1 - Diamants bruts et rubis prometteurs
Dans la salle, on pouvait voir la stupeur se peigner sur les têtes incrédules des joueurs. Le visage de Ego, quant à lui, se complaisait dans son sourire si particulier. La surprise, déjà bien envahissante, serait encore au rendez-vous, et il savait pertinemment que tout les jeunes hommes présents seraient encore plus déstabilisés par les prochaines annonces.
- Coucou, les diamants bruts, commença la voix sobre d'Ego. Bravo pour l'entraînement.
Un entraînement ? Pour certains, c'était un champ de bataille, pour d'autres encore, cela avait été une mise à mort.
- Ceux qui se tiennent ici sont les vingt-cinq joueurs des cinq bâtiments. Au total, cent vingt-cinq joueurs ayant passé la première sélection. Bon, je pense que les plus malins s'en sont déjà rendu compte mais il n'y a parmi vous personne qui vient des bâtiments un à quatre. En fait... ils n'existent pas.
Une courte pause, afin que l'esprit des plus faibles s'embrouille déjà. Il savait ce qu'il faisait, et tout était calculé.
- Depuis le début, il n'y avait que cinq bâtiments numéro cinq à Bluelock. Vous étiez persuadés que vous n'étiez que les pires des équipes, de la V à Z. Et vous vous êtes démenés comme des débiles pendant la première sélection.
Il entendit certains joueurs se plaindre. Il les laissa faire. Ceux qui ne comprenaient pas la situation telle qu'elle se présentait n'était pas faits pour devenir les numéros un du football.
- Tout ça, c'était pour tuer votre misérable confiance en vous. C'est un mensonge que j'ai créé afin de faire naître en vous cette "faim". Pour devenir le meilleur attaquant au monde. Ecoutez. Noel Noa, par exemple, celui qui peut prétendre au titre de meilleur attaquant du monde, vient des quartiers défavorisés de France. Pour lui, qui ne voyait qu'un quotidien de violence, crimes et pauvreté, le seul moyen de changer son destin, aussi romanesque que ça puisse paraître, c'était le foot. Des attaquants avec un tel passé, il y en a beaucoup. Il vous est impossible d'imaginer à quel point ils ont "faim"... Vous, qui avez grandi au Japon, misérable pays qui peut toujours jouer malgré ses défaites, ils vous est impossible de développer cette mentalité. Celle de devenir le meilleur, "la faim de la victoire", c'est pour ça que le Bluelock a été créé.
Enflammer l'ego de chacun en les confrontant à la réalité pure et dure était un moyen rapide, dont les revers pouvaient se montrer néanmoins violents. Mais Ego acceptait ces risques.
- Vous vous êtes réunis ici, car vous cherchez à écraser les personnes au-dessus de vous, pas vrai ? ajouta-t-il. "Je vais gagner", c'est ce que vous pensiez en venant ici, non ? Cette "faim", deviendra l'égoïsme qui changera le monde.
Sa tirade était finie, mais pour les découvertes, il en restait quelques unes, mais il les gardait pour après les explications.
- La première sélection à laquelle vous avez participé jusqu'à maintenant avait pour but de vous faire passer de "zéro" à "un" en tant qu'attaquant. Maintenant, avec un terrain d'entraînement au top du top, vous allez vous transformer votre "un" en "cent". La deuxième sélection se compose de cinq niveaux, et seuls ceux ayant fini un niveau peuvent passer au suivant, dit-il tandis qu'un schéma se matérialisait. Votre premier objectif pour le moment est de passer la mission du premier niveau. Ensuite, ceux qui atteindront le cinquième niveau et auront passé la deuxième sélection... pourront participer à un camp d'entraînement avec les meilleurs joueurs du monde que j'aurai personnellement choisis. Fin des explications, finit-il tandis que les schémas disparaissaient.
Les joueurs étaient devenus silencieux, ils avaient enfin tous compris les enjeux.
- Néanmoins, les révélations ne sont pas terminées. Avant de commencer la deuxième sélection, sachez qu'en parallèle du Bluelock, un autre projet a débuté... Le "Redlock", un équivalant destiné au football féminin, annonça-t-il. Voici cinq adolescentes de moins de vingt ans triées sur le volet qui intégreront les deuxièmes sélections ici, au Bluelock, termina-t-il tandis qu'il montrait d'un geste les intéressées au fond de la salle qui étaient passées inaperçues.
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Reculée au fond de la salle, Shiro écoutait à peine le mec au sourire flippant qui débitait, en haut, sur l'écran géant. La lumière artificielle et tamisée rendait sa peau encore plus pâle que d'habitude, et ses tâches de rousseur éparses ressortaient telles des gouttes de pluie parsemant son nez. Concentrée à jouer avec l'une de ses tresses châtain, tout ce qu'Ego disait ne l'intéressait vraiment pas. Elle connaissait déjà tous les détails, et en concluait qu'elle n'avait pas besoin d'une énième tirade sur l'égoïsme, les buts, le foot, et tout le reste. La jeune fille échangea un regard avec Almeria, son amie ayant également été prise au Bluelock, qui, apparemment, pensait la même chose qu'elle... Shiro poussa un long soupir las, et ses yeux glaçants parcoururent lentement la pièce, scrutant chaque garçon qui s'y trouvait. Vu leurs têtes, aucun d'entre eux ne se faisait à l'idée que cinq filles, inconnues, venaient les rejoindre dans leur grande compétition du Blue Lock. Elle pouvait sentir leur fébrilité, leur excitation, leur anxiété.
Honnêtement ? Shiro pensait qu'elle pouvait tous les écraser. Son visage impassible se renferma, tandis qu'elle plissait les yeux. Puis, un mouvement. Elle le perçut au centre du rassemblement. Un ballon, à la courbe gracieuse et éthérée, décrivit un grand arc de cercle dans la pièce, suivi d'un deuxième. Tout le monde semblait subjugué...Shiro, elle, s'en moquait. C'était le garçon qui avait tiré qui l'intéressait. Il se dressait fièrement de toute sa hauteur, toisant la salle de son regard vert et vif, et dit quelque chose. Shiro n'y prit pas attention. Au moment où le gars faisait un pas, leurs regards se croisèrent. Il considéra la jeune fille un instant, qui, elle, ne broncha pas, et lui rendit un regard perçant. Au final, il disparut dans une autre salle. L'assemblée présente semblait scotchée par son audace, mais Shiro, elle, s'ennuyait ferme. Ce petit numéro, quoique divertissant, ne suffisait pas à la jeune fille assoiffée d'action. Alors, elle salua Almeria, et avança d'un pas décidé, et ferme, vers la lourde porte en métal. Sans une once d'hésitation, sa présence saisissante et glaciale attira l'attention de la pièce, alors qu'elle déclarait :
— J'y vais. Ouvrez les portes.
Et, dans un grondement sourd et une marée de fumée vaporeuse, Shiro pénétra dans la deuxième sélection.
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Almeria était une adolescente à moitié espagnole. Elle avait le sang chaud, aimait agir et provoquer les autres pour générer des batailles féroces où elle ne pouvait que s'amuser, car pour elle, le football était un moyen intense de se procurer un sentiment de puissance infaillible, à l'image d'un féroce combat de boxe anglaise. Alors le discours ennuyeux de celui qui s'était présenter à elle comme étant Ego ne l'intéressait pas le moins du monde. A la place, elle se plaisait à observer les joueurs qui n'avaient même pas remarqués la présence des cinq jeunes femmes avant qu'Ego ne le souligne. Les bras croisés, elle s'était plongée dans une bataille de regard forcenée avec un grand brun au yeux rouges et aux airs désagréables. Elle eut un bref sourire moqueur, avant de rompre le contact. Oui, elle allait bien se plaire ici, au Bluelock.
Elle regarda Shiro disparaitre dans la brume, tandis qu'elle s'avançait aussi vers la porte pour entrer dans la salle à son tour. Elle attendit patiemment qu'elle s'ouvre, et alors qu'elle allait s'enfoncer aussi dans le brouillard, elle se fit doubler par un grand jeune homme aux cheveux aussi noirs qu'une corneille et à l'air narquois qui lui lança un coup d'œil goguenard. Elle se retint de lui passer devant et serra les poings en fronçant les sourcils. Elle rêvait ou il l'avait provoqué ? Elle le retenait dans un coin de sa mémoire.
Alors elle attendit encore un peu plus, pendant que son esprit cogitait déjà. Elle échauffa ses jambes musclées par un entraînement quotidien et ses bras puissants habitués aux mouvement de la boxe. Elle était prête pour tout type de bataille.
- C'est le moment de passer à l'action ! fit-elle avec entrain.
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Shiro exhala, essoufflée. Une goutte de sueur perla le long de son front et glissa lentement jusqu'au creux de son coup rougi par l'effort. Alors que son corps était secoué par les pulsions de son cœur, affolé, son visage, lui, restait empreint d'une détermination impénétrable. La jeune fille ne savait pas exactement depuis combien de temps elle était dans cette salle close, où le gazon synthétique criard était tapissé d'un ras de marrée de ballons. Elle faisait face au Blue Lock Man, dont la tête bleue sans visage et la silhouette baraquée en alerte attendait son prochain mouvement. Analyser. Cibler. Tirer. Ces trois étapes simples étaient automatiquement faites par le cerveau de Shiro, au moment où le ballon fut projeté du corner droit, à son opposé.
Sans qu'elle en donne l'ordre, ses jambes s'activèrent, et dans la seconde qui suivait, sa pupille se dilata alors qu'elle calculait l'angle parfait pour tirer. Dans un éclat bleuté, son pied se projeta brutalement sur la balle, qui fendit soudainement l'air. Blue Lock voulait l'anéantir ? Ils voulaient la faire se sentir faible, la détruire entièrement pour la reconstruire ? Elle ne se laissera pas faire. Elle allait les annihiler. Dans une courbe franche et élégante, et un bruit sourd, le ballon décrivit un mouvement gracieux et l'instant d'après, secouait les filets de la cage de spasmes, dans la lucarne où il s'était brusquement figé. Un tir lobé et franc. Imprévisible, comme le jeu de Shiro.
Cette fille pouvait tirer de n'importe où, dans n'importe quelle position, avec n'importe quelle disposition de défense adverse. Elle voyait le foot comme un problème : il y avait toujours une solution. Elle brisait le problème. Si bien que le Blue Lock Man n'avait pas eu le temps de réagir. Avec un calme olympien, elle releva dignement le menton et toisa le demi-terrain. C'était fini, cent buts en...combien de temps ? Elle ne se souvenait plus. Son regard froid et posé parcourut l'espace avant de s'arrêter sur la porte métallique qui s'ouvrait en face d'elle, laissant échapper des volutes de fumées comme dans les S-F. Elle défia le chronomètre du regard et fit un pas décidé vers la porte, satisfaite —même si elle ne le montrait pas. Blue Lock, la victoire des rouges approchait. Elle n'allait pas laisser une bande d'ados hormonaux se croire supérieur à elle juste parce qu'ils avaient la "chance" d'être des pseudo-hommes. Avec cet air impassible d'un général vétéran menant son armée vers la victoire, Shiro pénétra dans la nouvelle épreuve de la deuxième sélection.
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Almeria ne savait plus à quel moment elle avait commencé à tirer dans le ballon. La seule chose dont elle était certaine, c'était qu'elle marquait, de son style brut et agressif qui la caractérisait si bien. De toutes ses forces, elle frappait et traçait une large route pour que la balle puisse anéantir sans encombres les défenses de l'ennemi. Elle l'envoyait s'écraser contre les filets de la cage, encore, encore et encore ! Elle faisait abstraction de la sueur qui coulait sur son front, de la douleur poignante qui étreignait ses muscles quand elle frappait trop fort ou trop rapidement, et surtout, la seule et unique chose qu'elle voyait, c'était le ballon qui déchirait avec puissance et vitesse le décor dans un élan dont elle avait le secret. Son jeu était à l'image de la bête sauvage qu'elle devenait une fois sur le terrain; son seul objectif était de marquer, qu'importe le moment ou l'endroit, qu'importe les circonstances ou les enjeux. Que c'était bon, de marquer, de gagner ! On lui avait toujours dit que son sens de la compétition lui jouerait un jour des tours, qu'elle devait s'adoucir et arrêter d'être cette tempête furieuse qui, au fond, ne se souciait ni des autres ni même d'elle-même. Et puis elle avait reçu cette lettre, et tout son monde s'était violemment bousculé. C'était bien la première fois qu'on l'avait encouragé à être égoïste ! Dire qu'elle était au comble de la joie était un euphémisme. Enfin, elle était dans un endroit où elle pouvait s'épanouir, elle et son ego aussi troublant que l'orage.
Elle releva la tête vers le compteur. Il ne lui restait plus qu'un but à marquer. Le dernier de la série, celui qui clôtura le premier niveau. Son sourire s'élargit. Elle mettrait toute sa puissance dans ce dernier tir. Les secondes lui semblèrent plus courtes encore que d'habitude, comme si le temps lui-même voulait souffler au plus vite sur la flamme qui embrasait son ego jusqu'à son pinacle. C'était bien tenté, mais jamais, au grand jamais elle ne laisserait quelqu'un ou quelque chose la priver de ce moment si particulier pour elle. Elle vit la balle arriver, aussi vive que des gouttes de pluie. Elle souffla un bon coup, puis frappa la balle une fois qu'elle fut à porter de pied. Elle y mit toute sa férocité, toute sa puissance, tout ses rêves et tout ses espoirs; elle y mit sa "faim de la victoire", cette faim inébranlable qui l'habitait depuis toute petite, depuis sa première victoire et sa première défaite. Elle avait tiré, de toute ses forces. Elle avait marqué ce dernier but.
Une porte s'ouvrit, et elle passa enfin le premier niveau.
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