Chapitre 16
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« Mes chers garçons,
Je tiens d'abord à m'excuser sincèrement du manque de communication de ces dernières semaines. Le temps nous presse et n'épargne personne, il est effroyable. Son Altesse désirait vous envoyer une lettre plus tôt mais de nombreux évènements nous ont perturbés et retardés. Mes enfants, il faut que vous sachiez qu'après votre départ, les ouvriers ont commencé une émeute dans le Nord du pays. C'est à croire qu'ils attendaient que vous quittiez le pays pour cela. Rien n'a encore atteint la capitale et le château, nous sommes encore hors de danger, seulement cela ne saurait tarder. J'ose espérer que la situation est bien meilleure pour vous.
Son Altesse m'a fait écrire à sa place car trop de choses s'amoncèlent sur nous et doivent être prises en charge. Les Comtes, Comtesses, Ducs et Duchesses se sont rendus au château hier matin en quête de protection : le peuple se révolte même auprès d'eux. L'Archiduchesse du comté de l'Est, celle-là que le Prince était supposé épouser à son couronnement, a été touchée par la maladie à cause d'eux. On ignore encore s'ils sont atteints de la peste ou bien d'un autre mal, cependant une chose est sûre : la maladie est affreusement contagieuse et meurtrière. J'espère qu'elle ne se propagera pas jusqu'à vous, mes enfants.
J'espère aussi que le Roi Puissance a su vous prendre sous son aile. Êtes-vous en sécurité ? Mangez-vous bien ? Prenez bien soin de vous, s'il vous plait. Je sais que son Altesse ne m'a pas fait écrire cette lettre pour que je vous fasse part de mes sentiments, mais je suis réellement inquiet. La situation empire de jour en jour et j'aimerais que vous restiez chez Adaryn Oriens pour toujours. Comment vas-tu, mon fils ? Et vous, Majesté ? Comment vont les choses ?
À Olearia, j'ai la sensation de vivre dans un cauchemar. Depuis que vous êtes partis, la Dynastie s'effondre sur elle-même ; elle ressemble à un corps sans vie duquel on aurait arraché le cœur. Je crois qu'elle tenait encore debout grâce à vous, vous étiez sa source de vie. Même dans mes pires songes je n'avais pas imaginé pareille décrépitude. Les choses se dégradent si vite que cela ne semble pas réel. C'est à croire que votre présence au château était la dernière chose qui maintenait la Sensibilité sur ses pieds. Si vous saviez comme le ciel s'est assombri depuis que vous êtes partis...
Je ne dispose pas de plus de temps, mes garçons, mais sachez que je tiens à vous. Restez forts et vaillants, nous allons nous en sortir d'une manière ou d'une autre. Azriel, prenez le temps de respirer. Lyan, prenez grand soin de vous. Vous êtes la priorité du Royaume, qu'importe ce que le Roi pense ou désire ; même si le pays sombre, vous êtes les éléments les plus précieux. Je vous en prie, faites attention à vous. La Dynastie disparait et je crois que j'en mourrais si j'apprenais que mes deux garçons sont en danger ou malades.
Bien à vous, mes enfants,
Sohal Caelum. »
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— Mon dieu... Comment est-ce que tout a pu déraper en si peu de temps ? Tout était déjà bancal lorsqu'on y était, mais il a raison. C'est comme si notre départ avait provoqué la fin définitive de la Dynastie. La situation s'envenime à une vitesse hallucinante, c'est presque insensé. Et pourtant c'est malheureusement plausible...
Azriel ne put répondre, la gorge nouée. Ses yeux larmoyants fixaient le prénom de son père sur le papier tandis que son cœur se serrait douloureusement. Sohal lui manquait. Sohal lui manquait terriblement. Il n'avait même pas pu lui dire au revoir convenablement alors que la situation dans la Sixième dégénérait de jour en jour. Et s'il était emporté par la maladie avant qu'ils ne puissent sauver leur patrie natale ? Azriel ne pouvait pas imaginer perdre son père de la même manière que sa mère, sans même avoir pu lui dire un dernier mot. C'était impensable.
— Je veux rentrer. Mon père me manque...
— Je sais, Azriel. On doit passer à l'action. Je doute que cette lettre soit là pour nous mettre un coup de pied au derrière, ton père n'est pas du genre. Mais c'est évident que si on ne se dépêche pas, il ne restera bientôt plus rien de la Sensibilité.
Azriel resta muet. Il était assis sur le sol, les genoux contre le torse. Il remuait nerveusement son corps, au bord de la panique. Lyan passa tendrement un bras sur ses épaules et chuchota le plus doucement possible, voyant bien que le moindre mot trop brusque ferait imploser l'esprit de son meilleur ami.
— Azriel, je crois que nous n'avons plus le choix, il va falloir passer à la vitesse supérieure... Si nous n'agissons pas très vite, je crains qu'il ne reste plus rien de notre Dynastie.
— Qu'est-ce que... qu'est-ce que ça veut dire ?
Lyan ne dit rien, seul son visage parla pour lui. Azriel ferma alors les paupières et se crispa, terrifié. Il mordilla l'intérieur de sa joue alors que le roux se relevait pour faire les cent pas dans la pièce, cherchant un moyen de faire avancer plus vite la mission. Finalement, il demanda :
— Où en es-tu avec le Roi ?
— Je... sais pas trop. Je crois qu'on est tous les deux dans cet espèce de flottement où tout a l'air incroyable parce qu'on découvre quelqu'un de nouveau.
— Et tu penses que tu pourrais réussir à sortir de ce flottement pour passer à l'étape suivante d'ici quelques jours ?
— Lyan... forcer les choses ça ne marchera jamais. Il a déjà été utilisé par quelqu'un avant moi, il va se méfier, il n'est pas idiot. S'il doit y avoir quelque chose, il faut que ça vienne de lui. Si je tente de le brusquer, il va se braquer et ce sera fichu.
— C'est vrai... Tu sais ce qu'il pense de tes yeux ? Le Général Lucis m'a dit que le Roi juge les gens en fonction de leurs yeux. Il t'a dit quelque chose à ce sujet ?
Le plus jeune secoua la tête et Lyan fronça les sourcils, l'esprit en ébullition, à la recherche d'une solution. Azriel se recroquevilla alors légèrement sur lui-même tout en fixant son ainé. Le roux faisait preuve d'un détachement impressionnant. Il raisonnait factuellement, sans que la peur ne prenne le dessus sur ses pensées. Il n'était pas directement concerné par la mission, aussi était-ce plus simple pour lui de planifier les futures actions de son cadet. Il n'était pas celui qui briserait le cœur de quelqu'un.
— Et il ne t'a pas montré de signes ? Quelque chose qui pourrait t'indiquer qu'il t'apprécie peut-être plus que ce qu'il ne laisse entendre. Non ?
— Pas que je... sache. Les seules fleurs qu'il m'a données sont des déclarations d'amitié. Je crois qu'il ne tombera pas, Lyan, il faut qu'on arrête d'essayer...
— Est-ce qu'au moins vous vous êtes rapprochés un peu ?
— Dans quel sens ?
— Moralement, Azriel, je me doute que physiquement, ce n'est pas le cas.
— Il m'a caressé la joue plusieurs fois pourtant. Les cheveux, aussi.
Lyan s'étouffa avec sa salive, surpris par la révélation, plus encore par le détachement avec lequel le blond parla. Azriel n'eut pas l'air de comprendre l'importance de ces gestes, ni même leur sens plus implicite. Le roux s'emporta donc légèrement :
— Et tu ne comptais pas me le dire ?
— J'ai pas jugé ça important, tu fais ça aussi avec moi, des fois.
— C'est différent ici, même si je sais que c'est peut-être difficile de saisir les nuances. Dans quel contexte est-ce que c'était, exactement ?
— Quand je le fait rire alors qu'il est énervé, et pour m'aider contre la rivière.
Le roux se stoppa net, les yeux écarquillés. Le blond l'observa sans comprendre, légèrement déboussolé. Il rembobina ses propres phrases pour tenter de voir si ce qu'il avait dit était approprié, pour tenter de comprendre ce qui semblait tant étonner Lyan. Finalement, ce dernier lui donna la réponse de vive voix, estomaqué.
— Tu lui as parlé de la rivière, Azriel ?
— Si je dis oui, tu me jettes par la fenêtre, hein ?
— Azriel ! Tu n'es pas censé être celui qui s'attache à lui, bon sang. Ne parles pas de choses aussi sensibles. Imagine un peu s'il les retourne contre toi ? Et puis, comment tu vas faire si tu t'attaches à lui, hein ? Comment tu comptes lui tourner le dos si, finalement, tu l'apprécies ?
— C'est ce que j'essaie de vous dire depuis le début, j'te signale...
Le Prince ne l'entendit pas marmonner, déjà parti à l'autre bout de la pièce, fulminant. Il eut l'air sincèrement inquiet au sujet de son cadet, mais plus en colère encore. Il connaissait assez bien Azriel pour savoir que certains de ses secrets ne filaient jamais jusqu'aux oreilles des premiers inconnus. L'esprit du blond choisissait avec minutie et exigence les personnes à qui il accordait sa confiance. Aussi, voir qu'il avait de lui-même et délibérément choisi de parler du fonctionnement de son esprit ne l'enchanta guère.
— Pourquoi t'es agacé ? T'as bien raconté ma vie entière à Alden et Mendel...
— Je leur ai dit ce qu'il faut savoir pour te traiter convenablement, Azriel. Ne confond pas des consignes et des aveux. Il y'a une différence entre le fait que j'explique aux autres que tu as des besoins spécifiques, et le fait que tu avoues de ton propre chef au premier fou venu l'une des choses les plus complexes de ton esprit.
— Ça va, je l'ai pas demandé en mariage non plus...
Le silence qui suivit fut lourd. Lyan se retint de soupirer lourdement, passant une main dans ses cheveux tout en fixant son cadet. Ce dernier baissa la tête, penaud, et tritura nerveusement le lacet de sa chaussure gauche. D'une petite voix et d'un air coupable, il marmonna ensuite quelques mots qui, malheureusement, agacèrent toujours plus son ainé.
— C'est quoi le problème ? Pourquoi j'ai pas le droit de lui parler de moi ?
— Pourquoi ? Parce que ce n'est pas la mission, Azriel. Surtout, parce que tu risques de t'abimer au passage. Si tu t'attaches à lui, tu en paieras le prix. Si tu lui partages tout de toi alors il ne te rendra rien, et tout ce qu'il te restera peut-être, ce sont tes yeux pour pleurer.
— Ça se trouve il voudra même mes yeux.
— Azriel. N'en rajoute pas une couche.
Le ton sans appel du véritable Prince fit taire le blond. Il décida de reculer vers son armoire sans pour autant se lever, venant y appuyer son dos et son crâne. Il observa ensuite Lyan tourner dans la pièce, les bras croisés, une main sur le menton alors qu'il réfléchissait. Azriel ne sembla pas comprendre le danger auquel il s'exposait, ni même le mal déjà causé.
— Écoute, à partir de maintenant, essaie de ne pas trop en dire sur toi.
— Comment j'suis censé le faire tomber amoureux de moi s'il ne sait rien ?
— Invente. Garde tes secrets pour toi et n'essaie pas de lui montrer le vrai toi, sinon, tu vas te blesser inutilement. Tu n'as pas l'air de réaliser combien il peut être dangereux pour toi de trop t'attacher à lui. Si tu commences par lui faire assez confiance pour révéler ta personne, alors tu finiras par développer de l'affection pour lui. Et si cette affection s'étend jusqu'à de l'amour, je pense qu'il ne restera plus rien de toi le jour où il faudra trahir.
— J'vais pas tomber pour lui. J't'ai dit qu'on est juste très curieux l'un envers l'autre, mais il n'y a rien de plus. Arrête de me parler comme si t'étais mon père, j'ai pas cinq ans.
— Tu n'as pas cinq ans mais tu n'arrives pas à réaliser que tu te mets en danger tout seul, Azriel ! Si tu continues comme ça, je vais devoir te ramasser à la petite cuillère.
— C'est bon, je lui ai juste parlé de la rivière, je lui ai pas non plus raconté toute l'histoire de mon arbre généalogique.
— Encore heureux, sinon on serait dans de beaux draps. J'espère que tu n'as pas parlé de ta mère, ni de ta peluche ou de quoi que ce soit d'aussi privé.
— Ah.
Cette fois-ci, le blond sentit un long frisson secouer son échine. Le regard que Lyan posa sur lui sembla lui faire ouvrir assez les yeux pour comprendre, saisir pleinement la situation dans laquelle il se trouvait désormais. Son esprit se mit alors à analyser toutes ses paroles, tout ce qu'il avait déjà confié au Roi sans vraiment réfléchir : sa peur de l'inconnu, son avis sur la hiérarchie de l'Ordre, sa peluche et la rivière. Surtout, il nota le peu d'informations qu'il possédait sur Adaryn en retour, il ne connaissait que ses silences et la brume de secrets qui dansait autour de lui. Lentement, les pièces du puzzle s'imbriquèrent et ses paupières s'écarquillèrent. Lorsque son ainé s'approcha de lui pour attraper ses mains, il était déjà trop tard pour le rattraper.
— Je vais... J'suis en train de... C'est moi qui vais tomber le premier, hein ? C'est moi qui vais finir par craquer et m'attacher à lui plus que je devrais, hein ?
— Riel...
— Lyan, je vais devoir détruire quelqu'un, il va falloir que... Pourquoi est-ce que c'est tombé sur moi ? Pourquoi est-ce qu'on doit forcément le détruire, hein ? J'veux pas faire ça, j'veux pas lui faire du mal...
— Azriel.
— Je vais jamais y arriver, Lyan. J'veux pas faire ça, j'veux pas faire ça. J'vais lui faire du mal, il mérite pas ça. Et moi je vais... Lyan, j'veux pas faire ça, j'veux pas le détruire pour de l'argent, ni même pour satisfaire ton père et ses délires biz...
— Azriel Caelum, ça suffit, maintenant !
Azriel se figea, raide comme un piquet. Presque aussitôt, l'appréhension vint nouer sa gorge et il se retrouva bientôt incapable de parler, figé dans sa propre bulle de peur. Lyan le remarqua mais décida de ne pas le tirer de son petit monde, le connaissant assez pour ne plus être étonné ou vexé par ce genre de réaction. Il parla donc seul, se contentant de quelques clignements de paupières en guise de oui, ou de non.
— Écoute, il est trop tard pour reculer. Je comprends bien ta peur et elle est légitime, mais elle ne fera rien changer. Il faut que tu te reprennes et que tu ne te laisses pas glisser dans le jeu du Roi, Azriel. S'il est intéressé par toi, il tentera inéluctablement de te rendre amoureux de lui. Alors soit brave et tiens-toi au plan. D'accord ?
Le blond ne répondit rien, fixant le vide. Sa jambe droite rebondissait nerveusement, aussi, Lyan comprit assez vite toute l'angoisse qui agitait son être. Il vint donc s'assoir à ses côtés pour tenter de le rassurer, mais Azriel se dégagea assez vite de son étreinte, faisant la grimace. Le roux comprit alors que son ami avait besoin d'espace, de silence et de temps pour digérer. Avec un pincement au cœur, il se releva donc et lui murmura :
— Je vais renvoyer une lettre au château pour leur répondre. Je me doute que tu ne veux pas l'écrire avec moi. Alors on va te laisser. Prends ton temps, et appelle-moi au besoin. Je serai dans ma chambre au besoin.
Devant le silence d'Azriel, Lyan pinça les lèvres puis fit signe à Frewen de quitter la pièce. L'escorte eut une mimique imperceptible d'agacement mais il n'ouvrit pas la bouche et obtempéra, suivant le Conseiller factice et lui emboitant le pas dans le couloir. Presque aussitôt la porte refermée et le silence revenu dans la chambre, Azriel perdit le contrôle de son corps, se sentant submergé. Il se recroquevilla sur lui-même, peinant à respirer, agressé par le monde entier, oppressé par l'air autour de lui, par cette si grande pièce qui semblait pouvoir contenir tous les maux du monde.
Il sentit son ventre se tordre d'angoisse. Il eut froid, si froid qu'il crut en mourir un instant. Ses membres furent pris de tremblements si violents qu'il en claqua des dents, terrassé par l'angoisse qui s'écrasait avec violence sur lui. Son souffle suivit le mouvement, il peina à aspirer de l'air. Il eut l'horrible sensation qu'un étau se resserrait sur sa gorge et que chaque respiration lui apportait un peu moins d'oxygène à chaque fois. Il se croyait mourir, là, misérablement prostré sur le parquet. Il eut l'impression que les murs tournoyaient autour de lui et que tout cet espace vide se rétrécirait graduellement pour comprimer son être, déchiqueter sa peau, arracher ses organes vitaux.
Sans réfléchir et mut par la force du désespoir, il ouvrit la porte de son armoire et se glissa à l'intérieur du meuble, trouvant un réconfort particulier à se sentir soutenu par les parois de bois, une sécurité singulière à se trouver dans un lieu exiguë, pauvre en stimuli. L'armoire fit office de barrière contre le monde et l'obscurité du meuble l'écarta de tout ce qui se trouvait au dehors de sa nouvelle bulle de protection. Il ramena ses genoux contre son torse, aspirant de l'air à grande goulée, en vain. Son être fut bientôt secoué par d'énormes sanglots qui voulurent le noyer à leur tour. Il se recroquevilla toujours plus sur lui-même, laissant la rivière l'engloutir tout entier. Dans sa tête tout explosa, tout implosa, tout se fit inonder. Des milliers de voix semblèrent lui déferler dessus, des milliers de reproches s'écrasèrent sur lui, coupant son souffle et laissant tous ses muscles trembler toujours plus de froid, de crainte, d'incompréhension. Il était terrorisé, au sens si littéral du terme qu'il crut que l'expression « mort de peur » pourrait être inscrite sur sa pierre tombale.
Tu vas le détruire.
Tu vas détruire quelqu'un.
Il hoqueta face à cette affirmation lancinante, sombrant toujours plus. Il se balança mécaniquement de gauche à droite, se prostrant contre les parois de l'armoire pour se sentir soutenu, protégé du monde. Rien ne sembla fonctionner. Ses mains montèrent en silence jusqu'à ses tempes qu'il compressa lentement alors que de nouveaux mots tranchants déchiraient son crâne, prenant une voix différente, plus acerbe, et pourtant semblable à la précédente ; la sienne, celle sa conscience.
Tu vas tomber avec.
Tu vas te briser bien plus que lui.
— Je... je veux pas faire ça...
Mais ses pensées ne prirent pas en compte une seule seconde son avis. Elles continuèrent de hurler, sans cesse, sans discontinuer. Elles ne firent pas attention à son cœur qui ne voulait plus ralentir, à ses plaintes, à sa détresse, à ses paumes qui tapaient désormais contre sa tête, espérant ainsi faire taire le brouhaha qui s'y déroulait. Mais rien. Rien, rien du tout, tout poursuivit, tout cria plus fort. Atroce.
— J'veux pas, j'veux pas...
Sa protestation ne fut pas entendue. Tout continua de hurler, de lui crier dessus. La rivière était devenue incontrôlable ; il se noyait, il suffoquait, il étouffait. Il ne pouvait pas lutter contre le courant trop puissant. Il ne pouvait pas se battre contre l'eau trop froide. Il était contraint de rester en boule dans son placard, assailli par toutes ses pensées, par son propre esprit, par le monde entier. Par sa propre tête qui semblait vouloir l'anéantir pour le punir. Par cette partie de lui, usuellement tapie dans l'ombre, qui ressurgissait pour lui siffler des mots perfides à la figure.
— Shhht...
La porte de l'armoire s'ouvrit, mais le monde n'eut pas le temps d'y entrer. Azriel ne releva même pas la tête : une main douce s'y posa et le fit rejoindre la berge doucement. Il était toujours au fond de l'eau, toujours à des kilomètres de la surface, seulement, quelque chose le retenait désormais, l'empêchait de dériver plus loin le long de la rivière. Adaryn.
— Azriel, respirez, mh ?
Il hocha la tête, fermant les yeux et calquant de nouveau sa respiration sur le rythme apaisant que son homologue insuffla à ses caresses. Ses doigts délicats se perdirent dans les cheveux blonds d'Azriel, son bras rassurant vint le rapprocher, le faire s'appuyer contre son torse. Il sembla l'enfermer un peu plus, resserrer sa protection et faire davantage barrière contre le monde extérieur. Le noiraud ne le força pas à quitter sa bulle de sécurité, au contraire : il y entra comme pour la renforcer. Il le rejoignit et l'attira contre lui sans brusquerie. Là, tout contre celui qu'il devait briser, le cadet se sentit en sécurité ; protégé de tout. Ironie du sort, sans nul doute.
— Azriel...
Il n'y eut rien après son prénom, pas de phrases rassurantes comme Lyan avait l'habitude d'en dire, pourtant, cela l'aida à se calmer de la même manière. Rester accroché à son nom, à la réalité. Il osa même agripper la chemise du Roi, continuant de se balancer de gauche à droite. Il trouva en ce geste un point de repère qui céda cependant bien vite la place à quelque chose de plus stable encore : le vêtement entre ses doigts fut remplacé par une main douce qui serra la sienne fermement.
— Je suis là, d'accord ? La rivière ne vous aura pas. Personne ne vous aura, pas tant que je serai là, mh ?
Azriel acquiesça et son corps s'immobilisa progressivement, se détendant petit à petit. Sa respiration sembla s'apaiser alors qu'elle imitait le rythme des caresses du noiraud dans ses cheveux. Son cœur, lui, n'écouta étrangement pas le reste de son être et continua sa course folle. Le blond tenta de plonger son esprit dans la dénégation, décidant d'ignorer tant bien que mal le fait que les caprices de son palpitant n'étaient sûrement pas dus à l'angoisse, mais bien plutôt à la proximité du Roi Puissance...
— Azriel ?
Le plus jeune redressa lentement la tête. En croisant le regard de son ainé, une larme silencieuse lui échappa, claire, salée, douloureuse. Les flammes dans ses yeux noirs ne brûlaient plus. Il semblait inquiet, curieux, préoccupé. Azriel voulut le repousser, fuir ou tout lui avouer mais sa voix refusa de lui obéir. Il se contenta de le fixer encore de longues secondes, là dans cette position ridicule au fin fond d'une armoire.
— Désolé, Adaryn...
— Désolé ?
Le faux Prince ne répondit pas et ferma simplement les paupières, laissant sa tête retomber contre le torse du Roi. Ils restèrent là un long moment, en silence, ignorant que Lyan les fixait. Il avait croisé le souverain dans le couloir en quittant la pièce. Adaryn s'était stoppé en voyant les larmes sur les joues de Lyan et un éclair de lucidité avait traversé ses yeux sombres. Frewen avait marmonné une phrase vague, indiquant qu'Azriel avait besoin d'être seul. Presque aussitôt, le Roi s'était engouffré dans la chambre du blond, plus perspicace qu'eux.
Le roux lui avait emboîté le pas dans la seconde, comprenant avec un temps de latence trop grand les raisons qui avaient poussé son meilleur ami à s'écarter de tout le monde. Il les observait donc sans rien dire, dans un coin de la pièce, aussi inquiet que le faux Prince. Il réalisa à cet instant combien la situation était sur le point de leur échapper, combien Azriel risquait d'être abimé, bien plus qu'Adaryn. Il voulut faire marche arrière, refuser la proposition de son père, courir loin et ignorer tous les problèmes de la Sixième. Pourtant il ne fit rien.
Ils n'avaient plus le choix désormais. Frewen risquait de les trahir à tout instant : il pouvait envoyer une lettre au Roi Sensibilité et dénoncer les réfractaires. Azriel serait lourdement puni si cela devait arriver, et le rouquin se refusa à cela. Alors il resta là, silencieux, immobile, désolé, mais surtout terrifié. Adaryn allait finir blessé, Azriel en miettes... et lui ? Regarder deux jeunes hommes se détruire allait être douloureux, observer son meilleur ami tomber bien pire encore. Ils allaient tous en payer le prix.
Face au poids de la trahison, la Sensibilité finirait par flancher.
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hey ! hehehe voilà le petit moment dont j'ai parlé dimanche ! j'avais trop hâte de le poster parce que j'adore leur nouvelle relation et surtout les nouvelles descriptions heheh !
à dimanche <33
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