4 - Doloris

"Et me revoilà au milieu de la nuit,

fixant le plafond, me demandant où 

j'en suis dans cette vie."


La Salle commune de Serpentard était une grande pièce souterraine aux murs et au plafond de pierres brutes. Suspendues par de longues chaînes en fer, des lampes rondes et verdâtres illuminaient la pièce. Une cheminée au manteau gravé de diverses figures compliquées et ouvragées occupait une place de maître : autour, tels des fidèles encerclant leur idole, quelques fauteuils en cuir noir posaient. Au fond, un piano, vieux de plusieurs décennies, attendait que de fines mains viennent le caresser.

Lorsque Narcissa entra, suivie de près par Aurbun qui l'avait poursuivie jusqu'ici, elle sentit que l'atmosphère s'était considérablement rafraîchie.

Il était vrai que les crânes qui décoraient les murs de la Salle n'offraient pas une ambiance très chaleureuse, mais cette fois-ci, c'était différent. La tension et la colère étaient palpables. Narcissa ne mit pas longtemps avant d'en trouver la cause : à l'instant où ses pas claquèrent sur l'escalier de pierre froide, tous les regards se tournèrent vers elle.

Le groupe Serpentard dont elle faisait partie s'était mis à l'observer comme si elle avait souillé leur nom. Tous l'accusèrent du regard : Avery, Yaxley, Rookwood, son cousin, Evan Rosier, et même le petit rat qui servait d'animal de compagnie, ainsi que le plus jeune de la bande, Severus Rogue. Tous sauf Lucius, placé au centre du cercle, place du chef. Avec son regard qui était capable de trancher tout ce qui lui passait sous les yeux, il fixait Aurbun avec un mélange de dédain et de rage, animé par une jalousie évidente.

Alors, la vérité frappa Narcissa de plein fouet : Lucius savait. Peu importait comment il l'avait appris, il savait. Elle se serait écroulée au sol si son cousin n'était pas venu la rattraper à temps. Son teint devint livide et elle se rendit alors compte de ce qu'elle venait de faire. Elle regrettait, elle se maudit elle-même d'avoir été si lâche tandis que Lucius pointait sa baguette sur Aurbun, la colère lui déformant le visage.

– Toi ! Cracha-t-il. Comment as-tu osé ?!

À mesure qu'il s'approchait, à pas lents, mais assurés, Aurbun reculait, le visage devenu aussi blanc que sa chemise d'uniforme. Il était parti sans sa baguette et se retrouvait à présent sans aucune défense. Il leva les mains en signe de reddition, mais cela ne suffit pas à calmer la colère de Lucius.

– Tu savais ! hurla-t-il, hors de lui. Tu savais et tu me l'as prise !

Un jet de lumière sortit de la baguette noire du blond, mais Aurbun réussit à l'éviter en s'abaissant. Derrière lui, un vase se brisa.

– Non ! Non, je ne savais pas ! mentit-il.

Il cherchait un moyen de s'échapper de ce cauchemar, mais n'en vit aucun. Tous ses amis se délectaient de la scène qui se déroulaient sous leurs yeux, en force derrière Malefoy.

Narcissa voulut tout à coup s'interposer entre les deux garçons, mais le soutien d'Evan devint une emprise qui l'empêcha de faire le moindre geste. Faite prisonnière, elle ne pouvait qu'assister à cette scène affreuse qu'elle avait elle-même causé.

Un second sort voulut atteindre Aurbun mais il l'esquiva d'un mouvement paniqué. Lucius excellait en sortilèges informulés. Ne pouvant savoir de quel sort il s'agissait, cela la terrifiait plus encore. Si elle s'interposait, il n'oserait plus attaquer. Il ne lui ferait aucun mal. Lucius était peut-être un homme froid, mais pas cruel envers les personnes qu'il chérissait.

C'était elle la fautive, dans l'histoire. Elle qui avait été trop faible pour repousser Aurbun. C'était à elle à présent de réparer les dégâts.

Narcissa se mit à se débattre. Evan Rosier était peut-être doué en duel, mais lorsqu'on lui parlait de force, il fuyait. Alors, elle fit ce que son âme de Serpentard lui insuffla de faire : elle rusa. Elle lui griffa les bras, lui donna des coups de pieds pour qu'il la lâche ; cédant sous les coups, mais ne souhaitant pas voir sa cousine se mêler au face à face de Malefoy et Wilkes, il la plaqua contre le mur.

– Arrête Cissy ! C'est une affaire entre eux, ne t'en mêle pas ! Siffla-t-il.

Mais Narcissa obtint ce qu'elle voulait. Elle avait déjà réussi à s'emparer de sa baguette à l'intérieur de sa cape. Elle murmura un « Imperium ! » et il la lâcha brusquement, s'éloignant de quelques pas, le regard vide. Elle savait que c'était interdit, mais elle était majeure et sa baguette n'était plus tracée. Elle lui lança un rapide regard d'excuse même si elle doutait qu'il puisse la remarquer, et reporta son attention sur le face à face des deux garçons.

Alertés par le bruit des sortilèges de Lucius, plusieurs Serpentards étaient descendus, la tête à peine sortie des oreillers, la plupart étant des premières ou deuxièmes années. Avery tentait de les faire remonter à l'aide de menaces, mais beaucoup l'ignoraient, fascinés par le spectacle.

Narcissa s'aperçut alors que les deux garçons s'affrontaient en véritable duel de magie. Aurbun avait récupéré sa baguette et elle accusait Yaxley de le lui avoir rendu pour prolonger et rendre plus intense le combat. Narcissa en était horrifiée. Personne ne prêta attention à son cousin soumis au sortilège ni à elle-même, tous étant concentrés sur les bruits électriques qui jaillissaient des deux baguettes.

Chacun se renvoyait la jalousie de l'autre, la rage leur tordant le visage. Lucius était le plus féroce, le plus puissant ; il jouait avec son regard de meurtrier pour déstabiliser Aurbun. Ce dernier ne faisait que se défendre, renvoyant quelques fois un sort à son propriétaire, mais que très rarement. Les jets verdâtres de lumière traversaient la salle à coups d'éclair. Plusieurs objets cassés jonchaient le sol, fruits de ce désastre.

Mais alors qu'elle s'apprêtait à agir, Aurbun fut projeté à l'autre bout de la salle dans un hurlement qui déchira son âme. Étendu au sol, il hurlait à plein poumon, se tortillant pour échapper à une des plus grandes souffrances.

Et Lucius contemplait son œuvre, un sourire satisfait, presque monstrueux, sur le visage. Alors, Narcissa vit pour la première fois le Mangemort qu'il était, cette soif de faire souffrir ceux qui le désobéissaient, mais elle se surprit elle-même à ne pas en avoir peur. Comme si elle avait toujours su que derrière ce masque de glace se cachait un monstre assoiffé.

Même si elle ne fut pas surprise de l'attitude de Lucius, les hurlements de Aurbun lui rappelèrent qui souffrait par son unique faute.

Alors elle se jeta entre les deux hommes au moment où Lucius prononçait une nouvelle fois son sortilège.

Il la frappa de plein fouet ; elle se sentit brisée dès l'instant où l'éclair l'aveugla. C'était une douleur telle qu'elle n'avait jamais connu, un monstre qui lui griffait chaque parcelle de peau comme un lion s'acharnerait sur les barreaux de sa cage. Un feu ardent qui la consumait de l'intérieur et lui brûlait tout espoir de revoir un jour le bonheur. Quelque chose qui la brisa au plus profond d'elle-même et réduisait son âme en cendre.

Elle eut de la chance : à peine elle hurla que la douleur cessa. Agenouillée au sol, sa tête la martelait si fort qu'elle n'entendait plus rien. Seulement les battements de son cœur qui inondaient ses tympans. Le sol tanguait tel un bateau en pleine mer et il lui fallut quelques secondes pour se stabiliser avec ses mains.

Elle n'entendit rien, mais elle le vit. Les murs avec lesquels se protégeait Malefoy tout au long de la journée, la froideur qu'il arborait pour ne pas se trouver affecter : tout cela avait disparu. Le monstre s'était retranché et c'était à présent le petit garçon insouciant et bienveillant de l'enfance qui la fixait. Il avait lâché sa baguette, mortifié par l'horreur de ses actes.

Pour la première fois, Narcissa le vit terrifié.

L'intervention d'Evan coupa court au chamboulement de pensées que subissait Narcissa. Il avait été libéré du sortilège au moment où elle avait été frappée du sort de Malefoy. Il la saisit brutalement par le bras, la relevant avec une force dont elle ne l'avait jamais cru capable. La fureur déformait ses traits d'habitude si angéliques et ses yeux bleus typiques des Rosiers devenaient noirs à mesure que la colère le gagnait.

Le silence était tombé comme une pierre lourde dans la Salle commune. Avery et Rookwood s'étaient précipités vers Wilkes à présent inconscient. Lucius observait douloureusement Narcissa, une culpabilité apparente dans ses yeux gris tandis que Evan traînait sa cousine dans les couloirs.

Arrivé en haut, celui-ci la lâcha comme si elle le dégoûtait profondément. Elle se serait effondrée si le mur n'avait pas été là pour la soutenir.

– Comment as-tu osé ?! Hurla-t-il, les iris à présent aussi noirs que le lac.

Narcissa craignit un instant d'apercevoir Rusard débouler au son de tout ce vacarme, mais les couloirs restaient déserts.

Elle ne répondit pas et baissa la tête, presque honteuse. Il reprit :

– Moi ? Ton propre cousin ? Me lancer le sortilège de l'Imperium alors que je tentai de te protéger !

Cette fois-ci, ce fut de trop et Narcissa s'autorisa à répliquer, sur le même ton :

– C'était ma faute s'ils essayaient de s'entre-tuer ! Je devais les empêcher de...

– Ta faute, ça oui, pour sûre ! La coupa-t-il. Comment as-tu pu être aussi idiote pour croire aux paroles de Wilkes ?

Narcissa le fixa avec horreur. Comment avait-il pu savoir ce que Aurbun lui avait déclaré ? Il ricana méchamment devant son expression ahurie.

– Que croyais-tu, Cissy ? Qu'il était vraiment amoureux de toi ? Cracha-t-il. Tout ce qu'il veut, c'est ton nom et ce que tu représentes. Il essaie de t'acheter avec de jolies déclarations simplement pour que tu cèdes et qu'il puisse clamer haut et fort qu'il a épousé une Black. Il a toujours été jaloux de Lucius et son influence, et il veut à tout prix lui ressembler au point de vouloir lui voler sa promise. Il est manipulateur et menteur, Cissy, bien plus que ne le sera jamais Malefoy !

Le sol se déroba sous ses pieds. Une nausée s'empara d'elle et lui donna envie de vomir. Elle s'était faite humiliée devant toute la maison Serpentard pour des mensonges, elle avait cru un bref instant que Aurbun était sincère, mais si les paroles d'Evan se révélaient justes, alors elle s'était faite bêtement avoir. Et elle eut honte. Terriblement honte. Le sortilège Doloris avait peut-être brisé son âme, mais cette vérité monstrueuse lui brisa le cœur.

Elle se laissa glisser contre le mur en hoquetant. Elle se rappelait encore le goût sucré de ses lèvres, son parfum enivrant ; penser que tout cela n'était qu'une ruse pour l'attirer dans un piège la dégoûtait.

Evan parut se radoucir et ses yeux redevinrent peu à peu bleus. Il s'agenouilla devant elle :

– J'essaie de t'aider, Cissy. De faire en sorte que tout se passe le mieux possible. Lucius n'est peut-être pas... l'homme que tu rêvais d'épouser, mais il saura s'occuper de toi. Il t'apprécie beaucoup, tu sais... Et puis vous avez passé votre enfance ensemble...

Il soupira puis s'assit à ses côtés, passant un bras autour de ses épaules. De gros sanglots secouaient son corps tandis qu'il l'attirait contre lui.

Sa présence apaisa Narcissa dont les larmes ruisselaient sur ses joues en un flot constant. Evan était son plus proche cousin, le seul qui se souciait véritablement de la cadette des Blacks. Il la connaissait mieux que personne et savait trouver les mots justes pour la rassurer.

À cet instant, il était peut-être le seul à la comprendre véritablement.

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