chapitre 35
| 23 décembre 2005
☆
Le mois de décembre avait filé comme une flèche, même pour Daitan qui était loin d'avoir connu des mésaventures comparables à celles de son ancienne meilleure amie. Rien n'était venu perturber l'équilibre du Toman, du moins rien d'inhabituel. Lors de sa rencontre avec Taiju, Mitsuya avait réussi à négocier la paix en échange de la liberté de Yuzuha qui n'aurait jamais dû être mêlée aux affaires du Black Dragon dans un premier temps. Hakkai, lui, avait rejoint les rangs de son aîné comme convenu. Seule l'attitude distante de Takemichi vint continuellement déranger Daitan - ainsi que celle de Chifuyu qui traînait derrière lui comme son ombre depuis qu'il savait la vérité. C'était comme s'ils lui cachaient quelque chose, et pour que ce soit eux, ce devait forcément être lié à leur mission de changer le futur.
Une part d'elle voulait être dans le secret aussi et était même vexée d'avoir été mise de côté. Une autre se réjouissait de retrouver un peu de sa vie d'avant, de ne pas passer son temps à se demander quels mots et quels actes lanceraient le plus gros effet boule de neige de sa vie jusqu'à la détruire. Pourtant, elle ne pouvait pas non plus s'assurer un meilleur avenir en fermant les yeux sur ce qui causerait son malheur et savait que même cette ignorance volontaire ne pouvait être que temporaire.
— Tu vas pas finir ?
Le ton intéressé de Draken sortit Daitan de ses pensées. Les sourcils froncés, elle suivit du regard le doigt qu'il pointa dans la direction de son nabemono et s'insurgea aussitôt.
— Bien sûr que si, bouge de là.
— On a tout préparé ensemble, intervint Emma. Manquerait plus qu'elle finisse pas !
— Je faisais que demander, se défendit le blond en levant les mains en signe de paix. T'avais l'air ailleurs.
— Ouais... J'étais en train de me dire que j'avais pas croisé Takemichou depuis un moment.
Installé à côté de Draken qui, lui, se trouvait en face d'elle, Mikey avala sa bouchée de nouilles à peine mâchées en levant vers elle un regard curieux.
— Parce que vous vous croisez beaucoup en temps normal ?
Il y eut un moment de silence, à la fois de la part de Daitan qui n'était pas certaine de pouvoir l'expliquer sans trop en dire et de celle des deux autres qui échangèrent un regard entendu, trop habitués au sale caractère de Mikey pour ne pas reconnaître sa possessivité. Maniant habilement ses baguettes de ses mains toujours parées de toutes ses bagues, elle choisit finalement de faire l'autruche et fourra une bonne part de viande et de légumes dans sa bouche en haussant les épaules pour cacher son délai de réponse anormal.
— Quelques fois, quoi. Je voulais le surveiller un peu après sa promotion de capitaine et son altercation avec Taiju, c'est tout. Vous l'avez vu, vous ?
— Pas depuis qu'il est venu nous demander de nous taper contre le Black Dragon, répondit Draken.
— J'ai raté ça ? s'étonna Daitan.
— Mikey aussi, bizarrement.
— Mhm, bref, l'ignora-t-elle. Emma, tu vas au Sanctuaire demain soir ?
La petite blonde jeta un coup d'œil à son frère avant d'acquiescer sans un mot, certaine que lui aussi avait prévu de consacrer la nuit de Noël à ceux qui lui manquaient. Le lendemain à la nuit tombée, Mikey partirait en vadrouille avec sa moto et l'amulette de Baji autour du cou et Emma irait prier au Sanctuaire plutôt qu'à l'Église, comme Shinichiro l'avait toujours fait. Daitan hocha la tête à son tour avec un léger sourire rassurant, de ceux qui donnaient à Emma l'impression de retrouver un peu de son frère défunt. Autour de cette table, aucun n'avait de parents. Ils étaient leur propre famille et en étaient tous conscients depuis longtemps déjà, assez pour l'avoir accepté et s'être engagé à prendre ce rôle au sérieux. Il fut alors normal pour Daitan de reprendre la parole.
— Ça te dérange si je t'accompagne ?
— Non, pas du tout, répondit la plus jeune des Sano sans hésiter. Au contraire. J'accompagnais toujours Shin quand il y allait, il disait que je lui porterais chance pour que ses vœux se réalisent.
— J'espère que je te porterai chance aussi, alors, plaisanta la brune.
De l'autre côté de la table, Draken avait fini de manger et toisait son ami d'enfance étonnamment silencieux du coin de l'œil. Lui n'avait d'yeux que pour Daitan, tant et si bien que ça n'étonnait plus personne. Il devait penser lui aussi qu'elle porterait chance à Emma et même qu'elle était capable de tout ce qu'il y avait de bon en ce monde, à en juger par cette manière qu'il avait de la dévisager ; il n'y avait jamais de lueur particulière dans ses yeux sombres mais Draken le connaissait assez pour y déceler un peu d'admiration dès qu'ils étaient posés sur elle. Ce manège durait depuis des années et devenait pire en grandissant car plus ils devenaient matures, plus ils se voulaient d'une manière plus qu'amicale sans pour autant l'exprimer - parce qu'il s'agissait innocemment d'une évidence pour eux. Une évidence que même leurs amis les plus proches ne pouvaient comprendre. Ainsi, tandis que Daitan finissait son plat et suivait Emma en cuisine pour l'aider avec la vaisselle, le numéro deux du Toman cogna son coude contre l'épaule du jeune leader sans se soucier de s'attirer son mécontentement.
— Qu'est-ce que t'attends, sérieux ?
Le regard bien moins doux qu'il l'avait été une poignée de secondes plus tôt, Mikey rendit son coup à son ami dans son attitude la plus puérile.
— De quoi tu parles ?
— À ton avis, minus ? Tu veux que ce soit ta copine un jour ou pas ?
— Hein ? C'est l'hôpital qui se fout de la charité, là.
— Commence pas, râla Draken à travers ses dents serrées et priant pour que les filles n'entendent pas leur conversation.
— C'est toi qui as commencé, j'te signale, rétorqua Mikey sur le même ton.
— Faut te cogner pour que tu comprennes ?
— Toi tu veux me cogner, moi ? Vas-y, j't'attends.
Le fracas soudain de deux mains cognant la table devant eux arrêta les deux garçons dans leur joute verbale improvisée. En silence, ils relevèrent les yeux vers le visage mécontent d'Emma - du moins, Mikey affronta le regard accusateur de sa sœur et Draken fit de son mieux pour ne pas avoir l'air louche à la dévisager ainsi alors qu'il évitait généralement d'avoir à la regarder en face trop longtemps.
— Personne ne va cogner personne, affirma-t-elle. Et il a raison, Mikey, t'es un idiot.
— Moi ? s'indigna l'intéressé.
— Même Shin était plus doué avec les filles, c'est pas possible !
— Shin a jamais eu de copine.
— Parce que toi oui ?
Peu sûr de comprendre l'enjeu de la conversation et ce qui lui était reproché, le blond observa brièvement le peu de Daitan qu'il voyait dans la cuisine ouverte, occupée à nettoyer quelques assiettes de l'autre côté du comptoir. Draken, qui n'osait plus vraiment se prononcer sur une quelconque histoire de cœur en présence d'Emma, ne fut pas étonné de la voir pincer les lèvres dans une expression contrariée - peut-être un peu jalouse, aussi, car même une situation comme la leur était plus plaisante que celle d'une éternelle romantique qui ne vivait aucune idylle adolescente.
— Tu pars juste du principe que vous êtes ensemble parce que vous vous tournez autour depuis vos sept ans, ça veut pas dire que c'est ta copine, lui reprocha-t-elle.
— C'est trop compliqué votre truc, faut faire quoi du coup ?
— Tu l'as déjà embrassée ?
La question lui valut non seulement le regard perplexe de la part de son frère mais aussi celui, plus dubitatif encore, de Draken. Mikey comprenait à peine le fonctionnement normal d'une amitié, alors lui demander d'avoir des initiatives sensées en amour c'était comme lui demander de se montrer humble. Pourtant, il les surprit tous les deux en quittant sa chaise sans même argumenter.
— Tu m'soûles, fit-il avec nonchalance tout en s'éloignant en direction de la cuisine tandis que sa sœur et son meilleur ami l'observaient dans un silence incrédule.
Dans la cuisine, Daitan achevait à peine de se sécher les mains lorsque le jeune leader du Toman fit son entrée. Elle fronça les sourcils en le voyant ici plutôt qu'Emma, très peu certaine qu'il eût déjà fait la vaisselle une fois dans sa vie. De l'autre côté du comptoir, Emma se tenait encore aux côtés de Draken qui n'était même pas sorti de table et n'était pas sûr non plus de bien comprendre la scène qui se déroulait sous ses yeux. Il savait que le tact et la pudeur ne comptaient pas parmi les rares qualités de Mikey mais il ne pouvait tout de même pas envisager sérieusement de régler sa relation avec leur amie ici et maintenant, si ?
— C'est quoi ce silence ? releva Daitan d'un ton suspicieux.
— Emma dit que t'es pas ma copine.
Le regard confus de la grande brune passa d'un Sano à l'autre. Elle n'avait quitté le salon que quelques minutes, comment en étaient-ils venus à changer de sujet si drastiquement ? Un moment silencieuse, elle posa sur le plan de travail le torchon avec lequel elle s'était séché les mains et dut ouvrir une ou deux fois la bouche avant de savoir comment répondre, déstabilisée par les yeux toujours aussi sombres de Mikey qui scrutaient chacune de ses réactions. Étaient-ils vraiment obligés de faire ça devant leurs amis ?
— En oubliant le fait que je vois pas d'où cette conversation sort, commença Daitan, je sais pas trop ce que vous voulez que je dise. Je suppose que je le suis... si tu veux que je le sois ? hésita-t-elle. Je sais pas trop, ça a juste jamais été le sujet... Emma, sérieux, dans quelle merde tu me mets encore ?
— Non mais vous abusez, insista la petite blonde. On sait tous qu'il y a un truc depuis toujours mais vous vous êtes jamais concertés dessus, arrêtez de faire semblant. Dis-leur, toi ! ordonna-t-elle à Draken.
— Elle a pas tort...
Daitan trouva son intervention plus ironique que tout, d'autant plus en sachant qu'ils parlaient tous deux de ne pas être capable de s'avouer des sentiments mutuels - ce devait être le monde à l'envers. Un coup d'œil vers Mikey lui confirma qu'ils étaient sur la même longueur d'ondes quant à cette soudaine envie de jouer les entremetteuses de la part d'Emma. Elle devait s'ennuyer, à force d'aimer dans le vide un garçon seulement trop doué pour cacher le fait qu'il l'aimait au moins autant que l'inverse. Daitan n'était ni très romantique, ni très attachée aux étiquettes alors elle se fichait pas mal de mettre des mots sur ce qui la reliait à Mikey tant que c'était là. Ainsi, pour couper court au débat, elle baissa à nouveau les yeux vers le premier concerné et choisit de poser les termes clairement pour éviter à sa sœur trop curieuse de s'en faire des cheveux blancs avant l'heure.
— Tu veux dire qu'on est ensemble ?
— Ça change pas grand chose, fit-il remarquer. Mais ça me paraîtrait légitime.
— Super, ça me va aussi, conclut Daitan. Tu peux dormir sur tes deux oreilles, Emma.
— Mais... C'est tout ?
— Quoi ? Je dois t'appeler « belle-sœur » aussi ?
— Ben, tu pourrais...
— Je pourrais aussi te faire dormir dehors.
— C'est chez moi, rétorqua Emma.
— Et ?
— Vous êtes vraiment nuls, ragea-t-elle.
Lassée par cette conversation dont elle ne comprenait pas le réel but, Daitan décala l'un des sièges du comptoir pour s'y asseoir d'un air ennuyé. Cette joute verbale dura quelques répliques de plus, que Mikey n'écouta que d'une oreille pour se concentrer sur sa contemplation de la fille qui n'avait quitté ni ses côtés ni son esprit depuis près d'une décennie. Il se rappelait encore les cheveux très courts qu'elle avait portés à ses sept ans, ses petits poings et ses genoux abîmés à force de se battre sans cesse. Aujourd'hui, elle était trop douée pour être plus marquée que ses adversaires et elle se ressemblait bien plus. Ses cheveux étaient un peu plus longs, elle était aussi grande qu'attentionnée envers ses proches et quelque chose dans sa beauté androgyne avait le don d'attirer naturellement tous les regards sur elle.
Là, alors qu'il observait en silence sa posture confiante, son léger sourire et ses bras croisés révélés par les manches qu'elle avait retroussées pour laver la vaisselle, il se dit qu'Emma avait peut-être raison. Ç'avait toujours été une évidence entre eux à tel point qu'ils s'étaient longtemps dits ne pas avoir besoin de mots pour se décrire, mais peut-être méritaient-ils un peu de normalité aussi et il devait être un idiot de la prendre pour acquise alors qu'elle était tout ce qu'il ne serait jamais. Ils n'étaient peut-être que de vieilles âmes enfermées dans des corps d'adolescents comme ils en avaient l'air, mais il voulait aussi que les plus bêtes de ce monde sachent ce qu'elle était pour lui - et elle était bien plus que la numéro trois de son gang.
— Comment ça « trop simple » ? râla encore Daitan qui ne parvenait plus à arrêter Emma dans ses idées louches. Il y a un protocole à suivre pour sortir avec quelqu'un maintenant ?
— Elle pense qu'il faut s'embrasser, intervint Mikey.
— Hein ? Depuis quand il « faut » quoique ce soit ?
— Je dis pas qu'il faut, je dis juste que même ça vous êtes pas fichus de le faire.
Sceptique mais désireuse d'avoir la paix, Daitan leva une main jusqu'au visage de Mikey qui se tenait toujours à côté d'elle. La sensation du métal froid de ses bagues sur sa peau lui sembla étonnamment agréable tandis qu'elle l'attrapait doucement par la mâchoire et posait ses lèvres contre sa joue. Un geste qu'elle n'avait jamais eu et qui le ravit malgré la déception d'Emma qui s'était bien sûr attendue à plus. Sans rien en montrer, Daitan s'étonna de la docilité du blond, elle qui avait opté pour la joue par souci de ne rien faire qui le mettrait mal à l'aise. Dans cette réflexion, elle croisa son regard et sa surprise dut se voir sur ses traits puisqu'il esquissa un large sourire satisfait - qu'elle ne vit que le temps qu'il puisse à son tour saisir son menton et guider sa bouche jusqu'à la sienne.
Sans voix, Emma observa ce baiser qui ne dura qu'un instant comme s'il venait de bouleverser son monde à tout jamais. Elle pinça les lèvres dans une vaine tentative de retenir les grosses larmes qui bordaient ses yeux, à la fois émue de savoir qu'elle avait raison de considérer Daitan comme un membre de la famille et désespérée de ne pas connaître une relation similaire à la leur. Draken, lui, ne put que secouer la tête et afficher un mince sourire pour ses deux amis qui méritaient bien un peu de légèreté dans leurs vies compliquées. Quand Emma alla étouffer Daitan dans une étreinte exagérée en s'extasiant à l'idée qu'elle puisse rendre son frère heureux, lui croisa le regard de Mikey qui affichait encore un sourire trop innocent pour un garçon qui savait très bien ce qu'il faisait et valida sa démarche d'un pouce complice tourné vers le haut. Démarche qu'il n'aurait lui-même jamais à moins de trouver la force de devenir un humain décent après une enfance misérable, mais il s'y était fait. C'était un mal pour un bien, il n'aurait jamais voulu imposer son style de vie anormal à une fille innocente.
Mais Draken ne se faisait pas de soucis pour ses amis car ils étaient les deux personnes les plus fortes qu'il connaissait ; et si Mikey pouvait être instable, il était aussi vrai qu'il en faudrait beaucoup pour venir à bout de Daitan. En vérité, il n'existait qu'un seul idiot capable d'une telle chose et il s'avérait être le même garçon en ce moment même responsable de ses plus grandes joies. Alors, même sans ne rien savoir de ce sombre avenir qui les guettait, il savait que rien d'extérieur ne viendrait jamais détruire cet équilibre ; ils le feraient eux-mêmes.
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| 24 décembre 2005
☆
— Tu pries pas, toi ?
Les mains profondément enfouies dans les poches de sa veste épaisse, Daitan secoua la tête. Elle n'accepta de confronter ses pauvres doigts au froid ambiant que pour replacer correctement le chapeau d'Emma sur sa tête blonde dans un geste bienveillant qu'elle ne réfléchit même pas.
— Je suis pas sûre de croire que quelqu'un ou quelque chose veille sur nous, confia-t-elle. Accorde-moi une pensée dans tes prières et ça me suffira en attendant de trouver une quelconque foi.
La jeune Sano acquiesça avec sérieux avant de se concentrer à nouveau sur l'autel installé face à elle. Daitan, elle, s'éloigna avec en tête la seule idée réconfortante qu'elle pouvait passer sa nuit de Noël à veiller sur l'une de ses proches, bien que la présence d'Emma lui rappelait sans cesse que Mikey se trouvait aussi là-dehors, l'esprit occupé par tous ces souvenirs qu'il se forçait à ne pas oublier. Si elle avait eu la force d'esprit de trouver la foi et supplier les dieux de lui accorder un unique souhait, il aurait été pour lui dont le destin l'effrayait un peu plus chaque jour. Plus que jamais depuis qu'il avait pris son visage dans sa main pour l'embrasser avec une douceur qu'elle n'avait jamais pensé mériter, elle ressentait une nouvelle vague d'anxiété au moindre rappel de ce qu'il pouvait devenir. Alors si les divinités avaient un jour eu de la peine pour elle qu'on avait longtemps perçue comme une erreur de conception, peut-être lui accorderaient-elles au moins ceci ; le droit de garder auprès d'elle celui dont elle personnifiait le cœur.
Sûrement aurait-elle aussi pensé à Noa dans ses prières si elle en avait eu l'audace. Elle n'avait plus aucun moyen de savoir si elle allait bien ni ce qu'elle devenait mais en cette nuit spéciale, Daitan espéra que sa vieille amie était au chaud et en sécurité, que la haine qu'elle avait créée chez elle dormait au moins pour un temps.
Lorsqu'elle reporta son attention sur Emma, elle remarqua avec surprise qu'elle n'était plus seule mais accompagnée d'une fille aux cheveux corail qu'elle reconnut rapidement malgré le peu d'occasions qu'elles avaient eues de se croiser. De gros flocons leur tombaient à nouveau sur la tête alors Daitan déplia le parapluie qu'elle tenait et s'approcha pour le mettre entre les mains de la jeune adolescente sans lui laisser le choix, puis elle baissa les yeux vers la nouvelle venue.
— Hina, la salua-t-elle comme pour lui prouver qu'elle se souvenait d'elle. Je peux t'appeler comme ça, pas vrai ?
— Oui, bien sûr, balbutia la concernée. Et toi c'est Daitan, c'est ça ?
— C'est ça, sourit-elle. C'est cool de te voir ! Takemichou parle beaucoup de toi mais on se croise jamais, c'est dommage.
— Ah...
La soudaine peine visible dans ses yeux clairs rendit Daitan plus confuse qu'autre chose. Ne filait-elle pas le parfait amour avec Takemichi ? S'il y avait bien une chose qu'elle savait sur cet imbécile - outre le fait qu'il était un imbécile - c'était qu'il aimait Hina et que rien ne l'emplissait plus d'ambition que de savoir que ses sentiments étaient réciproques. Daitan jeta alors un coup d'œil à Emma qui secoua discrètement la tête pour lui confirmer que quelque chose n'allait pas.
— Il s'est passé un truc ? questionna la doyenne du trio, trop préoccupée pour prendre la peine de faire preuve de tact.
— Non, vous veniez prier... Je vais pas vous embêter.
— J'ai fini de prier, rétorqua Emma. Crache le morceau, on va t'aider.
Hésitante, Hina leva les yeux vers Daitan en se disant pour la énième fois que jamais une fille ne l'avait autant intimidée. Pourtant, la numéro trois du Toman se contenta de hocher la tête pour l'encourager et lui confirmer qu'elle voulait lui apporter son aide dans la mesure du possible. Takemichi ne pouvait pas avoir menti à son sujet ; malgré ses airs de brute, elle avait tout d'une bonne amie et donnait facilement l'envie de bénéficier de sa protection à ceux qui l'entouraient. Alors, assise sur un banc non loin du Sanctuaire où elle était elle aussi venue supplier les divinités de la laisser avoir ce garçon dans sa vie malgré toutes leurs différences, elle leur raconta tout ; comment Takemichi lui avait annoncé vouloir rompre, les coups qu'elle lui avait portés dans un élan de colère et la découverte de cet ultimatum que son propre père avait mis sur les épaules de celui qu'elle aimait jusqu'à déclencher ce drame. La seule chose qu'elle n'eut pas à exprimer sous forme de mots fut l'immense culpabilité qu'elle ressentait, elle se lisait sur son visage.
— Je vois, fit Emma une fois son récit terminé. Il a fallu que ton père s'en mêle... Ça n'a pas dû être facile à encaisser pour Takemichou.
Sûrement habituée à devoir réconforter la cadette Sano à travers tous ses états d'âme, Daitan posa par réflexe une main sur l'épaule d'Hina en la voyant baisser les yeux. Elle pensait peut-être que cette remarque ne visait qu'à l'enfoncer un peu plus, mais alors elle connaissait mal Emma. L'expression ennuyée de cette dernière ne mentait pas et Daitan savait qu'elle aimait trop l'amour pour accepter que n'importe quel couple se retrouve brisé par un jugement extérieur que personne n'avait sollicité.
— Mais on s'en fout de ce que pense ton daron, conclut-elle donc. Laisse-moi faire, je vais régler cette histoire.
— Hein ? Mais...
Le temps qu'Hina ouvre la bouche pour poser une question quant à cette prise d'initiative, la petite blonde dégaina son téléphone et se jeta sur l'un des premiers numéros de sa liste de contacts. Daitan reconnut sa moue capricieuse et, certaine qu'Emma savait déjà parfaitement qui allait décrocher à la place de son frère, elle reposa son dos contre le haut du banc après avoir fait signe à Hina de laisser la magie opérer. Puisqu'Emma était assez proche de ses deux amies, la voix de son interlocuteur leur parvint clairement dès qu'il décrocha.
— Ouais ?
— Ken ? fit-elle l'air de rien.
— Oui... Un problème ?
— Non, je voulais juste savoir si vous sauriez où est Takemichou.
— Hein ? Takemichou ? Pourquoi tu le cherches ? questionna-t-il.
— Je le cherche, c'est tout. Alors ?
De leur côté, bien qu'il éloigna le téléphone de son oreille pour un temps, les filles l'entendirent râler et demander à Mikey s'il le savait, lui.
— On n'en a aucune idée, conclut-il.
— Faut le retrouver, alors !
— Quoi ?
— Allez le retrouver ! insista Emma.
— Mais tu fais chier, toi. C'est Noël je te rappelle, vous avez quoi à toutes chercher Takemichou partout ?
— Tu pourrais pas comprendre, mais on a besoin de lui, c'est tout.
— Pourquoi vous allez pas le chercher vous-mêmes ?
Emma s'apprêta à rétorquer puis s'abstint en percevant la voix de son frère à l'autre bout du fil. Juste à côté d'elle, sans un mot, Daitan fronça les sourcils et tendit une main dans la direction du téléphone lorsque Mikey parla d'y « retourner ».
— Passe-le moi, commanda la brune dès qu'elle put coller l'appareil à son oreille.
Dans un soupir aussi long que las, Draken obtempéra et donna son propre téléphone au leader qu'il était censé accompagner dans sa vadrouille nocturne. Mikey eut tout juste le temps de s'emparer de l'objet avant que la voix de sa moitié se fasse entendre à nouveau avec un sérieux déconcertant.
— Retourner où ?
— Quand on roulait, j'ai entendu une Impulse et je suis sûr que c'était celle de Mitsuya. On va juste aller voir s'il se passe pas quelque chose.
— T'es en train de me dire qu'il y a peut-être un fight quelque part au moment où on parle ?
— J'en sais rien, mais vaut mieux aller voir dans le doute.
— Dis-moi où vous êtes, je peux vous rejoindre et-
— Non non, coupa Mikey. On va jeter un œil et on vous ramène Takemichou dans tous les cas. Vous êtes où ?
Daitan, mécontente d'imaginer ses camarades en plein combat sans elle, se réfugia dans un mutisme frustré pour un temps. Ce fut Emma qui l'en sortit, elle qui ne savait rien de tout ce qui guettait le Toman et qui n'avait jamais mesuré la dangerosité de leurs activités ; elle reprit le téléphone d'entre les mains de son amie pour indiquer - ordonner - à son frère de les rejoindre devant chez Hina au plus vite.
Maintenant qu'elle y pensait, il était évident que quelque chose clochait avec Takemichi. Il avait passé tout le mois à l'éviter après un refus catégorique du Toman à sa demande d'affronter le Black Dragon ; il devait avoir compris quelque chose et s'être mis en tête l'idée de régler le problème seul - avec Chifuyu mais elle n'était pas certaine qu'il fût un symbole d'intelligence pour un objectif si compliqué. Elle aurait dû se poser les bonnes questions avant, ainsi peut-être aurait-elle pu empêcher le combat qui se déroulait en ce moment même au beau milieu d'une église banale de la capitale - ou peut-être pas.
Hina, qui n'était plus certaine de savoir de quoi s'inquiéter entre cette histoire de fight et sa situation sentimentale catastrophique, ne put lutter contre Emma lorsqu'elle l'attrapa par la main pour l'entraîner loin de leur lieu de prières.
— Attends, attends, paniqua l'adolescente tandis que Daitan les suivait avec un léger sourire sur les lèvres. Tu veux m'emmener voir Takemichi ?!
— Ben quoi ? Tu l'aimes, non ? Alors arrête ton cinéma et dis-lui simplement.
— Mais... C'est juste que... Si je me retrouve devant lui, maintenant, j'ai peur d'être incapable de parler et d'éclater en sanglots.
Daitan ne put s'empêcher de pouffer de rire à cette idée, car pleurer devant le plus gros pleurnichard de cette époque ne pouvait être une honte. Son aura rassurante les enveloppa dès qu'elle rattrapa les deux plus jeunes pour prendre la tête du groupe, la main d'Emma dans la sienne tandis que cette dernière tenait encore Hina.
— T'en fais pas pour ça.
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