12 - La Sérénade de Schubert
«Au moment où j'avais réussi à trouver toutes les réponses, toutes les questions ont changé.»
Paulo Coelho
Narcissa avait songé noyer son chagrin dans l'alcool, qui pouvait l'en blâmer ? Certainement pas sa mère, qui s'était enfermée dans ses appartements pour y dépérir à petits feux.
Pas Bellatrix, car celle-ci avait vidé la bouteille de whisky Pur-Feu le soir même, jusqu'à en devenir malade.
Ni son père, qui disparaissait dans son bureau pour n'y reparaître que tard le soir.
Narcissa était la seule qui endurait les remarques déplacées de Walburga, la seule qui répondait aux questions incessantes de Regulus, la seule qui réussissait encore à tenir debout, la tête haute et le menton relevé. En silence, Narcissa se taisait et endurait, dans un silence qui l'étouffait.
Elle avait passé la fin des vacances avec les Rosiers, en compagnie de son cousin qui la soutenait sans cesse. Plusieurs fois, elle avait posé les yeux sur les bouteilles d'alcool qui lui faisaient face, lors des dîners. Peut-être arriverait-elle à oublier ces derniers événements en une gorgée ? Peut-être réussirait-elle à se prendre un moment dans les effluves de l'alcool et se libérer de toutes ces pensées qui l'empêchaient de trouver le sommeil ? Mais chaque fois que cette envie la prenait, elle se souvenait qu'elle avait une famille, et qu'elle devait se montrer forte. Peut-être que si sa mère voyait sa plus jeune fille se tenir droite devant la perte d'Andromeda, elle se mettrait de nouveau sur pied. Elle redeviendrait la femme rayonnante et belle que Narcissa avait connue. Elle retrouverait sa fierté et sa splendeur aussi facilement qu'elle les avait perdues. Narcissa avait encore espoir.
La nouvelle s'était très vite répandue parmi les Sang-Pur, et fit rapidement scandale. Lucius lui avait envoyé des dizaines de lettres, plusieurs par jours, mais Narcissa ne les avait même pas ouvertes. Elle les regardait s'entasser avec amertume, sous le regard inquiet d'Evan qui se doutait que derrière ce masque impassible et dur comme la pierre se cachait beaucoup plus de peines qu'elle ne voulait le montrer.
La rentrée à Poudlard arriva très vite, et Narcissa était presque heureuse d'y retourner, pressée de plonger sa tête dans ses livres pour oublier ses malheurs. Mais avant, il y avait l'épreuve du train, et donc la rencontre avec Lucius, Yaxley et toute la compagnie, prêts à lui sauter à la gorge pour obtenir des réponses. Evan la surveillant de près, il lui était impossible de se cacher dans un compartiment Serdaigle. Elle le maudit en silence.
Comme attendu, Lucius fut le premier à s'avancer, une expression particulièrement contrariée. Narcissa était bloquée entre deux compartiments, dans un train en marche avec l'impossibilité de fuir. Alors elle l'accueillit avec son masque de glace qu'elle portait depuis qu'elle avait perdu sa sœur. C'était une manière à elle de dépérir de l'intérieur, sans le montrer et ainsi ne pas risquer de paraître faible. Lucius arriva face à elle imposant, ses cheveux blond pâle au carré balayant ses larges épaules. De ses yeux, il semblait trancher tout ce qui croisait son regard.
– Je t'ai envoyé vingt-trois lettres, Narcissa. Vingt-trois. Pas une réponse.
– J'étais occupée, répliqua-t-elle froidement.
– Occupée ? Tu te fiches de moi ? Observer le dehors à travers la fenêtre toute la journée, tu appelles ça être occupée ?
Narcissa recula de quelques pas, prise de court.
– Evan t'a écrit, en déduit-elle.
– Bien sûr qu'il m'a écrit, puisque tu ne le faisais pas ! Tu es ma fiancée, Narcissa !
Elle avait oublié. Elle avait oublié ce détail qui lui fit l'effet d'un long poignard enfoncé dans le cœur. Elle était fiancée à Lucius Malefoy. Elle dut se le répéter plusieurs fois pour assimiler de nouveau l'information.
– Je... continua-t-il, je m'inquiète pour toi.
En temps normal, Lucius Malefoy ne l'aurait jamais avoué. Il se serait contenté de la gronder, puis serait reparti, sans démontrer aucune émotion. Mais sans qu'elle ne sache pourquoi, avec elle, il changeait. Il s'ouvrait, seulement avec elle. Ce qu'elle n'était pas capable de faire avec lui. Avec personne, en fin de compte.
– Merci Lucius, mais je vais bien.
– Je ne crois pas. Tu veux donner cette impression, mais au fond tu ne vas pas bien du tout. Je veux juste le meilleur pour toi. Je veux que tu sois heureuse.
Il déglutit difficilement, comme si prononcer ces mots lui était difficile. Non pas par manque de sincérité, mais plutôt par gêne. Mais il ignora ses pensées contradictoires, et en un murmure presque inaudible prononça :
– Je t'aime.
*****************
Faute d'alcool, Narcissa avait trouvé une autre occupation à son esprit tourmenté : le piano. Elle en jouait lorsque la Salle commune était vide, plongée dans un silence aquatique, alors que les Serpentards mangeaient dans la Grande Salle. Seule, laissant ses doigts courir librement sur les touches d'ivoire, elle se perdait elle-même loin de ce monde sans espoir et oubliait.
Elle oubliait Andromeda et sa trahison envers sa propre famille.
Elle oubliait Aurbun et son amour fou et inespéré qu'elle ne pouvait accepter.
Elle oubliait Lucius. Ou elle tentait de l'oublier.
Chaque fois que son esprit n'était pas concentré sur le piano, elle entendait encore et encore sa déclaration, rien qu'un murmure, mais pourtant si réelle. Il l'aimait. Jamais elle ne l'avait pensé dévoiler ainsi ses sentiments. Il aurait tout gardé pour lui, dressant ses murs invisibles pour se protéger. Seulement, pour elle, il changeait. Il tentait de s'ouvrir, pour lui donner confiance, lui montrer qu'il faisait un effort pour eux, pour leur futur.
Il l'aimait. Et il le lui montrait. Tandis que Narcissa était perdue. Elle ne savait pas qui aimer réellement, et elle se doutait par moment pouvoir ressentir ce sentiment étranger qu'était l'amour. Narcissa voulait en finir avec tout cela. Elle voulait être sûre de son choix, de ce qu'elle ressentait et de ce qu'elle devait faire. Elle voulait mettre fin à ses tourments qui l'empêchaient de trouver le sommeil. Mais personne n'était là pour l'aider.
Alors Narcissa jouait du piano, tentant d'oublier ses problèmes au lieu de les résoudre. Elle aimait sa solitude, ce calme ambiant brisé par les notes de l'instrument aux airs mélancoliques.
Mais aujourd'hui, Narcissa n'était pas seule.
Appuyé contre un des murs en pierre de la Salle Commune Serpentard, Aurbun Wilkes observait la jeune Black jouer, absorbée dans son jeu, silencieux. En la voyant ainsi, il l'aimait plus que quiconque. Chaque reflet de lumière sur sa peau laiteuse lui donnait envie d'y déposer des baisers, chaque mèche de cheveux blonds lui donnait envie de les caresser. Mais il savait que tout cela était impossible. Narcissa porterait le nom Malefoy, qu'il le veuille ou non.
Lorsqu'il s'approcha en silence jusqu'à la caisse de résonance, Narcissa sursauta et s'arrêta net de jouer. Elle fut soulagée de s'apercevoir qu'il ne s'agissait que de lui, mais une lueur d'inquiétude continuait de briller dans ses yeux.
– Je ne t'ai pas vue en potion, commença-t-il. Le professeur Slughorn m'a demandé de partir à ta recherche.
Puis il ajouta, dans un murmure :
– Lucius était furieux.
Cela n'étonnait guère Narcissa, surtout en ces temps-ci. La guerre était déjà déclarée depuis longtemps entre les deux Serpentards. Elle espérait juste que leur rivalité ne franchisse pas les limites du Doloris.
– J'ai déjà étudié tout le programme pour mes ASPICS.
– Tu comptes dépasser les résultats de Bellatrix ? Rigola-t-il.
Elle haussa les épaules, accompagné d'un petit sourire.
– Il se peut que j'y arrive.
Puis soudain son visage redevint grave et sombre, et son regard se vida, comme prise d'un douloureux souvenir. Aurbun ne dit rien durant quelques secondes, puis finit par prononcer d'une voix douce :
– Tu connais Schubert ?
Comme ramenée avec violence à la réalité, Narcissa papillonna des yeux plusieurs fois puis le fixa d'un air perdu.
– Pardon ?
– Connais-tu Schubert ?
– Ah, oui... Bien sûr.
– Tu pourrais jouer une de ses compositions ?
Aurbun eut peur un instant de la voir refuser. Il eut peur qu'elle secoue la tête puis le repousse. Mais elle dit, d'une voix dénuée d'émotions :
– Oui, mais je ne connais que la Sérénade.
– Je la connais aussi, sourit-il. Je la jouais avec ma mère.
– Et moi avec...
Sa voix se brisa et elle baissa les yeux vers le clavier, les larmes menaçantes.
– Avec Andrie...
Une goutte dévala furtivement sa joue, presque invisible par sa rapidité. Mais Aurbun la vit tout de même. Alors, sans même demander, il s'empara du deuxième tabouret placé dans un coin de la pièce et s'installa à côté de Narcissa sans dire un mot. Elle le laissa faire, devinant que son intention n'était qu'innocente. Mais elle avait besoin d'être sûre d'une chose avant. Elle avait besoin de le lui demander une bonne fois pour toutes, pour ne plus se tourmenter avec ses millions de questions. Elle devait le faire, car elle en avait l'occasion. C'était maintenant ou jamais.
– Aurbun ?
– Oui ?
– Est-ce que tu m'aimes ?
Alors il vit Narcissa rire aux éclats, assise aux côtés de Bellatrix sur le grand canapé vert de la Salle commune. Il vit sa robe noire virevolter autour d'elle tel un papillon se préparant à s'envoler lors du bal de Noël chez les Rookwood. Il vit ses yeux en amande se plisser sous son regard suspicieux, un sourire moqueur sur les lèvres. Il la vit plus belle que jamais maintenant, assise devant le piano, se mordant la lèvre inférieure comme si elle redoutait sa réponse. Narcissa était unique. Une fleur grandissante dans les ténèbres, blanche comme l'éclat de ses longs cheveux dorés. Dès qu'il l'avait vue chez les Yaxley ce soir-là, alors qu'il n'avait que sept ans, elle lui avait paru la plus belle chose qui puisse exister dans ce monde. À cet instant-là, Aurbun avait su que son destin serait changé, parce que tant qu'elle continuerait d'exister, elle restait la lumière qui illuminerait sa vie. Parce qu'il l'aimait. Parce que Aurbun Wilkes avait toujours aimé Narcissa Black. Alors il répondit, la gorge nouée :
– Oui.
Elle ferma les yeux. Peut-être arriverait-elle à sortir de ce cauchemar. Peut-être un jour arrêterait-elle de faire du mal à ceux qui l'entourent. Peut-être.
– Je suis désolée, fit-elle la voix tremblante.
– Pourquoi ?
– Pour ne pas te rendre cet amour. Pour te faire autant de mal.
À travers ces mots, Aurbun sentit tous ses espoirs se briser en mille morceaux. Dans un moment de folie, il avait cru qu'elle l'aimait aussi, même si elle était obligée de le cacher pour son alliance avec Malefoy. Aurbun, durant quelques instants, avait été fou. Il avait cru en quelque chose qui n'existait pas et n'existerait jamais.
Narcissa tenait à Lucius. Affirmer le contraire serait une idiotie. Et Lucius aimait Narcissa. Plus que quiconque. Même un aveugle pouvait le voir. Ce n'était qu'une question de temps avant que les deux ne se vouent un amour infini. Un amour qu'Aurbun ne pourrait que contempler avec envie et amertume.
– Tu n'es pas obligée de t'excuser. Je comprends.
Il détourna le regard vers le clavier, presque impatient de commencer à jouer pour en finir avec cette discussion. Mais elle n'était pas de cet avis.
– Je... je ne voulais pas que ça aille aussi loin. Je veux être sincère avec toi, je voudrais te dire tous ces mots qui me pèsent depuis un moment : cela fait longtemps que Lucius et moi nous connaissons. Je crois même que ça a été la première personne extérieure de ma famille à se soucier de moi. Nous avons grandi ensemble, je connais aussi bien le manoir Malefoy que lui-même. Nous avons exploré chaque morceau de terrain, découvert des endroits où se cacher du reste du monde. Lui fuyait les sermons de son père et moi, l'indifférence que me vouait ma famille. J'étais la cadette, la petite dernière ; mes sœurs étaient plus proches l'une de l'autre que ne l'étaient avec moi. Cette différence s'est creusée avec le temps, et Bella posait un regard sur moi seulement de temps en temps, ne remarquant jamais mon envie de la rendre fière et de lui ressembler. Lucius connaissait tout ça, ainsi que beaucoup d'autres choses. Les années se sont écoulées, et malgré la haine qu'il vouait à son père, il a fini par lui ressembler. J'ai oublié à quoi ressemblait son manoir, j'ai oublié le petit garçon souriant qu'il avait été. Je voulais que tout redevienne comme avant, je cherchais à renouer avec lui, et j'en avais la ferme intention. Seulement, il y a eu cette lettre. Et tout a basculé.
Elle respira profondément, puis reprit :
– Je me suis sentie perdue. Et je n'avais personne pour m'aider à trouver le bon chemin. Andromeda semblait s'éloigner de nous, et toi... Tu t'es approché, mais de trop près. Tu comptes pour moi, Aurbun. Tu as toujours compté. Mais ce baiser que tu m'as donné... Je ne pouvais pas te le rendre. Parce qu'il y avait Lucius. Il y a toujours eu Lucius. Lorsqu'il s'est détourné alors qu'il s'apprêtait à m'embrasser, puis qu'il m'a passé la bague au doigt sans même me demander, la douleur que j'ai ressentie était pire que n'importe quel Doloris. Je ne sais toujours pas ce que je ressens pour lui, et peut-être que je ne le saurais jamais. Mais s'il y a bien une chose dont je suis sûre, c'est que je ne veux pas le perdre. Jamais.
– Tu l'aimes.
Ce n'était pas vraiment une question, mais Narcissa l'interpréta comme.
– Je ne sais pas. Peut-être. Mais cela ne veut pas dire que tu ne comptes plus pour moi. Je veux que l'on reste amis. Juste amis.
Aurbun observa ses yeux qu'il avait tant de fois admirés, il observa cette jeune fille comme un vieux souvenir qu'on laisserait s'enfuir. Il comprenait, et il acceptait.
– Juste amis.
Sans un mot de plus, ils posèrent tous deux leurs mains respectives sur les touches en ivoire et comme si leurs esprits étaient connectés, ils commencèrent ensemble les premières notes résonnant entre les tapisseries vertes de leur maison.
Alors, la Sérénade de Schubert se glissa entre chaque silence et emplit le vide de leur cœur abîmé, douce et mélancolique, comme un hymne à leur amour perdu.
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