Chapitre 20
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Lorsqu'Azriel s'éveilla, il mit un long moment pour comprendre qu'il n'était plus au kiosque. Il fronça les sourcils et ses yeux se posèrent sur la petite peluche qui lui tenait compagnie, dans son lit. Aussitôt, un immense sourire décora son visage et son cœur se gonfla. Il n'était pas venu se coucher ici tout seul, quelqu'un l'y avait porté. Et ce quelqu'un avait même pensé à sortir l'écureuil de sa cachette. Excepté Lyan et le Roi, personne n'avait connaissance de l'importance de l'objet. Excepté Adaryn, personne ne savait où se trouvait le kiosque. Ce ne pouvait donc être que lui...
— Il m'en ferait tourner la tête, dis...
Il pouffa face à cette révélation chuchotée puis se redressa doucement, tâchant d'ignorer l'inquiétude que provoqua tout de même cette réflexion. Un instant tout de même, il fixa son compagnon en peluche, la mine sombre. Sans doute Lyan avait-il entièrement raison : le cadet s'attachait lentement à toute l'attention que le Roi lui portait, à ces petits riens qui semblaient être un grand tout. Peut-être était-il en train de sombrer bien trop vite ? Et s'il se faisait prendre à son propre jeu ? Et s'il tombait véritablement amoureux ?
Une vague d'angoisse s'échoua sur son être alors qu'il se remémorait vivement la scène de la veille. Sous ses paupières, le fantôme d'un Adaryn inquiet et soucieux apparut tout contre lui, dans l'armoire. Puis tout le dialogue qu'il avait entretenu avec Lyan résonna dans son esprit. L'écho des cris du roux ricochèrent contre les parois de son crâne et son palpitant dérailla. Pour tenter de se calmer, il ramena ses genoux contre son torse et compta les secondes en inspirant. Il expira tout aussi lentement, les paupières closes, les mains moites. Il n'était pas encore trop tard pour protéger son cœur.
S'il avait cruellement manqué de tendresse durant son enfance, il n'en était pas avide au point de sombrer dans les bras du Roi Puissance si vite. Il ne faiblirait pas pour les actions de quelqu'un, aussi douces soient-elles. Après s'être calmé, il releva donc la tête, stable dans ses convictions. Il regarda ensuite l'heure et s'activa : s'il voulait avoir une chance de déjeuner ce midi, il devait se dépêcher. Ce fut donc en quatrième vitesse qu'il enfila les premiers vêtements qui lui tombèrent sous la main. Il noua ses cheveux en un chignon désordonné et sortit de sa chambre. De la poignée, un coquelicot tomba délicatement sur le sol. Il le ramassa, étouffant mal son sourire, puis le plaça dans un vase avant de déboucher dans le couloir, frottant ses yeux encore endormis.
— Bonjour, Frewen. T'as passé une bonne nuit ?
Un petit hochement de tête et l'escorte se mit à le suivre vers les escaliers. Azriel avait encore son poing sur la paupière quand un noiraud au pas pressé passa comme une tornade, grimpant les marches quatre à quatre avec vivacité. Il s'arrêta un bref instant pour observer le blond qui se réveillait doucement.
— Oh, tiens, une marmotte. Bien dormi ?
— Oui... Merci de m'avoir ramené dans ma chambre. Vous courrez où, comme ça ?
Adaryn passa juste à côté de lui en ricanant. Avec douceur, il attrapa son menton, et toutes les convictions du blond semblèrent voler en éclat ; ce geste eut l'air trop difficile à encaisser pour son pauvre cœur dès le réveil. L'ainé approcha alors leurs visages en une fraction de secondes et souffla rapidement :
— La curiosité est un vilain défaut, Azriel.
Il n'ajouta rien d'autre et continua son chemin, toujours aussi vite. La tornade reprit sa route, inarrêtable. Le blond resta hébété, sentant encore la brûlure singulière des doigts du Roi sur sa peau. Il l'observa disparaitre au détour d'un couloir, puis revint à lui et marmonna tout seul dans son coin, fidèle à ses ronchonnements.
— Blablabla... J'vais la lui faire manger ma curiosité, un jour.
Frewen retint mal un pouffement, bien vite ravalé lorsqu'Azriel lui jeta un regard noir, encore plus agacé. Il croisa les bras, boudeur, puis excusa tout de même ses paroles avec humeur.
— Pardon, mais il joue avec mes nerfs dès le matin...
— Je n'ai rien dit, ne vous en faites pas.
Le plus âgé l'invita à descendre les marches, riant toujours discrètement devant le caractère plus qu'explosif du faux Prince. Ils entrèrent dans la salle du repas et prirent leurs places respectives. Leur arrivée ne coupa même pas le débat virulent entre Ehann et Hywell, qui, partagés entre l'envie de rire et celle de prouver à l'autre qu'il avait tort, ne savaient plus comment parler calmement.
— Je te dis que j'ai raison, bon sang ! C'est qui le garde rapproché ici ?
— Très bonne question, je suis encore à sa recherche, figure-toi, Praesul. Ah ! Le voilà, tiens ! Bonjour, Frewen !
— Lucis, je vais te faire manger ton œuf par le pif.
— Essaie un peu, qu'on rigole.
— Calmez-vous, aucun de vous deux n'a la bonne réponse de toute façon.
— J'suis sûr qu'il est avec ses chats.
— Tais-toi, Praesul.
Lyan pouffa vivement quand le garde attrapa une cuillère, prêt à mettre sa menace à exécution contre le bicolore. Les deux hommes se crêpaient le chignon depuis de longues minutes maintenant, si bien que le Conseiller factice semblait sur le point de pleurer de rire. Azriel fut curieux de comprendre la situation, quoi que déjà hilare.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi vous voulez vous entre-tuer, encore ?
— Le Roi est parti précipitamment sans rien dire. Ce n'est pas étonnant, mais ils sont tout de même en train de débattre sur l'endroit où il est allé.
Alden avait expliqué calmement, un sourire tendre sur les lèvres. Le blond eut envie de se blottir dans ses bras soudainement, sans pouvoir se l'expliquer. Quelque chose chez Alden forçait la confiance, inspirait la sagesse. Il écoutait sans juger, donnait sans compter. Son âme entière semblait avoir été façonnée dans la plus pure bonté, comme si les anges eux-mêmes avaient décidé d'envoyer l'un des leurs sur la terre ferme. Bien qu'il soit doté de défauts, comme tous les êtres humains, le rouge se montrait bon, attentionné et généreux. Azriel se surprit à lui sourire sans aucune raison, croisant son regard sans se sentir forcé de compter les secondes. Il ne détourna les yeux que lorsqu'il en ressentit le besoin, et non pas quand la crainte d'être jugé le lui imposa. Puis il revint à l'instant présent et fixa sa fourchette, lâchant innocemment :
— Oh, je l'ai vu passer en courant.
Ehann et Hywell tournèrent la tête en parfaite synchronisation vers le blond, comme deux bêtes prêtes à sauter sur la même proie. Ils écarquillèrent les yeux, se retenant difficilement de rire face à leurs propres idioties et criant en même temps leur question.
— Il allait vers où ?
— Dans quelle direction est-il parti ?
Azriel pouffa face à leur engouement. Il attrapa sa cuillère et s'amusa un instant avec cette dernière. Il sentit sur lui les yeux d'Alden mais ne s'en formalisa pas, à peine dérangé. Il se concentra plutôt sur les regards d'Ehann et Hywell, suspendus à ses lèvres. En souriant, il leur céda enfin une réponse, fixant toujours ses couverts.
— Je ne sais pas trop. Il a monté les escaliers que j'emprunte toujours pour descendre ici et a pris le couloir opposé à celui des chambres.
En parlant, il se rendit compte qu'il était de plus en plus à l'aise avec ces personnes qu'il commençait à apprécier plus qu'il ne l'aurait dû. Les grognements et le rire de l'escorte du Roi lui étaient familiers désormais, tout comme les piques du Général des Armées. Les attentions d'Alden lui semblaient indispensables, à l'instar du sourire de Mendel qui les écoutait presque toujours en silence, amusé. Il réalisa alors à ce moment précis qu'il n'y avait qu'eux dans la pièce. Pas de Roi Logique, pas de Conseillère, pas d'autres personnes inconnues. Simplement ces quatre énergumènes qui avaient su se faufiler jusqu'à son cœur.
— Le Roi Enwyld n'est pas là ?
— Il est reparti tôt ce matin, la route est longue jusqu'à la capitale de la Logique. La grande ville de Deimena est bien loin dans les Terres de la Deuxième Dynastie.
— Il doit être dans la salle du piano.
— Je te dis qu'il est dans la pièce de ses chats, derrière.
Le blond pouffa, posant sa tête sur l'épaule de son meilleur ami. Le rouquin en profita pour lui caresser tendrement les cheveux en guise de bonjour, avant qu'ils ne se rendent tous les deux compte qu'ils étaient peut-être un peu trop familiers devant les autres. Ils s'écartèrent vivement, sous les yeux attendris d'Alden. Ce dernier les rassura aussitôt.
— Ne vous inquiétez pas, ce n'est sûrement pas nous qui allons juger ou discriminer une quelconque proximité. Vous avez été élevés ensemble, c'est normal. Si ça peut vous rassurer, Mendel peut tutoyer le Roi et agir comme un frère avec lui.
— Vraiment ?
— Oui, vraiment. Moi aussi, d'ailleurs. N'ayez pas peur de vous parler comme vous le faites habituellement. On s'en fiche un peu des codes dans ce château. Après tout, c'est Adaryn Oriens le maitre des lieux, non ?
Azriel gagna un grand sourire en reposant sa tête sur l'épaule de son compagnon. Lyan reprit joyeusement ses caresses dans ses cheveux blonds et ils changèrent de sujet, parlant doucement et tentant d'ignorer – non sans mal tant ils les firent rire – les deux jeunes hommes qui criaient toujours. L'esprit du faux Prince se laissa donc dériver quelques minutes plus tard et ses yeux se perdirent sur le lustre. Il détailla les peintures un peu plus tard, avant de regarder par la fenêtre. Il eut alors un éclair de lucidité et lança subitement :
— Il pleut. Il pleut à torrent même.
— Et donc ?
— Sur le balcon.
Ehann et Hywell le fixèrent, égarés. Alden et Mendel se jetèrent de petits regards malicieux, visiblement amusés par les réflexions du plus jeune. Ils sourirent, et le Conseiller Frater laissa planer quelques mots taquins dans l'air.
— Je crois qu'on a notre grand gagnant.
— Il est pas avec ses chats ?
— Arrête avec ses chats, Praesul.
— Tu vas faire quoi si j'arrête pas ?
Azriel ignora Ehann qui se levait sûrement pour étrangler Hywell. Il tourna plutôt la tête vers le Conseiller du Roi Oriens, les joues rouges. Il n'osa pas réellement formuler sa question, il n'était même pas vraiment certain de vouloir de réponse. Néanmoins, sa curiosité eut raison de lui, et sa voix s'éleva à nouveau dans l'air.
— Il est vraiment là-bas ?
— Je le vois mal quitter le repas pour ses chats. La seule raison valable, c'est la pluie. Elle est passagère, alors que ses chats sont toujours là, pas besoin de sauter un repas pour les voir.
— Je parie qu'il vous attend en ce moment même. Que vous a-t-il dit dans les escaliers ?
— Que la curiosité est un vilain défaut...
— Libre à vous de l'écouter ou de n'en faire qu'à votre tête, dans ce cas.
Le rouge afficha un petit éclat de malice auquel le faux Prince ne résista pas. Il se leva dans la seconde, s'excusant poliment et détalant dans le couloir. Il grimpa les escaliers à toute vitesse puis se figea au dernier étage : il ne savait plus où se trouvait le balcon. Il tenta de suivre le chemin qu'Adaryn avait emprunté plus tôt mais se mit à tourner en rond. Il lui fallut bien cinq minutes avant de trouver les portes qui menaient à l'endroit qu'il recherchait. Lorsqu'il y entra, il tomba sur un noiraud assis sur la balustrade. Il le fixait déjà, son éternel rictus narquois plaqué au visage, les bras tendus derrière lui pour tenir en équilibre sur le garde-fou.
— J'ai failli attendre.
— Vous n'aviez qu'à être plus clair, aussi...
— Ça n'aurait pas été si amusant.
Azriel leva les yeux au ciel, dissimulant mal son petit rire. Il vint ensuite s'appuyer sur la barrière blanche qui bordait le balcon. Il observa la forêt devant lui et ferma les yeux pour écouter le bruit de la pluie violente qui s'abattait sur la nature. La musique qu'il entendit fut bien différente de la première fois, plus rythmée, plus forte, mais toujours aussi agréable à l'oreille. Lorsque ses paupières s'ouvrirent à nouveau et qu'il tourna la tête, il croisa le regard de son ainé. Ce dernier ne l'avait toujours pas lâché des yeux, pas plus qu'il n'était descendu de son perchoir. Il se pencha sans crier garde vers le blond, rapprochant leurs visages pour l'énième fois depuis ces derniers jours et murmura :
— Pourquoi êtes-vous venu, mh ?
— Parce que j'en avais envie.
— Je vous ai pourtant dit que la curiosité n'était pas la bienvenue, non ?
— Ce n'était pas un ordre. Et quand bien même c'en aurait été un, je serais venu.
— Bleuet réfractaire, à ce que je vois.
— Magnolia arrogant.
Sans prévenir, quoiqu'avec délicatesse, Adaryn tira le bras de son cadet, l'incitant à s'assoir sur le garde-fou avec lui. Par précaution et pour prévenir toute chute, il posa ensuite sa main entre les omoplates du blond, le laissant rougir discrètement.
— Vous jouez avec le feu, Azriel.
— Peut-être que c'est mon jeu préféré.
Ils se fixèrent, des étincelles dans le regard. Ils tentèrent de masquer leurs sourires pour paraitre sérieux, seulement, aucun d'eux n'y crut une seule seconde. Adaryn prenait bien trop de plaisir à écouter les répliques cinglantes de son cadet, Azriel se complaisait bien trop dans les libertés que le Roi lui offrait.
— Vous semblez parfois oublier que vous parlez à un Roi.
— Un Roi ? Bizarre... J'avais pourtant cru comprendre que vous n'étiez qu'Adaryn Oriens, un humain comme les autres.
Le noiraud ricana, lui accordant le point. Comme une manie, il captura une énième fois son menton entre ses doigts. Si ce geste ne fut pas inconnu pour le blond, le sentiment qui prit possession de lui lorsque ses yeux dérivèrent fut si nouveau qu'il en frissonna de tout son être. Pour la première fois, son regard ne resta pas ancré aux yeux brûlants du Roi : ses pupilles glissèrent lentement plus bas. Pour la première fois, il fixa ses lèvres et une idée folle s'insinua en lui, se répandant doucement dans ses veines ; l'effrayant autant qu'elle fit battre son cœur.
— Azriel ?
Le blond noua de nouveau le contact visuel, se frappant mentalement d'avoir regardé ailleurs. Il se mordit la langue pour ne pas dire ou faire davantage de bêtises, puis lui répondit enfin par un faible hochement de tête, déboussolé.
— Qu'est-ce qui se passera quand le bleuet et le magnolia se rejoindront ?
— Je l'ignore, mais je sais que rien de bon ne pourra en découler.
— C'est donc pour ça que vous en êtes si effrayé ?
— Non... enfin, si, peut-être un peu.
— Qu'est-ce que vous insinuez quand vous dites que rien de bon ne pourra en découler ?
— Ne descendez pas de votre branche. C'est tout ce que je vous demande. C'est pour votre bien, votre sécurité. Pour vous.
— Pourquoi ?
— Le bleuet est bien plus dangereux que ce que vous croyez. Il pourrait... il pourrait vous...
Détruire. Azriel voulut finir sa phrase mais il remarqua soudainement la présence de Frewen, derrière les portes. S'il parlait, l'escorte irait prévenir le Roi Sensibilité. Malgré tout, le jeune Caelum eut envie de continuer sa phrase, ignorant les répercutions qu'elle pourrait avoir. Il ne voulait pas mettre Adaryn en danger. Il aurait tout fait pour le préserver. Du moins, presque tout...
Il ne pouvait pas désobéir à son propre Roi. Il avait prêté serrement et il l'avait appris : il n'était personne pour avoir son avis et ses envies. Il n'était qu'un Conseiller derrière son masque de Prince. Il n'était qu'un simple humain de bas rang qui devait se plier aux ordres d'un monarque. Son palpitant tambourinait pourtant dans sa poitrine comme pour signifier son mécontentement. S'il prévenait le Roi Puissance, il serait renvoyé dans la Sixième et en paierait le prix. Il serait sans doute puni lourdement, peut-être même tué. Seulement, Adaryn s'en sortirait indemne, en vie, fort et debout.
— Vous... détruire.
Il écarquilla les yeux en se rendant compte que ces deux mots avaient franchi la barrière de ses lèvres en un murmure. Il tourna la tête précipitamment, priant pour que Frewen n'ait pas entendu. Adaryn suivit son regard et soupira. Il veilla à ce qu'Azriel soit bien assis avant de sauter de son perchoir pour passer sa tête dans le couloir. Il siffla :
— Je pense que Sa Majesté n'a rien à craindre avec moi, Frewen. Va donc faire trainer tes oreilles ailleurs, veux-tu ?
Il referma ensuite la porte à double tour et s'avança vers le blond. Son ventre entra en contact avec les genoux d'Azriel et ses cheveux blonds furent bientôt lentement détachés afin qu'Adaryn puisse y glisser librement ses doigts. L'une de ses mains vint même se poser sur la taille de son vis-à-vis, l'empêchant de basculer vers l'arrière ou de tomber du balcon.
— Je pensais ça aussi quand j'étais jeune.
— Quoi ?
— Que tous mes proches finiraient blessés à cause de moi. C'est ce qu'on m'a mis dans le crâne, longtemps. Je ne sais pas si c'est la même chose pour vous, Azriel, mais sachez que ce que les autres pensent de vous ou vous ont appris de vous-même, ce n'est pas la vérité. Évidemment que l'on se construit en se basant sur le regard des autres, mais leur avis n'est pas le plus important. Vous êtes le seul maitre de vous-même, le seul capable de vous définir et de choisir qui vous êtes. Ignorez les mots des gens. Ignorez leurs yeux et tout ce qui vient d'eux.
— La situation... la situation ne me le permet pas, Adaryn.
— Réellement ? Pourquoi ?
— Ce n'est pas... On ne m'a jamais dit que j'étais un monstre, on m'a juste toujours regardé étrangement. On m'a toujours demandé d'agir « plus normalement ». On m'a toujours dit que je n'avais aucun pouvoir, je ne risquais pas de faire quoi que ce soit... Ce n'est pas de moi à proprement parler qu'il faut vous méfier, c'est de ce que je représente et de ce que je peux faire. Je... suis loin d'être le mieux placé pour faire se rejoindre le magnolia et le bleuet.
— Vous êtes le bleuet, pourtant.
— J'en doute. Votre véritable bleuet doit vous attendre quelque part, Adaryn. Votre véritable bleuet ne risquerait pas de vous faire du mal, il ne serait pas si nocif pour vous.
— Vous êtes pourtant en train de vous inquiéter pour ma sécurité, non ? Un « faux bleuet » ne se donnerait pas cette peine. Alors pourquoi vous dites ça ? Qu'est-ce que vous comptez me faire ? Qu'est-ce que vous représentez de si dangereux, mh ?
Azriel resta silencieux, les larmes aux yeux. Il voulut tout lui dire, tout. Il voulut le prendre dans ses bras, le repousser violemment. Lui dire combien il tenait à lui, lui hurler dessus et le forcer à fuir. À la place, il ne put que le laisser cueillir la première larme qui roula sur sa joue.
— J'aimerais ne rien faire. Rien du tout. Je crois que... j'aimerais être le « vrai bleuet », j'aimerais vraiment. Mais des milliards de choses m'en empêchent, Adaryn. À commencer par nos Dynasties.
— Sensibilité et Puissance ne peuvent pas cohabiter, selon vous ?
— Elles ne le doivent pas, parce que c'est ce qui va vous...
— Détruire ?
Un sanglot échappa au plus jeune et le noiraud enlaça tendrement leurs doigts. Il vint même porter vers sa bouche la main du plus jeune, celle-là même que le Roi Logique avait saisie la veille. Il embrassa sa peau doucement, les yeux clos, et Azriel crut que son organe vital allait imploser, que les milliers de frissons qui secouèrent son corps n'allaient jamais s'arrêter. Il retrouva tout de même un semblant de calme lorsque le plus grand murmura :
— Alors si ce sont nos Dynasties qui ne peuvent pas cohabiter, vous n'êtes pas celui qui me veut du mal. Sortez-vous ça du crâne, Azriel. Je ne sais pas ce que votre Royaume me veut, mais sachez que je ne flancherai pas. Je ne tomberai pas devant le premier fou qui se présentera à moi. Jamais.
Le noiraud releva la tête et les flammes qui brûlèrent dans ses yeux semblèrent envelopper Azriel tout entier. Le Roi parlait. Le Roi et l'homme fort qui portait la couronne. Adaryn n'avait pas peur. Il ne craignait rien ni personne, pas même une armée entière, une Dynastie complète. Il ne possédait pas l'ombre d'une hésitation, confiant, sûr de lui, de sa force, de ses convictions. L'aura qu'il dégagea fit frissonner Azriel.
Adaryn Oriens était un magnolia ardent, confiant. Un Roi inébranlable, fort, intouchable, puissant ; humain tout de même et sans doute conscient de ses faiblesses. Il savait en tirer profit, il savait les utiliser pour grandir, pour s'affirmer, pour se renforcer. Pour devenir ce monarque impressionnant, écrasant. Celui-là même qui, pourtant, protégeait avec une infinie tendresse la main d'un bleuet dans la sienne. Celui-là même qui tenait fermement sa taille par précaution et attention. Le fils de la Sixième faisait face à un brasier monstrueux. Un incendie destructeur qui n'hésiterait pas une seule seconde avant de se jeter sur le premier qui viendrait l'importuner, avant de détruire ceux qui tenteraient de l'atteindre, de le toucher. De le renverser.
Le Roi Sensibilité n'avait aucune chance face à Adaryn. Absolument aucune. Quand bien même, Azriel ne put se résigner à tout avouer, trop fidèle à son serment et son souverain. Il en avait déjà trop dit. Il ne pouvait pas désobéir davantage, c'était au-dessus de ses forces. Ce fut d'ailleurs paradoxal au vu des phrases qu'il avait prononcées quelques minutes plus tôt. « Ce n'était pas un ordre. Et quand bien même c'en aurait été un, je serais venu ». Pourquoi ne pouvait-il pas dire ces phrases au père de Lyan ? Pourquoi se sentait-il soumis, forcé d'obéir ? Il aurait dû ressentir cela face au Roi Puissance, face à celui qui pouvait faire s'agenouiller Alasia tout entière en un regard, pas envers un souverain qui préférait frapper dans le dos perfidement, sans aucune grâce ou dignité...
— Alors je dois être le fou, et vous le roi imperturbable sur l'échiquier. Ne chutez pas.
— Azriel...
— Adaryn.
— Qu'est-ce que votre Dynastie peut me faire ? Qu'est-ce que le Roi Orbis peut tenter, mh ? J'ai son fils dans mon château. Avec son armée, il ne peut rien faire et même en faisant alliance avec quelqu'un d'autre, il ne pourra rien. Personne n'oserait volontairement se soulever contre la Puissance. Personne. Il fait cavalier seul.
— La présomption est un raccourci vers l'échec, Adaryn.
— Je ne suis pas présomptueux, j'ai conscience de mes faiblesses. J'énonce une vérité pure : personne ne peut rien contre la Première, personne sauf l'Ordre, peut-être.
Le plus jeune sentit sa gorge se nouer, son estomac se tordre. Il ferma les yeux et un lourd sanglot lui échappa enfin alors qu'il s'autorisait à tomber lentement vers l'avant. Son front s'appuya sur l'épaule du Roi, et ce dernier se rapprocha de lui, se frayant doucement un chemin entre ses genoux. Bientôt, Azriel accrocha ses bras au cou de son ainé, puis enroula ses jambes autour de sa taille, se retenant à lui de toutes ses forces pour que la rivière de son esprit ne puisse pas l'emporter. Adaryn caressa ses cheveux et son dos, le maintenant fermement contre lui. Ils restèrent ainsi un long moment et, lorsque les pleurs du plus jeune se turent enfin, seule la musique de la pluie combla le silence.
— Azriel ?
— Mh ?
— Vous êtes le bleuet, à mes yeux, quoi que vous pussiez penser.
Le blond hocha la tête tristement, tournant son visage pour observer la nature. Il laissa ainsi tout le loisir au Roi d'observer ses joues virer au cramoisi après qu'il eut laissé flotter dans l'air deux petits mots lourds de sens.
— Mon bleuet.
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wup wup, un post à l'heure pour une fois ! j'ai trop trop hâte d'arriver aux chapitres suivant et au bal !
à mercredi <33
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