Chapitre 01
⋆ ♚ ⋆
Dans une chambre baignée de lumière, un blondinet ouvrit les yeux précipitamment. Il se redressa comme si une mauvaise bête l'avait piqué, puis sauta de son lit pour se jeter sur sa fenêtre, manquant de trébucher en s'empêtrant dans ses draps. Ses petites mains se posèrent sur le verre froid, et ses pieds ne mirent pas bien longtemps avant de se tendre pour que le garçon se retrouve en équilibre sur ses orteils. Ainsi, il put voir par-dessus la balustrade.
— Non... T'es méchant ! Je t'avais dit de m'attendre...
Une moue boudeuse se peignit sur le visage de l'enfant alors qu'il gonflait les joues, déçu et en colère. La porte de sa chambre s'ouvrit au même instant, et il croisa les bras en fixant sa mère, fâché, boudeur et de mauvaise humeur. Caractériel et capricieux.
— Mais qui a fait bouder mon petit ange de si bon matin ?
— Maman ! Le soleil il m'a encore pas attendu pour se réveiller...
La jeune femme s'agenouilla au niveau de son fils. Ses longs cheveux blonds tombèrent devant son visage mais ne cachèrent pas la douce couleur ambrée de ses yeux. La délicatesse de visage fut soulignée par les rayons du soleil. Elle vint poser une main rassurante sur le crâne de son rejeton, lui souriant malicieusement pour murmurer :
— Dans ce cas, essaie de te lever plus tôt demain matin.
— Mais pourquoi ? Le soleil il peut pas m'attendre ? J'aime bien faire dodo, moi...
— Tu sais, mon ange, dans la vie, tout le monde ne va pas se mettre à tes pieds. Ce serait très égoïste de ta part d'attendre que tout le monde agisse comme tu l'entends. Tu comprends ? Tu n'as aucun pouvoir sur la vie des autres, encore moins sur le soleil. Chacun peut vivre comme il l'entend. La seule chose que tu peux contrôler c'est ta vie, Azriel.
— Donc c'est à moi de rattraper le soleil, maman ? C'est toujours à moi de suivre les autres, dis ? Est-ce que c'est toujours à moi de changer ?
— Non, seulement lorsque c'est nécessaire pour toi. En grandissant tu apprendras à faire la part des choses pour être équitable. Tu dois savoir bouger pour les autres, tout en acceptant que les autres bougent pour toi aussi. Tu comprends ? C'est comme hier, avec le Prince Lyan. Il n'est pas aussi rapide que toi en course, alors tu l'as attendu. Mais il est plus vif que toi aux exercices théoriques, alors il t'a attendu.
— Oui mais maman, le soleil il est plus rapide que moi et il m'attend pas !
— Il y a des cas particuliers où, parfois, c'est impossible de suivre les autres, mon ange. Si le soleil prenait le temps de t'attendre, alors il se ferait mal. Et toi, si tu t'adaptais à son rythme, alors tu te blesserais aussi. Tu vois ce que je veux dire ? Parfois, forcer ton rythme de vie sur celui des autres, c'est dangereux. Alors dans ce genre de cas, avance à ta cadence, et vis ta vie à la vitesse que tu le souhaites. Ne laisse jamais personne changer ton rythme et ta manière de fonctionner, d'accord ?
— Alors demain je vais essayer de me lever plus tôt pour voir le soleil se réveiller aussi ! Mais si je dors encore parce que j'aime ça et que j'en ai besoin pour devenir un grand garçon, je rattraperais le soleil un autre jour, quand ce sera le bon moment pour moi, et que ça ne me fera pas mal ! Promis, maman ! Tu regarderas le soleil avec moi, dis ?
— Avec plaisir, mon ange.
Elina lui offrit un joli sourire, fière de voir qu'il avait retenu la leçon, puis elle se releva. Elle l'aida à faire sa toilette et l'habilla gentiment avant de sortir de sa chambre, lui tenant tendrement la paume. La jeune femme ne lui lâchait jamais la main, elle disait souvent : « Non, Azriel, tu es trop turbulent et tête en l'air, tu te perdrais dans le château ». Alors le blondinet rigolait, secouant la tête et faisant bouger ses longs cheveux blonds. Jamais il ne désobéissait à sa génitrice, il l'aimait trop pour ça. Et puis, il détestait quand son père le grondait, il avait bien trop peur lorsqu'on lui criait dessus.
— Lyan il est réveillé ?
— Oui, tout le monde est déjà à table, je pense. N'oublie pas de bien te tenir devant le Roi, d'accord ? Tu n'as pas oublié la place que tu occuperas plus tard, mon chat ?
— Nan ! Je serai le Consoreiller du Roi Lyan !
— Le Conseiller, Azriel. Ça se dit Conseiller.
— C'est pareil...
La jeune femme se mit à rire sans aucune méchanceté, puis elle salua les gardes qui se tenaient droits devant la porte de la grande salle à manger. Ils leur ouvrirent et elle emmena son fils aux côtés du Prince Lyan, le jeune rouquin avec qui Azriel était élevé. Le garçon était éduqué comme son père avant lui, dans l'optique de servir au mieux le futur Roi de la Sixième Dynastie. Sohal Caelum, le géniteur du blond, se trouvait donc être le Conseiller du souverain actuel. Pour cette raison, il était permis à sa femme de loger au château.
De bonne compagnie, calme, humble et radieuse, elle illuminait un peu la vie monotone du château. Pour le jeune Lyan, elle était l'autorité maternelle qu'il n'avait jamais eue : sa propre mère avait perdu la vie il y a bien longtemps, rongée par une des innombrables épidémies qui touchaient le pays en permanence. La défunte souveraine n'avait pu régner que quelques huit maigres années avant d'être emportée par la maladie, alors que son fils unique n'avait pas un an.Elina était donc celle qui s'occupait le plus des deux garçons. Bien que l'héritier du trône ne la considère pas pleinement comme sa génitrice, il l'appréciait beaucoup.
— Bonjour !
Azriel avait presque crié alors que sa mère poussait sa chaise afin qu'il soit plus près de la table. Il fit son père, Lyan et les quelques employés présents dans la pièce. Le blondinet était une copie conforme de sa mère ; une boule d'énergie caractérielle, bornée et intenable, mais possédant un cœur sensible, fragile et parfois peureux. Il était aussi turbulent que craintif, aussi capricieux que généreux. Il avait tout de même beaucoup de son père aussi : il était imaginatif, débrouillard et futé. Ils se ressemblaient aussi beaucoup physiquement, possédant tous les deux un visage fin, un nez retroussé, de grands yeux et de légères taches de rousseurs, çà et là. D'Elina, il ne tenait que sa touffe blonde et la couleur de ses iris, typiques de l'Humilité.
Des traits physiques typiques de la Sensibilité cependant, il ne possédait pas grand-chose. La génétique avait voulu que les habitants de la Sixième soient roux, qu'ils aient de petits yeux verts et de jolies constellations orangées sur le visage. Avec le temps et les générations, ces traits disparaissaient progressivement, si bien qu'Azriel partageait très peu de ressemblance avec son ami, le Prince Lyan. La Sensibilité était l'une des rares patries à ne pas pouvoir se vanter d'avoir conservé du « sang pur » ; bien des gens s'étaient mélangés aux Dynasties voisines pour survivre, et les spécificités contenues dans le sang de la Sixième s'étiolaient inexorablement. Azriel en était la preuve vivante.
— Bonjour aussi, Azriel.
Le repas commença après que Sohal lui eut ébouriffé les cheveux. Les discussions du petit-déjeuner s'orientaient toujours sur la journée à venir, aussi, on expliqua quelles leçons et quels cours allaient recevoir les deux garçons. Azriel grogna un peu, n'appréciant pas l'école. Au contraire, Lyan s'extasia et expédia son repas pour y aller plus vite, impatient. Après qu'ils eurent quitté la table, tout se déroula en suivant le plan. Ils filèrent en classe avec un professeur particulier, à l'étage le plus haut de la tour la plus à l'Est du château. À midi, ils mangèrent avec les adultes, puis reprirent les exercices aussitôt le repas achevé.
— Bien. Qu'est-ce que vous pouvez me dire sur la leçon des Princes et Princesses ?
— Grand un : la tache de naissance. Chaque Prince et Princesse possède une tache de naissance propre à sa Dynastie. Seules l'Humilité et la Sensibilité n'en ont plus, parce qu'après la Grande Guerre, ce sont des cousins des défunts souverains qui ont été remis sur le trône. Ils n'avaient donc pas de marque de royauté sur le corps. Grand deux : les traits physiques. Les traits physiques propres à chaque Dynastie, comme les yeux verts et les cheveux roux de la Sixième, sont signe d'un sang pur et non mêlé à celui d'un autre Royaume. C'est encore très commun dans la Logique et la Puissance, mais de plus en plus rare dans l'Humilité et la Sensibilité, à cause des guerres passées.
— Eh, ouais, tout pareil, j'aurais dit tout comme lui ! Moi aussi j'avais retenu, hein...
Lyan pouffa face à la remarque de son meilleur ami, tandis que leur professeur hochait la tête lentement. L'adulte était austère, dur et strict. Azriel ne l'aimait pas beaucoup, et Lyan ne le tolérait que pour les connaissances qu'il lui apportait. Il vint lentement s'assoir à son bureau, feuilletant un livre. Il posa ensuite une nouvelle question, destinée à tester leurs connaissances sur une leçon enseignée quelques jours plus tôt.
— Bien, parlez-moi un peu de ce que vous avez retenu à propos des six Dynasties.
— Il faut qu'on se méfie des autres Dynasties, parce qu'aucune ne nous aide alors que les gens ici sont tristes. En plus, en fait, en plus, les Hiems et le peuple Auster y sont méchants parce que... ils veulent nous voler des Terres !
— Grand un : le Traité de paix. Les Dynasties doivent toutes se plier aux lois du Traité imposé après la Grande Guerre. Les Rois et Reines sont les plus puissants, mais doivent se plier à l'Ordre, qui s'assure que la paix est maintenue au sein d'Alasia. Pour qu'une Dynastie puisse s'unir à une autre, il faut qu'elle demande l'accord des Gardiens. Ils sont l'autorité suprême.
Lyan récitait son cours mot pour mot avec une justesse renversante. Le plus impressionnant résidait dans le fait que chacune de ses phrases était apprise durablement, et non pas bêtement retenue par cœur pour l'évaluation. Le discours du Prince Lyan, ainsi bien plus long que les petites phrases d'Azriel, fit sourire leur enseignant qui, indéniablement, faisait du favoritisme pour celui qui possédait du sang royal. Il lui répondit donc en souriant :
— Exactement, bravo Majesté. Vous êtes brillant, comme d'habitude. Pour apporter tout de même quelques précisions bien moindres que vous avez omises, il faut noter que tout fonctionne hiérarchiquement. Notez ce mot : « hiérarchiquement ».
— Héra... Hériachi... Quoi ?
Le professeur soupira devant l'incompétence plus qu'apparente d'Azriel avec les lettres – pourtant bien moindre que ses difficultés avec les chiffres. Le Prince Lyan lui épela donc gentiment le mot, récoltant une nouvelle salve de compliments de la part de leur mentor. Ce dernier poursuivit alors son discours comme si le blondinet ne l'avait pas interrompu.
— Les Gardiens ont le dessus sur tout le monde. Les souverains doivent se plier aux membres de l'Ordre, mais contrôlent le reste de la population. Par conséquent et pour maintenir cette hiérarchie, un Prince, une Princesse, un Roi ou une Reine ne peuvent se marier ou avoir des relations avec quelqu'un qui n'est pas de sang royal.
— Eh, pourquoi ?
— Azriel... D'abord pour que le sang pur ne se perdre pas, mais surtout pour maintenir la paix. Imaginez un peu si un souverain se mariait à un simple paysan ? Les autres fermiers seraient en colère et voudraient eux aussi tenter leur chance avec la Reine ou le Roi. Cela soulèverait bien des émeutes dans les populations. C'est par souci d'équité et d'équilibre que l'on fonctionne ainsi. Pourquoi donnerait-on à une famille d'ouvriers le droit d'accéder subitement au trône, alors que les autres continuent de travailler dans la sueur et la pauvreté ? Surtout, pourquoi risquerait-on de souiller le sang pur et immaculé de toute une lignée ?
— Oui, mais...
— Il n'y a pas de « mais » sur ce sujet, monsieur Caelum. Nous devons respecter l'équité. En prime, les personnes qui ne possèdent pas de sang royal ne peuvent représenter une Dynastie. Puisque le trait de caractère du Roi Premier ne coule pas dans leurs veines, ils ne sont pas à même de bien diriger un Royaume. Vous comprenez ?
— Oui, mais... on devrait pouvoir tomber amoureux de qui qu'on veut. Comme mon papa et ma maman ! Ils s'aiment fort !
— Ce ne sont pas les sentiments que l'on remet en cause ici mais bien les unions, Azriel. Qu'un Roi ou une Reine s'entiche de quelqu'un qui ne peut accéder au trône est une chose, qu'il ou elle cède à ses passions et se consume dans un amour interdit en est une autre. Ce sont les lois et elles ne sont pas discutables, surtout par vous. Vous ne possédez aucun droit de parole là-dessus, vous n'avez pas le pouvoir de décider. Vous êtes Conseiller, votre voix ne doit s'élever que pour guider sa Majesté, non pas pour exprimer vos opinions.
— Oui, monsieur...
— Bien. Retenez cette leçon, je vous interrogerai dessus la semaine prochaine, Azriel.
Le blondinet pinça les lèvres, hochant la tête, habitué au fait qu'on lui répète qu'il était inférieur à tout le monde, et surtout à son ami Lyan. Il ne protestait jamais, conscient de son rôle. Il avait appris à se taire, il avait appris et assimilé son piètre rôle, le peu d'importance qu'avait sa vie. Pour lui, la chose était comme une vérité générale : « Le ciel est bleu, et mon existence n'a pas d'importance ». Il avait grandi avec cette mentalité, alors il ne disait plus rien. Pourquoi protester contre la routine ?
Le vieil homme qui leur faisait classe reprit donc son monologue sans qu'Azriel ne prononce plus un seul mot. Il se contenta de griffonner distraitement quelques formes sur le coin de sa feuille, jouant avec sa jolie plume violette et l'encre bleue. Seulement, alors qu'il était plongé dans son petit monde et qu'il n'écoutait plus un mot de son professeur, un bruit sourd résonna dans tout le château et le ramena brusquement sur terre. Il se boucha les oreilles instantanément, fermant les yeux et se cachant sous sa table, paniqué. Lyan le rejoignit quelques secondes plus tard, tout aussi affolé. Leur enseignant jeta un coup d'œil par la fenêtre et leur ordonna de ne pas bouger. Il verrouilla la porte en sortant, visiblement angoissé lui aussi, les laissant à l'abri.
Hauts comme trois pommes, les enfants de huit ans sortirent donc de leur cachète en tremblant. Ils grimpèrent sur le banc de bois, juste sous la fenêtre, et observèrent la cour du château. Ils virent des centaines de gens dans des habits sales, déchirés, troués. Ils tapaient avec force contre les portes d'entrée, ils criaient, des fourches dans les mains. Ils étaient effrayants.
— Pourquoi qu'ils ont des fourchettes géantes dans les mains ?
— C'est des fourches, Azriel...
— Ah... des fourchettes sans « ette », quoi.
— Que nous veulent-ils, tu crois ?
— J'sais pas, mais moi j'ai peur. Imagine ils veulent nous manger ?
La différence de langage entre le Prince et son futur Conseiller était flagrante mais ne les dérangeait pas. Ils avaient beau avoir la même éducation, Lyan passait plus de temps avec son père et les adultes, aussi, il savait mieux manier les mots que le blondinet. Ce dernier n'écoutait rien aux conversations des grands et préférait passer son temps libre dans sa bulle, dans sa chambre, aux jardins où à sa fenêtre, grommelant contre le soleil.
— Le professeur avait l'air paniqué. Tu penses qu'ils nous veulent du mal ?
— J'sais pas, on n'entend pas c'qu'ils disent... Non ! Ouvre pas la fenêtre, imagine y en a un il sait voler ? Il va rentrer ici et nous zigouiller !
— N'importe quoi, Azriel. Les gens ne savent pas voler.
— Ça c'est ce que tes livres tous pourris ils t'ont appris !
Le rouquin leva les yeux au ciel, bien que légèrement amusé par l'excentricité de son compagnon, puis il ouvrit la fenêtre. Ils se penchèrent alors légèrement vers l'extérieur pour écouter, et restèrent tous les deux soufflés, terrorisés lorsqu'ils comprirent les mots atroces qui sortaient de la bouche de ces gens.
— À mort !
— Le peuple crève de faim !
— À mort ! Qu'on leur enlève les gamins ! Rendez l'argent au peuple ! Rendez !
— Prenez les gamins ! Prenez-les ! On pourra leur réclamer de l'argent ensuite !
— Qu'on les brûle, plutôt !
— Qu'on les vende !
Plus mature et réfléchi qu'Azriel, Lyan eut la présence d'esprit de reculer, refermant la vitre avec fracas. Son geste ne passa malheureusement pas inaperçu, puisque le bois claqua un peu trop fort. Des têtes se tournèrent et les personnes en bas hurlèrent davantage, désignant le dernier étage de la tour avec ferveur.
— Lyan... On a fait une bêtise ! Maman va être triste ! Et papa tout fâché ! Je t'avais dit qu'ils voulaient nous zigouiller ! S'il te plait Lyan, on doit se cacher ! J'ai peur...
Le blondinet pleurnichait, hoquetant à cause de ses sanglots. Terrifié, il se recroquevilla sur lui-même et tapa frénétiquement contre ses cuisses, nerveux. Le rouquin ne tarda pas à le rejoindre, en larmes, apeuré. Le Prince avait beau être plus logique, souvent même bien trop pour son âge, il n'en restait pas moins un enfant sensible, peureux et craintif aussi. Il avait une peur panique de l'imprévu et ne désobéissait jamais. Se retrouver dans une situation pareille fut donc beaucoup trop lourd pour son esprit.
— Si on sort d'ici, ils vont nous manger !
— Le grenier, Riel ! On sort d'ici, on court vite dans la bibliothèque, on grimpe l'échelle, puis on la remonte pour qu'ils ne nous trouvent pas !
— Mais le professeur il nous a coincés ici, on peut pas y aller dans la bibilothèque...
— Il y a toujours le double des clefs dans son tiroir. Il nous l'a dit la dernière fois.
Le rouquin fila vers le bureau de leur enseignant, plus méthodique. Il en tira la clef puis la donna à Azriel qui se précipita sur la porte, plus vif. Il l'ouvrit en quelques secondes, puis Lyan lui ordonna de verrouiller à nouveau lorsqu'il se furent extirpés de la pièce.
— Pourquoi ? Tu veux enfermer nos cahiers ?
— Comme ça s'ils viennent, ils penseront qu'on est encore dedans.
— Pas bête, t'es vraiment trop fort, Lyan.
Il s'exécuta, puis ils coururent jusque dans la petite bibliothèque qui jouxtait leur salle de classe. Ils montèrent l'échelle qui menait au grenier, puis la tirèrent du mieux qu'ils purent pour refermer la trappe. Le cœur battant à tout rompre, ils rampèrent ensuite parmi les nombreux jouets, tapis et oreillers, pour se poster devant la petite lucarne qui donnait vue sur la cour. Prostrés l'un contre l'autre, ils retinrent leurs souffles.
Ils virent de plus en plus de gens affluer et remarquèrent que les portes du château avaient fini par céder. Ils se blottirent davantage dans les bras l'un de l'autre, pleurant, sanglotant. Ils ne comprenaient pas bien la situation, mais étaient assez âgés pour saisir le danger qui planait au-dessus de leurs têtes. Lyan fut d'ailleurs assez sonné de constater qu'il avait peut-être réussi à sauver sa vie, et surtout celle de son meilleur ami. Il mesura davantage la gravité de la situation, comprenant peut-être un peu mieux qu'Azriel ce qui était en train de se produire. Pour cette raison, il le serra plus fort contre lui et murmura :
— On se sépare jamais, Riel. Quoi qu'il arrive.
— J'veux ma maman, j'ai peur...
— Non, tout va bien, Azriel. On joue à cache-cache avec les gens en bas, d'accord ?
— Et ma maman elle joue aussi à cache-cache ?
— Sûrement, oui. On joue tous à cache-cache. Tu veux gagner, non ? Alors il faut surtout pas qu'ils nous trouvent, sinon on a perdu. Faut pas faire de bruit et on gagne le jeu.
— D'accord...
Ils restèrent donc tapis dans cette pièce secrète un long moment, déboussolés, perdus. Ils n'auraient su dire combien de temps s'était écoulé lorsqu'ils entendirent des gens sous leurs pieds, dans la bibliothèque. Azriel se crispa contre Lyan, apeuré. Lyan posa une main sur sa bouche, terrifié à l'idée que le plus jeune puisse faire le moindre bruit. Certains paysans et ouvriers parvinrent à ouvrir la porte de la salle de classe ; ils retournèrent les meubles, ils cassèrent tout ce qui était à leur portée avant que les gardes du palais ne parviennent à les maitriser. Le Prince ne leva tout de même pas leur « jeu » pour autant, trop inquiet. Passèrent encore de lentes minutes, ou peut-être même de longues heures. La nuit était tombée quand la voix brisée de Sohal resonna dans toute la tour Est.
— Azriel ! Lyan ! Je vous en supplie dites-moi que vous êtes tous les deux cachés quelque part ! Mon dieu... Par pitié... Azriel, Azriel...
Le concerné entendit son père sangloter alors qu'il grimpait les dernières marches, aussi, il se précipita sur la trappe sans réfléchir, là où le Prince songea à se méfier tout de même, le retenant et écoutant d'abord les bruits de pas. Il ne vint l'aider à ouvrir que lorsqu'il fut certain que Sohal était seul et qu'ils ne courraient plus aucun danger.
— Papa ! Papa, on est là !
— Par tous les Saints Descendants, Azriel ! Oh, Lyan, vous êtes là aussi, quel soulagement... Vous allez bien, tous les deux ? Descendez, descendez ! Venez là !
— Lyan a dit qu'on jouait à cache-cache ! On a gagné, dis ?
L'adulte hocha la tête tristement, essuyant ses larmes tout en les aidant à faire basculer l'échelle. Il les serra ensuite dans ses bras, fort, peut-être un peu trop, mais personne ne dit rien. Ils avaient eu bien trop peur pour se soucier d'un câlin brutal et maladroit. Lyan fut le premier à s'en écarter pour constater le piètre état dans lequel se trouvait Sohal. Il semblait épuisé, la manche de son bras droit était trouée et une plaie sombre déchirait sa peau. Troublé, comprenant définitivement l'urgence de la situation, il demanda vivement :
— Où est mon père ?
— Le Roi Orbis est dans la salle du trône, avec le personnel qui a pu... éviter le peuple.
— Que s'est-il passé ? Tout le monde va bien ?
— Je vous expliquerai plus tard, Majesté. Pour le moment, allons rassurer votre père.
— Et maman, elle est où, papa ? Faut rassurer maman, aussi, elle a dû avoir peur. On était super bien cachés avec Lyan, t'as vu ? On est trop forts !
Sohal ne répondit rien et son silence fut lourd de sens pour le Prince. Il baissa la tête et dévala les marches, la vérité déjà marquée en tête. Le père du blondinet se contenta d'attraper son fils, le portant, l'enlaçant. Il ne le lâcha pas jusqu'à la salle du trône et Azriel ne demanda rien d'autre. Il sut par ces gestes que quelque chose n'allait pas : son papa ne pleurait jamais. Il ne lui faisait pas beaucoup de câlin, non plus.
— Père !
Les deux rouquins se prirent dans les bras l'un de l'autre alors que le petit Caelum cherchait sa mère des yeux. Il vit quelques personnes avec d'affreux bobos, d'autres qui pleuraient. Il ne comprit rien, mais ne chercha pas bien loin. Il voulait sa maman.
— Papa... Elle est où maman ? Le cache-cache il est fini, t'as dit qu'on a gagné...
Aucune réponse. Lyan pinça les lèvres et se rapprocha de son géniteur, laissant son meilleur ami seul avec son propre père et la triste réalité. Le petit blond tourna donc la tête vers Sohal et tira sur sa chemise de manière répétitive, posant plus fermement sa question, de plus en plus inquiet. Il ne fit même pas attention au sang séché sur le visage de son géniteur.
— Papa ! Elle est où maman ?
— Azriel, tu... tu as toujours la peluche qu'elle t'a offerte à ton anniversaire ?
— Oui ! Elle est toujours dans ma petite sacoche ! Regarde, elle est juste ici !
Le garçon exhiba alors un écureuil en peluche d'une coquette sacoche en bandoulière qu'il trainait partout derrière lui. Il la posa sur son cœur et s'expliqua, souriant innocemment. L'expression sur son visage réchauffa le cœur des personnes autour de lui, ils le virent comme un rayon de soleil délicat après la tempête qui venait de secouer le château. Et pourtant, ils ne sourirent pas, conscients que d'ici quelques secondes, la pluie et l'orage engloutiraient le fils Caelum sans aucun scrupule.
— Je l'aime très, très fort, parce que maman elle m'a dit qu'elle me surveillait, avec elle ! Tu te rends compte ? Maman elle est magique, elle se transforme en peluche comme ça elle sait toujours quand je fais des bêtises. Du coup j'en fais pas ! Mais elle est où maman ? Le cache-cache il est fini, t'as dit...
Sohal s'agenouilla lentement, tout en laissant enfin son fils toucher le sol. Ils se firent face à un niveau égal, aussi leurs yeux se rencontrèrent, se cherchèrent, se craignirent. L'adulte posa ses grandes mains tremblantes sur les petites épaules de sa progéniture, puis essaya de rester le plus doux possible lorsqu'il parla, la voix chevrotante, le souffle court.
— Maman... Maman a perdu le cache-cache, mon Riel. Mais maman... maman sera toujours avec toi, avec la peluche, comme elle te l'a dit. Elle veillera sur toi tous les jours. Elle sera toujours, toujours là, d'accord ? Toujours...
— Pa... Papa ? Elle est où maman ? Le cache-cache il est fini...
— Elle est... maman est partie au ciel, Azriel.
Sohal sut pertinemment que cette formulation n'était pas la bonne, qu'il lui valait mieux annoncer la vérité et employer les bons mots. Toutefois, il fut incapable de s'y résoudre, et la réaction d'Azriel ne l'y aida pas davantage.
— Elle est avec le soleil ? Mais... mais on peut pas partir au ciel, Lyan il dit que les gens ils savent pas voler. Elle est où maman ? Hein ? Elle est où ma maman ? Le cache-cache il est fini ! Maman elle doit sortir de sa cachette, maintenant...
— Azriel... Mon Riel... Maman ne reviendra pas, d'accord ? Elle... elle n'est plus... là. Plus là physiquement. Mais elle reste dans la peluche et dans ton cœur, d'accord ?
L'adulte fut incapable de retenir les larmes silencieuses qui roulèrent sur ses joues. Son cœur sembla imploser, anéanti. Sa femme venait de lui être violemment arrachée, et l'expliquer à son fils fut bien trop compliqué pour lui. Azriel ne voulut pas comprendre. Son cerveau eut l'air de se détacher de la réalité, de se mettre en pause. Il nia l'information, passa outre, et sa bouche laissa échapper un rire nerveux qu'il fut incapable de contrôler. Lentement, les nuages vinrent tourner autour de lui, et les premières gouttes de pluies s'échouèrent sur ses joues.
— Riel...
— Mais maman c'est pas une peluche ! Elle est où, papa ? Hein ? Pourquoi elle est pas là ? Le cache-cache il est fini... Il faut qu'elle soit là ! Je vais me lever en même temps que le soleil demain. Faut qu'elle voie ça ! Elle a dit qu'elle allait regarder le soleil avec moi...
— Azriel...
— Elle est où maman ?
Il secoua la tête, se répétant plus fort, les yeux clos et le corps crispé sur la peluche. Son esprit absorba progressivement la réalité alors que les nuages se refermaient sur son corps, anéantissant le dernier rayon de soleil qui émanait de lui. Alors, lentement, les visages devinrent sombres à nouveau. La lente agonie du bambin et de son père fut déchirante, et la détresse de la situation pesa lourd sur toutes les épaules. Le cri de détresse d'Azriel sembla être le coup de grâce, le bruit d'un tonnerre brisé, au cœur broyé.
— Maman ! J'veux ma maman ! Maman... Ma maman...
Son père le câlina, le maintenant contre lui, caressant ses cheveux tendrement. Il se laissa sangloter contre son fils et Azriel l'imita aussitôt, donnant des coups de poing désespérés contre le torse de son père pour se détacher de lui, pour passer ses nerfs, pour trouver un responsable. Finalement, lentement, son corps s'immobilisa, et sa tête retomba contre l'épaule de Sohal. Ses petits bras pendouillèrent dans le vide et ses yeux restèrent grand ouverts. Son esprit fut absent, comme mis sur pause afin de ne plus rien subir de la réalité. Ce fut donc dans un murmure et d'une voix mécanique qu'il répéta frénétiquement, une dernière fois :
— Elle est où maman ? Ils ont fait quoi à ma maman ? Ma maman elle a perdu le cache-cache ? Maman, reviens... Maman... s'il te plait... T'es où, maman ?
Il n'obtint jamais de réponse claire ; son père refusa toujours de lui expliquer. Sa vie prit alors une nouvelle direction, ce jour-là. Si le petit garçon émotif et débrouillard resta fidèle à lui-même, jamais plus on ne le vit jouer à cache-cache. Il poursuivit sa course contre l'aube sans jamais réussir à la voir se lever, il continua tant bien que mal de s'accrocher à ses rêves, continua de faire sourire Lyan. Mais jamais plus on ne l'entendit rire, crier et vivre aussi fort et innocemment qu'avant. Il apprit à craindre de faire du bruit, à redouter d'attirer l'attention, comme si des milliers de personnes comptaient encore l'attaquer à chaque souffle trop audible. Jamais plus on ne vit les étoiles qui avaient toujours animé ses yeux, pas plus qu'on ne l'entendit raconter que les gens savaient voler. Il gagna en maturité bien vite, peut-être un peu trop. Il apprit à se taire sans rechigner, à se plier aux ordres sans poser de questions, à obéir à ceux qui lui étaient supérieurs. Il entra en collision avec la dure réalité d'Alasia à ses huit ans, le jour où sa mère lui fut arrachée par son peuple, par ces gens supposés représenter la Dynastie de la Sensibilité. Il se transforma en un garçon plus réfléchi, plus discret, plus renfermé sur lui-même.
Après l'attaque du peuple malade et affamé, l'ambiance au château changea aussi, et ce, radicalement. Les repas furent presque tous silencieux, et les deux enfants n'eurent plus droit à aucune touche de douceur, leurs pères n'étant pas friands des câlins, baisers et cajoleries. Ils furent donc contraints de devenir de parfaits héritiers trop vite, de devenir des hommes trop vite. Ils durent grandir dans un laps de temps trop court, qui aurait dû être dédié à leurs bêtises, leurs rires, leurs chamailleries. Il ne fut offert qu'à un sérieux et une rigueur morne, une protection exagérée et un enseignement trop strict.Le Roi voulut qu'ils soient prêts à affronter ce peuple qui les détestait. Ce peuple qui vola, ce jour-là, l'enfance et l'insouciance de deux chérubins qui ne leur avaient jamais rien fait.
Cette date resta ainsi tristement importante dans l'histoire de la Sixième Dynastie : elle marqua son déclin complet. Le Roi Jayin Orbis et son Royaume allaient périr, et les autres pays l'ignoraient, les laissant mourir à petit feu et sans même s'en inquiéter...
➺⎯♚⎯➢
AAAAAAH :D
J'suis vraiment, vraiment trop heureuse de poster Dynasty à nouveau, et surtout de vous présenter enfin mes OCs. J'espère sincèrement que l'histoire pourra vous plaire, qu'elle pourra surtout vibrer davantage et plus singulièrement maintenant qu'elle n'est plus enchaînée aux règles de la fanfiction.
À très vite pour le chapitre 2 (sûrement samedi) ! Prenez soin de vous, et n'oubliez pas que j'vous aime fort fort fort <3
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top