égoïste d'être heureux à ce point, pourtant, son cœur tambourinant semblait n'en avoir rien à faire : il battait à tout rompre à la simple mention du prénom du noiraud. Il suffisait qu'Azriel ferme les yeux pour sentir à nouveau le toucher ardent du magnolia sur sa paume, son étreinte réconfortante autour de lui... ses lèvres aussi.
Il se tourna face au plafond et son esprit s'écarta de la réalité, s'égarant dans les méandres de sa mémoire. Tout lui parut irréel, comme si la scène n'avait été que le fruit de son imagination. Seulement, et pour prouver le contraire, la brûlure des lippes d'Adaryn sur les siennes existait réellement. Pas physiquement, mais mentalement. Azriel eut l'impression de pouvoir toujours sentir sa bouche sur la sienne, son souffle sur ses joues, le magnolia tout entier, autour de lui.
— Bonjour, la marmotte !
— Lyan...
— Oh mon dieu. M'en dis pas plus, ta tête le crie déjà assez.
Le rouquin s'esclaffa et se jeta sur le lit de son meilleur ami, l'enlaçant tendrement. Bien qu'il fut heureux et amusé de le voir aussi rouge qu'une tomate, il n'en oublia pas les sentiments contradictoires qui devaient envahir son être. Aimer Adaryn était une chose à laquelle le blond s'était résolu, mais laisser le Roi partager ses sentiments en était une autre, bien plus ardue, plus douloureuse aussi. Leur relation ne servait qu'à détruire le noiraud, il était donc compréhensible que le faux Prince se sente coupable. Il venait de remplir la première étape de leur mission cauchemardesque, et ce en toute conscience.
— C'était comment ?
Après leur baiser, Azriel et Adaryn étaient restés un moment dans la salle du piano. Le plus âgé avait laissé ses mains danser avec les touches du grand instrument, et le plus jeune l'avait admiré longtemps avant de s'endormir sur le canapé, Adhara ronronnant sur son dos, Seiros au-dessus de sa tête et Elnath sur le dossier du divan. Le Roi l'avait porté jusqu'à son lit en souriant, puis lui avait ôté sa veste, les quelques bijoux qu'il portait et surtout le bleuet sur son oreille. Il s'était ensuite assuré que le petit écureuil s'endorme sur le cœur de son propriétaire et avait quitté la chambre en souriant doucement.
— Je... j'ai pas les mots pour te décrire tout ça, Lyan. J'ai pas été nerveux, c'est dingue. Enfin, si, un peu au début parce que j'avais pas compris ce qui se passait. Mais après il a tout rendu simple et j'ai... j'ai pas... Oh...
— Je suis fier de toi, Azriel, sincèrement. C'est grand ce que tu viens de faire. Peut-être que certains te diront que c'est une chose basique, mais moi je te dis que tu peux vraiment te féliciter. Tu progresses !
— Tu crois qu'un jour j'aurais plus peur de personne ?
— Je ne pense pas, fuir les êtres humains c'est dans ta nature. Mais ce n'est pas un mal pour autant. Les personnes à qui tu accordes ta confiance sont bien plus spéciales par ce biais, cela prouve qu'elles ont réussi à te faire baisser tes barrières et à te rassurer assez.
— C'est dingue comme Adaryn les as toutes descendues, mes barrières, justement. J'pensais vraiment que j'allais me bloquer, que... que j'allais faire tout foirer. Mais au lieu de ça, j'ai tout réussi ! J'ai tout réussi et en plus... en plus j'en ai sacrément profité, oh...
— Raconte, au lieu de tourner autour du pot !
Maladroitement, le cadet expliqua vite et sans détails trop précis le déroulement de la soirée. Il prit soin de garder pour lui leur conversation à propos de l'aube et du crépuscule, et passa également au-dessus de la signification du bleuet, souhaitant que ce petit secret ne reste qu'entre Adaryn et lui.
— J'te jure que j'comprends rien. Une fois qu'il est là, j'arrête de me poser quinze questions à la seconde. Ça ne me fatigue pas de parler, de le regarder dans les yeux ou même d'être tout près de lui. Au contraire, j'ai l'impression que c'est positif. C'est comme avec toi, ça ne m'épuise jamais d'être avec toi, alors qu'avec d'autres humains, tout de suite c'est plus dur... J'arrive pas à le croire. J'ai l'impression de nager en plein rêve.
— C'est typiquement ce que je te disais. Les personnes qui dépassent tes barrières sont rares mais une fois qu'elles les ont franchies, elles deviennent des humains que ton corps et ton esprit tolèrent complètement. Tu sais, je pense que c'est ainsi que je sais quand tu apprécies beaucoup quelqu'un. Si tu n'es pas nerveux du tout, alors c'est que tu es complètement à l'aise et que toutes tes barrières sont abaissées. Ça, et quand tu te mets à débiter bien trop d'informations à la seconde sur la chose ou la personne concernée.
— Quoi ? J'fais jamais ça, d'abord.
— Ah ? D'accord, alors cite-moi juste une chose qui est propre à Adaryn, une particularité de son comportement ou une de ses habitudes.
— Hm... Il craque sa nuque quand il est contrarié. Mais s'il est vraiment fâché, alors il croise les bras, c'est différent. Il cligne moins des yeux aussi, j'ai remarqué ça y a pas longtemps. Sa tâche de naissance sous son œil d'ailleurs, on dirait une flamme, c'est joli. Oh, il a tendance à sourire à chaque fois que je la regarde. Tiens, justement, il a plusieurs genres de sourires ! Il y en a qui veulent dire qu'il se fiche de moi, d'autres qui veulent dire que j'ai raison mais qu'il ne veut pas l'avouer, et puis... et puis... ah.
— Tu disais ?
— Ouais, d'accord... peut-être que j'ai tendance à trop noter les détails, mais j'fais ça avec tout le monde, déjà.
— Tu crois ça, hein ? Alors cite-moi autant de choses sur Frewen, par exemple. Il est toujours avec toi, tu dois en savoir des choses, sur lui.
— Frewen il... Il... Il... Il Frewen, quoi...
Devant le silence et l'embarras de son cadet, Lyan pouffa et lui donna un coup d'épaule, lui signifiant qu'il avait gagné le point. Azriel bougonna dans son coin, faussement vexé. Il ne pouvait pas nier que le roux le connaissait bien et qu'il avait raison : toute chose chère à son cœur était analysée sous toutes les coutures. Surtout, lorsqu'un sujet plaisant était abordé, le blond se trouvait incapable de se taire. Il aimait plus que tout partager toutes ces petites choses qu'il notait, qu'il retenait, qu'il apprenait. Il était incollable sur plusieurs sujets inutiles ou futiles, capable de citer sans se tromper des tonnes de faits spécifiques à ses domaines préférés. Récemment, il avait acquis bon nombre de connaissance dans le langage des fleurs et dans une tout autre passion : Adaryn Oriens.
— Tu vois, même si je connais très peu Adaryn, le fait que tu sois déjà plus passionné par lui que par les cheese-cakes me prouve qu'il est sans doute quelqu'un de bien. S'il te fait te sentir assez en sécurité pour que tu puisses l'observer et l'analyser autant, alors c'est qu'il est bon.
— Tu sais quoi ? J'crois que t'as raison mais que ça va au-delà de ça. Oui, j'me sens vraiment en sécurité, mais... mais surtout j'ai pas l'impression de devoir être quelqu'un d'autre. J'peux simplement être qui je veux, qui je peux. J'ai pas l'obligation de dire des choses qu'il faut dire parce que c'est la règle, pas l'obligation d'agir ou de réagir de telle ou telle manière parce que c'est la norme. Et...
— Et ?
— Et surtout j'suis plus juste un simple Conseiller. Un truc sans importance qui est moins humain qu'un Prince, qu'on peut balayer d'un revers de main s'il n'est pas assez bien. Je... je crois juste que... que j'existe enfin. Peut-être que c'est simplement parce que je suis un Prince à ses yeux, mais c'est grisant. J'aurais tellement aimé le rencontrer dans d'autres circonstances...
— En étant toi-même ?
— Non, ça je le suis déjà. J'aurais aimé pouvoir être simplement Azriel, sans titre. Même si Adaryn n'aurait jamais pu tomber amoureux d'un Conseiller, je me serais senti plus léger parce qu'il m'aurait apprécié pour qui je suis, pas pour le Prince Orbis... Je crois que c'est le plus frustrant.
— De jouer un rôle ?
— De me dire que je tombe amoureux d'Adaryn Oriens, mais que lui n'est amoureux que d'Azriel Orbis. Il... peut-être qu'il ne m'aurait pas aimé à ce point si je n'avais pas été déguisé.
— Tu penses réellement qu'il t'a laissé voler son cœur parce que tu as une couronne ?
— Il n'aurait pas pu m'aimer si je ne l'avais pas, cette... Attends, j'en n'ai pas de couronne. Pourquoi les Princes n'ont pas de couronne ?
— Question de hiérarchie. La seule distinction entre un Prince et un souverain est la couronne. Je suppose que ne pas donner de couronne à un Prince ou une Princesse est un moyen de montrer qu'il ou elle n'est pas encore apte à régner. Au contraire une fois couronné, il est de coutume de ne plus jamais l'enlever, au risque de se rabaisser au rang de simple humain inapte à gouverner. Tu vois ?
— Ouais. C'est étrange.
— C'est là pour une bonne raison. On ne changera pas les lois de l'Ordre, de toute façon.
Azriel piqua en fard en songeant aux nombreuses fois où le Roi Puissance avait ôté sa couronne, au kiosque, redevenant ainsi un simple être humain au même niveau que le blond. Il chassa tout de même ses pensées pour se concentrer sur la conversation et, surtout, pour empêcher son cœur de dégringoler de si bon matin.
— Je t'aurais bien vu avec une jolie couronne, pourtant, Lyan. T'sais, un joli truc qui passe sur le front. Oh, ouais, faut que tu te fasses faire ce genre de couronne, ça t'irait trop bien !
— Si tu avais une couronne, je suis certain que ce serait...
— Des fleurs.
Le petit sourire du blond fit rire le plus vieux, qui ne se formalisa pas du fait d'avoir été coupé, habitué. Après avoir jeté un coup d'œil vers l'horloge, il le tira ensuite du lit pour l'aider à dompter sa tignasse blonde. Le Prince factice s'habilla rapidement dans sa salle de bain, distrait. Il fut happé par ses pensées, plongé dans son propre petit monde. Lyan s'occupa donc de ses cheveux en silence avant d'être à demi surpris par une question sortie de nulle part, sûrement piochée dans les tréfonds de l'esprit aléatoire de son meilleur ami.
— Et au fait, de ton côté, comment ça se passe ?
— De mon côté ?
— Bien, t'as l'air très proche du Général Lucis... T'es sûr que tu sais ce que tu fais ?
— Bien sûr que... bien sûr que oui. Qu'est-ce que tu t'imagines ?
— J'sais pas, il m'a semblé vous voir vous tenir les mains. J'veux dire, les amis peuvent faire ça, surtout toi, t'es vachement tactile mais... Ehann n'a pas l'air de l'être autant en temps normal, si tu vois ce que je veux dire.
— Qu'est-ce que tu insinues ?
— Non, rien, rien. J'insinuais rien... Fais attention à toi, mh ?
— Concentre-toi plutôt sur ton Prince charmant, Princesse. Je sais me gérer tout seul.
— Pourquoi je devrais être la Princesse, d'abord ?
Silence. Ils se fixèrent via leurs reflets dans le miroir, laissant leurs esprits faire le lien avant qu'ils n'éclatent de rire. Azriel piqua un fard qui amusa davantage son ainé, hilare. Entre deux pouffements et quelques hoquets, le blond parvint tout de même à bafouiller :
— Eh, on rigole mais, imagine ? J'veux dire, oui, j'suis bien moins impressionnant que lui, j'ai zéro crédibilité. Mais j'suis sûr qu'Adaryn est du genre à surprendre tout le monde et jusqu'au bout. Puis de toute façon, en vrai, ça veut rien dire. Il y a pas de Princesse et de Prince, on fait ce qu'on veut. Même qu'on peut être deux Princes charmants si on veut.
— Totalement vrai. Hâte d'entendre vos aventures, dans ce cas, mon Prince Charmant.
— C'que t'es gênant, Lyan.
Le roux gloussa puis se concentra à nouveau sur sa tâche, s'amusant à tresser les cheveux de son cadet pour les attacher ensuite en une queue de cheval à l'aide d'un ruban blanc. Il lui épargna le lourd maquillage pour ne s'occuper que de ses yeux, et laissa son cou et ses oreilles respirer. Lorsqu'ils furent prêts, ils sortirent de la chambre en riant toujours légèrement. Frewen les rejoignit alors qu'ils s'engouffraient dans le couloir, les rattrapant après qu'ils lui eurent gentiment dit bonjour. Ils entrèrent ensuite dans la salle à manger où ils trouvèrent Ehann et Hywell, debout face à face, silencieux. Lyan fut le premier à questionner la situation, pour une fois plus curieux qu'Azriel.
— Oh, tiens, pourquoi ne sont-ils pas en train de s'entretuer ?
— Laissez, ils font un combat de regard pour savoir qui aura la dernière part de cheese-cake.
— Cheese-cake ?
Alden pouffa puis vola la pâtisserie restante, la déposant dans l'assiette de son plus jeune caneton. Le Général des Armées et l'escorte du Roi soupirèrent alors à l'unisson, s'affaissant et retombant sur leurs chaises, dépités mais souriants.
— Pourquoi on a tenté, aussi. Les cheese-cakes c'est pour le Prince.
— On va s'battre pour des chouquettes, alors.
— Non, ça c'est le jeu préféré du Roi et de Mendel.
Adaryn ricana face à la remarque d'Ehann, et Azriel remarqua subitement sa présence. Il était en retrait au fond de la pièce, debout devant la fenêtre, observant le lac en silence. Il se tenait droit, les mains dans les poches, les yeux rivés sur la nature devant lui. Le blond n'avait pas l'habitude de le voir au petit-déjeuner : levé à l'aube chaque jour, le monarque avait tendance à manger seul le matin, n'attendant personne. Il avait dû les rejoindre deux ou trois fois depuis que les habitants de la Sixième étaient arrivés, soit très peu.
— Au fait, Adaryn, tu veux faire quelque chose pour ton anniversaire ?
Le noiraud lâcha enfin la vitre du regard pour observer son Conseiller, atone. Il pinça les lèvres et haussa les épaules, ne donnant aucune autre réponse. Azriel nota alors que le noiraud avait retenu de justesse un tic nerveux, s'empêchant au dernier moment de craquer sa nuque. Le bleuet fronça les sourcils et plongea dans ses réflexions, poussé par sa curiosité. Hywell combla alors le silence d'un air égaré.
— L'année dernière on avait fait quelque chose ?
— Oui, t'as fini ivre-mort dans la fontaine.
— Ah, oui, c'est vrai... c'est pour ça que j'm'en rappelle pas.
— On n'avait pas fait grand-chose, cela dit. Au bout d'une heure à boire et manger, le Roi s'est éclipsé quand tu as commencé à faire n'importe quoi. C'est toujours ta faute, Praesul.
— Mais t'as fini oui ? Il est même pas dix heures du matin tu me soules déjà.
Le Conseiller du monarque se retint de rire devant les chamailleries incessantes d'Ehann et Hywell. Puis, voyant les regards curieux de leurs deux invités, il se racla la gorge et leur expliqua la situation plus clairement, voyant qu'Adaryn était bien trop distrait pour le faire lui-même – attiré par le paysage, il s'était cloitré dans sa bulle et désintéressé de la conversation pour penser à des centaines de choses qu'il ne partagerait sans doute jamais.
— On n'a pas pour habitude de fêter l'anniversaire d'Adaryn. À vrai dire, c'est plus une occasion pour nous de boire un peu et d'oublier la réalité le temps d'une soirée, parce que, de toute façon, Adaryn finit toujours par nous filer sous le nez.
Azriel ne put retenir son sourire, à peine étonné par le fait que son magnolia ne fausse compagnie à tout le monde alors même que la fête tenue lui était dédiée. Il tenta d'imaginer le Roi filer en douce pour se rendre seul au kiosque, ou bien peut-être avec ses chats et son piano, puis il se stoppa lorsqu'il se rendit compte qu'Adaryn l'observait, un de ses rictus malicieux plaqué au visage. Fourbe, il l'avait pris par surprise ; il ne se concentrait que sur ce qui l'intéressait. Les autres pouvaient bien aller se faire voir, à l'instant, il ne voyait plus que son bleuet et leurs baisers.
Le blond eut alors de subites et nouvelles réminiscences de leur soirée dans la salle du piano, aussi ses joues prirent rapidement la couleur de la fleur qu'il avait déposée sur l'oreille du monarque. Il détourna les yeux de son ainé pour fixer le sol, mordillant sa lèvre inférieure pour retenir son sourire. Alden l'observa faire puis jeta un rapide coup d'œil vers le noiraud qui, lui, pivota vers la fenêtre pour que personne ne puisse voir que l'insolence de ses traits s'était transformée en joie pure, peut-être même niaise. Le rouge comprit ainsi que les deux jeunes hommes étaient allés un peu plus loin que leurs discussions habituelles, ce qui le fit rire doucement, attendri.
— Qu'avez-vous prévu de faire, aujourd'hui ?
L'attention que Mendel donna subitement aux deux plus jeunes de la table leur fit chaud au cœur, bien qu'ils aient toujours l'impression d'être les petits Rois du château, ceux qui accaparaient toute l'attention – ce qui ne les dérangea pas le moins du monde, en réalité. Ils se fixèrent avant de hausser les épaules, peu certains du programme de la journée.
— Quel jour on est ? Lundi ? Je crois qu'il y a le marché, en ville. Vous voudriez aller y faire un tour ? Il n'y a pas que de la nourriture, peut-être que vous pourriez y trouver de jolies choses.
— Oh, oui, pourquoi pas !
— Il... il y a beaucoup de monde ?
— Oui, mais ne vous en faites pas, Majesté. Vous ne serez pas seul, Hywell et Frewen vous accompagneront. Si l'on s'y rend tôt, il n'y aura pas trop de bruit non plus.
La maman canard avança jusqu'à son petit caneton préféré – Lyan étant davantage choyé par Ehann et Mendel – puis, tout en lui ébouriffant les cheveux gentiment, il le rassura d'un sourire. Il ajouta aussi quelques mots qui finirent d'achever les craintes du blond.
— Mais si vous ne voulez pas y aller, vous pouvez rester ici.
— Vous venez avec moi, si j'y vais ?
— Bien sûr.
— Alors je veux bien, mais seulement si vous venez.
Depuis le fond de la pièce, Adaryn ne put retenir un énième sourire lorsqu'il vit les yeux brillants du blond. Lyan l'imita inconsciemment, rassuré. Ils furent tous deux heureux de voir qu'Azriel prenait lentement confiance, qu'il osait davantage exprimer sa pensée et ses préférences. Il s'habituait lentement à tous ces énergumènes autour de lui, aussi étranges et décalés soient-ils. Surtout, ils semblèrent ravis de voir qu'Alden était lui aussi devenu une personne en qui le blond plaçait une confiance aveugle, un point de repère stable et constant. Le rouge lui-même fut flatté, comblé par cette constatation ; ses joues se tintèrent de rose et il dût se retenir de ne pas étouffer le plus jeune dans une étreinte pour le remercier, pour lui témoigner son affection en retour.
— Pourquoi vous me fixez tous comme ça ? J'ai quelque chose sur la figure ?
— Pour rien, Riel, pour rien. Mange donc, sinon Ehann et Hywell vont te la reprendre, cette part de cheese-cake.
— Finissons de manger et allons-y. Nous devrions nous y rendre avant midi, sinon il y aura vraiment beaucoup trop de monde. Mendel, tu viens avec nous ?
— J'aurais aimé, mais j'ai quelques obligations. De la paperasse, encore. Tiens, d'ailleurs, je ferais mieux d'aller m'y mettre. Ah, au fait, Alden ? Tu peux m'acheter des chouquettes ?
— Mais qu'est-ce que vous avez tous avec les chouquettes ?
Azriel, Alden, Mendel, Hywell et Adaryn ne purent retenir leurs rires en se remémorant leur petit concours au bal de Dives Enwyld, laissant la question de Lyan sans réponse. Il n'eut toutefois pas le temps d'insister puisque le sujet de la conversation dévia bien vite sur l'obsession du bleuet envers les cheese-cakes – qui, presque aussitôt, leur cita un nombre incalculable de saveurs et de façon de cuisiner sa pâtisserie préférée. Ils ne quittèrent la table qu'un bon quart d'heure plus tard, filant vers les grandes portes du château.
Ehann aida Lyan à fermer sa cape afin de le protéger du froid, les joues rouges. Hywell s'amusa à taquiner le Général, récoltant des insultes et faisant rire Frewen qui se tenait au milieu. Azriel n'étant donc pas dans le champ de vision de ces quatre humains, il put disparaitre aisément, attiré par une main chaude qu'il commençait à connaitre un peu trop. Seul Alden le vit s'éclipser : il ne s'en formalisa pas, souriant malicieusement, sachant pertinemment ce qui se tramait. Azriel fut gentiment entrainé dans un coin plus reculé, loin des regards un peu trop curieux mais près d'un magnolia et de son rictus insolent.
— Donc maintenant, c'est moi que vous allez faire disparaitre tout le temps ?
— Exactement.
Azriel pouffa, mais regagna bien vite son sérieux lorsqu'il vit le regard d'Adaryn s'assombrir légèrement. Il ne l'avait attiré à part pour rien, il avait quelque chose d'important à lui dire. Le cadet ne pipa donc mot et l'écouta attentivement.
— Je ne peux pas venir avec vous en centre-ville. Pas en journée, du moins. Mais si vous sentez que ça ne va pas, dites-le tout de suite à Alden et rentrez ici, d'accord ?
— Pourquoi vous ne... oh. Le nombre de gens. Les yeux. Logique. Non rien, oubliez ma question. Pour une fois que j'trouve la réponse moi-même.
— Vous parlez de ma manie de disparaitre, mais vous passez votre temps à vous répondre tout seul, je vous signale.
— Oh, ça va, hein. Chacun son truc.
L'ainé ricana, à peine dérangé par l'impertinence de la phrase. Il posa une main délicate sur la joue de son cadet, changeant radicalement l'ambiance entre eux. Des yeux, il le questionna silencieusement, s'assurant qu'il n'était pas sur le point de le brusquer ou d'effectuer un geste qu'Azriel ne souhaitait pas initier entre eux. Ce point précis fut ce qui acheva définitivement toutes les craintes du bleuet : quoi qu'il arrive, il n'aurait jamais à angoisser quant à ses mots, ses actions ou ses réactions. Adaryn veillait à ce qu'il soit à l'aise avec la moindre chose. Par conséquent, il ne le forcerait jamais à être ou faire quoi que ce soit dans l'unique but de correspondre à un rôle particulier, de coller à une liste de choses à faire « typiques » de deux personnes éprises l'une de l'autre.
Faire ce que bon leur semblait quand l'envie les prenait, tout en respectant l'accord de l'autre ; ce fut là la seule règle silencieuse qu'ils s'imposèrent. Le reste, ils le firent valser. Les rôles, les codes, les phrases pré-faites et les actions soi-disant « obligatoires », tout fut effacé au profit de leur propre définition de cette relation qui n'avait même pas réellement de nom. Ils ne furent même pas un tant soit peu emballés par l'idée de lui en donner un, peu attirés par l'idée de poser des étiquettes sur tout et rien.
L'ainé ne rencontra donc que de jolies étoiles dans les yeux ambrées de son cadet, n'y voyant aucune once de peur, de refus ou de malaise. Aussi, il se pencha davantage vers l'avant, liant leurs lèvres avec une douceur qu'on ne lui soupçonnait pas. Azriel crut un instant que son cœur allait sortir de sa poitrine tant il s'emballa, que son corps allait s'envoler tant les frissons qui le parcoururent lui donnèrent l'impression de flotter, d'être léger, libre.
Il s'accrocha à la veste du noiraud comme pour s'assurer qu'il ne pourrait pas décoller du sol, puis sourit dans le baiser lorsqu'il sentit la main gauche d'Adaryn s'emparer de la sienne. Leurs doigts s'entrelacèrent à nouveau et le noiraud vint poser sa paume libre, la droite, sur la hanche du blond qui, secrètement, s'amusa à noter toutes ces petites manies. Adaryn esquissa un sourire à son tour lorsqu'il sentit autour de son cou le bras fin de son cadet, quoique légèrement alourdi par sa cape. Ils semblèrent ne jamais vouloir se détacher l'un de l'autre, aussi, lorsqu'Azriel s'écarta légèrement par manque d'air, Adaryn colla son front au sien pour chuchoter :
— Filez avant que les autres ne se mettent à paniquer parce que vous avez disparu. Alden vous a vu, mais pas eux. Amusez-vous bien, aussi.
Le plus jeune gagna un immense sourire auquel le Roi ne résista pas bien longtemps. Il lui vola un dernier baiser un peu plus vif et furtif avant de le laisser partir, l'admirant encore un peu. Le blond arriva presque en sautillant de joie devant sa petite troupe mais personne hormis Alden ne le remarqua : ils étaient trop occupés à écouter les piques d'Ehann et Hywell. Lyan sentit bien le bonheur irradiant de son meilleur ami, ce qui le fit sourire à son tour, mais il ne chercha pas à comprendre, déjà perdu dans la contemplation du Général Lucis. Seul le rouge eut l'air d'avoir saisi les choses. Il ne dit rien pour autant, se contentant de rire tout seul dans son coin et de poser un bras rassurant sur les épaules du joli bleuet.
Ce dernier semblait flotter sur un petit nuage, ignorant les responsabilités qui pesaient pourtant sur ses épaules. Elles semblaient s'envoler sitôt que les mains d'Adaryn se posaient sur lui, sitôt que leurs lippes se rencontraient. Il oubliait tout : son rôle, son faux titre de Prince, et même la raison pour laquelle il se trouvait dans la Première. Plus rien n'avait d'importance. Pas même ses craintes, les conséquences de leur relation, ou encore ses cauchemars.
Seul son magnolia comptait. Son magnolia et les milliers de rêves qui envahissaient sa tête, sa rivière, lorsqu'il se cachait dans ses bras rassurants.
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BONJOUR, Dynasty est de retour :D
j'suis vraiment désolée pour le temps d'attente aaaaah mais j'ai eu besoin de faire un giga remaniement de certains personnages et du world building, du coup il a fallu que je me charge des modifs dans absolument tous les chapitres-
de toute façon vous l'avez vu, dynasty est divisée en plusieurs parties désormais ! j'ai décidé de procéder comme ça pour des questions pratiques, et pour bien dissocier les différents arcs de l'histoire ! ça ne change concrètement rien aux chapitres hein, c'est juste + clair pour moi comme ça :')
bref bref. on repart donc sur un rythme d'un chapitre par semaine, voire deux si j'ai le temps !
des bisous <3
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