Reviens-moi
"Oui, je sais ça... je sais que le monde va continuer de tourner sans toi, mais tu sais... mon monde à moi, il s'est effondré depuis que tu n'es plus là..."
- Olivia est morte.
Ce furent les premiers mots que Narcissa entendit lors du dîner de ce jour-même. Le vin qu'elle était en train de boire faillit l'achever par une immonde quinte de toux. Remise de sa surprise, Narcissa regarda fixement sa sœur assise en face d'elle, les yeux écarquillés et le visage blême.
- Pardon ?
- Olivia Liveness, la propriétaire du bordel des Embrumes. Elle est morte.
Narcissa sentit son visage perdre toutes ses couleurs. Bellatrix annonçait cela sur un ton tellement indifférent que cela lui donnait envie de se jeter sur elle et la torturer jusqu'à ce qu'elle avoue qu'il s'agissait d'une blague. Lucius ne semblait pas non plus prêter attention à ce qui se passait devant lui, plongé dans ses pensées.
- De toute manière, ce n'était qu'une question de temps avant que le dernier membre de cette famille maudite ne s'éteigne.
C'était impossible. La veille, elle l'avait vue bel et bien vivante ; ni malade, ni affaiblie par ses potions de jeunesse. Elle n'avait pas pu dépérir si rapidement. Narcissa en conclut que sa mort n'était pas si naturelle.
- Co... comment ?
Bellatrix haussa les épaules et enfourcha un morceau de rôti dans sa bouche.
- Aucune idée. Et puis qu'est-ce que ça peux te faire ? Tu ne la connaissais même...
- Je connais bien plus de gens que tu ne le crois, Bella. Je n'ai pas vécu quatorze ans enfermée dans mon manoir comme tu l'as été à Azkaban !
La colère transparu dans sa voix stoppa Bellatrix net dans son élan. Même Lucius émergea de ses pensées et observa sa femme curieusement. Narcissa sentit ses yeux s'emplir de larmes et se mordit à sang sa joue pour ne pas en faire couler une seule devant elle. Elle se leva et quitta la table à grands pas. Avant qu'elle ne claque violemment la porte, elle eut le temps d'entendre d'une voix sincèrement désolée :
- Cissy, ce n'était pas ce que je voulais dire...
Mais elle n'avait pas cœur à se retourner et accepter ses excuses. Elle monta les marches de marbres gris presque en courant et s'enferma dans sa chambre à coucher, un endroit où Bellatrix ne risquerait pas d'y mettre les pieds. Là, appuyée sur le rebord de la fenêtre, elle fut secouée de sanglots et laissa ses larmes dévaler silencieusement ses joues.
Ce n'était pas seulement l'annonce de la mort d'Olivia qui la rendait triste. Elle ne lui avait rendu visite que peu de fois, l'avait laissée dans son monde à elle et séparé les frontières de leurs territoires respectives avec un trait lumineux. Certes, plus jeune, c'était dans ses bras qu'elle s'était consolé lorsque c'étaient ses sœur qui lui causaient du mal, mais aujourd'hui, elle savait tout garder pour elle et se consoler dans son propre silence.
Non, ce n'était pas sa mort qui la rendait malheureuse, mais le fait de l'avoir vue la veille saine et sauve et, le lendemain, apprendre que son âme s'était enfuie dans un autre monde. Comme si la mort plantait toujours autour d'elle et éliminait une par une les personnes qui l'entouraient. Éliminer. Ce mot aurait pu la faire sourire d'ironie.
La porte s'ouvrit dans son dos. Narcissa se redressa immédiatement et sécha aussi vit qu'elle put ses joues mouillées. Elle ne s'attendait pas à cette entrée si subite.
- Qu'est-ce qui se passe ?
La voix de Lucius sonnait plate, comme ennuyée par cette situation. Bien sûr, rien n'atteignait son cœur de pierre. Cela irrita presque Narcissa qui n'osa pas se retourner pour lui faire face.
- Rien. Rien du tout.
Sa voix la trahit dès l'instant où le premier mot franchit ses lèvres. Il eut un soupir et la porte se referma. Elle crut un instant qu'il était repartit et sentit son cœur se déchirer, mais des pas dans son dos la rassura. Pourquoi avait-elle pensé qu'il l'abandonnerait ?
- Si, il y a quelque chose.
Sa main se glissa dans le creux de sa hanche et il enfouit sa tête dans son épaule. Son souffle chaud caressa avec douceur sa peau froide. Elle se raidit ; elle avait oublié comment étaient ses caresses. Elle avait oublié beaucoup de choses ces temps-ci.
- Tu es nerveuse, conclut-il la voix basse.
Comme si elle ne l'avait pas remarqué, non. Elle avait de quoi après tout. Celui qui avait assassiné Olivia pourrait très bien l'assassiner elle aussi. Que ressentait-on, après la mort. Où était-on ? Ses lèvres tremblèrent légèrement. Dans la Mort, on ne souffrait pas, n'est-ce pas ? L'âme repose en paix, c'était ce qui se disait. Ce serait agréable de vivre dans un lieu où la douleur n'existerait pas. La main de Lucius glissa lentement sur son bras tandis qu'il lui déposait des baiser sur l'épaule. Un lieu sans Lucius et Drago n'était pas pour elle.
Pas encore.
Elle se retourna et l'embrassa, pour fuir ses pensées atroces, fuit ce qui venait devant elle, fuir ses larmes, ces larmes qui ne faisaient que couler sur ses joues pâles. Il fut légèrement surpris au début puis s'engagea lui aussi, plus doucement au début puis se laissant aller au fur et à mesure. Il l'aimait ; il ne lui disait pas souvent, non, mais il l'aimait comme un fou. Et sans savoir pourquoi, il l'embrassait comme si c'était la dernière fois, la dernière nuit, le dernier instant entre eux. Comme si, quelques part au fond de lui, il savait qu'après cela, rien ne serait plus jamais comme avant.
- J'ai une mission du Maître, demain, annonça-t-il entre deux baisers.
Narcissa ne dit rien, elle défit ses lacets et ôta sa robe de son corps. Ensemble, ils tombèrent sur le lit, unis, aimés. Alors elle se remémora les vers de Baudelaire, et un froid immense s'immisça dans le feu de sa poitrine.
Nous aurons des lits pleins d'odeur légères
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Écloses pour nous sous des cieux plus beaux.
- Reviens-moi, chuchota-t-elle, le souffle entrecoupé.
Entre les draps emmêlés, sa peau reluisait de peur et d'amour mélangés, leurs souffles s'élevant à l'unisson. Narcissa s'accrochait à Lucius si fort, de peur de le voir partir, de peur de devoir vivre sans lui.
Usant à l'envi leurs chaleurs dernières
Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
Ils s'embrassèrent, encore et encore, comme la veille d'une bataille. Narcissa voulut confronter la mort avec défi, lui hurler que jamais elle n'aura son cœur parce que ce cœur-là appartenait à Lucius, et lui appartiendrait toujours.
Un soir fait de rose et de bleu mystique
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux.
- Reviens-moi, répéta-t-elle, enivrée par leurs ébats.
Plusieurs larmes dévalèrent ses joues ; elle ressentait enfin la vie en elle, elle se sentait aimée, perdue dans un bonheur sans pareil. Jamais il ne l'abandonnerait, elle en avait la certitude.
- Reviens-moi, Lucius.
- Je te le promet, lui répondit-il doucement.
Et plus tard un Ange, entrouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.
- Je te le promet Cissy...
***
Le lendemain, Lucius tarda dans la soirée, comme il avait été prévu. Aucun Mangemort n'était présent ce soir-là dans son manoir, ce qui lui accorda un peu de répit, même si l'inquiétude reprit vite le dessus. Toutes les secondes passées paraissaient être des heures, chaque minute des décennies. Elle ne cessait de se poser toute sortes de questions qui l'angoissaient plus encore et tournait en rond dans son salon comme un lion en cage. Même si, en vérité, elle n'avait aucune idée du temps que prendrait leur mission.
Elle se servit plusieurs verres de vin, dans l'espoir de réduire en miette ses pensées, mais en vain. Un nœud se formait dans sa gorge ; elle savait qu'il se passait quelque chose d'anormal. Plus tard dans la soirée, alors que Narcissa se sentait prête à exploser, la cheminée s'illumina. Un éclair vert inonda un instant la pièce et Bellatrix apparut, les cheveux emmêlés, le souffle coupé, comme si elle venait de courir une longue distance. Elle tituba un instant, soutenue par sa sœur qui l'installa sur le sofa.
Il n'eut aucune autre illumination.
Personne d'autres.
- Où est Lucius ? Demanda-t-elle, la voix tremblante. Où sont les autres ?
Les yeux de Bellatrix regardaient partout excepté Narcissa. Elle était comme... déconnectée. Ou elle faisait mine de l'être.
Narcissa s'agenouilla devant elle, lui prit les main et la supplia du regard.
- Bella, où est Lucius ? Répéta-t-elle, le cœur prêt à défaillir.
Devant le silence de l'aînée et la cheminée qui demeurait neutre, Narcissa hurla.
- BELLA !
Les yeux sombres de l'aînée croisèrent enfin les siens. Ils débordaient de larmes. Déception. Remords. Ses mains resserrèrent les siennes avec force.
- Nous avons déçu le Maître, nous l'avons tellement déçu...
- Bella, qu'est-ce que tu veux dire par là ? Où sont les autres ?
Elle ne sentait déjà plus ses mains, ni ses bras, ni rien de ce qui constituait son corps. Juste un froid glacial qui s'immisçait dans son âme et éteignait peu à peu les lueurs d'espoirs qu'elle possédait.
- Les Aurors, les aurors sont arrivés et...
- Non.
Elle s'éloigna brusquement, comme brûlée par son contact. Elle ne voulait pas y croire. Tout, mais pas ça. Pas le même schéma que Bellatrix, pas Lucius, pas lui, il lui avait promis ! Elle eut un rire nerveux. Un rire qui mêla l'effroi et la misère de l'âme en même temps. Mise à nue, réduite à une carapace vide, voilà ce qu'elle était en cet instant-même. Rien. Simplement rien.
- Tu mens.
- Non...
- TU MENS !
Bellatrix fut parcourue d'un violent frisson et enfouit sa tête entre ses mains. Tout ceci était une pure blague, il ne pouvait en être autrement. Elle se leva, se prenant à moitié les pieds dans sa robe, s'approcha de la plus proche étagère de livres et objets en verre puis jeta tout à terre dans un immense cri de rage. Toute la haine du monde ne lui suffisait pas. Elle voulait le tuer. Tuer le Seigneur des Ténèbres. Pour lui prendre quelqu'un de plus. Encore une fois.
- Nous l'avons tellement déçu, pleurait Bellatrix sur le sofa.
Tandis que sa sœur pleurait pour son Maître, Narcissa voulut l'égorger, encore, encore et encore, le voir se vider de son sang et l'achever avec le même poignard qu'il s'était sûrement servi pour Olivia. Parce que tout était sa faute. Tout avait toujours été sa faute.
Narcissa poussa un nouveau cri de rage, cette fois-ci presque brisé. Elle n'avait plus de force. Plus la force de tenir debout, plus la force de penser, plus la force d'y croire. Que deviendraient-ils, elle et Drago ? On les accuseraient de traîtres, de parjures. On clamerait leurs morts. Lucius avait été découvert. Ils étaient finis. Tout était fini.
Elle se laissa glisser lentement contre le mur, le regard à présent perdu, vidé de toute énergie.
Il lui avait promis.
Promis que les choses n'empireraient pas.
Promis qu'il reviendrait.
Un soir fait de rose et de bleu mystique
Nous échangerons un éclair unique
Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux...*
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*Poème de Baudelaire, "La Mort des Amants" dans son recueil "Les Fleurs du Mal" (1857)
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