chapitre 40
| 11 janvier 2006
☆
Passer de simple observatrice à l'un des membres les plus importants du Shirohebi laissait une sensation étrange à Noa. Elle avait si longtemps été une témoin lointaine du charisme de Daitan qui se tenait aux côtés du leader du Toman comme si le gang lui appartenait aussi, et aujourd'hui elle occupait la même position aux côtés d'Asuga alors qu'on lui avait répété des années durant qu'elle ne serait jamais de ce monde. Ce jour-là donc, elle put faire face aux filles rassemblées en ce lieu qu'elle avait appelé le Sanctuaire et détailler leurs réactions quant à l'annonce de leur nouvelle alliance avec le Tenjiku, consciente qu'il s'agissait là de son travail. En tant que bras droit, le devoir de veiller sur le leadership de son amie lui revenait. Il fallait qu'elle soit attentive et capable de repérer ce qui lui poserait problème par la suite.
Et si l'on faisait preuve d'honnêteté, la réponse à cette question était déjà toute trouvée. Noa le sut dès qu'elle la vit, située à l'arrière du groupe et occupée à fumer quelque chose de bien trop gros et odorant pour être une cigarette. Le regard de Mei était bien rivé à Asuga comme il était censé l'être mais, contrairement au reste des délinquantes qui l'entouraient, ses yeux d'une teinte de bleu bien foncée ne contenaient aucune admiration ni même aucune confiance pour elle. Noa se donna alors la mission de savoir ce qui la dérangeait tant dans cet accord passé entre le Shirohebi et le Tenjiku et passa le reste du discours de son amie à dévisager Mei, jusqu'à ce qu'Asuga ne quitte la pièce en demandant aux filles de veiller à ce que les absentes soient mises au courant de son annonce. Encore préoccupée par toute cette affaire, elle n'adressa aucun mot à Noa lorsqu'elle la contourna pour s'en aller mais lui fit comprendre d'une tape sur l'épaule qu'elle n'avait pas à s'inquiéter - un geste auquel la petite brune répondit d'un sourire qu'elle espéra être rassurant.
Quand la grande salle principale du Sanctuaire commença à se vider, Mei alla s'installer dans l'un des canapés et sembla patienter, comme si elle savait que Noa s'apprêtait à lui adresser la parole. Les plans de cette dernière furent néanmoins bousculés par l'apparition soudaine d'une grande blonde dans son champ de vision ainsi que par une paire de mains posées sur ses épaules avec enthousiasme. Plus que ravie de la revoir après quelques semaines à ne l'avoir croisée que très brièvement, Toshiko lui adressa un grand sourire qu'elle tenta de lui rendre malgré la surprise.
— Noa ! Tu vas bien ? C'était comment les négociations ? T'es toujours avec Asuga et en dehors de Kabukichō depuis décembre, ta première amie du Shirohebi te manque pas ?
— Bien sûr que si, affirma rapidement Noa. Désolée, c'est différent depuis... décembre.
— J'ai vu ça. Je sais toujours pas pourquoi tu ressembles à ça mais ta joue a bien guéri en tout cas ! Plus qu'à espérer que la cicatrice devienne plus pâle avec le temps.
— Ouais, fit-elle en portant une main jusqu'à son visage par réflexe. Merci, Toshiko. Les négociations étaient fatigantes, pour répondre à ta question. Mais Asuga a trouvé un accord qui convient aux intérêts du Shirohebi, c'est ce qui compte.
— Ça te convient à toi alors ?
Une question bien compliquée pour quelqu'un comme Noa, qui aimait le Toman malgré elle et devait tout de même accepter de contribuer à ses malheurs. Bien sûr que la situation ne lui convenait pas, elle ne voulait pas aider Izana, ni la bande d'idiots qui lui servaient de sous-fifres et encore moins Kisaki. Avait-elle le choix pour autant ? Asuga ne se réjouissait pas non plus de cette alliance et elle avait besoin d'un bras droit fidèle pour protéger celles qui dépendaient de son autorité, c'était ce que Noa savait. Le Shirohebi n'était qu'un groupe de filles perdues ou en colère, les mêler à une véritable guerre de gangs n'avait rien de convenable. Le terme fit donc grimacer l'adolescente.
— Je me demande juste si c'est pas un peu... excessif, avoua-t-elle. C'est une chose de se bagarrer et de conduire des motos, mais ce que le Tenjiku veut faire... Je sais pas trop.
— T'es bien naïve pour une numéro deux, intervint Mei depuis son canapé.
Le sourire de Toshiko disparut aussi vite qu'il était apparu pour laisser place à une expression agacée qui n'échappa pas à Noa. Mei avait beau être plus vieille et bien plus expérimentée dans ce milieu en raison de son appartenance à l'ancien Shirohebi, la blonde ne s'était jamais retenue de lui faire savoir ce qu'elle pensait d'elle - et Noa ne pouvait pas tellement le lui reprocher tant que leurs différends ne perturbaient pas l'équilibre du groupe. Quoiqu'il en soit, elle décida d'ignorer la réaction de son amie et tourna plutôt la tête vers l'élément perturbateur de la bande, l'air de lui demander ce qu'elle voulait dire par là.
— Le Shirohebi a jamais été un gang de bōsōzoku, reprit-elle avec un rictus amusé. Tu crois que lorsqu'il a fondé le Shirohebi à l'âge de dix-huit ans, Tadashi voulait juste conduire des motos et se battre vite fait ? Asuga est pareille, elle a passé l'âge de ce genre de choses. Je te parle même pas du Tenjiku qui a quand même été fondé par une bande d'anciens taulards. Ce qui devrait te choquer dans tout ça c'est le fait qu'Asuga se repose sur un marché sans intérêt plutôt que sur ses propres ambitions.
Toshiko ouvrit la bouche avant même de réfléchir à ce qu'elle allait dire, trop habituée à défendre le nom de sa leader pour mettre plus de pensées derrière ses initiatives. Contre toute attente, ce fut Noa qui lui fit signe de ne pas intervenir.
— C'est-à-dire ? s'enquit-elle.
Tout en expirant un long nuage de fumée, Mei se redressa et désigna la plus jeune d'entre elles trois d'un geste de la tête presque dédaigneux.
— Va falloir qu'elle s'en aille si tu veux que je développe. On sait toutes les deux que notre boss ne tient pas à ce que certaines choses se sachent, pas vrai ?
Vexée d'être tenue à l'écart alors qu'elle méritait bien plus la confiance d'Asuga que cette jeune femme aussi imprévisible que violente, Toshiko ne s'en remit qu'à Noa pour avoir la confirmation qu'elle devait s'éloigner et le fit dès qu'elle lui adressa un regard désolé. Le sourire rassurant que la blonde eut pour son amie avant de la laisser exercer ses fonctions de bras droit eut le mérite de faire rire Mei, qui semblait être très amusée par l'idée de représenter un problème à régler même après tous les rappels à l'ordre.
— Bon, développe, l'encouragea donc Noa en allant s'asseoir à ses côtés avec un soupir las. De quelle manière tu vas t'enfoncer aujourd'hui ?
— Moi je m'enfonce ? ironisa-t-elle. Si tu veux mon avis, c'est Asuga qui s'enfonce. Cet accord n'a aucun intérêt pour le Shirohebi, faut vraiment être débile pour pas le voir. Ce qui veut dire qu'elle n'a pas eu le choix d'accepter, et donc qu'Izana a un moyen de pression pour la retenir. Asuga ne voudrait pas que tout le monde sache ce qu'elle a fait pour que son frère ne soit plus un problème, pas vrai ?
— Et donc, où est-ce que tu vas avec tout ça ? Elle a négocié le meilleur accord possible même sous la contrainte, qu'est-ce qui est censé me choquer ?
— Rien que le fait qu'elle se soit retrouvée dans cette situation, répondit Mei avant de tirer une énième fois sur son joint presque fini. Je suis loin d'être conne, tu sais ? On est cinq à savoir ce qu'il s'est passé ce soir-là et je sais qu'aucune de nous trois n'est allée le raconter à Izana. Ce qui veut dire qu'Asuga a pris le risque d'impliquer des personnes extérieures au Shirohebi et que ça s'est retourné contre elle, et par extension contre le gang entier. C'est un bon comportement de leader d'après toi ?
Noa ne put vraiment la contredire sur ce point. Peu importe ce qu'elle en pensait sur le plan personnel, Ran avait trahi la confiance d'Asuga et fragilisé sa position dans le Shirohebi par la même occasion. Il avait en sa possession trop d'informations sur le gang et sur leur cheffe, au point où même si elle avait voulu couper les ponts elle aurait été retenue par le danger de le laisser se balader en toute liberté avec autant de savoirs à distribuer. C'était loin d'être une situation idéale pour une jeune leader qui avait déjà eu du mal à se faire la place qu'elle avait aujourd'hui, et Mei n'avait pas tort lorsqu'elle lui reprochait d'avoir mêlé sa vie privée à la vie du Shirohebi. Mais Noa voulait croire que Ran ne souhaitait pas de malheur à Asuga et n'était pas une menace ; et par-dessus tout, Asuga était son amie. La blâmer d'aimer et d'avoir fait confiance ne comptait pas parmi ses projets.
— Ce qui compte c'est qu'elle ait fait au mieux pour le Shirohebi même après quelques erreurs, non ?
— Je sais pas pourquoi j'essaie de parler stratégie avec une gamine de seize ans qui comprend rien à ce monde, soupira Mei. Te nommer numéro deux était déjà une erreur faite uniquement parce qu'elle réfléchit avec ses sentiments personnels, mais j'ai envie de croire que t'as du potentiel alors essaie au moins de réfléchir sincèrement à ce que je dis.
— Du potentiel ? releva Noa avec confusion.
— T'as pas d'expérience et tu sais pas comment on gère un gang mais au moins les gens t'aiment bien et te respectent, étonnamment. Si t'apprenais un peu plus le côté technique du métier, tu pourrais devenir quelqu'un.
Peu certaine de vraiment comprendre la tournure que prenait la conversation, Noa toisa un instant la jeune femme en se demandant si son air malicieux était naturel, une hallucination de sa part ou bien une réelle illustration ce qu'elle insinuait. Mei ne prêta aucune attention à son regard plein de questions et sortit un sachet très louche de l'intérieur de sa veste, prête à rouler un nouveau joint puisqu'elle arrivait à la fin du sien. Les lèvres pincées pour retenir celui qu'elle avait déjà à la bouche, elle reprit la parole avec une nonchalance qui étonna d'autant plus la plus jeune.
— T'as vraiment pas plus d'ambition que ça ?
— Plus d'ambition que..?
— Qu'être numéro deux, répondit Mei comme s'il s'agissait d'une évidence. T'as l'air de te soucier sincèrement du Shirohebi, tu crois pas que tu pourrais faire plus ?
— T'es en train de-
— Je suis en train de dire que lorsqu'un chef ne répond plus aux besoins de son organisation, le second dans la chaîne de commandement devrait être prêt à prendre le relais. C'est ce qu'a fait Asuga, pas vrai ? Il y a encore quelques mois, c'était elle la numéro deux.
— Tadashi était dangereux, rétorqua sèchement Noa alors que son interlocutrice ne prenait plus la peine de la regarder. C'était une nécessité de l'écarter du pouvoir.
Un rictus amer apparut brièvement sur le visage de Mei avant de disparaitre aussitôt, et la colère monta en Noa. Comment pouvait-elle proposer une trahison si facilement, sans remords ni hésitation ? Comparer Tadashi à Asuga devait relever de la folie, peu importe à quel point cette dernière pouvait fauter. Même dans ses erreurs elle ne serait jamais aussi mauvaise pour le Shirohebi que son frère l'avait été et Noa avait beau chercher, elle ne trouvait pas de raison pour Mei de mettre les deux dans le même panier.
— Pourquoi t'as suivi Asuga si tu la supportes pas ? voulut-elle savoir. Je sais que t'étais une des premières à la rejoindre quand elle s'est rebellée contre Tadashi et pourtant, tu veux pas l'avoir comme leader. Personne ne t'a forcée, alors qu'est-ce que tu fais là ?
— Je voulais que Tadashi perde tout ce qu'il avait, c'est tout. C'était le meilleur moyen d'assister à sa chute en première loge, j'avais pas besoin d'apprécier cette connasse pour ça.
— Fais attention à ce que tu-
— Oui, oui, d'accord, râla Mei en chassant ses reproches d'un geste de la main. Il n'empêche que j'aime bien le Shirohebi et je pense qu'Asuga est une mauvaise leader. T'es en train d'apprendre d'elle et de tous les gens bien placés que tu fréquentes avec la place que t'occupes, c'est bien. J'espère que ça te servira et que tu te rendras compte que tu pourrais vite renverser la situation et changer la donne pour le gang.
La facilité avec laquelle elle prononça ces mots réduisit Noa au silence. Une mauvaise leader. Après l'avoir vue tuer Tadashi de ses propres mains et traînée dans toute la capitale tant elle avait subi ses coups, elle refusait de laisser passer une telle accusation. Asuga lui avait sauvé la vie, autant ce jour-là que lorsqu'elle lui avait promis de l'aider à venger Baji, et elle avait sauvé la vie de beaucoup d'autres filles perdues qui ne vivaient certes toujours pas une vie rêvée mais qui étaient au moins protégées. Car elles l'étaient - protégées. Asuga tenait au Shirohebi et à son idée de rassembler les victimes de cette société trop violente et trop stricte, elle le faisait avec sincérité et malgré son propre lot de peines qu'elle se trimballait depuis des années. De quel droit Noa aurait-elle pu ne serait-ce qu'envisager lui prendre cette place et la qualifier de mauvaise leader ? C'était impensable, et elle n'avait même pas envie de croire que Mei pensait réellement ce qu'elle disait.
Cette dernière ne sembla intéressée par la réaction de Noa que lorsqu'une main vint soudainement lui arracher son précieux sachet des mains. Un sourcil arqué de confusion, elle toisa l'adolescente comme s'il s'agissait d'une blague. Plutôt ironique, songea Noa. Elle prétendait voir en elle un potentiel assez grand pour détrôner Asuga en personne mais ne voulait même pas la prendre au sérieux en tant que numéro deux.
— Je suis son bras droit, que ça te plaise ou non, expliqua-t-elle calmement. Et tu fais que prouver qu'elle a bien fait de me nommer moi et pas toi, parce que t'es intelligente mais ce serait impossible de te faire confiance avec autant de responsabilités. Je te rappelle juste que c'est mon rôle de veiller à la loyauté de tout le monde et que t'as plutôt intérêt à faire attention à ce que tu dis devant moi.
— Ouuh, c'est vraiment une menace ? s'amusa Mei malgré le sérieux de son interlocutrice.
— Pour le bien de tout le monde, je vais juste mettre tout ce que t'as dit sur le dos de ce que tu fumes. Mais si tu cherches à nuire à Asuga, ce sera aussi mon rôle de faire de ta vie un enfer. Sois-en bien consciente. En attendant, je te souhaite un bon sevrage parce que je garde ça.
Les yeux écarquillés, la grande brune l'observa se lever et fourrer son sachet dans sa poche. Elle se fichait totalement des mots qui venaient de lui être adressés, Noa en était certaine. Elle voulait seulement récupérer sa drogue, presque autant qu'elle voulait voir Asuga en position de faiblesse, et c'est tout ce qui la poussa à l'appeler désespérément lorsqu'elle s'éloigna et quitta la pièce d'un pas déterminé. Elle aurait au moins dû se réjouir de savoir que Noa ne parlerait pas de cet échange à la principale concernée, autrement Mei aurait sûrement dû faire face à pire qu'une simple brûlure de cigarette - mais même de cela, elle s'en fichait. Car quelque part derrière la rancœur qu'Asuga lui inspirait, il existait une part de sincérité dans les propos de Mei, et cette punition que Noa lui infligea en bonne numéro deux ne fit que le prouver : il résidait en cette gamine plus de potentiel qu'elle ne le pensait. Plus même qu'Asuga en personne ne l'avait imaginé.
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— Tu fumes ça toi ?
Extirpée de ses pensées par cette soudaine question, Noa releva la tête vers le jeune homme qui se trouvait assis dans le siège d'en face pour lui adresser un regard confus, puis elle vit qu'il n'avait d'yeux que pour le sachet de cannabis qu'elle tenait entre ses mains. Très vite, elle relâcha l'objet sur la table basse qui les séparait et secoua vivement la tête.
— Pas du tout, s'empressa-t-elle de nier. Je l'ai juste confisqué à une fille.
— Confisqué, carrément, ironisa Rindo. Tu t'es vite faite à tes nouvelles fonctions en tout cas.
— Elle le méritait.
— C'est mignon dans tous les cas.
Noa se figea un instant, persuadée d'avoir mal entendu ces derniers mots mais aussi certaine d'avoir entendu Ran pouffer de rire à côté d'elle. Les joues plus roses qu'une seconde auparavant, elle se demanda même si elle n'avait pas passé trop de temps à côté de Mei, si son cerveau n'avait pas été atteint par les substances qu'elle consommait même en public au point où elle aurait halluciné un soudain compliment de la part de l'homme le moins éloquent de l'assemblée.
— Qu'est-ce que t'as dit ?
— T'es sourde maintenant ? se renfrogna Rindo. On peut jamais rien dire ici.
— Tu peux dire tout ce que t'as sur le cœur, Rinrin, intervint Ran avant de glisser un bras autour des épaules de Noa qui se trouvait sur le même canapé que lui. On est entre nous, non ? À ce rythme-là on sera bientôt plus qu'une grande famille, autant être à l'aise.
À peine surprise par le geste de l'aîné de la fratrie, l'adolescente ne manqua rien de la grimace qui échappa au plus jeune alors qu'il n'observait que la main de Ran sur son épaule. Elle fut incapable de l'interpréter, comme elle ne le comprit pas lorsqu'il esquissa un sourire ironique - le même que son frère, mais elle se garderait de lui faire la remarque - en se redressant soudainement dans son fauteuil. Lui n'eut pas un regard pour elle, trop concentré sur Ran et l'air amusé qui ne le quittait plus ; l'air d'un grand frère que son intuition ne trompait pas et qui prenait beaucoup de plaisir à embêter son cadet.
— Tu sais quoi ? J'espère que le repas est bientôt prêt parce que je vais le savourer comme si c'était mon dernier.
— Pourquoi ? s'enquit Noa avec confusion.
— Parce que je me tâte à retourner en prison, répondit Rindo. Seul. Pour meurtre.
— T'as tué quelqu'un ?
— Pas encore.
— Il parle de moi, expliqua Ran. T'aurais pu dire "pour fratricide", la blague aurait été plus claire.
— Fratri- quoi ?
— ...Je sais que t'es pas beaucoup allé à l'école mais quand même.
— Bâtard, tu crois que je lis le dictionnaire avant de dormir ?
Cette joute verbale improvisée et les rires qu'elle créa s'avérèrent être plutôt divertissants d'un point de vue extérieur. Accoudée au comptoir qui séparait le salon de la cuisine où elle s'affairait à préparer le repas, Asuga observa la scène sans esquisser un seul sourire et fut pourtant certaine de ne jamais avoir connu une situation aussi significative du mot « famille ». Noa, la seule qu'elle osait qualifier d'amie dans cette vie mouvementée et qui portait mieux qu'elle les vêtements qu'elle lui volait au quotidien ; Rindo qui, malgré ce qu'il pouvait en dire, la traitait comme la sœur qu'elle avait longtemps voulu être pour quelqu'un ; et Ran. Les trois fonctionnaient si bien ensemble qu'elle voulut un instant ne plus exister ou bien devenir un objet du décor, quelqu'un qui aurait pu être témoin de ce théâtre sans y participer, observer sans ressentir - ni l'affection ni la peur de tout perdre qu'elle engendrait.
Mais Asuga existait bel et bien et elle avait même créé le théâtre qui se jouait sous ses yeux, alors elle ne s'accorda le droit au silence que pour un court moment.
— Noa, appela-t-elle sans se soucier du froid que sa prise de parole sérieuse jeta sur le salon.
— Oui ?
— La drogue. C'est à Mei, devina-t-elle. Je me trompe ?
Ramenée à la dure réalité par cette soudaine mention de la fautrice de trouble, l'adolescente laissa retomber son sourire et jeta un coup d'œil au sachet posé sur la table - plus par envie d'éviter le regard d'Asuga qu'autre chose. Douée comme elle l'était, peut-être aurait-elle pu lire sur son visage honteux tous les propos de Mei si elle avait osé lui faire face, et Noa ne voulait pas qu'elle sache. Ni pour les insultes, ni pour cette histoire de potentiel.
— Ouais, c'est à elle. Rien de grave mais tu sais comment elle est...
— Mei ? releva Ran.
Son intervention eut le mérite d'attirer toute l'attention sur lui. De là où elle était, Asuga le dévisagea sans être certaine de ce qu'elle devait penser en l'entendant, lui, prononcer ce prénom. Noa, qui ne savait même pas ce qu'il advenait de leur relation depuis leur rencontre avec Izana, scruta à tour de rôle son amie, puis l'aîné Haitani, et fut reconnaissante de constater que l'air méfiant d'Asuga lui suffit pour se justifier bien vite.
— Rin' m'a dit pour le coup de la brûlure, avoua-t-il à la surprise de la jeune leader qui tourna rapidement la tête vers le concerné.
— Noa en a parlé devant moi, se défendit Rindo.
— Hein ? Je lui parlais à elle, je savais pas qu'il allait écouter et répéter moi...
— Jusqu'à preuve du contraire je suis pas sourd, moi.
— T'es surtout une balance, là.
— Peu importe, coupa Asuga. J'en ai rien à faire que tout le monde soit au courant, vous battez pas.
— Qu'est-ce qu'elle a encore fait pour que tu lui confisques ça, du coup ? questionna Ran en reportant son attention sur la plus jeune du groupe.
Embêtée par la question, Noa leva les yeux vers son amie en espérant qu'elle ferait diversion. Peu importe la raison pour cette punition, elle supposa qu'il était trop tôt pour dévoiler les affaires du Shirohebi devant eux après ce qu'il s'était passé la veille - du moins, Ran n'avait pas besoin de connaître les détails. Asuga dut aussi préférer ne pas trop aborder le sujet de Mei en sa présence alors qu'elle montrait plus d'intérêt que nécessaire pour lui, alors elle prit la relève et libéra Noa de la curiosité dont elle était la cible.
— Y a toujours une raison plus bête que la précédente avec elle, ça sert à rien de chercher.
— Et tu sais pourquoi elle est comme ça ? s'enquit Noa avant d'y avoir bien réfléchi. Est-ce que c'est vraiment juste... une question de rivalité ?
— Bien sûr que je le sais, ricana-t-elle. Et ça n'a rien à voir avec une quelconque rivalité. On n'a pas toujours eu cette relation, tu sais ?
— Comment ça ?
— On était amies. Peut-être meilleures amies, hésita Asuga. Proches, en tout cas. Puis on a eu des différends et maintenant elle peut plus me voir en peinture, c'est tout.
Cette conclusion express ne parvint à convaincre personne et sa tentative d'ignorer les regards curieux de ses proches en faisant mine de retourner à sa cuisine s'avéra inefficace. Noa voulait en savoir plus et c'était légitime. Elle était aussi responsable du Shirohebi désormais, elle devait avoir connaissance de tout ce qui était susceptible d'y nuire. Mais ce n'était pas tellement l'idée de la mettre, elle, au courant de la vérité qui ne plaisait pas à Asuga ; Noa était intelligente mais encore trop innocente pour deviner les détails qu'elle pourrait omettre en lui racontant l'histoire. Ran, par contre, était loin d'être aussi naïf et la connaissait un peu trop bien pour ne pas lire entre les lignes dès qu'elle souhaitait cacher une part de la vérité ; et elle n'était pas d'humeur à se montrer vulnérable ce soir, ni même à aborder en détails les raisons que Mei avait de la détester.
Malgré tout, elle sentit son regard suivre chacun de ses mouvements depuis là où il était et finit par céder face à sa curiosité dans un soupir fatigué.
— Pose ta question, Haitani numéro un, lança-t-elle. Ça a l'air de te démanger.
— Mei était dans le premier Shirohebi, pas vrai ? voulut-il s'assurer.
— Oui, et donc ?
— Je me demande juste pourquoi elle était dans le Shirohebi au même âge que toi, dit-il après avoir haussé les épaules dans une indifférence feinte. T'y étais parce que c'est ton frère qui l'a fondé, mais je doute que Tadashi ait eu pour ambition de recruter d'autres ados de quinze ans.
— Son frère était l'un des premiers membres du Shirohebi aussi.
— Son frère ? répéta Noa.
— Le frère de Mei, oui, confirma Asuga comme s'il s'agissait d'une information banale. Lui il veillait réellement sur elle donc il aurait pas intégré quelque chose sans négocier pour qu'elle y ait une place aussi.
— Attends, attends, fit la plus jeune. C'est qui ce frère et où il est ? Pourquoi elle en a jamais parlé s'ils sont proches ?
— Tadashi s'est débarrassé de lui un an après la fondation du Shirohebi.
L'annonce était peut-être prévisible mais elle prit Noa par surprise. Imaginer une Mei plus jeune et plus ouverte aux côtés de sa meilleure amie Asuga et d'un frère dont elle n'avait jamais entendu parler était déjà plus gros que les quelques théories qu'elle avait pu envisager, alors savoir que la raison de son comportement provenait du deuil de ce même frère... C'était trop d'un coup. Mei avait perdu ses repères alors que Noa n'avait jamais envisagé qu'elle eût pu en avoir un jour, elle était en colère et avait tout mis de côté pour la vengeance ; sur bien des points, elles étaient similaires l'une à l'autre. Ce constat aussi dangereux qu'improbable ne fit que nourrir la curiosité de la petite brune qui ne put s'empêcher de poursuivre l'interrogatoire.
— Tu sais pourquoi il est mort ?
L'hésitation passa sur les traits de la jeune femme. Attentive, Noa la vit mordiller l'intérieur de sa joue, jeter un regard dont elle ne sut identifier la nature dans la direction de Ran, puis revenir poser ses coudes sur le comptoir et leur faire face comme si la confiance ne lui avait jamais manqué.
— Daiki... Le frère de Mei, précisa-t-elle pour dissimuler la grimace que ce prénom venait de lui arracher. Il gérait des réseaux de drogues pour le Shirohebi, il récupérait l'argent et s'occupait de la communication, tout ça. Et un jour il a commencé à faire son job un peu moins bien, à garder de la marchandise, à faire perdre de l'argent au Shirohebi.
— Il faisait quoi de la marchandise ?
— Il la gardait pour lui, répondit Asuga avant de reprendre d'un air plus agacé. Pour lui et... pour moi.
Ran tiqua sur ce point, presque sûr d'avoir assez prêté attention à la chronologie de l'histoire pour savoir que le gars en question avait au moins le même âge que Tadashi. Et il avait beau avoir baigné dans des activités louches toute sa vie, il n'était pas corrompu au point de ne rien trouver d'étrange dans le fait de proposer de la drogue à une adolescente de quinze ans en étant bien adulte. Il n'était pas non plus assez naïf pour croire qu'un adulte capable de ce genre de choses le ferait sans but extérieur, sans rechercher quelque chose de plus.
— Bref, conclut-elle. On passait beaucoup de temps ensemble, il faisait mal son job, Tadashi l'a fait disparaître et Mei me blâme pour tout ça, fin de l'histoire. Je peux pas vraiment lui en vouloir mais je sais que si ça tenait qu'à elle, je finirais au même endroit que Tadashi. Elle m'a suivie pour le voir tomber et maintenant que c'est fait, elle attend sûrement que je fasse une erreur pour qu'il m'arrive la même chose. D'où l'intérêt que ce connard d'Izana - avec tout le respect que je lui dois, bien sûr - ne pose pas trop de problèmes pour le Shirohebi.
Si Ran releva l'amertume dissimulée derrière cette dernière phrase, il n'en fit aucune remarque. Noa, elle, reconnut l'attitude d'Asuga comme celle de quelqu'un qui ne souhaitait pas poursuivre la conversation et n'osa pas poser plus de questions bien que l'envie ne manquait pas. Elle en savait beaucoup sur Tadashi, ses erreurs et l'ancien Shirohebi - bien plus que la moyenne - mais beaucoup de mystères demeuraient et ces soudaines révélations sur le passé de Mei ne faisaient que l'intriguer un peu plus. Si tout cela n'était qu'une question de vengeance et qu'elle était aveuglée au point de croire Asuga responsable de la mort de son frère, peut-être y avait-il un moyen de lui ouvrir les yeux et d'arranger les choses, de les faire cohabiter au sein du Shirohebi plutôt que d'en chasser une au profit de l'autre. Noa l'espérait, en tout cas.
Mais Asuga n'avait pas besoin de connaître l'avis de Noa, comme elle n'avait pas besoin de savoir ce dont Mei était capable pour apaiser ses envies de vengeance, alors l'adolescente s'efforça de ne pas avoir l'air de trop y songer. Une résolution qui se fit plus compliquée à tenir lorsque Ran lâcha ses épaules et quitta sa place pour se rendre à la cuisine ; et bien qu'elle lui adressa un léger sourire avant de l'observer s'éloigner, Noa ne voulut en réalité que développer un sixième sens capable de la laisser entendre ce qu'il se passait dans la pièce d'à côté.
Au moins, avec la vue qu'elle avait sur le comptoir de là où elle était, elle n'eut pas besoin de ce sixième sens pour assister au mouvement de recul que le jeune homme ne put contenir lorsqu'Asuga le pointa du bout de son couteau de cuisine dès qu'il entra dans la pièce.
— C'est pas le moment de venir m'embêter, prévint-elle sans abaisser son arme avant de désigner les légumes à moitié coupés sur le plan de travail devant elle. Ou tu finis comme eux.
— Carrément ? s'amusa Ran.
— Non, je me fous de ta gueule. Mais parle vite et retourne d'où tu viens, j'aime pas être dérangée quand je cuisine.
— Ce serait une belle mort, au moins.
Puisqu'il avait remarqué son humeur étrange tout au long de la conversation précédente, il ne put qu'être satisfait de la voir esquisser un discret sourire tandis qu'elle retournait à ses légumes. La même expression se dessina sur son propre visage lorsqu'il prit un instant pour observer son profil animé par la concentration, partiellement dissimulé par quelques mèches roses trop courtes pour tenir dans son demi-chignon mais pas assez longues pour cacher ses joues colorées par la vapeur chaude de la casserole qu'elle surveillait de temps en temps. Elle s'appliquait tant à couper proprement ses légumes qu'on aurait pu en oublier toute la violence dont ses mains étaient capables, tout le sang qui s'y trouvait déjà.
— Je t'ai dit de parler vite, rappela-t-elle sans lever les yeux. Alors crache le morceau.
Ran sut qu'il s'agissait d'une mauvaise idée à ce moment-là, et devina qu'il ne lui faudrait pas beaucoup plus de questions pour se refermer complètement. Mais le malaise d'Asuga l'intriguait et il voulait le comprendre. Elle n'avait jamais été si désireuse de clore une conversation aussi vite. Elle n'avait pas non plus caché le fait que le Shirohebi n'avait jamais été une source de sécurité pour elle sous les ordres de son frère, que certains de ses subordonnés avaient été ses bourreaux ou tenté de l'être, alors en quoi ce Daiki était-il différent ? Quelque chose dans l'hésitation qui était passée dans ses yeux à la mention de la cause de sa mort l'avait convaincu que cette histoire cachait de plus lourds souvenirs que ceux qu'elle se permettait de dévoiler.
— C'est vraiment pour ça que Tadashi l'a tué ? tenta alors Ran. Parce qu'il a merdé dans son job ?
Quand elle voulut couper les rondelles suivantes de la carotte qu'elle avait en main, le couteau frappa la planche de bois avec plus de force que pour les autres.
— Pour quelle autre raison tu voudrais qu'il l'ait tué ?
— Je sais pas, répondit-il sans quitter des yeux ses mains agitées et son visage contrarié. Si c'est la première personne qu'il a tuée, ça me paraît illogique. De ce que j'ai compris c'était un gars important dans ses rangs et il avait une sœur, le tuer c'était s'exposer à des risques pas nécessaires. Il pouvait juste le virer, non ?
— Qu'est-ce que j'en sais, Ran ? soupira Asuga en lâchant soudainement son couteau pour poser ses paumes sur le plan de travail et le couvrir d'un regard qu'elle voulut agacé mais qui sembla plus inquiet qu'autre chose. C'est pas ça que tu veux me dire alors viens-en aux faits, vas-y.
Elle eut beau essayer d'avoir l'air confiante et prête à recevoir n'importe quels mots de sa part, il ne remarqua que sa nervosité plus qu'évidente. Elle ne voulait pas entendre le constat qu'il s'apprêtait à lui partager et semblait même physiquement prête à fuir le sujet comme elle avait dû le faire depuis tout ce temps ; à tel point qu'il fut tenté d'approcher, d'attraper sa main ou d'établir au moins un quelconque contact qui aurait pu lui transmettre rien qu'un peu de courage. Il n'en fit rien car il la connaissait assez pour savoir que même si elle mourait d'envie d'être rassurée, elle ne l'accepterait jamais si facilement. Alors Ran se contenta d'obéir et d'en venir aux faits, peu surpris de la voir détourner le regard et secouer la tête dès que les mots passèrent la barrière de ses lèvres.
— Ce type faisait pas que te passer des trucs pas nets. Pas vrai ?
La réponse était évidente. Daiki avait toujours été apprécié de tous, Asuga était jeune à l'époque, très jeune ; influençable. Il l'avait incitée à consommer des choses réservées aux adultes, flattée jusqu'à la persuader de sa propre maturité, puis il avait profité de son inexpérience avec la drogue pour manipuler son esprit impressionnable et la convaincre que leur relation était normale. Elle s'était même crue amoureuse un temps, jusqu'à ce que le piège ne se referme, que les compliments excessifs ne se transforment en menaces, puis la complicité en possessivité. À quinze ans, se débarrasser d'un toxicomane de dix-neuf ans elle-même n'aurait jamais été possible pour Asuga, alors sa soudaine disparition avait été un soulagement. Seul le timing l'avait toujours laissée dubitative, et voilà que Ran le ramenait sur le tapis.
— Et donc ? fit-elle dans un ricanement trop amer pour ne pas cacher une inquiétude bien réelle qu'elle n'osait avouer. Mon frère était si attentionné qu'il l'a tué pour me protéger, c'est ça ? Dans quel monde tu vis ?
— Donc j'ai raison ?
— À quoi ça t'avance de savoir ça ? craqua Asuga. T'as pas déjà été assez curieux ?
Cette question très rhétorique le prit au dépourvu, elle le vit à la manière dont il jeta un coup d'œil en direction du salon comme pour s'assurer que les deux plus jeunes ne pouvaient assister à cette scène. Une initiative qui acheva d'agacer la jeune leader, elle qui avait toujours accepté de lui dévoiler ses faiblesses alors qu'il était incapable de se montrer vulnérable à moins qu'elle menace de lui échapper complètement.
— Si c'est encore pour l'histoire d'Izana...
— C'est pas avec Izana que je sors, il peut pas me décevoir, le coupa-t-elle. Je remarque juste que t'as le droit de tout savoir et même de décider quelles infos partager au reste du monde sans mon accord alors que je sais rien de plus que ce que tout le monde sait sur toi. T'es peut-être pas « juste quelqu'un » pour moi mais tu pourrais me dire en face que je suis juste de passage et que t'as seulement besoin de booster ton égo en te sentant important pour quelqu'un, ça reviendrait au même.
Et elle aurait pu lui planter ce maudit couteau en plein milieu du torse, l'effet aurait été le même.
Loin d'avoir l'habitude de ce genre de situation, Ran ne trouva rien de pertinent à répliquer ni même aucun argument de défense à donner. Il ne se reposa que sur l'espoir qu'elle ne pensait pas ce qu'elle disait et qu'elle était seulement sur les nerfs, à cause du Tenjiku ou de la mention de Daiki, peu importe. Mais en plantant son regard dans le sien, il constata avec déception qu'elle ne comptait pas revenir sur ses propos et n'eut même pas l'idée de s'en vexer.
— T'es sérieuse ?
— Laisse tomber, je rentre, râla Asuga avant de s'éloigner de son plat pour contourner le jeune homme et quitter la cuisine. Il reste pratiquement rien à faire, mangez sans moi. T'auras qu'à envoyer ton frère me ramener Noa quand vous aurez fini, il sera content.
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。・:*:・゚★,。・:*:・゚☆
ils me fatiguent
c tout c la nda
(btw oui c une fin de chapitre un peu soudaine mais c pcq le prochain chap sera une continuation)
- dae
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