1- Tu épouseras un Malefoy
«Il y a un moment où les mots s'usent. Et le silence commence à raconter.»
Khalil Gibran
(octobre 1972, Poudlard)
Tu épouseras un Malefoy.
Ces mots lui trottaient dans la tête depuis son réveil tôt dans la matinée. Pour la énième fois, elle relut la lettre que ses parents lui avaient envoyée la veille : toujours les mêmes mots et toujours cette même phrase : Tu épouseras un Malefoy. Narcissa finit par froisser le parchemin, non sans véhémence et le jeta dans le grand feu de la Salle Commune. Elle observa les flammes lécher le papier et l'encre disparaître, lentement, comme disparaissait son espoir de choisir son destin. La chaleur qui émanait de l'âtre lui fit plusieurs fois papillonner des yeux, mais elle ne détourna pas son regard, recroquevillée au fond de son fauteuil.
Elle en voulait tellement à ses parents. Déjà pour avoir comploté dans son dos sans lui en parler une seule fois, ensuite, pour ne pas lui avoir laissé choisir. Ils avaient décidé que Malefoy serait son mari, et elle n'avait pas eu son mot à dire dans cette décision. Quelle injustice, pensa-t-elle. Lorsqu'elle reporta son attention sur les flammes, celles-ci lui rigolèrent au nez.
Elle aurait voulu laisser sortir ses peines dans les bras d'une de ses sœurs. Laisser couler ses larmes sans peur de jugement, sentir les longs doigts de Bellatrix caresser sa chevelure blonde ou laisser les douces paroles d'Andromeda l'envoûter et l'apaiser. Mais Bellatrix avait rejoint le Manoir des Lestrange et Andromeda demeurait au square Grimmaud, ayant terminé son cursus scolaire.
Une larme menaça de couler, mais Narcissa la retint. Elle ne laisserait pas ses parents la mettre à terre. Elle allait rien laisser transparaître. Elle allait leur montrer son visage froid et impassible qu'elle avait appris à reproduire. Et elle allait obéir sans sourciller, tel que son honneur de Black lui dictait de faire.
- Narcissa ?
Elle sursauta. Elle ne s'attendait pas à ce que quelqu'un ne se réveille aussi tôt qu'elle, mais elle se rendit compte que cela faisait déjà longtemps qu'elle contemplait le feu. La Salle Commune étant plongée dans l'eau trouble du grand lac, il était difficile de savoir quand le jour se levait.
Elle tourna la tête. C'était bien la dernière personne avec qui elle souhaitait parler et elle lui fit clairement comprendre en reportant son regard sur les flammes.
- Tu es matinale, prononça-t-il inutilement, tentant d'entamer la conversation.
Mais Narcissa ne voulait pas lui parler. Elle n'osait même plus le regarder dans les yeux depuis qu'elle avait reçu la lettre. Elle ne cessait de penser que ce serait avec lui qu'elle partagerait sa vie et cette seule idée lui donna la nausée. Lucius était un ami. Il avait toujours été un ami. Rien de plus.
Il s'assit face à elle, sans invitation et se mit à l'observer. Le feu se reflétait dans les prunelles de s yeux sombres de la jeune Black, semblables à celles de ses sœurs. Ses longs cheveux blonds tombaient en cascade sur son épaule et derrière son dos. Son corps n'était recouvert que d'une simple chemise de nuit dévoilant un décolleté assez profond. Sa généreuse poitrine se soulevait et s'abaissait à un rythme régulier que semblaient adopter le feu.
Narcissa se sentait mal à l'aise. Son regard semblait la dévoiler nu et elle détestait être mise à découvert. C'était des yeux gris, glaçants qui l'observaient, mais chaleureux quand on savait y voir plus profond. Ses cheveux argentés, coupés au carré, balayaient ses épaules avec souplesse et légèreté.
Ils n'osèrent pas prendre la parole. Plongés dans un lourd silence, ils étaient comme deux âmes tentant d'échapper aux griffes de l'autre. Les regards se fuyaient, leur esprit divaguait dans un néant qui les ramenait toujours à l'autre. Alors, Lucius décida de briser cet instant de solitude.
- Je sais. Pour le mariage.
Narcissa ferma les yeux, comme pour tenter d'échapper à une vérité évidente. Bien sûr qu'il savait. Dans leurs familles, le promis était toujours mis au courant avant la promise.
- Je... je ne veux pas que cela brise notre amitié... commença-t-il, la voix mal assurée.
C'était étrange. Eux qui avaient toujours été si proches durant leur enfance, à l'aise dans leur discussion, ils paraissaient à présent tels deux inconnus se rencontrant pour la première fois. Narcissa ne répondit pas et se contenta de contempler le feu, un masque de glace posé sur son visage. Lucius adopta un ton presque suppliant :
- Dis quelque chose, s'il te plaît.
- Je n'ai rien à dire, répondit pour la première fois Narcissa d'une voix tranchante.
Il semblait désespéré. C'était la première fois qu'elle le voyait ainsi si triste et désemparé. Aussi loin qu'elle se souvienne, Lucius avait toujours su maîtriser les situations, restant maître des événements et contrôlant tout ce qui se passait. Il arrivait à tourner à son avantage le moindre point faible pour renverser ses ennemis. Même avec les filles, il préférait garder tout contrôle ; mais avec Narcissa, c'était différent.
Contrairement aux autres filles, Narcissa était discrète et mystérieuse, ce genre de personne qu'aucun n'arrive à cerner. Elle avait glissé entre les doigts de Lucius tant de fois, telle une volute de fumée s'éparpillant dans l'air ; qu'il était venu à penser que jamais il ne pourrait conquérir son cœur. Elle aimait se glisser derrière les silhouettes et offrir des promesses vides, elle manipulait mieux que personne et était rusée, très rusée.
Mais l'un comme l'autre, ils s'étaient retrouvés contraires à leurs habitudes : Lucius n'était que le pantin utilisé par son père pour lui faire épouser une femme qu'il n'avait pas choisi, et la fumée virevoltante qu'était Narcissa s'était retrouvée emprisonnée et enchaînée, sans pouvoir agir et choisir librement.
- J'ai essayé de convaincre mon père que... commença-t-il.
Mais Narcissa voulait la paix. Le silence.
- Laisse-moi Lucius, le coupa-t-elle. Va-t-en. S'il te plaît.
Il soupira et enfouit sa tête dans ses mains. Mais il ne partit pas. À présent, Narcissa fixait les flammes sans les voir, s'abandonnant au vide qui l'emplissait. Tout à coup, elle se surprit à penser à l'homme qu'elle aurait choisi si elle avait eu le choix : sûrement Aurbun Wilkes. Il avait toujours été d'une extrême tendresse avec elle, la consolant dans les moments les plus durs. Aux regards des autres, c'était une brute sans cœur, adepte de la magie noire ; mais elle avait réussi à voir un homme bon qui se cachait en lui.
- Je n'ai rien fait pour que tu m'en veuilles ainsi ! s'exclama Lucius, relevant sa tête d'entre ses mains.
Il commençait à l'agacer. Que ne comprenait-il pas dans la phrase « Va-t-en » ?
- Je t'ai dit de me laisser, déclara-t-elle d'une voix sèche.
Il se releva en fulminant :
- Ce n'est pas en me repoussant que ça arrangera les choses, Narcissa. Moi non plus je n'ai pas choisi. Moi non plus je n'ai pas envie que les choses se passent ainsi, et pourtant, on doit se plier aux règles, que ça nous plaise ou non !
Alors pour la première fois, leurs regards se croisèrent. Ils se virent chacun dans les pupilles de l'autre, souffrants et brisés d'une décision qui n'était pas la leur. Dans leurs yeux se mêlaient la passion et la colère, torturée et mutilée par un destin in voulu qui les unissait.
- De toute manière, ils ne peuvent pas nous obliger à nous aimer, n'est-ce pas ? lui cracha-t-elle.
Il recula de quelques pas comme s'il venait de recevoir une gifle. Narcissa était en colère contre ses parents, contre le monde entier et elle tentait de rejeter ses peines du mieux qu'elle pouvait. Elle savait que tout comme elle, il était prisonnier, que comme elle, il souffrait, mais la rage l'aveuglait, cette rage qui lui faisait perdre pied et la plongeait dans une douloureuse tristesse. Elle voulait être seule. Elle ne supportait plus de voir son visage ; chaque fois qu'elle croisait son regard gris, elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'il serait l'homme avec qui elle partagerait son lit.
Lucius la fixait à présent avec son regard froid et méprisant qu'il avait l'habitude de porter.
- Si c'est ce que tu veux, prononça-t-il le plus sèchement possible.
Sa voix transperça Narcissa comme une lame froide. Son cœur saigna lorsqu'il la laissa seule devant la cheminée. Au fond, c'était sa faute ; elle l'avait blessé, et il l'avait blessée à son tour. Ils se torturaient mutuellement pour quelque chose qu'ils ne voulaient pas, brisant l'amitié qu'ils s'étaient forgée depuis leur plus tendre enfance.
La cheminée s'éteignit au moment où un premier rayon de soleil réussit à traverser l'eau trouble pour se déverser faiblement dans la Salle Commune. Alors Narcissa contempla les flammes mourir, comme elle se sentait mourir en cet instant même.
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