𝐅𝐨𝐮𝐫𝐭𝐞𝐞𝐧𝐭𝐡
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Le téléphone était silencieux. Si l’on avait pu les voir, les ondes auraient formé une ligne plate sans dérivations, comme une ligne d’horizon.
Trois jours que Taehyun attendait des nouvelles de Kai. Trois et des poussières puisqu’il n’était pas loin de minuit. Il penserait à dormir plus tard, sous l’œil rieur de la lune.
- Qu’est-ce que tu attends, au juste ?
Auparavant, il aurait été heureux de la voir. Et elle parvenait encore un peu à l’apaiser, mais ce n’était plus pareil. Sa présence se muait doucement en épée de Damoclès, sans qu’il sache pourquoi.
- J’attends un signe.
À sa grande surprise, au lieu de le reprendre et de l’assommer de critiques, elle posa une main amicale sur son épaule et se tut. Il appréciait le contact, bien sûr, chaud, rassurant. Sauf qu’il avait également cette peur dans le ventre. L’estomac noué, il ne savait plus à cause de qui, depuis quand, jusqu’où. Il sentait les battements irréguliers de son cœur contre ses côtes, comme des tambours mal accordés entre eux qui mangeaient le rythme.
- C’est beau.
Un instant, rien qu’une seconde, il eut l’impression de revenir à leur première rencontre. Quand elle parlait par énigmes sans se soucier des autres. Mais voilà qu’elle s’était confiée à eux, éventrant la magie, tuant le mystère dans l’œuf. Elle n’était plus une inconnue, plus une étoile tombée du ciel. Juste une enfant aux yeux plus tranchant que des poignards.
Avec un tiraillement douloureux dans la cage thoracique, il se rendit compte qu’il se retenait de lui poser des questions, encore et encore, comme aux premiers temps de leur valse. « Qu’est-ce qui est si beau ? N’était-ce pas toi qui disait que le monde avait perdu sa beauté ? Et où sont tes mensonges, où sont tes promesses ? Que restera-t-il après tout ça ? Qu’est-ce-que qui est beau, putain, dans toutes ces choses éphémères qui nous noient ?! »
Il respecta pourtant le mutisme de la brune. La façon dont ses yeux se perdaient dans le vague avait quelque chose de puéril, dont il se serait moqué s’il n’avait pas eu si peur. Mais peur de quoi, à la fin ?
Le silence devint lourd et étouffant. La nuit mélangeait les ombres, mélangeait leurs pensées. Taehyun ne savait plus vraiment comment réfléchir, s’il pouvait parler, à quel moment, sur quel tempo. Il avait l’impression d’avoir perdu tous ses repères, depuis que le son monde s’effondrait. Depuis qu’elle était arrivée. Il lui jeta un rapide coup d’œil et se détourna, les yeux rouges, striés de petites veines, secs.
- Taehyun… Parle-moi. Parle-moi comme avant, avant même que l’on se rencontre. Parle-moi comme tu te parlais à toi-même quand tu étais seul à souffrir. Parle, dis-moi pourquoi tu t’es perdu dans le brouillard épais des bulles de tes bières ? Où commence le Taehyun du passé et où finissent tes larmes ? Parle-moi, comme tu parlais aux étoiles sans voir qu’elles n’étaient plus ! Je veux t’entendre dire des choses qui sont fausses et belles. Tellement belles qu’elles en deviennent vraies. Parle-moi, parle-nous.
Elle avait pris ses mains durant sa tirade. Il sentait ses paumes tièdes contre les siennes.
- Que veux-tu que je dise ? J’ai épuisé ma réserve de jolis mensonges.
- Alors raconte ceux qui restent. Raconte-moi tes peines imaginaires, tes cauchemars.
- Pourquoi ?
Dans un bruissement de tissu, elle s’assit face à lui, sans dénouer leurs doigts.
- Pourquoi n’avez-vous toujours que des pourquoi sur la langue ? Où sont vos belles paroles de chevaliers, vos mots doux ? Que vous est-il arrivé pour que vous ne vouliez plus que des réponses ?
- Il est arrivé la pire des choses, nous avons grandi. Nous avons grandi et le monde a rétréci.
- Vos rêves avec.
- Les rêves sont métamorphes. Ils ne sont pas devenus plus petits, ils sont simplement partis.
Elle lui lança un de ces regards fatigués des idioties, des gens qui passent leur temps à raconter des bêtises, à s’en bercer pour trouver le sommeil. Il sentit un frisson le parcourir de haut en bas. Le néon de la cuisine grésilla une fois de plus. Le téléphone ne sonna pas. Il se leva de sa chaise et attrapa un sac posé par terre. Mitsuba le regardait faire, un demi sourire flottant sur ses lèvres pâles. Il lui accorda un hochement de tête lorsqu’il passa à sa droite pour rejoindre la porte d’entrée, mais pas un mot.
- À plus tard. Conclut-elle tandis qu’il fermait la porte.
- Oui.
La brune ferma les yeux et posa la tête sur ses bras. Cette position lui garantissait un bon nombre de courbatures au réveil, mais elle n’avait pas envie de bouger. Le « Oui » de Taehyun sonnait faux, alors elle resta sur sa chaise comme s’il n’était jamais parti, attendant son retour le dos plié en quatre. Les choses qui changeaient en permanence l’effrayaient.
Elle se raccrocha à un lambeau de mémoire et tira dessus pour s’en envelopper comme d’une couverture.
- « Oui »… Au moins, ce n’était pas une question.
Elle s’endormit en fredonnant.
Taehyun progressait le long d’une rue battue par le vent. Sa capuche rouge, associée au manteau qu’il avait pris en vitesse une quinzaine de minutes plus tôt, ne le couvrait pas beaucoup.
Il s’était hâté, se sentant enfermé dans cette maison qui sentait la mort. Plus vite il sortirait plus vite il serait libre. Mais l’extérieur n’était pas mieux. Il courait, de plus en plus vite, certain d’être suivi, le corps saisi de tremblements. Les pas qu’il entendait derrière étaient réels, il ne devait pas se retourner, surtout pas. Ç’aurait été la pire des bêtises. Ne jamais se retourner, surtout pas dans une obscurité pareille. Il n’y voyait pas dix pas devant, nul besoin de prendre le risque.
Curieusement, il se sentit un peu comme Orphée. À s’obliger à avancer sans se poser de questions, sans regarder par-dessus son épaule. Sauf que les circonstances étaient différentes. Là, il était oppressé, en danger. Vivement le premier magasin où il pourrait s’engouffrer, il y serait à l’abri. Vivement la lumière au croisement, qu’il sache où se cacher, où être en sécurité.
Il longeait l’école primaire, à la cour vide balayée par les bourrasques, aux cadres sales des fenêtres comme des yeux tristes.
Un bruit de doigts courant sur le grillage le bouscula dans ses pensées et il trottina jusqu’au 24h/24 à l’angle de la rue. Il baissa sa capuche, projetant une myriade de gouttelettes brillantes sur le sol carrelé.
Sans grande surprise, il n’y avait personne derrière lui lorsqu’il se retourna, près à affronter ses démons. Rien ni personne, excepté un chat errant qui miaulait près de l’entrée.
À la caisse, une vieille dame discutait avec l’employé. L’un comme l’autre était sans visage. Sans éclat, inconnu, ordinaire.
Savoir que des millions de gens avaient un jour regardé son corps onduler sur sa musique rendait Taehyun étrangement fier. Il n’avait pas toujours été un de ces personnages de second plan sous un parapluie à l’arrière-scène. Un jour, il avait été aimé.
La flamme dans son cœur le réchauffa à peine.
Un bruit de voix. Une dispute. Il tourna à 180 degrés pour observer ce qui se tramait près de la sortie. La vieille dame se débattait, aux prises avec un vigile. Elle couinait, ses joues parcheminées mouillées de larmes.
- S’il-vous-plaît… C’est pour mon petit-fils… son père est mort sur un chantier… Je ne peux pas la payer mais s’il-vous-plaît… ayez un cœur…
L’agent de sécurité ne broncha pas et la jeta dehors.
La garçon observait le tout, une douleur sourde dans la poitrine. Tous cruels, tous pareils, tous monstrueux. Il n’y avait rien à en tirer.
- Souhaitez-vous un sac ? Oui ? Bonne journée monsieur.
Même le sourire du caissier sonnait faux. Le sac plastique dans une main, il réenfila sa carapace carmin. En passant près du parc, il vit la vieille femme, contemplant ses mains ridées qui ne faisaient que trembler.
Taehyun fit demi-tour et retourna au magasin alors que le propriétaire formait les lieux.
- Vous avez oublié quelque chose ?
Il ne répondit pas et tendit l’oreille. Un bruit sous un carton l’attira. Préservé de l’eau mais pas du froid, le chaton l’attendait, la gueule entrouverte, ses fines canines blanches brillant sans lumière. Il le prit dans ses bras avec milles précautions. L’animal n’était pas lourd, à peine plus dérangeant qu’une poussière.
Sur le chemin jusqu’à chez lui, il se surprit à éprouver de la culpabilité. Il sauvait une vie, mais qu’en était-il de la femme seule sous la tempête, de l’enfant qui l’attendait chez elle ? De tous ces gens sans avenir résignés et abattus ?
Un avion de chasse lui perça les tympans. La boule de poils se blottit contre lui.
- Il s’agirait de te donner un nom. Que penses-tu de Tinnitus ?
Un miaulement aiguë lui répondit, seul son au milieu du silence et du bruit de ses bottes contre le trottoir.
Allongé sur son lit, Soobin pensait. Sans drogues, sans médicaments, sans alcool pour lui molletonner l’intérieur du crâne. Pas de coton, pas de douce ivresse qui maintient dans l’ignorance.
Il pensait pour de vrai, à la mort et aux genres de choses auxquelles on réfléchit quand rien ne va.
Il pensait à la mort comme une solution, une évidence et une preuve de lâcheté. Il savait le rapport qu’avaient ses amis avec. Il savait qu’ils avaient tous leur moyen d’affronter cette ombre toujours là, cachée, patientant. Kai lui avait serré la main, Taehyun la faisait disparaître avec la distance, lui il l’accueillait tout en se gardant bien d’en être trop près. Et Yeonjun la haïssait. Yeonjun aurait tué la mort s’il avait pu. Yeonjun qui pour se sentir vivant volait les nuits des ces filles, et celles de Soobin en même temps. Yeonjun et ses ridicules, lamentables raisons de partir, juste pour s’envoyer en l’air et éloigner la mort le temps d’une soirée.
- Imbécile…
Il n’avait pas eu l’intention de parler à voix haute. La masse immobile allongée à côté de lui remua et parla, d’une voix grave de zombie émergeant du sommeil.
- Tu m’insultes même quand je dors ?
- Rendors-toi, le soleil n’est pas levé.
- Très drôle Soobie.
- Je ne rigolais pas, c’est la stricte vérité.
Yeonjun se mordit la lèvre inférieure et expira rageusement l’air contenu dans ses poumons par le nez. Il se passa la main dans les cheveux, ce tic qu’il avait depuis toujours.
Ça et ses lunettes constamment sur le bout de son nez, que Soobin avait redressées un bon millier de fois.
Il s’accrocha à la taille de son cadet.
- Reste là… Reste avec moi, on s’en fout des autres. Restons là pour l’éternité.
Soobin se releva en position assise sur le bord de la couchette.
- C’es trop tard pour l’éternité. Et pour les promesses.
Il coupa leur lien visuel d’un détournement de la tête.
- Alors reste juste avec moi, je te demande pas de me le promettre. Murmura le plus grand en se relevant à son tour et en emprisonnant son amant de ses bras.
- C’est dur, Yeonjun. C’est dur de pardonner.
Des larmes se mêlèrent à leur étreinte.
- Je sais… je sais.
- Mais je vais essayer. Pour toi. Je vais essayer de rester.
- Ne nous lâchons plus la main. J’ai fait des conneries, je mérite pas ton affection. Mais s'il-te-plaît ne nous lâchons plus.
- J’ai fait autant de bêtises que toi, voire plus, tu sais…
- Ouais mais moi j’ai déconné sévère. Et pourtant t’es là. J’ai l’impression d’être dans un putain de rêve. Un rêve où on peut s’aimer pour la fin de l’éternité.
Ils collèrent leur front, les yeux dans les yeux, les doigts entrelacés.
- La fin de l’éternité serait bien morne sans toi, Choi Yeonjun.
- Ma fin de l’éternité, ma fin du monde aurait été tellement merdique sans toi, Choi Soobin.
Dehors, la pluie redoubla d’intensité, giflant les vitres, crissant sur le toit.
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