Chapitre 03
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Lyan et Azriel étaient assis sur les fauteuils d'un petit salon depuis de longues heures. Ils fixaient le vide, tous les deux ailleurs, tous les deux perturbés et submergés par ce qui les attendait. Ils ne réalisaient pas encore pleinement l'ampleur de la situation dans laquelle ils se trouvaient, ne parvenaient pas à distinguer clairement tout le poids qui pesait sur leurs épaules.
— Tu penses réellement qu'on va y arriver, Lyan ?
— Je n'en sais rien, Riel. Je t'avoue que je n'ai pas envie de faire ça, pas du tout, même. Mais je me doute bien que le plus délicat te concerne, et que tu dois sans doute appréhender bien plus que moi... Je ne sais pas comment tu vas faire pour porter tout ça sur tes épaules. Sincèrement, tu as tout mon soutien.
— Pourquoi ton père veut absolument qu'on redresse le pays par la force ? Si on allait demander poliment de l'aide, on ne serait pas pitoyables, on serait simplement respectueux et matures. On représenterait bien la Sensibilité... J'ignore pourquoi il s'est mis dans le crâne que toutes les Dynasties veulent notre chute quand, en réalité, tout Alasia nous a déjà oubliés.
— Il n'a plus toute sa tête, là se trouve le problème. Je pense qu'il n'y a aucune réponse rationnelle. Il a décidé qu'il voulait voir le Roi Puissance à genoux pour satisfaire sa fierté, ou bien pour résoudre de vieux litiges. Je me demande bien ce qui a pu se passer entre la Puissance et lui pour qu'il soit si énervé contre la Première Dynastie.
Le blond se laissa glisser dans son assise, se tenant avachi, une moue boudeuse aux lèvres. Entre eux, les deux jeunes hommes oubliaient presque les principes et codes auxquels ils devaient obéir. Lyan avait horreur qu'Azriel le vouvoie lorsqu'ils n'étaient pas en public, et refusait toujours de le rabaisser à un simple rang de Conseiller. Il était son meilleur ami, son frère, et quelqu'un de confiance. Le Prince était tout de même conscient qu'une différence de rang devait être respectée entre eux pour le bon fonctionnement du château. Il veillait donc à la préserver discrètement, dans sa façon de parler ou de raisonner.
— Il n'a pas assisté à l'un des gros machins où les souverains font le point ? Tu sais, les trucs qui se tiennent tous les dix ans pour discuter avec l'Ordre et toutes les Dynasties, machin truc. Peut-être que quelque chose s'est mal passé entre le Roi Oriens et lui ?
— Un Congrès, tu veux dire ? Oui, c'est possible. Quand était-ce ?
— Il me semble que le prochain est pour l'année prochaine, puisque c'est toi qui y assisteras car tu seras Roi. C'est c'que mon père m'a dit, en tout cas. Donc le dernier date d'il y'a neuf ans, j'crois. Je sais pas, j'suis nul en arithmétique, pourquoi tu me poses la question à moi ?
— Il est vrai que ce n'était pas judicieux. Toi et les chiffres ça fait trois...
— Je fais ce que je peux, eh !
— Je ne dis pas le contraire, Riel. Mais pour en revenir au sujet du Congrès, je pense que mon père a dû y demander de l'aide. Peut-être que... Attends une minute, le Roi Oriens actuel était déjà sur le trône à l'époque ? Quel âge a-t-il ?
Azriel se redressa, rouge comme un poivron, piqué au vif. Il écarquilla les yeux, faisant difficilement les calculs – les chiffres refusaient toujours de lui obéir. Néanmoins, il parvint à un nombre drôlement élevé pour l'âge du souverain Oriens...
— On est vraiment à ce point isolés du monde pour pas connaitre les autres souverains ?
— Je le crains, oui... Je connais tous leurs noms mais pas leurs âges. Quoi que, attends, laisse-moi faire le calcul, je crois qu'on se trompe au sujet du Roi Puissance.
— J'espère, parce que mon délire c'est pas les grands-pères, hein...
— Je crois qu'il est monté sur le trône le jour de ses dix-sept ans, pas à vingt-et-un comme le veut la coutume. Si je ne me trompe pas, il devrait avoir presque vingt-quatre aujourd'hui, donc il en avait quinze lors du dernier congrès. C'était son père sur le trône, à l'époque, pas lui. Quelque chose a dû mal tourner... Quoi, je ne sais pas, mais cela a poussé mon père à abandonner les dernières gouttes de sensibilité qui coulaient dans son sang.
— Je vois que ça, oui, sinon pourquoi vouloir à tout prix briser le Roi Puissance ? Le mettre à genoux, surtout. T'as déjà vu un Oriens à genoux toi ? Pourquoi qu'il veut qu'on s'en prenne à un Oriens, même. Il est complètement fou, ton père. On va se faire laminer en moins de deux, on n'a aucune chance face à la Première Dynastie. Oh... ça m'effraie rien que d'y penser.
— Je sais, Azriel...
— Si j'ose dire que j'veux pas faire ça, tu m'envoies sur le bucher ?
Le rouquin afficha un sourire légèrement triste et changea de siège, glissant son postérieur à côté de celui de son meilleur ami. Il passa ensuite un bras autour de ses épaules et le serra tout contre lui, tentant de le rassurer comme il le pouvait. Doucement, ensuite, il murmura :
— Non, Riel. Je comprends, je n'ai pas envie de faire tout ceci non plus. J'ignore comment on va s'en sortir, en réalité. Sur place on ne pourra pas changer de plan et tout avouer à Oriens, il pourrait mal le prendre ou pire, nous renvoyer chez nous. Mon père nous tuera si on se rate, et le Royaume plongera dans l'oubli parce qu'on ne sera plus crédibles auprès de personne. Le plan n'est guère construit mais ne pas le suivre c'est signer notre arrêt de mort...
— Je suis sûr qu'en expliquant la situation au Roi Puissance, il comprendrait. J'suis certain qu'en restant polis et gentils, il nous offrirait son aide. Pourquoi on n'essaie pas de faire ça, hein ? Qu'importe que ton père soit en colère après, on veut sauver la Dynastie, pas s'attirer les compliments. On veut sauver des vies, on veut sauver une population. Je m'en contrefiche d'avoir les louanges de tout le monde ou un coffre rempli d'or. On doit juste rendre la vie à tous ces gens qui meurent lentement...
— Je sais, mais tricher me semble compliqué. Frewen va nous accompagner et nous surveiller en permanence. Il enverra des rapports à mon père : si on ne suit pas le plan, il le saura tout de suite et nous fera revenir ici. Et tu as bien vu ce qui t'attends si tu désobéis...
— Frewen ? Ah... j'avais oublié. On ne parviendra jamais à le ranger de notre côté, il est bien trop obéissant. C'est le petit soldat parfait. Il refusera catégoriquement de nous suivre dans une option plus pacifique si ce n'est pas l'ordre qu'il a reçu de ton père...
Lyan soupira, caressant lentement les cheveux de son cadet. Ils fixèrent le vide de longues minutes, dépités, abattus. Ils s'aventuraient en terrain inconnu, entraient dans un monde fait d'imprévisibilité. Rien n'était certain, tout semblait flou. Il était difficile pour eux d'imaginer une issue positive à ce gigantesque traquenard.
— Bon. Quitte à être fichus, faisons le bien. Tu te rappelles les bases ?
Le blond quitta son fauteuil pour répéter les différentes choses que son ami lui avait enseignées. Il fit un sans-faute, bien que maladroit sur certains gestes et mots. Son port de tête était bien plus gracieux qu'auparavant, sa manière de parler plus soutenue, et sa gestuelle capable de ne plus trahir son véritable rang. Les seules choses qu'il ne maitrisait pas encore étaient ses épaules, qu'il avait tendance à recourber vers l'avant pour croiser les bras, se recroquevillant sur lui-même pour se faire tout petit.
— Attention à ta posture. Je te l'ai déjà dit au moins cent fois... Tiens-toi bien droit, tu ne dois pas te rapetisser. Écarte tes pieds, aussi. Les garder rentrés vers l'intérieur renvoie une image trop timide et fermée de toi. Un Prince est confiant, sûr de lui et ouvert.
— Désolé...
— Ne le sois pas, c'est normal que ta posture ne soit pas parfaite. Et puis, on est tous les deux embarqués là-dedans, qu'on le veuille ou non...
— Mais si je ne suis pas assez convainquant, on sera punis tous les deux...
Lyan lui tapota l'épaule pour le rassurer, puis leur échange visuel se coupa pour que leurs yeux se posent sur le Roi Orbis. Il entra d'une démarche assurée mais lourde, admirant son fils, ignorant totalement le blond. Derrière lui entra Frewen Lex, un grand brun au yeux bridés et typiques de l'Humilité. En silence, Sohal referma ensuite les portes derrière eux. Il laissa échapper un « oh » d'exclamation en voyant sa progéniture.
Le blond timide, discret et presque invisible ressemblait désormais à un futur monarque fier, coloré et empli de bonté. Les détails de son costume bleu permettaient à ses cheveux de ressortir, laissant ainsi la couleur ambrée de ses yeux éclater. Sur ses joues avait été saupoudré un peu de fard, de manière à rosir davantage son teint déjà légèrement halé, caractéristique de la Dynastie de sa mère. Sa chemise blanche et ample avait été troquée contre un tissu noir et serré, couvert par un petit gilet bleu, brodé de fils dorés. Sa lourde veste couleur saphir offrait plus de prestance et de richesse à ce simple rejeton de la Sixième ; son pantalon sombre et droit le grandissait légèrement, tandis que la ribambelle de tresses et de rubans dans sa tignasse, soigneusement domptée et ondulée, lui donnait des airs plus délicats. Il était tout bonnement magnifique, et quiconque ne connaissait pas la supercherie aurait difficilement pu se douter que dans les veines du jeune Azriel Caelum ne coulait pas une once de sang royal – du moins, si l'on ne s'arrêtait pas sur les cheveux roux et les yeux verts de Lyan...
Sohal eut un énorme pincement au cœur en croyant voir Elina devant lui. Son fils ne partageait que la couleur de ses yeux et de ses cheveux, pourtant il lui ressemblait énormément, bien qu'implicitement ; son aura dégageait cette douceur propre à la jeune femme, cette tendresse qui n'était connue que d'elle. Elina n'avait jamais réellement disparu, elle continuait d'exister au travers de son fils qui, en grandissant, avait continué d'appliquer à la lettre tous les conseils que sa génitrice lui avait gracieusement offerts. Il était le parfait mélange entre Humilité et Sensibilité.
— Oh. Azriel, tu... tu es magnifique...
Le blond s'empourpra légèrement, gêné que son père lui fasse ce genre de compliment. Il se laissa néanmoins volontiers aller à une étreinte, voyant dans le regard de son père ce voile de tristesse et de fierté qui survenait toujours lorsqu'il repensait à sa femme. Azriel n'avait encore jamais vu d'amour si pur et tendre que celui de ses parents, pas même dans ses contes. Ils étaient ses modèles et sa plus grande force, ses inspirations et sa plus grande fierté.
— Et moi ? Suis-je crédible ?
Le rouquin tournoya sur lui-même pour montrer son nouvel accoutrement. Il avait échangé ses lourds habits ornés de broderies pour des vêtements plus simples. Bien que les précédents n'aient pas été des plus riches par manque de moyens, la différence avec ceux qu'il avait enfilés fut flagrante tout de même. Il ne portait plus qu'une chemise blanche sous une veste verte et légère. Son pantalon était plus court, et ses chaussures un peu moins confortables. Il avait presque tout volé dans la maigre garde-robe d'Azriel, aussi quelques pièces n'étaient pas à sa taille ni à son goût.
— C'est parfait. Si nous n'étions pas au courant, je suis sûr que nous tomberions dans le panneau. Bien joué ! Tu ne trouves pas, Frewen ?
— Si, c'est très convaincant, votre Altesse.
Lyan et Azriel fixèrent le jeune homme, curieux. Ils l'avaient déjà croisé à de nombreuses occasions puisqu'il était l'un des employés les plus proches du Roi. Tantôt garde du corps, tantôt petit espion, il avait des rôles assez variables mais ne ratait jamais aucune de ses missions. Fidèle au monarque, minutieux et intransigeant, il respectait chaque ordre à la lettre et ne commettait aucune erreur. Un parfait petit soldat. Un parfait moyen de forcer les deux amis à suivre le plan...
— À quelle heure partons-nous, père ?
La demande d'Asile s'était faite il y a de cela dix jours. Azriel avait achevé ses deux semaines de formation par l'approbation du Roi lui-même. Ce dernier s'était ensuite empressé de faire partir un messager vers la Première Dynastie ; la réponse avait s'était faite tardive mais positive. Il avait sauté de joie, heureux de voir que le souverain Oriens était bien plus naïf qu'escompté. Le Roi Puissance avait même envoyé un second messager, prévenant qu'un de ses employés viendrait chercher Lyan et Azriel au matin du premier jour de l'automne.
— D'ici quelques minutes, je pense. Vous avez bien pris tout ce dont vous avez besoin ?
Répété en boucle, leur plan s'était perfectionné. Le rouquin disposait dans sa valise de tout un nécessaire d'écriture, en plus de nombreux effets personnels. Ainsi, ils s'étaient assurés d'avoir toujours moyen de garder contact avec le Roi Sensibilité. De son côté, Azriel, ne possédait pas de valise si remplie. Il avait été contraint d'emporter beaucoup de costumes de Lyan pour donner une bonne image de lui, mais n'avait rien emporté d'autre, si ce n'est sa fidèle sacoche qu'il refusait toujours d'ôter. À l'intérieur se trouvait une peluche qu'il trainait partout derrière lui depuis des années : un joli écureuil, quoi qu'un peu usé.
— Messieurs, le carrosse du Roi Oriens est arrivé.
Azriel sentit son cœur s'emballer après la phrase du jeune domestique. Il tritura alors nerveusement le bas de sa chemise. L'angoisse et la nervosité vinrent retourner subitement son estomac, et une violente envie de fuir lui noua la gorge. Il ouvrit la bouche à plusieurs reprises, sans que ses cordes vocales ne parviennent à émettre le moindre son, puis il parvint à chuchoter quelques mots maladroits et paniqués à l'adresse de son père.
— Pa... Papa, rassure-moi, le Roi Oriens n'a pas fait le voyage jusqu'ici, hein ?
— Non, Azriel, détends-toi, ne t'inquiète pas. Respire, comme tu as appris avec ta mère, d'accord ? Reste calme et ne te laisse pas submerger par tout ça. Lyan est avec toi et peut t'aider en cas de besoin.
— Je crois que j'ai vraiment peur, papa...
— Je sais, mon Riel, mais on n'a pas le choix... Il faut que tu rentres dans ton rôle, d'accord ? Ça va aller, tout va bien se passer. Tu te souviens bien de tout ce que tu faisais avec ta mère pour te rassurer ? Tu... Ça va aller, c'est promis.
Azriel acquiesça, regagnant légèrement confiance lorsque son père lui tapota doucement l'épaule. Ils descendirent ensuite les escaliers du château, puis débouchèrent dans la cour avant. Là, ils trouvèrent un carrosse tiré par une dizaine de chevaux. Des cavaliers armés l'encadraient, et le cocher attendait devant son véhicule, chapeau bas. Il s'inclina devant le monarque et les jeunes hommes, puis s'exprima :
— Mes hommages votre Altesse, Majesté.
Azriel mit quelques secondes pour comprendre que l'homme s'adressait aussi à lui. Il retint sa respiration, déjà submergé par le flot d'informations. Il détestait déjà cette mission. Lyan posa une main rassurante contre son dos, remplaçant son père qui s'était écarté. Le blond fit donc le vide dans son esprit, tant bien que mal, puis enfila son nouveau masque et déclara d'une voix qu'il espéra forte, mais qui fut plus mécanique qu'escompté :
— Merci, Monsieur. Je... J'aimerais vous exprimer toute notre gratitude. C'est un honneur et un privilège pour nous que de pouvoir trouver refuge chez votre souverain quelques temps.
— Honneur partagé, votre Majesté. Je suis on ne peut plus flatté d'escorter sa Majesté et son Conseiller jusqu'à son Altesse Oriens. Ravi de faire votre connaissance aussi, monsieur...
— Frewen Lex. Je me charge d'escorter ces messieurs afin de veiller à leur sécurité. Nous ne sommes jamais trop prudents. Ne vous en faites pas, je me ferai tout petit.
— Allons bon, ne vous en faites pas, vous êtes le bienvenu aussi !
Des flatteries fausses et inutiles s'échangèrent encore un long moment, le temps pour le personnel de charger les différents bagages des trois voyageurs dans le carrosse. Une fois chose faite, le père de Lyan vint enlacer les deux garçons avec dramatisme, jouant la comédie d'un air grotesque et trop exagéré.
— J'espère vous revoir au plus vite, mes enfants. Prenez soin de vous, nous allons tenter de régler cette situation au plus vite. N'ébruitez pas le fait que vous fuyez le pays, les malfrats qui veulent votre tête pourraient vous retrouver. Monsieur, veuillez prendre soin d'Azriel Orbis et de Lyan Caelum, je vous en prie...
L'inversion des noms de famille perturba les deux concernés qui se fixèrent, déboussolés. Azriel hocha lentement la tête, assimilant l'information : il devait abandonner sa véritable identité pour le bien de la mission. Azriel Caelum devait disparaitre un temps, pour faire place au Prince Orbis, futur héritier de la Sensibilité. Azriel Orbis, tel était son nouveau nom.
— N'ayez crainte, votre Altesse. Le Roi Oriens veillera à leur sécurité. En tant qu'ainé, responsable et souverain, il les tiendra hors de tout danger. J'espère que la situation dans votre Dynastie se dénouera au plus vite, mais en attendant, n'ayez crainte pour eux.
Azriel se retint de toutes ses forces d'enlacer son père, conscient que Lyan ne l'aurait pas fait à sa place. Il se contenta donc de lui sourire discrètement, tentant de lui communiquer son « au revoir » par le regard. Il monta ensuite dans le véhicule, offrant un dernier signe de main aux deux cinquantenaires lorsque le carrosse se mit en branle. Frewen s'installa à côté du rouquin, et ce dernier soupira, bientôt imité par le blond. Ils se fixèrent un moment, conscients que la survie de leur Dynastie reposait désormais sur leurs épaules. Ce fut un constat vertigineux.
— On va y arriver, hein ?
— Bien sûr, Majesté.
— Je vous épaulerai du mieux que je le peux, messieurs.
Le jeune Caelum – désormais Orbis – fronça les sourcils avant de tiquer : le cocher pouvait certainement les entendre. Ils ne devaient pas quitter leurs rôles, ni même dire quoi que ce soit qui pourrait les compromettre. Il hocha donc la tête et s'abîma plutôt dans la contemplation du paysage. Il se prépara à se glisser entièrement dans la peau d'un Prince, dans la peau d'un menteur et d'un manipulateur. Il imagina Adaryn Oriens, priant intérieurement pour qu'il ne soit pas bon et juste, pour qu'il ne soit pas magnifique d'extérieur comme d'intérieur. Il pria pour que lui faire du mal, lui briser le cœur et lui planter un couteau dans le dos soit plus facile si le monarque était détestable. Ou s'il avait au moins un soupçon de noirceur en lui...
À force de laisser ses songes divaguer, il ne se rendit pas compte qu'il imaginait déjà comment séduire le Roi, comment agir lorsqu'ils seraient seuls. Devait-il jouer son rôle jusqu'au bout ? Devait-il lui mentir jusque dans leur intimité ? Cela lui paraissait impossible pour le moment, cependant il savait qu'une fois en action, il obéirait docilement aux ordres de Lyan. Il mettrait ses sentiments de côté pour briser le Roi Oriens. Il le devait. Pour sauver sa patrie, pour sauver un peuple mourant... Il savait combien perdre une mère était douloureux. Il ne le souhaitait à aucun enfant de la Sixième Dynastie. Pour que cela n'arrive pas, il devait faire tomber les plus grands et leur voler assez d'argent pour redresser son pays. Il ne faisait pas cela par plaisir, il n'allait pas blesser le souverain Oriens par pure envie. Il le ferait flancher pour sauver une population, des enfants innocents...
Pourtant, au fond de lui, il eut envie de fuir et d'ignorer tout. Une solution bien plus pacifiste était possible. Il pouvait sauver la Sixième sans plonger la Première dans la tourmente. Surtout, il pouvait aider sans détruire un homme. Voler le cœur du Roi Oriens était une chose, le lui briser en était une autre. Azriel se demanda même s'il n'allait pas être celui qui souffrirait le plus, dans l'histoire. Le monarque allait être blessé, c'était indéniable, mais le blond n'allait-il pas se consumer à petit feu en simulant un amour factice, en prétendant l'aimer alors qu'il n'avait que pour but de l'achever ? Il se demanda un instant si son être allait réussir à supporter une telle chose, s'il allait se trouver capable de simuler des sentiments, puis de le quitter en lui plantant un couteau dans le dos. Il en fut si retourné qu'il ne toucha pas à son déjeuner.
— Nous arrivons bientôt, messieurs.
Fort heureusement, les Terres de la Première et de la Sixième Dynastie n'étaient pas trop éloignées. Elles partageaient une longue frontière au Nord de la plus pauvre, qui permettait de rallier les deux capitales en une journée de carrosse. Le véhicule entra donc dans la grande ville d'Imperium en fin d'après-midi, et Azriel décrocha du fil de ses pensées pour lâcher un « oh » d'émerveillement.
Autour de lui, tout fut subjuguant. Les bâtiments ne criaient pas l'opulence ni la richesse, toutefois, ils se montraient raffinés, imposants et pourtant épurés. De nombreuses boiseries décoraient les façades des maisons, et tout autant de petits balcons fleuris coloraient les allées. Les toits des habitations étaient tous faits d'un même bois sombre, et les pierres blanches qui soutenaient les édifices furent resplendissantes sous la lumière du soleil. Un charme atypique se dégageait des quelques venelles sinueuses et vertigineuses : Imperium avait été construite au cœur des gorges de la rivière Niren. Cette dernière tirait sa source dans le grand lac, au Nord de la capitale. Imperium prenait ainsi racine entre de gigantesques montagnes, enclavée dans la roche. Elle gagnait ensuite progressivement en altitude de chaque côté de la rive, et quelques canaux sillonnaient les rues, entourant certaines maisons.
Au contraire d'Olearia, capitale de la Sensibilité, il n'y avait ni mendiants, ni malades, ni orphelins crasseux. Il n'y avait pas de sol insalubre ou de déchets jonchant les pavés. Surtout, personne ne tentait de voler à son voisin, d'arracher des mains fruits et bouts de pain. À Imperium, tout le monde semblait respirer un air pur, propre et sain. Les plus jeunes tenaient docilement la main de leurs parents, les femmes portaient de jolis pantalons ou bien des robes, tandis que leurs époux ou épouses berçaient les bébés, portaient les différentes courses ou leur tenaient simplement le bras. Personne ne semblait exploité, mort de faim ou de fatigue. Ils avaient tous l'air d'avoir un emploi convenable, un salaire décent et une famille en bonne santé. Ils semblaient fiers, sûr d'eux, capables de tout.
Au-dessus de leurs têtes se dressait l'imposant château de la ligné Oriens, perché plus haut encore sur la montagne, à même son flanc, entre les sapins et les pics rocailleux. Il était aux couleurs de la ville et surplombait les gorges, là, siégeant fièrement sur son trône de roche. Magnifique mais surtout imposant, l'édifice avait de quoi impressionner : il arborait de gigantesques colonnes de bois, des fenêtres plus hautes encore. Il n'était pas le plus grand château d'Alasia, toutefois, il possédait le mérite d'être sans doute le plus subjuguant. Il semblait tenir en équilibre sur la pierre, surveillant vaillamment la ville à ses pieds. Les tours donnaient l'impression d'être de solides éclaireuses, et les immenses portes d'entrée jouaient le rôle de guerrières. À leurs pieds s'étendaient une floppée de marches et devant elles, des soldats au blason rouge, sabre au clair. Tout criait à la stabilité, au pouvoir et à la force. Tout criait un mot, un seul.
Puissance.
— Si ces messieurs veulent bien se donner la peine de descendre.
Le cocher qui leur ouvrait la porte du carrosse fit signe à un jeune homme de prévenir le Roi. Les trois étrangers eurent donc le temps de se dégourdir un peu les jambes avant que les énormes portes d'entrée ne s'ouvrent sur une personne. Azriel sentit sa mâchoire se décrocher lorsqu'il il la vit descendre les marches jusqu'à eux.
Un seul homme. Il n'y avait qu'un seul homme qui marchait dans leur direction, pourtant, le blond eut l'impression d'avoir une armée devant lui. Une armée au pas aérien, souple, mais mortel. Une armée de guerriers courageux, impétueux, farouches. Une armée aussi magnifique que dangereuse. Des milliers de soldats fantômes, derrière un seul être humain. Il n'y en avait qu'un sous les yeux d'Azriel. Un jeune homme au port altier, aux yeux brûlants. Chaque pas qu'il effectuait donnait l'impression de pouvoir écraser une population complète, chaque respiration qu'il prenait pouvait anéantir le monde entier. Tout son être dégageait une aura poignante ; personne ne voulait lui désobéir, personne ne voulait s'attirer sa colère. Personne ne le pouvait. Plus que tout, ses yeux vociféraient toute la colère du monde, grondant en un seul être. Son regard forçait le respect, inspirait crainte et soumission. Il aurait pu faire s'agenouiller à ses pieds tout Alasia sans un mot, ses yeux suffisaient, les flammes qui y dansaient effrayaient et dissuadaient qui que ce soit de lever le petit doigt pour protester.
Puissant. Puissant, était le mot. Il était le nom de la première Dynastie et le meilleur adjectif pour décrire Adaryn Oriens, celui qui semblait intouchable, inébranlable, infaillible. Tout son corps le criait, aussi bien par sa carrure que par son charisme. Ses vêtements étaient riches mais confortables et pratiques : sa simple chemise ample et noire flottait avec l'air, son col ouvert laissait entrevoir ses clavicules et quelques bijoux, tandis que son pantalon aussi sombre épousait les formes de ses jambes à la perfection. Il portait des bottes épaisses et tenait sa veste à la main, comme s'il ne souhaitait pas encombrer ou forcer son personnel à la lui porter.
Ses cheveux couleur charbon étaient noués en un petit chignon bas, déconstruit. Sur le haut de son crâne trônait fièrement une couronne faite d'un cristal noir et pourtant brillant. Ornée de pierres rouges, couleur de la Dynastie, elle semblait incassable, plus solide que du diamant. Elle était à l'image du Roi Oriens : un être humain aussi brûlant qu'un brasier, aussi fougueux qu'un incendie. Dire qu'il était impressionnant aurait presque été un euphémisme.
Azriel trouva le Roi de sa patrie natale bien ridicule, et comprit par la même occasion pourquoi le monde entier craignait la Première Dynastie : son souverain aurait pu tuer n'importe qui en clignant des yeux. Le blond ne trouva même pas assez de mots pour décrire toute l'aura du noiraud, pour exprimer combien il eut envie de se mettre à genoux dès maintenant, craignant trop les représailles. Il voulut fuir. Loin.
Le Roi s'approchait pourtant de plus en plus, et leurs yeux se croisèrent sans que le jeune Caelum n'effectue le moindre geste. Son cœur ne fit que s'emballer, affolé, déboussolé. Hypnotisé. Il resta désarmé face aux flammes dansantes qu'il rencontra, face à la ferveur du souverain. Ses yeux hurlaient tant de choses ; férocité, pouvoir, impertinence. Azriel resta cois face à ce surplus d'émotions, face à tout ce qu'il fut capable de lire dans son regard. Face à Adaryn Oriens.
Il ne pourrait jamais le renverser, jamais le briser. Jamais. Le Roi Oriens allait le détruire. Il allait lui broyer les os, voir clair dans son jeu et le balayer d'un revers de main. La partie d'échecs grandeur nature que le blond s'était imaginée prit soudain une tout autre tournure. Sur l'échiquier du souverain Puissance, il n'y avait qu'un seul Roi. Un seul monarque infaillible, intouchable. Un jeune homme qui, sûrement, laissait planer de longs silences sur son passage, forçait tout le monde à s'incliner sans rien dire. Quelqu'un qui ne tolérait pas les mots de travers, les paroles trop osées. Sur l'échiquier du souverain Puissance, il n'y avait qu'un seul Roi, et Azriel ne pourrait jamais le mettre en échec, encore moins en mat. Il n'y avait qu'une seule couronne à offrir à l'issue de ce jeu, un seul vainqueur. Un seul survivant.
Azriel voulut courir loin, s'enfuir, disparaitre. Il tenait à la vie et ne voulait en aucun cas toucher ne serait-ce qu'un cheveu du Roi de la Première Dynastie. Il aurait été réduit en cendres en une fraction de secondes. Mais la distance fut amoindrie définitivement et le retour en arrière ne fut plus une option. Adaryn Oriens ouvrit la bouche et tout s'envola avec ses mots. Ses yeux firent partir en fumée les derniers espoirs du blond, brûlèrent ses dernières chances de survie. Vaincu. Il s'avoua vaincu dès lors que leurs regards s'accrochèrent.
— Bienvenue dans la Première Dynastie. J'espère que vous avez fait bon voyage.
Un sourire en coin, une flamme dans le regard et un brasier prit feu dans le cœur d'Azriel. Échec et mat. Point pour la Puissance et l'incendie Oriens.
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ADARYN :D
non j'ai rien d'autre à dire, son prénom suffit. voilà, à dimanche heheh prenez soin de vous 🤍
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