«C'est impossible, dit la Fierté
C'est risqué, dit l'Expérience
C'est sans issue, dit la Raison.
Essayons, murmure le Coeur.»
William Arthur Ward

Le soleil déclinait, derrière de longs nuages semblables à des cordons de laine sale. La fraîcheur automnale commençait à s'installer autour de Poudlard et des feuilles brunes jonchaient le sol irrégulier. Narcissa, recouverte de sa cape, s'était entourée de son écharpe verte et argent, en attendant son ami. Celui-ci apparut derrière les vieilles pierres du château et sourit lorsque leurs regards se croisèrent.

– Je ne t'attendais pas de si tôt, déclara-t-il en s'avançant aux côtés de Narcissa.

– Il fallait que je te parle, se justifia-t-elle.

Il hocha la tête puis ils commencèrent à marcher le long des vieilles pierres qui bordaient le chemin.

– J'ai appris pour toi et Malefoy, annonça-t-il non sans amertume.

– Qui te l'a dit ?

– Avery, qui l'a lui-même appris par Rookwood.

– Qui l'a apprit à son tour par Yaxley, termina-t-elle en soupirant. Les nouvelles circulent vite ici.

– Rassure-toi, ça circulait encore plus vite lorsque Bellatrix était là, ricana-t-il. Elle était au courant de tout sans que personne ne sache comment.

– Je sais, ria-t-elle à son tour. Ça l'a toujours amusé d'annoncer qui avait trompé qui.

Leur rire s'estompa devant le soleil qui s'abaissait au fur et à mesure du temps. Un silence retomba. Le ciel devint mi-orange, mi-rose et les nuages s'effilaient tels des coups de pinceaux rapidement posés.

– Et donc, tu es d'accord, reprit-il. À propos de Malefoy.

– Je n'ai pas vraiment le choix, tu sais, soupira-t-elle.

– Qui aurais-tu choisi si tu avais eu le choix ?

Narcissa hésita avant de répondre dans un murmure presque inaudible :

– Toi.

Mais il l'entendit, et dans la pâleur du crépuscule, elle le vit sourire. C'était étrange qu'ils se mettent à parler de mariage alors qu'ils n'avaient que dix-sept ans, mais chez les Sang-Pur, plus tôt ils s'unissaient et mieux c'était.

Narcissa et Aurbun s'étaient toujours considérés comme des meilleurs amis, se confessant l'un à l'autre dans les moments difficiles. Elle savait qu'il s'était fait tatouer la marque des ténèbres sous l'insistance de son père et sous l'influence des Malefoy deux ans auparavant, même s'il n'avait pas cherché non plus à se dérober. Il avait déjà participé à plusieurs missions avec les Lestrange mais refusait de tuer quiconque. Enfin, c'était ce qu'il prétendait.

Loin devant eux, les montagnes s'assombrissaient et le lac qui entourait l'école devint une eau noire comme une potion de Mort-Vivante. Entre la brise fraîche et un ciel coloré qui apparaissait, leurs deux mains se frôlèrent. Elles hésitaient, chacune retenue par la timidité et la peur de voir l'autre refuser. Il y eut un doigt qui caressa l'autre, comme une demande silencieuse faite au dessous des étoiles naissantes, mais rien ne se passa. Ils demeuraient l'un à côté de l'autre, chacun tentant d'ignorer leur cœur qui battait à l'unisson. Ils se donnaient mille et une raison de ne pas aller plus loin, jusqu'à s'injurier eux-mêmes pour se convaincre de ne rien tenter d'absurde ; mais leurs mains se rapprochaient, inéluctablement, attirées par le désir d'essayer autre chose que les règles imposées par leurs familles. C'était mal, ils le savaient. Narcissa ne devait se rapprocher que de son futur mari, ses parents le lui avaient répété une centaine de fois. Elle se devait d'être une épouse fidèle et dévouée, cela même avant leur union.

Narcissa avait appris à écouter sa raison. Ses sentiments n'avaient aucune place dans ses décisions. Elle était faite pour représenter un nom, une maison, un emblème, et ce, jusqu'à sa disparition.

Pourtant, ce soir-là, sans qu'elle ne sache pourquoi, Narcissa écouta son cœur.

Alors, dans un moment timide, mais passionné, elle vida son esprit de toute pensée contradictoire et plongea la tête la première dans ce qu'elle s'était toujours refusée de faire.

Elle lui donna la main.

Et contre toute attente, il l'accepta.

Ils ne dirent rien, chacun se muant dans le silence nocturne, presque honteux de leurs comportements. C'était mal, mais ils l'avaient fait. Ils ne devaient pas ; mais ils s'en fichaient. Ils avaient, pour un court instant, défié leurs idées et les obligations dues à leur nom et en une nuit, ils avaient avoué leurs sentiments refoulés depuis trop longtemps.

Comme soudées par un amour timide mais sincère, leurs mains se lovaient dans la tiédeur de leur peau ; et chacun souriait, fier de l'exploit qu'ils avaient réalisé.

Alors, comme pour profiter de l'euphorie du moment, du courage qui les avaient pris en quelques secondes, Aurbun s'arrêta pour affronter les yeux dans les yeux la jeune Black.

– Je vais parler à tes parents. J'essaierai de les convaincre que je ferai un meilleur mari, pour toi.

Narcissa, surprise par cet élan d'aveux trop vite prononcés, voulut se retirer ; mais Aurbun ne la laissa pas faire. Il s'approcha plus encore et déclara :

– Je t'aime Narcissa. Pendant toutes ces années, j'essayais de me convaincre que ce n'était que de l'amitié, rien de plus, mais à présent je me rends enfin compte combien je t'aime.

Narcissa voulut le contredire, lui annoncer que peu importe ses sentiments, son destin était scellé, mais comme s'il venait de lui lancer un sort, ses mots se bloquèrent au fond de sa gorge. L'aimait-elle vraiment, elle ? Valait-il vraiment la peine de mettre en danger son honneur et celui de sa famille pour un Wilkes ? Qu'allait penser Lucius ? Tout s'était précipité et Narcissa se noyait. Sa raison avait soudainement repris le dessus et elle regrettait son geste. Mais il était trop tard pour reculer.

Dans ses pupilles noires, les étoiles étincelaient. Il l'implorait presque, ses mains entourant les siennes, sa lèvre inférieure frémissante dans l'attente d'une réponse. La nuit était enfin tombée, et eux, plantés dans le décor nocturne, se perdaient entre la raison et le cœur.

Narcissa hésitait. Elle se sentait vulnérable, prête à défaillir au moindre contact de trop. Elle s'en voulait de lui avoir donné espoir, pour avoir cédé si facilement. N'avait-elle pas repoussé Lucius parce qu'elle ne voulait pas qu'ils aillent au-dessus de l'amitié ? Pourquoi était-elle incapable d'agir de même avec Aurbun ? Elle s'apercevait qu'elle aurait très bien pu partir, le laisser à l'endroit où il lui avait avoué son amour. Elle était libre, mais se sentait plus entravée que jamais. Plongée dans ses iris noirs, elle y sombra et le laissa poser ses lèvres contre les siennes. Elle n'eut ni la force, ni la volonté de le repousser. Si lâche.

Elle tenta alors de résister, dictée par les tortures constantes de sa conscience, mais enveloppées dans les effluves de son parfum de roses séchées, elle céda une nouvelle fois. Elle s'insulta elle-même, se serait giflée si elle en avait eu la force : mais sans pouvoir l'en empêcher, elle le laissa prendre un morceau de son cœur recomposé.

Elle ferma les yeux et laissa ses mains parcourir son corps. Elle ne tenta rien elle-même, peut-être pour ne pas se sentir coupable, le laissant contrôler la situation, l'emprisonner dans ses griffes pour ne plus jamais lui échapper.

Elle était à lui, il l'avait conquis, enfin. Peut-être obtiendrait-il sa main, peut-être s'offrirait-elle à lui sans avoir peur d'être vue. Il ferait un bien meilleur époux que Malefoy avec son regard hautain et ses yeux gris qui ne reflétaient que la froideur d'un homme sans cœur. Il l'embrassa avec plus de colère, comme pour montrer à son idiot de promis qu'elle était enfin à lui. Elle gémit sous la pression devenue trop forte. Elle tentait de reculer, au fur et à mesure, mais il la retenait toujours.

Dans la nuit noire qui s'était enfin installée, ils ressemblaient à deux ombres passionnées et brisées, s'acharnant à reculer, mais sous l'emprise des flèches de Cupidon.

Une douce fraîcheur souffla et leurs baisers se firent plus ardents, plus sûrs, incapables de se retenir, dans leurs ébats interdits.

Un oiseau vola haut dans le ciel ; ses battements d'ailes retentirent dans le lourd silence qui enveloppait Poudlard.

Du haut de la tour d'astronomie, Lucius Malefoy observait, silencieux.