Chapitre 25


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Lyan sentit son estomac se retourner quand les yeux de toutes les personnes présentes dans la pièce se tournèrent dans leur direction. Ils surplombaient la salle du haut des escaliers, devant la grande porte d'entrée. Les regards se déplacèrent vers Adaryn et Azriel et de nombreux murmures s'élevèrent dans la salle, admiratifs, envieux, étonnés, jaloux. Les deux fleurs se tenaient devant tous leurs autres amis, au centre, et le Roi était accroché fermement à son bleuet, la main crispée sur sa hanche. Le rouquin les fixa quelques secondes, attendri par le fait que le noiraud prenait un soin immense à soutenir le blond, parfois même implicitement et discrètement comme dans le carrosse. Puis l'attention du Conseiller factice vrilla vite sur l'immense pièce dans laquelle ils venaient d'entrer.

Les nobles qui dansaient, valsaient, tourbillonnaient sur la musique semblaient faits d'or, d'argent et de pierres précieuses. Ils scintillaient, souriaient. Ils semblaient insouciants, comme si leurs tracas du quotidien s'effaçaient durant cette soirée. Comme si plus rien ne comptait hormis les longues robes luxueuses, les costumes richement décorés, le buffet garni et les musiciens incroyablement doués. Lyan eut l'impression d'être entré dans un nouveau monde, loin des problèmes et de la pauvreté de la Sixième. Il ne put donc retenir un immense sourire, ravi. Ses yeux brillèrent d'une intensité folle et il laissa échapper un rire, impatient, prêt à découvrir toutes les merveilles que ce bal avait à lui offrir.

— Ah ! Mes amis ! Bienvenue !

Après qu'il eut salué poliment le monarque, Azriel grimaça et se rapprocha inconsciemment d'Adaryn. Lyan l'observa avec inquiétude, puis fut distrait par Ehann. Le bicolore lui tapota l'épaule pour lui murmurer quelques mots qui lui rendirent aussitôt sa bonne humeur.

— Que voulez-vous faire en premier ? Je vous accompagne pour la soirée afin que Frewen puisse veiller pleinement sur le Prince.

Le joli soleil lui offrit un sourire plus grand encore puis il balaya la pièce du regard. Il ne savait même pas par quoi commencer. Danser ? Manger ? Profiter ? Rire ? Pourquoi pas tout en même temps ? Il voulait tout essayer, tout goûter, tout tester. La fougue de la jeunesse, celle-là même qu'il ne croyait possible que dans les romans à l'eau de rose, sembla s'emparer de lui, se répandant dans son sang et lui montant à la tête.

— Je ne sais pas vraiment, que devrions-nous faire en premier ?

— J'irais bien danser pour commencer convenablement les festivités, si vous le voulez bien.

— Bien sûr !

Il aurait dit oui à tout. Ses yeux brillaient et son sourire ne semblait plus vouloir disparaitre. Il était éclatant, rayonnant, majestueux. Alden et Frewen dirigèrent alors la petite troupe dans un coin de la salle, tandis qu'Adaryn et Mendel engageaient une conversation avec Dives Enwyld. Azriel resta accroché à son meilleur ami jusqu'à ce que le jeune homme aux cheveux rouges ne vienne entourer ses épaules d'un bras rassurant.

— Où allez-vous en premier ?

— Danser !

— Bien, profitez bien de votre soirée. Je reste avec le Prince.

— Merci, Alden.

L'intéressé les observa partir vers la piste de danse gentiment, puis il disparut du champ de vision de Lyan, caché derrière la foule. Le rouquin oublia donc ses craintes vis-à-vis de son meilleur ami, sachant pertinemment qu'il était en sécurité, pour ne se concentrer que sur le grand bicolore. Plus courageux que lui, le Prince osa poser timidement ses mains sur ses épaules avant de rougir lorsque son ainé accrocha les siennes autour de sa taille. Leurs regards fuyants les firent rire autant qu'ils teintèrent leurs joues de rouge. Ils pouffèrent comme des idiots et entamèrent une danse assez rapide, suivant le mouvement de la piste de danse, mettant en scène les nombreuses chorégraphies qu'ils avaient apprises durant leur enfance.

Lyan eut l'impression d'être dans un de ses livres préférés, l'un des plus clichés ; perdu entre la lumière flamboyante des lustres, les pierres précieuses aux couleurs chatoyantes, la musique rythmée et les mouvements envoûtants. Certaines personnes lui envoyaient de grands sourires, d'autres semblaient admirer son visage. Il eut pour la première fois de sa vie l'impression d'être le personnage principal d'une histoire magnifique, celui sur qui tous les regards se posent. Il crut pendant un instant qu'il rêvait une vie qui lui avait toujours été refusée, jusqu'à ce qu'Ehann ne le rapproche doucement de lui lorsqu'une chanson plus douce se lança.

Non, il ne rêvait pas. Il était bel et bien dans la Deuxième Dynastie, dans la résidence privée du Roi Logique, à son bal somptueux, dans une salle resplendissante et entre les bras d'un Général qui l'était bien plus encore. Après cette remarque, Lyan s'attarda sur le visage de son vis-à-vis, observant avec attention chacun des détails qui le composaient. Son regard argenté, les mèches noires et majoritairement blanches qui flottaient doucement sur son front, et même les jolies couleurs qui décoraient ses yeux : rien ne lui échappa.

Sa tenue ne fut pas épargnée non plus puisque le Prince s'arrêta sur ses boucles d'oreilles, sa veste, les milliers de perles qui l'ornaient, les lanières en cuir qui la fermaient, ainsi que la gracieuse cape qui retombait sur son épaule gauche. Ehann portait des vêtements raffinés mais pratiques. Même s'il avait l'air d'un noble ainsi vêtu, il pouvait parfaitement se transformer en guerrier, et ce en une fraction de secondes. Sa demi-queue de cheval lui permettait de ne pas avoir les cheveux dans les yeux et son accoutrement près du corps lui assurait des gestes fluides, à peine entravés par le tissu élastique. Il semblait tenir à son image de Général, sans pour autant négliger la beauté de ses traits. Il était magnifique, aussi beau qu'aurait pu l'être un Prince dans les rêves les plus fous de Lyan.

— Vous n'aviez donc jamais assisté à un bal ?

— Jamais. Ma Dynastie est bien trop pauvre pour se permettre de telles folies. Puis, nous n'avons jamais été invités nulle part...

— C'est étonnant comme tout le monde semble vouer un intérêt immense au Prince et à son joli visage, mais pas à sa Dynastie et aux problèmes qu'il doit porter sur ses épaules. Regardez toutes les têtes qui se tournent vers lui depuis qu'il est arrivé... Sur vous aussi, d'ailleurs, vous attirez l'attention, Lyan.

— J'ai l'impression qu'il ne nous suffisait que de montrer le visage d'Azriel ou le mien pour attirer l'attention et quémander de l'aide... J'ai de la peine à voir ceci, autant pour lui et moi que pour la Sixième. Nous représentons la risée du monde, les pauvres vaincus, ceux que personne ne veut approcher, mais dès que nous montrons la beauté du Prince, tout le monde semble vouloir s'en emparer...

— J'espère qu'Azriel restera bien avec Alden et Frewen. La Logique n'est pas réputée pour être la Dynastie la plus clémente et la plus douce. Elle est même plutôt fausse et focalisée sur les apparences. C'est pour ça que ma mère l'a quittée avant de rencontrer mon père. C'est pour cette raison aussi que nous n'y sommes jamais revenus. Le peuple est intelligent mais, avec le temps, il tombe dans la fourberie et les coups bas. Comme le Roi n'est pas encore marié, la noblesse tente par tous les moyens d'attirer son regard.

— Je suppose qu'Azriel représente un bon moyen de le faire, n'est-ce pas ?

— Je le crains, oui... Regardez. Toutes les personnes autour de nous sont plus âgées. La Logique est une population vieillissante qui ne voit les jeunes que comme des objets. Azriel n'a pas encore atteint l'âge de Raison, il est donc encore un enfant facilement manipulable à leurs yeux. Il a vingt ans, il est majeur, il est adulte, pourtant. Mais ils s'en fichent, ils en profitent.

L'âge de Raison marquait un tournant décisif dans la vie des héritiers au trône. Il était fixé à vingt et un ans, et représentait l'âge symbolique auquel les Princes et Princesses se voyaient obtenir le droit de régner, de succéder à leurs parents qui, ainsi, se retiraient et les guidaient sagement. Les héritiers se voyaient couronnés le jour de leur anniversaire. Avant cette date, on les considérait parfois à tort incapables de régner. Ils étaient alors dans un entre-deux étrange qui les séparait du jour de Maturité – soit leurs dix-huit ans, jour de l'obtention du statut de personne mûre – et de l'âge du couronnement. Ils étaient adultes mais encore jugés trop ignorants, assez âgés et pourtant encore trop jeunes. Pour cette raison, il était de coutume de leur trouver un prétendant ou une prétendante durant ces années, puisque les ainés pensaient les héritiers encore assez idiots et naïfs pour être manipulés.

— Et puis, au-delà de ça, danser avec un Prince ce n'est pas un privilège que tout le monde peut s'offrir, cela attirera forcément les yeux du Roi Logique.

Lyan voulut rire de la situation, du fait qu'actuellement, le Général tenait un futur Roi contre lui, mais il s'en abstint, prenant conscience au dernier moment que le bal n'excluait pas leur mission. À la place, il lança donc rapidement :

— Je commence à avoir faim. Vous voudriez bien aller faire un tour au buffet ?

— Avec plaisir, les gâteaux me font envie depuis tout à l'heure.

— Gâteaux ? Oh, peut-être y aura-t-il du cheese-cake pour Azriel !

En riant, les deux amis filèrent vers les grandes tables dressées contre les immenses fenêtres. Ils repérèrent la pâtisserie préférée du Prince factice et tentèrent de fendre la foule pour rejoindre ce dernier. Cependant, entre les nombreuses personnes présentes, il leur fut compliqué de se suivre, aussi le bicolore se stoppa sans prévenir, attrapant la main du rouquin dans la sienne pour ne pas le perdre. Lyan ne put que rougir et sourire niaisement en fixant leurs paumes, si bien qu'il sursauta lorsqu'il fut tiré de sa rêverie par le blond.

— Cheese-cake ?

Lyan éclata de rire, attirant les regards de nombreuses personnes sur lui. Il ne s'en formalisa pas une seule seconde et prit soin d'écouter les demandes d'Alden concernant sa boisson. Il vint même interroger Frewen qui se laissa légèrement sourire en voyant la petite attention qu'on lui offrait. Il accepta donc difficilement puis tenta d'effacer sa bonne humeur pour rester concentré. Le Général et le Prince filèrent ainsi à nouveau vers le buffet, puis furent bien embêtés lorsqu'ils prirent conscience qu'ils ne disposaient pas d'assez de mains pour transporter verres et assiettes.

— Je vais faire des aller-retours. Retournez avec Frewen et... ah, Alden ?

— Je viens vous aider à tout porter, vous avez l'air en difficulté.

Le rouge pouffa de rire en saisissant quelques verres. Le trio s'apprêtait à rebrousser chemin quand un silence pesant s'abattit sur la salle ; la foule s'amassa autour de quatre personnes. Toutes les bouches se fermèrent, la musique se stoppa. Lyan paniqua. Aussitôt, il sentit monter en lui une vague d'angoisse, prête à s'écraser avec force contre la berge de son esprit. Il imagina déjà l'écume le noyer, la force de l'impact le bloquer contre le sable. Il perdit son sang-froid et la mer salée brouilla sa vision, ses réflexions, sa logique.

— Qu'est-ce qui se passe ? C'est Azriel ? Oh mon dieu, il faut que je...

— Détendez-vous Lyan, regardez, Adaryn est avec lui. Il n'y a rien à craindre.

Ehann abandonna sur le buffet tout ce qu'il tenait et posa ses deux mains sur les épaules de Lyan, se tenant derrière lui. Le rouquin nota leur différence de taille et s'arrêta sur un autre détail : le calme qui l'avait envahi. Le bicolore avait stoppé la vague avant qu'elle n'atteigne le sable, faisant diminuer son élan pour qu'elle ne soit plus qu'un minuscule clapotis contre le bord de la plage. Lyan fut déstabilisé par ce constat mais tenta d'en faire abstraction. Il se hissa plutôt sur la pointe des pieds pour tenter d'apercevoir le Roi Puissance.

— Mais de votre côté, avez-vous seulement demandé la permission au Prince pour lui tenir la main ? Mh ?

Le Prince se mordit la lèvre inférieure, se sentant subitement coupable d'avoir entrainé Azriel ici. Son cadet lui avait pourtant dit à de nombreuses reprises qu'il n'était pas attiré par l'idée de venir à un bal et, désormais, il se retrouvait entouré par une foule monstrueuse, face à un inconnu penaud et un noiraud visiblement énervé. Le Prince réalisa à cet instant combien Adaryn était effrayant, là, enfermé dans son silence. Il lançait un regard noir à cette personne qui avait visiblement dérangé Azriel. Le rouquin fut prêt à parier que si les yeux du Roi Oriens avaient été des poignards, ils auraient déjà frappé à de nombreuses reprises. Cette idée l'effraya autant qu'elle le rassura : Adaryn n'allait faire qu'une bouchée d'eux lorsqu'il comprendrait leur supercherie. Son pouvoir était effrayant, écrasant. Pourtant, le fils Orbis y trouva un point positif ; tant qu'ils n'avouaient pas leur mensonge, Azriel ne risquait rien. Le premier qui oserait toucher un seul de ses cheveux devrait faire face à la fureur du Roi Puissance.

— Tout va bien, il s'en va. Venez, Lyan, allons les rejoindre.

Le susnommé ne se fit pas prier et trottina vers son meilleur ami. Il voulut lui prendre la main après que le Roi Logique la lui eut volée mais se retint, attendant patiemment que le monarque ne s'en aille. Il lui fallut patienter jusqu'à la remarque d'Alden, qui leur permit ensuite d'entrainer le plus jeune d'entre eux tous sur le balcon. Là, il posa les verres qu'il tenait toujours sur le garde-fou puis enlaça le blond.

— Désolé, Riel...

— C'est pas ta faute, Lyan, pourquoi tu t'excuses ?

— C'est moi qui ai voulu venir ici...

Azriel haussa les épaules puis afficha un grand sourire en voyant le cheese-cake qu'Ehann avait songé à emporter. Il se jeta dessus aussitôt puis s'installa sur une chaise et commença à manger tranquillement. Alden étouffa mal son rire devant la scène, ne se formalisant même pas du fait qu'Azriel parla la bouche pleine pour répondre à Lyan. Il vint simplement lui tendre une serviette pour essuyer sa bouche, caressant tendrement ses cheveux comme s'il s'agissait de son propre frère cadet.

— Pourquoi est-ce qu'il tenait absolument à danser avec toi ?

— Aucune idée...

— Je vous l'ai dit, Lyan. Le peuple Logique est prêt à tout pour acquérir les richesses les plus précieuses. Les pièces d'or se trouvent en abondance ici, mais la Logique manque cruellement d'une autre monnaie : le temps. Il défile et il a pris avec lui une autre richesse, leur jeunesse. Ici, tout le monde vise donc le Roi avant qu'il ne soit trop tard, et Azriel est le moyen parfait d'y accéder.

— Ils m'effraient, dit ainsi.

— Il y a de quoi. On vante souvent la Puissance, mais la Logique est sûrement presque aussi terrifiante. Avec le Courage, elles sont les trois Dynasties les plus redoutables de tout Alasia.

— Vraiment ?

— La Deuxième possède un sens de la stratégie hors du commun, ils savent tous représenter leur patrie à la perfection. Dives Enwyld n'est pas une exception. Il a l'air lourd et envahissant à première vue, mais ce n'est qu'une façade. C'est un homme exceptionnellement intelligent et malin, qui aime se cacher derrière l'apparence d'un type un peu idiot et lourd pour le dissimuler et laisser ses adversaires le sous-estimer. Il peut ainsi parvenir à ses fins et obtenir tout ce qu'il désire. Son peuple est identique, aussi fourbes et futés.

Azriel redressa la tête, étonné. Il fut à la fois surpris et soulagé de voir qu'il n'était pas le seul à discerner le masque que le Roi Logique portait en permanence. Ehann le fixa quelques secondes à son tour et lui offrit un simple sourire rassurant, l'air de lui dire sans un bruit : « je l'ai remarqué aussi, oui ».

— Si je comprends bien, le but de cette Dynastie c'est l'argent, la jeunesse et l'éminence sociale. D'où le fait qu'ils visent tous la place encore vacante aux côtés du Roi.

— Exact, Lyan. Ils veulent tous tenter de voler son cœur pour accéder à ses richesses.

Le roux et le blond tiquèrent, livides. Ils se lancèrent de petits regards en coin avant de pincer les lèvres discrètement, se retrouvant un peu trop dans la phrase du Général. Ils n'osèrent rien dire et laissèrent plutôt Ehann poursuivre, peu sereins.

— Le problème c'est qu'à force de Logique, il en découle de nouvelles formes. La Logique pure et saine a disparu depuis que la grand-mère de Dives Enwyld est montée sur le trône. Elle reviendra peut-être avec son descendant, comme la véritable Puissance est revenue avec Adaryn. Mais rien n'est sûr. Ils sont tellement embourbés dans cette nouvelle Logique qu'il me semble difficile de les voir en sortir de sitôt.

— La véritable Puissance est revenue avec Adaryn ?

Le Prince factice fit tomber un bout de cheese-cake sur sa veste et fronça les sourcils. Dépité et agacé par sa propre maladresse, il fit la moue et bougonna dans son coin, se réprimandant à la troisième personne comme si grommeler son propre prénom pourrait punir sa bêtise. Il tenta tant bien que mal de sauver cette tenue qu'il affectionnait tant. Alden ne résista pas longtemps face à ses humeurs et se mit à sourire, venant l'aider à nettoyer les dégâts. L'homme aux cheveux noirs et blancs continua donc sans plus qu'Azriel ne le regarde :

— Je crois que cela fait bien cinq ou six générations que la Puissance a sombré. Les ancêtres d'Adaryn et surtout son père usaient de la force, des coups et des cris pour assoir leur autorité. C'est le risque avec la Puissance : tomber dans l'abus et la violence. Toutes les Dynasties risquent de tomber du mauvais côté de leurs qualités, comme ici avec la Logique.

— Le « mauvais côté » ? Comme le revers d'une médaille ?

— Un peu, oui. Chaque Dynastie a été pensée pour représenter une qualité particulière. Mais chaque qualité est à double tranchant : chaque pays peut détourner son trait premier pour en faire un défaut vicieux. Par exemple, de la Logique peut découler la manipulation, de la Puissance peut transparaitre la violence.

— Oh... j'comprends mieux pourquoi il n'a rien dit devant le marquis.

— Qu'est-ce que tu dis ?

— Adaryn. Ça tombe sous le sens, maintenant.

Lyan fronça les sourcils, ne comprenant pas les dires d'Azriel. Ce dernier prit donc le temps de finir sa bouchée de gâteau – démontrant avec brio son sens des priorités – pour poser l'assiette sur ses genoux et s'expliquer plus clairement, tentant de verbaliser l'idée qui venait de fleurir dans son esprit. Après un instant de réflexion, il préféra laisser Lyan faire la déduction lui-même, aussi, il contourna la description pour lui poser une question étonnante.

— Qui de la claque ou des mots est le plus violent ?

— Au sens le plus concret et factuel, la claque.

— Qui des mots ou de la claque reste le plus longtemps ?

— La claque risque de laisser un bleu, les mots peuvent laisser une trace. Je dirais les deux.

— Non, aucun des deux, Lyan. Un bleu s'estompe et les mots disparaissent de la mémoire avec le temps. C'est là qu'entre en jeu le silence. Un silence ne se grave pas sur la peau. Il ne peut pas non plus s'effacer de la mémoire puisqu'il n'est techniquement rien. Le rien n'est ni tangible, ni palpable. Il ne respecte aucune règle et ne peut donc pas s'effacer, puisqu'il n'est déjà techniquement rien.

— Oh. C'est malin, c'est du génie même...

— Tu comprends, maintenant ? Adaryn n'utilise pas la force et la violence, il utilise le silence et les mécanismes de l'esprit humain.

— Les mécanismes de l'esprit humain ?

— Pour punir quelqu'un et l'inciter à ne jamais recommencer, les coups et les claques ne servent à rien. Je sais que tu vas me dire le contraire, mais je trouve que c'est idiot.

— Ce n'est pas toujours idiot, Azriel. Parfois, il...

— Seul l'esprit décide de faire une bêtise, non ? C'est lui qu'il faut corriger en cas d'erreur, pas le corps, Lyan. Et c'est là que réside la puissance d'Adaryn. Il sait faire se plier tout le monde, il sait les reprendre, les punir et les faire grandir sans même lever la voix une seule fois, sans frapper, sans toucher. Ses yeux suffisent. Ses yeux et son silence. Pas la violence. Jamais la violence.

À genoux devant le blond pour nettoyer la tâche sur sa veste, Alden releva la tête subitement. Un voile tomba sur ses yeux et, dans son regard, Azriel crut lire des milliards de choses. Il venait de toucher un sujet sensible, un souvenir du rouge. Il voulut le questionner davantage mais Ehann le coupa et changea précipitamment le sujet, comme s'il avait été au courant de quelque chose qui échappait encore aux deux habitants de la Sixième.

— Au fait, Frewen ! Tout va bien ? J'ai cru comprendre que cet homme impoli t'a importuné, toi aussi. Je n'ai que très peu entendu ce qu'il s'est passé mais j'ai cru voir que tu avais eu le cran de lui tenir tête, c'est remarquable !

— Oh... oui, tout va bien. Merci...

Gêné que l'on s'adresse à lui si gentiment et si subitement, les oreilles du garde se mirent à rougir et fixa le sol, droit comme un piquet, les paumes dans le dos. Le Général ne fit que rire, posant une main réconfortante sur son épaule, lui offrant encore quelques mots.

— Je n'ai pas entendu tout ce qu'il t'a dit, mais sache que tu mérites amplement ta place aux côtés de Lyan et du Prince. Sang royal ou pas, tu fais ton travail à la perfection et il n'est personne pour te dire le contraire.

— Merci beaucoup...

Lyan fixa le Général, en transe. La politesse et la sincérité qui découlaient de ses mots lui réchauffèrent le cœur, quand bien même il ne s'adressait pas à lui. Ehann était doté d'une bonté immense et s'accrochait à des valeurs magnifiques, respectant même celles du Roi Puissance. Il était une personne en or, précieuse et infiniment délicate. Le paradoxe entre son métier et sa personnalité fut plus déstabilisant encore.

— Alden, on peut retourner dans la salle, dites ?

— Vous voulez déjà y retourner, Majesté ?

— Oui. Je... En fait j'aimerais... Comment dire ?

— Le dos d'Adaryn vous trotte toujours en tête, je me trompe ?

— Non... j'vois pas de quoi vous parlez...

Le rouge pouffa de rire et se releva. Azriel afficha un petit sourire malicieux puis s'engouffra à nouveau dans la salle de bal, piloté par sa curiosité insatiable. Frewen et Alden lui emboitèrent le pas en souriant, amusés par son énergie. Ehann et Lyan restèrent alors seuls sur le balcon, enveloppés dans un silence qui fut d'abord assez lourd.

— Vous... vous voulez retourner danser, Lyan ?

— Oh, j'aimerais plutôt prendre l'air un peu. Tout ce qui s'est passé m'a légèrement épuisé, j'ai besoin de faire une petite pause. Si vous le voulez bien, évidemment.

— Bien sûr, j'allais vous proposer la même chose.

Ils se sourirent presque bêtement en s'appuyant sur la rambarde. Ils observèrent ensuite les lumières de la ville dans la nuit noire, parlant doucement de tout et de rien, comme à leur habitude. La lune les observait, peut-être même se laissa-t-elle sourire devant le spectacle que les deux jeunes hommes donnèrent ; sourire niais, rires benêts et joues bien trop rouges pour n'être que dues à la timidité. Ils semblèrent planer dans un roman parfait le temps d'une soirée.

— Que pensez-vous du bal, alors ? Est-ce qu'il ressemble à ce que vous vous étiez imaginé de la chose ?

— Si l'on efface le malheureux évènement de tout à l'heure, j'aime énormément. L'ambiance, les décorations, les vêtements... on dirait que tout sort d'un rêve ! J'aurais aimé découvrir tout ceci bien plus tôt.

Le plus grand l'observa avec malice. Il ne dit rien, le laissant s'extasier encore de longues secondes sur toutes ces nouvelles choses qu'il découvrait. Il l'écouta sans un bruit, attentif au moindre de ses mots. Finalement, le rouquin se stoppa en se rendant compte qu'il en faisait un peu trop, puis il se mit à rougir. Il ferma la bouche et mordit sa langue, gêné de s'être tant emballé. Il n'avait pas pour habitude d'obtenir l'occasion de s'exprimer sur ses ressentis : on ne le sollicitait d'ordinaire que pour des connaissances factuelles, pour un étalage vaniteux de savoir et d'intelligence. Il se sentit bien ridicule.

— Pourquoi vous arrêtez-vous ?

— Vous devez sans doute déjà connaitre tout ça, les bals, les personnes de haute société. Je ne veux pas vous ennuyer avec ce que je pense.

— Vos pensées les plus personnelles sont mes préférées, Lyan. Vous entendre me conter l'histoire du monde via le regard des livres est un divertissement que j'apprécie, c'est indéniable. Mais vous admirer lorsque vous m'exposez les choses que vous regardez de vos propres yeux, c'est encore mieux.

Lyan ne sut quoi répondre. Ehann s'était encore métamorphosé : sa timidité s'était envolée et ses yeux avaient trouvé ceux de son cadet, étincelants. Il avait même profité de ses mots pour se rapprocher doucement du roux, offrant l'occasion à leurs épaules de se frôler alors que leurs visages s'étaient détournés du paysage. Face à cette proximité nouvelle, le cœur du faux Conseiller s'emballa vivement. Il eut un temps de latence durant lequel un sourire des plus idiots lui échappa, quelques secondes avant que la réalité ne le rattrape avec virulence. Il s'écarta en changeant de sujet précipitamment, aussi rouge qu'une cerise un peu trop mûre.

— Je... J'ai faim, pas vous ? Avec tout ça, on n'a même pas eu le temps de manger !

L'homme aux cheveux noirs et blancs lui offrit un petit sourire taquin, comprenant bien la supercherie mais décidant de ne rien dire. Il se contenta de hocher la tête et de réprimer à grand peine son léger rictus. Ils reprirent alors les verres qu'ils avaient laissé là, puis entrèrent dans la grande salle de bal. Ils libérèrent leurs mains en donnant leurs récipients vides à un employé du château, puis filèrent vers le buffet en riant. Là, toutefois, Lyan se stoppa net, les sourcils froncés, la gorge nouée.

— Tout va bien, Lyan ?

— Alden et Frewen sont là, avec... avec je ne sais qui.

— Il s'agit d'Elandore Aarzam, la Reine Courage.

— Azriel. Où est Azriel ?

Perplexe, le bicolore balaya la salle du regard. En un coup d'œil et quelques fractions de secondes, il parvint à évaluer toute la situation, sans broncher, sans ciller. Lyan se laissa presque distraire par le sérieux et la précision qui émanèrent soudainement de son aura, de son visage et de chacun de ses gestes. Il fut néanmoins rappelé à l'ordre par sa voix calme :

— Son Altesse Oriens manque à l'appel également.

— Il faut qu'on les trouve.

— Pourquoi donc ?

— Azriel est en train de paniquer, je le sens. J'en suis sûr, il ne va pas bien, je dois le trouver. Je n'aurais jamais dû dire oui pour ce bal, bon sang !

Lyan s'emporta à nouveau. Une vague plus forte que les autres s'écrasa contre son esprit avant qu'il ne puisse l'arrêter, et il flancha sous la force de l'impact, cédant face au poids d'une écume grisâtre nommée « panique ». Alors qu'il comptait fendre la foule sans réfléchir pour tenter de trouver son meilleur ami, le Général l'attrapa par les épaules. Il le fit se tourner et leurs regards se croisèrent, s'accrochèrent.

— Lyan, doucement. Prenez le temps d'analyser la situation, vous verrez que tout va bien. Vous disposez d'un esprit logique, ne cédez pas si vite face à vos émotions. Elles sont votre force mais aussi vos plus grandes ennemies.

— Mais Azriel est... S'il a une grosse montée de panique c'est impossible de le calmer ensuite, il a besoin de... S'il n'est pas là alors il pourrait être en danger...

— Lyan. Inspirez, doucement. Ce n'est pas paniqué ainsi que vous pourriez l'aider, de toute façon. Regardez-moi et respirez lentement, tout va bien, je vous assure.

La voix douce et posée d'Ehann apaisa le roux, qui retrouva son calme progressivement. Inconsciemment, ses mains se posèrent sur les avant-bras du Général et y restèrent ancrées. Il s'enroula ensuite dans les émotions rassurantes de son ainé, laissant son cœur retrouver un rythme normal, sa respiration se faire plus lente.

— On va analyser la situation ensemble. Regardez tous les autres. Aucun d'eux n'a l'air paniqué par l'absence d'Azriel et d'Adaryn. Frewen n'est pas en train de retourner la salle complète, et Hywell se goinfre de chouquettes avec Mendel. Conclusion ?

— Conclusion ? Je... ne sais pas.

— Ils savent où sont Adaryn et Azriel. Ils savent aussi qu'ils sont en sécurité et qu'ils se sont isolés pour une bonne raison. S'ils avaient disparu sans prévenir alors croyez-moi, Hywell serait déjà en train de remuer ciel et terre pour retrouver le Roi Puissance. Connaissant Frewen, il serait en train de faire la même chose. Surtout, Mendel et Alden ne laisseraient pas Adaryn sans surveillance dans un endroit pareil. Il y a trop de gens. Alors je vous propose un marché : pour le moment nous allons rester sagement ici et leur laisser leur temps, mais si dans quinze minutes ils ne sont pas revenus, alors nous irons les chercher. C'est d'accord ?

— D'accord... Mais comment faites-vous pour déduire tout ça si facilement ?

— Je suis Général des Armées, Lyan. Ne serait-ce pas une honte si je ne savais pas lire dans le comportement des gens ? Vous savez faire tout ceci, et peut-être même bien mieux que moi. La différence est que vous vous laissez trop facilement avoir par vos émotions, elles prennent le dessus et brouillent votre vision.

— C'est vrai...

— Respirez, maintenant. Tout va bien. Allons manger, la nourriture vous fera du bien.

Lyan hocha la tête et laissa Ehann glisser un bras délicat autour de ses épaules. Il eut l'impression de flotter sur un petit nuage tant la sensation fut apaisante, relaxante et surtout nouvelle. Le toucher du Général différait de celui d'Azriel, de n'importe qui. Tout était plus doux, plus calme, plus rassurant. Ehann irradiait la tendresse et la paix. Il brillait, laissant échapper une lumière scintillante, une clarté qui ne brulait pas les yeux, qui, au contraire du soleil, n'aveuglait pas.

Il fut donc en mesure de le fixer de longues minutes, en transe. Il en oublia le monde autour de lui et même ses craintes précédentes. Ce fut un soulagement pour lui que de pouvoir faire disparaitre chacune de ses peurs en posant simplement son regard sur Ehann, en l'écoutant, en le sentant tout proche de lui. Néanmoins, perdu dans son petit monde, il ne réalisa pas qu'admirer le Général n'effaçait malheureusement pas que ses craintes.

Il avait oublié son titre et, principalement, le fait qu'il ne devait pas se laisser avoir par la jolie lune qui brillait toujours plus proche de son cœur...

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j'ai qu'un truc à dire : j'adore Ehann et la nouvelle relation Prince / Général. c'est tout pour moi.

btw j'sais tjrs pas pq wattpad colle certains mots quand je passe mon chapitre word ici mais écoutez- si vous en voyez qui m'auraient échappé, hésitez pas à le souligner (gentiment si possible) et je corrigerai !

à dimanche ! <3

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