𝐓𝐰𝐞𝐧𝐭𝐲 𝐟𝐢𝐫𝐬𝐭
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Ce matin, en se réveillant, Soobin avait pensé à la mort. Plus que d'ordinaire, du moins. Quand il s'était hissé sur ses longues jambes, les yeux à demi clos, le cœur encore battant. Lorsqu'il avait ouvert les rideaux, par à coups car les anneaux glissaient mal le long de la tringle. À chaque pas qu'il fit pour se rendre dans la salle de bain, en tentant d'ignorer les bâillements qui s'élevaient derrière lui.
Il avait pensé à la mort, et à Yeonjun.
Et le ''et'', dans ses pensées, paraissait superflu.
Combien de passants, dans la rue, s'étaient retournés, dans les premiers temps de leur histoire ? Combien de regards alertés son cerveau avait-il effacé ? L'aura de Yeonjun était comme une barrière. Infranchissable dans les deux sens. Un mur de culpabilité et de tendresse, assez des deux dans la balance pour faire taire et faire oublier. Soobin ne se rappelait même plus.
Combien de secondes devant le miroir avant que les bras de son amant ne viennent posséder sa taille ?
L'amant. Celui qui se cache, qui est censé se cacher. Mais d'eux deux, c'était Soobin qui passait son temps dans le noir, à se poser des questions, à hésiter, à repartir en arrière, pour essayer de retrouver plus de lui. De ce qu'il avait laissé sur le chemin.
Personne ne lui avait dit que le temps est assassin. Que Yeonjun ramassait toutes les miettes de son cœur. Qu'il les jetait au feu et qu'elles devenaient des cendres.
- Yeonjun ?
Il vit à l'intérieur de la psyché la masse humaine dans le lit bouger. Une tête blonde émergea des couvertures et deux yeux noirs traversèrent la pièce pour venir le sonder.
Sans rompre le contact, le plus vieux ramassa ses lunettes sur la table de chevet, frôlant du bras une lampe grise à chapeau rouge, dont la proche présence fit se dresser ses poils. Le métal du pied, froid au toucher, venait de lui donner des frissons. Il chaussa ses verres encadrés de plastique noir sur son nez fin, aplatit sa chevelure curieusement mieux sauvegardée par la nuit qu'elle n'aurait dû l'être et se décida enfin à ouvrir sa bouche, après un petit sourire goguenard.
- Qu'est-ce que tu veux ? T'as l'air crevé. Pourtant on s'est pas endormis tard, hier soir...
Las de ses sous-entendus, qui le faisaient pourtant trembler, Soobin se détourna de son reflet pour venir s'asseoir au bord de la couche qu'ils partageaient. Son aîné en avait profité pour se rallonger, à moitié sorti des draps, le crâne posé entre deux oreillers.
- Est-ce que tu m'aimes ?
N'importe qui aurait été pris de court, aurait sursauté, se serait redressé, les joues en feu, que sa réponse soit positive ou négative. N'importe qui. Mais Choi Yeonjun n'était pas n'importe qui. Il s'en gardait bien, à vrai dire. C'est à peine si son sourire s'élargit, si il détourna les yeux. Non, il lança, le ton joueur, en saisissant la main de son cadet ;
- Bien sûr que oui. Qui pourrait ne pas t'aimer ?
Soobin se sentit plus paumé que jamais. Les gens avaient tendance à répondre ce genre de choses. Le vrai du faux s'en retrouvait emmêlé aux incertitudes et on finissait par perdre complètement tous ses repères. Il remonta ses jambes contre son torse, le dos contre le cadre du lit, sa main gauche toujours emprisonnée par la poigne chaleureuse de Yeonjun.
- Si tu le dis...
Il n'y avait pas eu de premières fois, entre eux. Pas réellement, du moins. Tout était allé tellement vite. Leur premier baiser, à peine s'il s'en souvenait. Le vague souvenir de la mer et du sable entre ses doigts, une odeur de cendre, quelques feux d'artifices. Les premiers temps de leur relation, quand Soobin était si maladroit avec les mots, qu'il mégenrait tout et n'importe quoi, le cerveau en vrac, les joues roses. Les câlins, dans le canapé ou cachés derrière une porte ouverte, le trac et les mains moites. Puis les mots doux, glissés discrètement dans la poche, ouverts dans le secret d'une paume, les yeux brillants et le souffle court. Les gestes, pas ceux qui blessent, ceux qui apaisent, le soutien d'une épaule, la remise en place d'une mèche vagabonde, un souffle dans le cou. Tous ces moments qui revenaient comme des gifles à chaque fois que Soobin voulait retrouver la quiétude du passé. Le bonheur. L'effet boomerang du déni.
Car il y avait eu cet instant de flottement. Trois jours, trois jours avant que tout ne bascule.
Trois jours pour se dire je t'aime, des heures et des heures qui s'étaient envolées plus vite que des grains de sable.
Ce cocon dans lequel il n'avait plus le droit d'entrer, cette lueur accueillante qu'il ne pouvait suivre, pauvre luciole condamnée aux ténèbres.
Ces trois jours qui dans une vie ne sont rien, mais qui pour eux furent tout.
Trois petits jours comme trois notes sur un piano, quelques secondes à peine, une millième de lever de rideau, le temps qui s'égrène et le ralentissement du tempo. Ils avaient eu trois jours à part, trois jours à se perdre, trois jours, trois nuits où il ne s'était rien passé. Juste trois, la Troie de leur histoire, le temps en un cheval.
Trois passe si vite.
Trois battements de paupières,
Trois battements d'ailes,
Trois battements de cœur.
Et c'est fini.
Trois temps.
Une valse.
- Soobin ?
L'interpellé ouvrit les yeux. Qu'il avait rouges et humides même sans larmes. Yeonjun était face à lui, assis sur ses jambes, lui retenant les mains.
- Soobin ? Ça va ?
Il semblait véritablement inquiet, les lèvres entrouvertes, prêt à parler mais attendant sa réponse.
- Lâche moi.
- Soobin, réponds !
- Lâche moi.
- À quoi tu pensais pour te faire du mal comme ça ?!
- Qu'est-ce que tu racontes, putain.
- Si je te lâche les mains, tu promets de rien faire de stupide ?
- C'est bas venant de toi, de parler de promesses.
- Tu te crois drôle ?
- Viens en au fait, Yeonjun.
Son aîné finit par le lâcher, mais ne bougea pas de ses membres inférieurs, prêt à le retenir à nouveau, de quoi, le brun l'ignorait.
Il ramena ses mains à lui et se rendit compte que la poigne de Yeonjun lui manquait déjà. Car elle le réchauffait. Car elle compressait les plaies.
Les marques en croissant de lune, qui recouvraient ses paumes, suintantes d'un liquide rouge qu'il avait déjà vu un grand nombre de fois au cours de sa vie, lui firent l'effet d'une claque. Il avait tant regretté qu'il s'en était coupé la peau. Sans y faire attention, sans y penser. C'est fragile, une vie humaine. C'est fragile, la couche de poussière sur nos os. C'est fragile, l'oiseau dans notre tête qui chante après l'orage. C'est fragile, le sablier qui compte nos temps. C'est fragile, l'amour. Il était fragile, Soobin, avant Yeonjun. Il l'était encore plus après. C'est fragile, la porcelaine qui recouvre notre cœur. Facilement brisable. Une seule fissure et tout s'en va. Une simple chute et il tombe avec fracas, Soobin. Il s'effondre au sol et ils doivent ramasser les morceaux, délicatement les recoller, mais l'ensemble est encore plus chancelant. C'est fragile, le long corps de Soobin.
- Sérieusement, Soobin, tu dois me dire ce qui ne va pas.
À quoi ça lui avait servi, d'exister ? Être aimé ? Être connu ? Être soutenu ?
Chacune de ses respirations le faisait souffrir. L'air lui piquait la gorge, les mains, les yeux.
Il avait aimé. Une seule et grande fois. Un seul garçon, un soleil de trois jours pour que s'ensuive la pluie, éternellement, ressassant la douleur.
Même les souvenirs faisaient mal.
- Soobin, à quoi tu pensais ?
Ce matin, en se réveillant, Soobin avait pensé à la mort. Aux roses noires qui n'existent pas, aux arc-en-ciel qui s'enfuient quand on court vers eux.
Il avait pensé à la mort, et à Yeonjun.
Mon cœur à tes pieds.
- À nous.
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