chapitre 7
⠀| 13 juillet 2005
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Asuga voyait rouge.
Littéralement, parce que le flot vermillon qui s'échappait de la plaie formée à sa tête lui coulait dans les yeux.
Ce détail ne l'empêcha pas de se retourner vers le coupable avec une colère telle qu'il en recula instinctivement d'un pas. Sonnée et maintenue sur ses deux pieds uniquement grâce à l'adrénaline qui semblait avoir remplacé le sang dans ses veines, la jeune femme baissa les yeux vers la barre de fer que cet inconnu tenait dans ses mains et avec laquelle il venait de la frapper. Lui non plus n'était pas dans son état normal et ne comprenait sûrement même pas ce qu'il se passait devant lui. Elle eut presque pitié de lui.
— Pourquoi t'as fait ça ? lança-t-elle néanmoins, et de son ton le plus froid. Tu veux mourir ?
L'homme - plus âgé que celui à qui elle était venue réclamer ses dettes - secoua énergiquement la tête. Asuga eut un air mauvais. Cet imbécile ne revenait sur son geste que parce qu'il avait retenu l'élément principal de sa conversation avec l'autre : les frères Haitani, qu'elle avait dit être capable d'amener sur place si besoin était. Et elle refusait qu'on ne craigne l'idée de l'attaquer que parce qu'elle était suivi d'hommes influents. Si ces gars voulaient s'en prendre à elle, c'était à elle qu'ils auraient affaire et à personne d'autre.
Pour la première fois depuis son arrivée dans le quartier de Roppongi, Asuga en eut assez d'être la fille mystérieuse que les frères Haitani avaient à l'œil, de jouer la délinquante amatrice qui n'en savait pas plus que cela sur la gestion d'un gang et qui savait tout juste se défendre. Ce monde - celui de la délinquance - était le sien. Et quand on la verrait traverser les rues couverte de sang et tachée de bleus, ils le comprendraient ; elle n'existait que pour détruire et être détruite, encaisser les coups et les redistribuer plus violents encore.
Le responsable de toute cette hargne ne parvint même pas à garder son arme entre les mains lorsqu'elle l'envoya valser plus loin, le regard plus noir que jamais.
— Prouve au moins que tu sais te servir de tes poings avant de passer aux armes, t'auras l'air moins lâche.
Mais, bien sûr, trop décontenancé par l'hostilité qui émanait de cette jeune femme à première vue inoffensive, il ne put rien non plus contre le coup de pied qu'elle lui asséna en plein dans l'abdomen. Les dents serrées, Asuga baissa les yeux vers sa victime étalée au sol et n'hésita pas une seule seconde à cogner son poing étroitement fermé contre son visage. Elle se fichait bien de savoir qu'il était sous l'influence d'une quelconque drogue, qu'il était malheureux au quotidien et cherchait à fuir ses problèmes. Quelqu'un qui choisissait cette voie sombre était forcément prêt à se faire casser la figure dans un sous-sol sombre de Roppongi à un moment ou un autre, non ? Ce fut ce qu'elle se dit tandis qu'elle frappait, encore et encore, cet homme qui avait cru pouvoir s'en prendre à elle sans en payer les conséquences. Parce qu'elle voulait être juste, mais que jamais dans la vie d'Asuga la justice n'avait été dissociée de la violence.
Ce passage à tabac improvisé avait plongé le reste de la salle dans un silence de mort, bien qu'Asuga n'aurait pu s'en rendre compte puisque son cœur battait trop fort dans ses propres oreilles pour qu'elle n'entende quoique ce soit d'extérieur. C'est peut-être pour cette raison qu'elle ne se rappela la présence du premier jeune homme que lorsqu'il enroula ses doigts autour de son cou avec la ferme intention de ne pas le lâcher tant qu'un pouls y serait perceptible. Par instinct de survie, Asuga porta ses mains pleines de sang jusqu'à celles de son bourreau comme pour tirer dessus, en vain. Il cogna encore sa tête contre le sol et, très vite, aucun air ne passa plus dans sa gorge. Au-dessus d'elle, les lèvres de l'inconnu bougeaient alors elle devina qu'il lui criait des insultes. Elle voulut lui dire qu'il était très ridicule de son point de vue puisqu'elle ne l'entendait pas, mais comme elle n'était pas en position de parler, elle se contenta d'esquisser un sourire crispé qui, sur le moment, se maria bien avec son teint violacé.
À force de gesticuler dans tous les sens, Asuga réussit à glisser son genou entre les jambes de son agresseur pour frapper de toutes les maigres forces qu'il lui restait, d'une manière qui ferait mal à coup sûr. L'oxygène retrouva sa place dans son organisme aussi vite qu'il l'avait quitté, et si brusquement qu'elle dut tousser jusqu'à croire qu'un poumon entier allait lui échapper. Le regard un instant rivé au plafond - qui semblait bien moins net que lorsqu'elle était entrée dans la pièce, d'ailleurs - Asuga se fit la réflexion qu'elle avait rarement vécu une demi-heure aussi longue.
— Putain, jura-t-elle en se redressant alors que l'autre se tordait encore de douleur juste à côté. Ça... c'est une soirée divertissante.
Sa voix était rauque et parler lui faisait mal, mais la jeune femme n'y prêta aucune attention.
— J'ai prouvé que j'étais douée avec mes poings, pas vrai ? Lui en tout cas, il l'a compris, plaisanta-t-elle, un doigt pointé vers celui qu'elle avait tabassé et qui ne s'était pas relevé depuis. Bref, je me permets de prendre ça pour finir, du coup.
Le malheureux qu'elle avait sûrement rendu stérile - à en juger par les grosses larmes qui lui échappaient - n'eut pas l'occasion de trembler d'effroi lorsqu'elle ramassa la barre de fer jetée plus tôt d'un air satisfait. Il l'aurait fait si son corps n'était pas déjà parcouru de spasmes nerveux, tout comme il l'aurait suppliée de ne pas aller plus loin si la douleur ne l'avait pas empêché de parler à temps. Le silence, seulement brisé par le bruit sourd des coups portés sur le corps de la victime et celui des respirations difficiles de la criminelle, était tel qu'on aurait pu douter que ce sous-sol serait un jour à nouveau bruyant.
Tous sursautèrent quand l'arme rejoignit enfin le sol et qu'Asuga reprit son souffle dans un ricanement saccadé. Avant de se pencher pour vérifier que le jeune homme respirait encore, elle croisa quelques regards apeurés qui fuirent immédiatement le sien. Très bien, pensa-t-elle alors. Sur le chemin du retour, elle prit soin de vider les poches du deuxième aussi, puis se dirigea vers la sortie avec une jolie petite somme qui sauraient certainement satisfaire ses deux colocataires. Peut-être pourraient-ils tous les trois se payer un bon restaurant le lendemain.
Mais l'argent et ce qu'ils en feraient ne furent pas les premières pensées des concernés lorsqu'ils la virent revenir vers leur table.
Après avoir rapidement détaillé son visage éclaboussé de sang, le flot rougeâtre qui avait atteint son t-shirt jusqu'à le faire changer de couleur à son tour et toutes les blessures que l'adrénaline ne lui permettait même pas encore de remarquer, Ran posa la question à laquelle elle s'était la moins attendue et d'un sérieux qui ne put que la faire rire.
— Il y a des corps à cacher ?
— Je sais quand m'arrêter, moi, tu sais ?
— Alors tu te rends compte que tu devrais même pas tenir debout, pas vrai ?
Sa fierté se tut pour le reste de la soirée - non pas qu'elle eût une autre alternative. En temps normal, elle aurait tout fait pour prouver qu'elle n'avait pas besoin d'aide, mais pour aujourd'hui, elle accepta de s'accrocher à Ran et de lui faire confiance pour la ramener à l'appartement en un seul morceau. Ainsi affalée contre son dos tandis qu'il conduisait sa moto à une vitesse un peu moins illégale que ce dont il était habituellement capable, elle se fit la réflexion qu'ils n'avaient pas eu l'air amusés par son état, à aucun moment. Même Rindo n'avait rien dit et était resté indifférent au lieu de la provoquer comme il appréciait le faire dès qu'il en avait l'occasion. Peut-être étaient-ils doués d'empathie, finalement. À bien y réfléchir, ils s'étaient forcément déjà retrouvés en position de faiblesse eux aussi.
Ou bien ils le seraient un jour prochain, et Asuga n'était pas certaine de trouver cette idée intéressante.
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— Tu te défends pas un peu trop bien pour un simple membre de gang qui a été acceptée seulement parce que t'es la sœur du leader ?
Cachée derrière son t-shirt dont elle se servit comme d'un chiffon pour essuyer son visage, Asuga esquissa un sourire que personne ne vit et qui s'évanouit tout aussi vite. Quand elle releva les yeux pour croiser le regard sceptique de Rindo, elle hésita une nouvelle fois à leur avouer toute la vérité. Mais elle était déjà dans un piteux état, ce n'était pas le bon soir pour s'exposer à ce qu'ils lui feraient en découvrant ce qu'elle cachait vraiment.
— J'ai dit que j'avais pas de place particulière au sein du Shirohebi, pas que je savais pas me battre.
— Arrête de parler, ordonna Ran à son entrée dans la pièce. Le prends pas mal, mais ta voix est insupportable à écouter et on comprend à peine ce que tu dis.
Amusée, Asuga lui tira la langue mais ne se fit pas prier et garda le silence. Avec un peu de chance sa voix serait revenue d'ici quelques jours, mais pour l'instant, user de ses cordes vocales ne lui apportait qu'un peu plus de douleur. Au moins, Rindo n'insista pas. Il quitta le salon sans demander son reste, peu désireux de se trouver plus longtemps que nécessaire dans la même pièce que son frère et la fille qu'il draguait sans même s'en cacher. Ran, lui, se mit à fouiller dans leur grande trousse de premiers soins avec le calme et la nonchalance qui lui étaient propres.
Puisqu'elle n'avait rien d'autre à faire pour s'occuper, Asuga l'observa. C'était la première fois qu'elle le voyait en manches courtes, elle s'en rendit compte parce qu'elle n'aurait pas été capable de deviner qu'il était tatoué. Son bras gauche était pourtant couvert d'un motif dont elle ne comprit pas le sens, inscrit dans sa peau à l'encre noire et remontant jusqu'à l'intérieur de son t-shirt. Elle se demanda ce que ce tatouage était censé représenter et jusqu'où il allait, mais ne posa aucune question. Maintenant qu'elle y prêtait attention, elle put noter qu'un autre bout dépassait du col de son haut. Cette découverte ne fit que lui donner encore un peu plus envie de le voir en entier, par pure curiosité.
Quand tout le matériel nécessaire aux soins des blessures d'Asuga fut posé sur la table, Ran jaugea cette dernière avec scepticisme. Pendant un long moment, il ne parla pas non plus alors, attentive, elle le suivit des yeux tandis qu'il venait s'asseoir face à elle, directement sur la table basse. Elle comprit ce qu'il trouvait dérangeant lorsqu'il prit ses mains dans les siennes comme pour les lui montrer. Ensanglantées, les jointures ouvertes à plusieurs endroits et les paumes éraflées, elles faisaient tâche à côté des longs doigts fins et en parfait état de Ran. Elle comprenait l'intérêt de porter des gants, maintenant.
— En temps normal, j'attendrais que tu me demandes de l'aide en bonne et dûe forme, ironisa-t-il. Mais on va dire que je suis de bonne humeur.
Il était tout sauf de bonne humeur, même Asuga pouvait le deviner. Le simple fait qu'il ne chercha pas à la provoquer une seule fois en nettoyant ses mains le prouvait.
Elle eut beau chercher la raison de cette colère discrète, elle ne la trouva pas et ne chercha pas à la lui demander ; heureusement, parce que Ran lui-même n'en avait pas la moindre idée. Du sang, il en avait assez versé et fait couler dans sa vie pour être capable de ne rien ressentir à sa vue, et les blessures, il avait toujours su les panser sans avoir besoin d'y réfléchir ou de s'en inquiéter. Pourtant, quelque chose semblait différent aujourd'hui. Une pensée particulière le perturba ; il n'avait pas du tout envie d'apercevoir le sang d'Asuga. Il en vint à détester le nombre de pansements dont il eut besoin pour couvrir chacune des plaies présentes sur ses mains, et le fait qu'elle ne ressente rien face à tout cela l'agaça plus que de raison. Pourquoi portait-elle toujours les marques des coups qu'elle recevait comme s'il s'agissait de simples tâches de naissance ? Même lui, qui était pourtant tout autant habitué à se voir abîmé, n'aurait été capable d'avoir l'air si peu dérangé.
Surprise par la manière avec laquelle il s'était appliqué pour la soigner, Asuga le remercia d'un mince sourire, puis d'un geste de la tête qui la fit grimacer. Le visage impassible, Ran baissa les yeux vers les traces violacées qui décoraient son cou.
— T'as mal ?
J'ai connu pire, eut-elle envie de lui répondre. Mais elle acquiesça à nouveau, devinant l'ampleur des dégâts au nombre de coups d'œil qu'il lui jeta tandis qu'il se plongeait à nouveau dans la trousse de secours. Elle reconnut la pommade qu'elle avait utilisée le jour de son arrivée et hocha la tête avant même qu'il ne lui demande si elle la voulait. Pourtant, quand elle tendit la main pour l'attraper, Ran l'en empêcha sans cesser de la toiser de son regard naturellement si froid.
— Tu crois que je vais te laisser ruiner tous les pansements que je me suis fait chier à te mettre ? l'accusa-t-il. Lève le menton.
Il dut voir la confusion dans ses yeux, parce qu'il ajouta vite qu'elle le lui revaudrait en temps voulu.
— Comment ? demanda Asuga, à voix basse pour ne pas trop aggraver sa situation.
Elle sursauta malgré elle au contact gelé de la crème contre sa peau, puis se détendit quand le froid s'atténua sous la chaleur des mains de Ran. Elle se détendit peut-être même trop pour quelqu'un qui avait les mains d'un meurtrier autour du cou et son visage aussi proche du sien. Puisqu'elle devait garder la tête relevée pour le laisser faire, la jeune femme n'avait d'autre choix que de regarder en face ces orbes couleur lilas en se demandant ce qu'il se passait vraiment derrière, dans la boîte crânienne de leur propriétaire. Quand il reprit la parole, son souffle légèrement alcoolisé vint s'échouer contre ses joues.
— Je sais pas. T'as pas quelques idées ? Sinon, tu devrais commencer à réfléchir.
— Je vais y penser.
Cet échange eut au moins le mérite d'arracher un sourire au délinquant. En souriant à son tour sans y songer, Asuga se rendit compte qu'elle le préférait ainsi, que si elle pouvait ne plus jamais le voir préoccupé, elle s'en porterait très bien. Cette pensée la troubla. Depuis quand en avait-elle quelque chose à faire ? Par chance, Ran avait baissé les yeux pour finir d'appliquer la pommade et ne put donc pas croiser son regard perdu. Mais puisqu'il ne pouvait pas le remarquer, Asuga se remit à détailler l'élégance naturelle de ses traits fins et fronça les sourcils, bien tentée de fermer les yeux jusqu'à la fin pour ne plus être traversée par toutes ces pensées auxquelles elle ne comprenait rien.
Comme il lui fallait un moyen de vite oublier ce trouble inédit, elle prononça la première phrase qui lui vint à l'esprit.
— Je vais tuer mon frère.
Sans même relever les yeux, comme s'il ne la prenait pas au sérieux, Ran haussa un sourcil perplexe.
— Et aller en prison ?
— Non. Je veux dire... Il doit mourir, c'est tout ce que je sais, insista-t-elle de sa voix pratiquement éteinte. Je manipulerai quelqu'un d'autre pour le faire s'il le faut.
— C'est fourbe, fit-il remarquer. J'aime bien l'idée.
Le rire léger qui échappa à la blessée - et qui ressembla plus à un toussotement qu'autre chose - fit trembler ses mains encore posées sur sa gorge. Les dernières traces de crème disparurent en quelques gestes, mais il resta un instant de plus à observer ces marques colorées qui détonnaient contre la peau claire d'Asuga. Pensive, elle le sentit poser ses doigts là où les empreintes de ceux qui avaient causé sa douleur reposaient, comme pour les remplacer avec les siennes d'une manière tout sauf violente. Il se retira néanmoins bien vite - trop tôt au goût d'Asuga.
S'il fut surpris par sa propre initiative, il ne le montra pas plus qu'il ne montrait le reste de ses pensées et émotions.
— Je peux te poser une question ?
— T'étais censée arrêter de parler, rétorqua Ran. Mais on a dit que j'étais de bonne humeur alors vas-y.
— Ce mec que t'as tué quand vous vous êtes appropriés Roppongi... T'as eu des remords ?
— Non.
Il se garda de lui avouer que cette question lui avait déjà été posée plusieurs fois à l'époque où on les avait enfermés, lui et Rindo, pour homicide involontaire. De toute manière, jusqu'ici, personne n'avait jamais reçu de réponse honnête. Tenter d'expliquer la complexité de la délinquance à des éducateurs et psychologues payés pour leur trouver chaque jour des nouveaux problèmes en espérant sortir de maison de correction plus vite revenait à se tirer une balle dans le pied avec l'intention d'aller courir un marathon le lendemain.
— Il fallait marquer les esprits pour avoir Roppongi, et je suppose que ça a marché, dit-il en haussant les épaules avec nonchalance. Si je te disais que les types que t'as tabassé dans ce sous-sol sont morts à cause des blessures que tu leur as causées, t'aurais des remords ?
— Je crois pas.
Cette réponse parut le satisfaire. Pendant une fraction de seconde, Asuga eut l'impression que la maigre distance entre leurs deux visages devenait intenable. Ensuite, il se leva pour s'éloigner, et elle eut froid. Sûrement un effet secondaire du choc qu'elle avait reçu à la tête.
— Alors on est pareils, conclut Ran.
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ça va pas bien la tête ici les bougs sont en train de bond sur le fait qu'ils peuvent tuer quelqu'un de sang froid sans remords #couplegoals
asuga me fait un peu peur mais en même temps je lui dirais merci si elle me tabassait
c'est tout pour moi bisous
- daeremagon
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