𝐅𝐢𝐫𝐬𝐭
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"Il y a longtemps, j'ai vu un tableau. Et je n'ai pas su comprendre s'il parlait du début ou de la fin du monde."
Il franchit la porte-fenêtre et fit trois pas dans le salon. C'était une pièce de taille moyenne, au mobilier ordinaire. Un unique cadre photo abandonné sur une commode était recouvert de poussière, à côté d'une manette rouge. La tapisserie blanc crème s'était ternie, mais on remarquait surtout ça et là des tâches d'humidité, comme si les murs n'étaient plus étanches. La lumière de l'après-midi s'éteignait doucement, le soleil disparaissait derrière une palissade de bois, abîmée, mais toujours droite, barrière entre les étroits jardins à l'herbe sèche des numéros 8 et 9 de la rue. Le plancher du sol était constellé de points bleus, comme si l'on s'était amusé à agiter un pinceau au-dessus, et disparaissait ça et là sous des piles de cartons et d'affaires en vrac. Des restes d'emballages de pizzas et de médicaments reposaient sur la table basse, face à la télévision qui diffusait en boucle des reportages sur les récentes explosions du Sud des Etats-Unis. Il ramassa quelques déchets, songea à la planète (ou ce qu'il en restait) et les tria avant de les jeter dans les bonnes poubelles. Les murs gris de la cuisine ne lui avaient pas manqué, ainsi que la vaisselle sale qui s'entassait dans l'évier. Soupirant, il remit à plus tard le ménage et préféra aller faire taire la journaliste qui parlait à présent de forte décroissance des naissances un peu partout dans le monde. La télécommande dans sa main lui semblait poser une tonne, comme si toute la souffrance des rescapés des typhons, guerres et autres catastrophes s'y était logée. Les êtres humains ne savaient déjà pas prendre soin d'eux-même, alors des autres ? Si quelqu'un quelque part avait une idée, juste une petite idée pouvant sauver le monde, Taehyun pariait qu'il ne la dirait pas, rien que parce qu'il préfèrerait la vendre à une grande entreprise. L'égoïsme et l'ambition, depuis la nuit des temps, avaient chuchoté à l'oreille des Hommes. Il en résultait une planète ravagée, des millions de gens en train de mourir et les puissants qui s'amusaient à se faire la guerre, envoyant leurs troupes s'entre-tuer comme si c'était des petits soldats de plomb. Quelques décennies plus tôt, chacun disait que l'espèce humaine serait décimée quand exploserait le soleil, à présent, il était clair qu'elle se tuerait toute seule, pour preuve, elle était en bonne marche.
Il reposa l'outil électronique et se sentit seul dans le silence nouvellement né, mais en tendant l'oreille, il perçut les murmures d'une respiration en provenance du couloir. Si le reste de la maison était encore habitable, malgré la saleté, le corridor sans fenêtres, aux murs sombres, n'aurait même pas plu à un vampire, tant des monticules de débris s'y entassaient. Des vêtements froissés, des bricoles cassées, de vieilles boîtes vides dont on ne retrouverait jamais le trésor dans le bordel qu'était cette baraque. Le bruit d'une respiration, seule preuve de l'existence d'une autre personne, était à peine plus fort alors qu'une cloison seule séparait Taehyun de sa source. Une feuille de papier scotchée sur le panneau de bois indiquait qu'on avait l'obligeance de toquer avant d'entrer, mais inutile de s'en embarrasser, qui respectait encore les règles, quelles qu'elles soient ?
Avant de faire face au massacre, il inspira profondément et compta jusqu'à dix. La chambre de son aîné était plongée dans l'obscurité et il y flottait une odeur écoeurante de soufre. Il s'apprêtait à ouvrir les rideaux quand la voix cassée de son ancien leader le retint.
- Ouvre pas... Tae.
Le dénommé ne répondit pas et tira sur le pan de tissu occultant. Un rai de lumière froide pénétra le double-vitrage et s'échoua sur le visage pâle et grimaçant de Choi Soobin. Ou d'un cadavre, la ressemblance entre les deux était frappante, et l'on aurait pu s'y méprendre s'il n'avait pas ouvert sur l'instant de profonds yeux bruns à l'étincelle terne après force de grognements.
- Putain t'es lourd... Je déteste ce temps, c'est fatiguant, où est le soleil ?
- Parce que tu crois que moi je l'apprécie ? Faut bien que quelqu'un sorte et aille acheter à manger ici.
- Y a des pizzas congelées... et j'allais sortir mais... Il s'interrompit avant de fournir une quelconque explication et s'enfonça dans ses couvertures.
Une interruption soudaine de Soobin était toujours synonyme d'un quelconque lien dans ce qu'il disait avec un certain garçon de 1999.
- Il a encore ramené une fille ?
Un mouvement de drap lui indiqua qu'il avait vu juste.
- Et il est où, d'ailleurs, cet imbécile ? Yeonjun est vraiment irresponsable...
- Crie pas... son nom... Il est parti y a une demi-heure... m'a demandé si j'avais encore des somnifères.
L'ancien présentateur émergea de sous la couette pour désigner une pile de boîtes blanches.
- J'en avais plus... Me regarde pas comme ça, j'en ai besoin pour dormir.
- Ah ouais, et les anti-dépresseurs, et la benzodiazépine ? T'en a besoin pour dormir aussi ? J'ai croisé le docteur Seo à la pharmacie, il m'a dit qu'il fallait pas dépasser quatre semaines de prises... au-delà ça devient dangereux, Soobin ! S'étrangla son ami, les yeux brûlants.
- Qu'est-ce que tu foutais dans le centre-ville ? Y a une supérette au coin de la rue. Marmonna Soobin d'un ton pâteux, humidifiant ses lèvres sèches en frottant ses yeux, attaqués par les vestiges de lumière qui filtraient entre les planches de la barrière, à l'extérieur.
Son cadet s'énerva un peu de l'apathie de son camarade, mais préféra lui dire ce qu'il avait sur le cœur, plutôt que de commencer une nouvelle dispute, il ne se souvenait que trop bien de ce qu'il était advenu durant la dernière.
-Rien d'important. Mais... Qu'est-ce qui va plus, Soobin ? C'était bien, quand on était joyeux et enthousiastes... Tu sais, avant, t'étais un mec super cool... Qu'est-ce qui a changé ? Tu peux m'en parler... On est tous seuls maintenant, faut se serrer les coudes. Il s'est passé beaucoup de choses ces derniers mois...
- Je sais pas.
Il bailla et s'enfouit à nouveau sous sa couverture, cassant net les espoirs de Taehyun. Jamais plus rien ne serait comme avant, c'était trop tard.
Le garçon s'en alla en prenant soin de refermer la porte derrière lui.
La gorge en feu, il piocha dans ses sacs de course une canette de bière, l'alcool ne guérissait pas les maux, mais au moins, il les occultait le temps d'une soirée. Un peu revigoré, il s'attaqua à la montagne d'assiettes et de verres qui patientait dans le lavabo, puis fit chauffer de l'eau pour faire du riz. Il s'énerva durant quelques minutes contre l'imbécile qui n'avait pas rangé le kimchi au frigo, puis se calma en voyant que même le cactus à moitié mort sur l'étagère le fixait d'un air navré. Après deux nouvelles bières et quarante-cinq minutes de boulot, il posa son riz, une omelette et trois bols de soupe sur la table recouverte d'une nappe blanche à carreaux roses. Ironiquement, il songea aux cheveux de la même teinte qu'avait autrefois arboré Yeonjun. Celà lui semblait tellement loin, à présent. Une autre époque... Un ricanement nerveux s'échappa de sa bouche. Au moment même où il pensait au loup, une clef tourna dans la serrure et de vrais éclats de rire se firent entendre. Une tête brune fit son entrée, suivie de près par un Yeonjun comme d'habitude, le sourire fier, les yeux glacials, une main enfoncée dans la poche de son jean baggy, l'autre serrée autour de la poignée d'un sac plastique avec une croix verte dessus. Il se dirigea vers le cuisinier.
- Tu lui donneras ça. Marmonna-t-il en lui fourrant le sac dans les mains, s'en débarrassant vite fait pour aller faire des mamours à sa nouvelle conquête.
- Il mange avec nous, figure-toi. Répondit sèchement Taehyun en fourrant les médicaments dans un placard en hauteur.
- Ah ouais ? Bah super, je pourrais lui présenter Hye-min.
Il approcha la brune d'eux en lui prenant la taille. Après de rapides salutations, ils étaient repartis à se dévorer la bouche et plutôt que de vomir tout l'alcool qu'il avait ingurgité, le plus jeune préféra aller réveiller Soobin.
A peine avait-il franchi le seuil de sa chambre qu'il entendait de faux ronflements s'élever de l'endroit où il situait le lit du ''malade'', difficile à voir dans la pénombre.
- Joue pas à ça, s'il-te-plaît. Elle s'appelle Hye-min.
- Je sais, mal insonorisé ici, c'est la petite-fille du psy. Hwang Hye-min. Elle a 22 ans.
- Qu'est-ce que tu veux, elle l'appelle peut-être Sugar Daddy.
Ils éclatèrent d'un rire sans joie et Taehyun le força à se lever et à aller se débarbouiller dans la salle de bain. Un coup d'eau sur le visage et on ne voyait presque plus qu'il avait passé la journée au lit. Même s'il insista également pour lui appliquer une bonne dose d'anti-cerne et arranger ses cheveux uniquement noirs depuis que la dernière teinture lui avait provoqué une réaction allergique plutôt mémorable.
- C'est bon maman t'as fini ? Il fait presque nuit on s'en fout que je sois présentable... Pardon. Souffla-t-il devant le regard noir de son cadet.
Ils passèrent dans la cuisine, interrompant le blond occupé à un examen minutieux du décolleté de sa copine. Soudainement en colère contre tout ce qui pouvait avoir un lien avec ce connard, le plus jeune de la tablée se refusa à passer le sel à Hye-min pendant cinq minutes avant que Soobin ne le fasse à sa place, renversant au passage le verre d'eau de Yeonjun.
- Idiot ! Lança ce dernier tandis que l'eau venait tremper son pantalon.
- Pardon... c'était pas volontaire...
- C'est ça ouais, ça te tuerait de faire gaffe deux secondes au monde qui t'entoure ?
-J'ai dit que j'étais désolé... murmura l'ex-leader.
- Putain j'en ai marre de devoir supporter des gens comme ça tous les jours...
- Ta gueule bordel, Yeonjun ! Il est désolé et c'est toi qui fait chier le monde là tout de suite ! Va chercher une serviette, essuie-toi et ferme ta putain de grande gueule ! Hurla Taehyun en se levant, faisant trembler la table.
Ravalant un commentaire acerbe, le blond se leva, renversant sa chaise, épousseta son jean et prit la main de Hye-min. Lorsqu'il partit avec elle en direction du couloir, un sanglot s'échappa de la gorge de l'insomniaque, qui se prit la tête dans les mains. Taehyun resta silencieux après leur départ, mâchant sa nourriture comme si c'était de la cendre. Au bout d'un certain temps, Soobin releva la tête et s'essuya les yeux.
Taehyun rompit le silence.
- Je peux avoir l'eau s'il-te-plaît ?
Son aîné ne lui répondit pas et plongea son regard dans son bol de riz comme s'il était soudainement devenu la huitième merveille du monde.
- L'eau ? Je peux avoir l'eau ?
- T'as bu, Taehyun ?
- Nan. Je peux avoir l'eau ?
- Mens pas Tae. T'es irascible. T'as forcément bu.
- Et alors ? Tu prends ce que tu veux comme médocs, l'autre con baise qui il veut alors j'ai bien le droit de boire. Tu me passes l'eau ?
L'autre obéit. Alors qu'il se servait un plein verre, Soobin lâcha ses baguettes.
- Ta bouffe est dégueulasse.
Taehyun acquiesça.
- C'est Yeonjun qui sait cuisiner. Soupira-t-il.
- Je vais chercher une pizza. Quatre fromages ou quatre fromages ?
Ils furent coupés par un puissant gémissement venant du couloir, et des chambres à coucher, dont l'origine n'était pas dure à deviner. Le néon au plafond grésilla avant de s'éteindre. Les pneus d'une voiture crissèrent quelque part dans le quartier et le téléphone fixe se mit à sonner. Avec une certaine appréhension, le plus vieux décrocha et écouta son interlocuteur avant de se tourner vers son ami, son premier sourire de la semaine sur les lèvres.
- C'était l'avocat. Le procès est fini. Ils ont réussi à transformer ça en accident face au juge, Kai n'a pris que six mois.
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