𝐓𝐰𝐞𝐧𝐭𝐲 𝐬𝐢𝐱𝐭𝐡

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Trois jours. C’était tout ce que demandait Yeonjun.

Trois jours pour reconstruire une histoire, leur histoire, avant l'inévitable fin de toutes les autres.
Tout avait commencé avec trois, trois jours hors du temps. À deux, main dans la main, allongés sur le sable à se demander si ça durerait toujours.

Ils n'avaient eu que trois jours quand d'autres ont toute une vie, trois jours pour tout dire, tout faire, tenter de sauver ce qui restait de leurs cœurs.

C'était l'idée de Soobin, et c'était bien la première fois qu'il décidait et que Yeonjun le suivait. Bien la première fois que Yeonjun rougissait pour des mots, qu'il se sentait tout petit comparé à son cadet.

Trois jours où ils devaient se révéler l'un à l'autre, apprendre à s'aimer convenablement, se défaire des entraves invisibles qui les avaient maintenus hors de portée de leurs sentiments.
Sauf que trois jours ne suffiraient jamais, parce que trois jours, même avec de la volonté, ce n'est pas assez. Trois jours c'est à peine un sourire, juste quelques notes sur un piano, et des vagues, des vagues dans des secrets dans des valses dans des eux qui marchent en solitaire.
Trois jours, trois danses, trois phases comme celles du deuil sauf que c'est de l'Amour dont on parle, même si ce n'est plus très clair.

Yeonjun se disait qu'en trois jours il pourrait tout expliquer à Soobin. La façon dont son cœur bat quand il le voit, les difficultés qu'il a à respirer quand il voit ses larmes, le bourdonnement incessant dans ses oreilles, quand il est seul dans la rue et que Soobin est loin.
Soobin espérait que trois jours suffisent à lui avouer l'inavouable, qu'il ne peut tout simplement pas vivre sans lui, que le monde est bien trop dur, que sa vie est bien trop dure, que chaque fois qu'il le voit c'est un feu d'artifice, même si ça lui fait mal aux yeux, c'est beau.

                (Oui j'aime juste trop ce ship, c'est pas ma faute ok)

Et trois jours, c'est long mais c'est court, on aura le temps, tout juste le temps, approximativement. On pourra se dire je t'aime mille fois et ne pas s'en souvenir, on pourra soupirer et ce sera inaudible, on pourra crever en silence mais ça ne durera que trois jours, dans les deux sens.

Même le sourire de la dame, derrière le guichet, à la gare, s'était évanoui en les voyant débarquer. Avec leur valise commune aussi vide qu'un parc sous la pluie, leurs sacs noirs zippés jusqu'au bout, au cas où les secrets tenteraient de s'en échapper. Au cas où l'autre tenterait d'y jeter un œil. Celà faisait longtemps qu'ils ne se disaient plus rien, que Yeonjun partait la nuit et ne revenait que le matin, que Soobin se faisait un sang d'encre, sans papier pour pouvoir y déposer sa peine. Celà faisait longtemps qu'ils s'étaient brisés mais que personne n'y prêtait attention. Pour tout dire, les gens allaient tous tellement mal que personne ne voulait récupérer un plus gros morceau de tristesse. L'empathie disparaissait, asséchant les jours bleus, rendant arides les gens heureux.

    «Il n'y a que des déserts, partout où l'on pose les yeux, des déserts qui se heurtent et ne récoltent qu'un peu plus de sécheresse à chaque fois.» Avait dit Taehyun, après leur dernier concert en date. Le dernier tout court, mais ils ne le réalisaient pas encore.

Pleurer n'apportait aucun réconfort, pourtant Soobin ne pouvait s'en empêcher. Quand tout allait mal, que tout s'écroulait, il partait s'enfermer quelque part, ne revenait qu'au coucher du soleil admirer la lumière sauter du quatrième étage, s'écraser et s'effacer. Alors ne résonnait plus que le bruit des ambulances, dans tout son être, qui lui criait d'imiter le jour, de s'en aller à son tour.
Il n'avait cédé qu'une ou deux fois, quand la douleur était trop lourde, quand Yeonjun était trop loin. Quand les drogues ne suffisaient plus.

Il pleurait avant de se couper, avant de casser, avant de se laisser choir sur le canapé, en attendant que le sommeil l'emporte et en espérant que ce soit la dernière fois qu'il ait à fermer les yeux.

Yeonjun entendait les pleurs de Soobin. Qui ne les aurait pas entendus, ils étaient bruyants, déchirants, ils le forçaient à fuir. C'était pour se préserver du bruit qu'il partait en errance, dans les rues de sa ville, qu'il devenait l'amant de ces filles aussi perdues que lui. Il se doutait bien qu'ils en seraient marqués pour toujours, tous. Que ce soient elles ou eux. Il s'en doutait mais le besoin de s'échapper était trop fort. Le besoin de sentir le vent sur sa peau, le froid des corps inconnus.
Il était alors totalement noyé, saoulé de vie, rendu euphorique par ses folies douce-amères. Submergé par la culpabilité qui le tiraillait dans le creux de son ventre.
Il s'oubliait, oubliait tout, cherchait dans la nuit à retrouver son chemin, appelait à l'aide, mais le monde entier dormait et Soobin n'entendait déjà plus.

Quand il revenait à la maison, il le trouvait à demi sur le sol, les veines ouvertes, les yeux rouges, le souffle haché. Yeonjun aurait eu besoin d'autre chose, mais ils s'étaient déjà trop éloignés pour qu'il lui réclame plus d'attention. Alors il appelait l'hôpital, comme à chaque fois. Et comme à chaque fois on lui répondait de bander les plaies, d'attendre, attendre, toujours attendre qu'une place se libère, parce qu'ils étaient surchargés, là-bas. Il y avait trop de solitude pour tout le monde, pas assez d'espoir. Yeonjun allongeait correctement son amoureux, le bordait, contemplait son visage endormi, en se demandant quels cauchemars se déroulaient sous ses paupières. Parfois il l'embrassait, et regrettait aussitôt. Il n'était pas légitime. Il embrassait mille autres femmes tandis que Soobin patientait, seul, mais seuls ils l'étaient tous les deux. Ils ne se retenaient pas, mais s'étaient emmêlés avec ce putain de fil rouge. À présent, tout leur déchirait l'âme, que ce soit l'ivresse de l'un ou le sang de l'autre.

Aujourd'hui les trois jours recommençaient. Ils étaient idiots. Ils étaient idiots et amoureux, encore. Parce qu'ils n'avaient jamais cessé de l'être. Parce que même s'il en souffraient c'était également leur seul moyen d'être heureux.
Ils avaient à nouveau trois jours.
Trois jours pour revivre.

Trois jours qui venaient tout juste de débuter, là, à l'ombre des hôtels d'une rue de Séoul, alors qu'une lointaine horloge qui peut-être n'existait pas sonnait minuit.
Ils se souvenaient d'un conte, au même tempo risqué, à la fin douce et heureuse, sachant très bien que la leur ne serait sûrement pas ainsi.
Ils se souvenaient de tout, et ça ne les empêchait pas de s'embrasser au clair de lune, de se chercher dans les yeux l'un de l'autre, de s'abandonner sous le feu de la misère cachée dans le désespoir.

Trois jours à se consumer, à n'être que des étoiles insignifiantes qui seraient si vite oubliées. Il n'y aurait guère que deux ou trois personnes pour se souvenir qu'ils avaient vécu, avant de brûler. Que Taehyun et sa folie grandissante, que Kai ou ce qu'il en restait, que Beomgyu ce fantôme aux allures de portrait voilé, que Mitsuba et ses démons. Avec un peu de chance, personne ne pourrait pleurer, parce que plus personne ne serait. Peut-être que la fin de leur histoire serait la fin de toutes les histoires.
Trois lumières, dans la nuit.

Les lampadaires sur le trottoir qui leurs faisaient des clins d'œil complices. Et les deux amants qui s'embrassaient encore, qui se dévoraient l'âme, qui s'en contre-balançaient du «qu'en dira-t-on». Il allaient mourir, mais ils ne s'étaient jamais sentis aussi bien. Alors, ce n'était surement que le déni, qu'une illusion, mais ça ne les empêchait pas d'en profiter autant que possible.
Trois pas, dans le noir.

À quoi bon faire rimer leurs soupirs quand ils pouvaient les mélanger. Lèvres contre lèvres jusqu'au bout du bout du bout du chemin. Les mains de Yeonjun allaient et venaient contre la taille de Soobin, remontant dans ses cheveux, retournant se nicher dans son cou.
Trois regards.

«Tu es là ?»
«Je suis là ?»
«Est-ce que tu m'aimes ?»
Est-ce que tu m'aimes...

Trois jours.
Ça ne suffirait pas à tout sauver.
Trois jours.
Ça pourrait au moins leur faire comprendre certaines réalités.
Trois jours.

En poussant la porte de leur chambre d'hôtel, Yeonjun laissa l'esquisse d'un sourire se dessiner sur son visage. Bien sûr, il manquait des étoiles dans le ciel, et il faisait plus froid, mais l'ambiance restait la même que trois ans auparavant, quand ils s'étaient perdus dans les draps d'un lit, pressés par l'horloge.

À présent, et même s'ils n'avaient plus qu'une poignée d'heures, ils se devaient de prendre le temps. Ils se devaient de se respecter mutuellement. Une dernière fois, au moins.
Le plus vieux jeta sur le sol son sac de vêtements de rechange qu'il avait attrapé au vol juste avant d'emmener son amoureux jusque dans cet endroit, témoin de leurs précédentes folies. L'objet fit un bruit étouffé en tombant sur le parquet, et vint se heurter à un meuble en bois qui portait sur son dos quelques dizaines de bougies et un vieil appareil à lire les disques. Il poussa les accessoires inutiles puis tira de son maigre bagage une petite pochette en carton qui renfermait un CD ordinaire, sans aucune inscription dessus. Avec des mouvements délicats, il déposa la fine plaquette argentée sur son plateau tournant et plaça le bout du bras de lecture au bord du disque.

Une douce mélodie s'éleva, aux accords brisés, au ton suppliant. Elle parlait d'amour, évidemment. D'amour et de passion.

Doucement, Yeonjun s’avança vers Soobin, et lui tendit la main. Ce dernier la prit et se laissa emporter, sur le tempo lent, déchirant. Les murs roses et rouges devenaient flous alors qu’ils tourbillonnaient, dans les bras l’un de l’autre, perdus dans une symphonie de regards voilés. La musique montait toujours plus haut, toujours plus belle, reine de la nuit. Il faisait sombre et ils dansaient encore, liés par bien plus que des souvenirs, liés par les sentiments, et, en un sens, c’était le plus beau lien qui puisse exister. Au-delà du sang et des gens qu’on croise et auxquels on s’attache. Eux possédaient les clefs, certes rouillées, mais toujours fonctionnelles du corps de l’autre, ils avaient trop de tristesse commune pour faire semblant de ne pas se connaître, de se reconnaître.

Mais par le plus grand des hasards, par le plus grand des malheurs, ils n’avaient plus quelques instants, que quelques entrechats, que quelques sourires cachés dans la pénombre mais qui étaient bel et bien là.

Ils dansaient dans cette chambre, comme si rien ne s’effondrait autour, comme si leurs seuls doigts entrelacés contenaient toute l’immensité de l’univers.
S’il y avait eu des inconscients, marchant dehors, ils auraient vu par la fenêtre du sixième étage passer deux ombres, enserrées pour l’éternité. Juste des inconnus, jouant à cache-cache avec le temps, perdus, et quelquefois amants.
Ils auraient passé leur chemin, parce qu’on ne fait plus attention à rien, même pas aux étoiles vieillissantes derrière les rideaux des hôtels.
Jusqu’aux dernières secondes, ils s’aimeraient, Yeonjun et Soobin.
Parce qu’ils n’avaient plus que trois jours.
Trois jours.
Avant la fin du monde.

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