Les soeurs Black
"On a pas besoin de mourir pour perdre la vie."
Narcissa ferma la grande porte de son manoir et appuya sa tête contre le bois. Un instant de silence, dans toute cette tempête. Un instant où elle se permit de respirer normalement, sans penser à quelque chose d'horrible. Elle avait fait trois fois l'aller-retour, ces-derniers jours. Drago allait bien, à présent. Tout s'était remit en ordre.
Pourtant, il y avait quelque chose à l'intérieur d'elle, quelque chose qui la tuait, quelque chose qui fit naître un nouveau sanglot. C'est alors qu'elle se rendit compte qu'elle allait vraiment mal. Parce qu'elle ne savait même pas ce qui était en train de la détruire. Ni ce qui la faisait pleurer, encore une fois. Elle était juste fatiguée. Elle voulait juste dormir... et ne plus jamais se réveiller.
– Narcissa ?
Elle se redressa soudainement et se tourna vers Rodolphus, appuyé sur le chambranle de la porte du salon.
– Ça va ?
C'était une question qu'on ne lui avait pas posé depuis longtemps. Elle fut tentée de dire oui, mais ce serait reformuler un mensonge, et Narcissa en avait marre de mentir.
– Non, mais on s'en doutait n'est-ce pas ?
Les deux sourirent légèrement. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas sourit aussi. Il y avait un grand silence. Inhabituel.
– Où est Bella ?
Le sourire de Rodolphus retomba aussitôt. Son regard devint plus grave.
– Tu dois te rendre au sous-sol.
Qu'il y avait-il, au sous-sol? Les cadavres du Seigneur des Ténèbres ? Elle ne montra aucun signe de panique. Elle ferait ce qu'on lui ordonne. Peut-être qu'en acceptant mieux les choses, elle souffrirait moins. Elle le remercia du regard et passa à ses côtés, mais sa main retint son bras. Il la fixa dans les yeux, un air triste voilant ses pupilles.
– Je sais que je ne suis pas le meilleur pour ça, mais... si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là.
Elle lui sourit et hocha la tête. Il la lâcha et la laissa partir. Il savait ce qui se trouvait en bas et rechignait à la laisser descendre, mais n'avait pas le choix non plus. Cela la détruirait, mais qui était-il pour s'opposer au Maître ? Il y en a qui échappent aux cruautés du destin, pensa-t-il, et d'autres qui les subissent tous.
Narcissa faisait partie de la deuxième catégorie.
***
Ce qui la choqua le plus en descendant les escaliers humides, ce fut l'odeur. Un mélange de moisissure et de putréfaction qui lui donnait la nausée. Puis il y eut cette obscurité à laquelle elle eut du mal à s'habituer. Et enfin, ce froid qui la saisit dès l'instant où elle s'engouffra dans cette cave.
Elle avança légèrement à tâtons jusqu'à l'endroit illuminé par des bougies, un peu plus loin. Elle y vit deux silhouettes, debouts, immobiles comme des statuts. Elle ne fit pas attention à la troisième, recroquevillée au sol. Narcissa n'avait vu que la première partie du spectacle.
Lorsqu'elle fut assez avancée, Bellatrix se précipita vers elle, les yeux cernés. L'endroit était assez lumineux pour y voir les larmes qui coulaient sur ses joues creuses. Narcissa ne comprit pas. Pas encore.
– Pourquoi tu as fait ça, Cissy ?
Elle ne répondit rien. Que dire, si elle ne savait même pas de quoi elle parlait ? Elle remarqua la présence du Seigneur des Ténèbres un peu plus loin, mais prit bien soin de ne pas croiser son regard.
– Fait quoi ?
C'est alors qu'elle entendit ce gémissement. Un gémissement, accompagné d'un cliquetis de chaînes. Un moment, Narcissa s'empêcha de regarder. Parce qu'elle savait que ça n'allait pas lui plaire. Elle savait qu'elle connaissait la personne qui avait émit ce gémissement. Elle la reconnaissait. Mais elle ne voulait pas y croire. Laissez-moi encore quelques minutes de répit avant de me détruire, supplia-t-elle mentalement. Juste quelques minutes.
– Cissy...
Cette voix la momifia. Elle ne voulait pas y croire. Pas ça. Tout, mais pas ça.
– Pourquoi... répétait Bellatrix à ses côtés, retenant du mieux ses larmes.
Narcissa tourna la tête. Son monde s'effondra. Son cœur se déchira.
Andromeda.
Ses cheveux châtains pendaient de chaque côté de son visage, sales et emmêlés. Sa robe ne ressemblait qu'à un torchon usé. On ne reconnaissait même plus la couleur originelle de sa peau. Elle était recouverte de bleus et de sang. Ses poignets et ses chevilles étaient enchaînées, comme si elle avait été en état de s'enfuir. Mais le pire restait son regard.
Elle ne la regardait sans aucune haine ni colère dans ses yeux. Juste de l'amour. Et du regret. Le regret de s'être abandonné trop tôt.
– Les sœurs Black, retentit une voix sifflante dans l'ombre.
Bellatrix fut parcourue d'un violent spasme.
– Comme j'avais hâte d'assister à ces retrouvailles.
Narcissa ferma les yeux et laissa couler librement une larme. Elle voulait se réveiller. Maintenant.
– J'ai bien envie de... jouer à un jeu.
Non. Non, non, non, non.
– Narcissa, c'est toi qui va être la première à jouer. Honneur à la plus jeune, bien entendu.
Dans l'ombre, elle l'entendit sourire. Un monstre. Pire que tous les montres qui existaient dans les histoires qu'elle lisait à Drago auparavant.
– Les règles sont simples. Tu tues Andromeda...
Le souffle de Narcissa se coupa. Ses yeux parurent sortir de leurs orbites.
– ... ou je tue Drago.
Cette fois-ci, elle n'y tint plus. Elle leva sa baguette contre lui et hurla, les larmes débordantes :
– Plus jamais vous ne toucherez à mon fils, vous entendez ! PLUS JAMAIS !
Elle aurait pu lui lancer un sortilège de la mort, maintenant, tout de suite. C'était ce qu'elle s'apprêtait à faire quand Bellatrix intervint et guida sa main vers sa propre sœur. Andromeda se recroquevilla encore plus, tremblante et sanglotante. Narcissa voulut baisser sa baguette mais la main de son aînée se resserra autour de la sienne et l'obligea à la pointer vers leur victime. Leurs deux bras étaient tendus, leurs mains enroulées ensemble autour de la baguette. Bellatrix s'était réfugiée derrière l'épaule de Narcissa et se tenait si près d'elle qu'elles n'auraient pu faire qu'un.
– Non, Bella... supplia la cadette, le visage baigné de larmes. Ne m'oblige pas à faire ça, je t'en pris...
L'air ne rentrait plus dans ses poumons. Elle ne voulait pas croire ce qu'elle était en train de faire. Pas encore. Elle se souvint du moment où, vingt-trois ans auparavant, Andromeda avait pointé sa baguette sur elle. Aujourd'hui, Narcissa faisait exactement la même chose, mais pour la tuer. Et c'était... inhumain. Elle se sentait prête à défaillir. D'ailleurs, si Bellatrix n'avait pas été à ses côtés, à maintenir sa baguette à sa place, elle se serait sûrement effondrée.
– C'est soit elle, soit ton fils, Cissy... Tu peux le faire... Pense à lui, à tout ce que tu as déjà fait pour lui...
Narcissa secoua la tête, son visage convertit en une affreuse grimace. Elle hurla. Sans doute espérait-elle expirer toute sa douleur, mais cela ne servit à rien. Juste à se déchirer les cordes vocales.
– Je t'aime, Cissy, sanglota Andromeda.
Narcissa aurait voulut lui hurler de ne pas la regarder, de ne pas lui adresser la parole, parce que c'était pire mais elle ne pouvait déjà plus parler. Bellatrix pleurait sur son épaule et lui murmurait en boucle, comme une incantation à mémoriser :
– Fais-le, pour Drago... Fais-le, n'y pense pas...
Comment ne pourrait-elle ne pas y penser ? Pour c'était elle qui devait commettre ce crime ? Elle avait pensé Bellatrix plus forte. Elle avait pensé qu'elle ne se lamenterait pas sur son épaule, pas elle, pas la célèbre combattante qu'elle connaissait. Au final, c'était peut-être elle, la plus courageuse. Elle qui l'avait toujours été.
– Je ne peux pas...
– On va le faire, ensemble.
Narcissa voulut s'effondrer. Mais elle se retint. Si elle ne le faisait pas, il allait lui prendre la dernière personne qui lui restait et elle savait qu'elle ne supporterait pas. Elle devait le faire. Elle devait tuer Andromeda. Pourtant, elle avait beau essayer, elle avait beau vouloir faire sortir le sortilège d'entre ses lèvres, il y avait comme cette force invisible qui l'empêchait de faire quoi que ce soit. Parce qu'en dépit de leur passé, en dépit de leur différence, elle demeurait sa sœur. Et des sœurs ne pouvaient pas se tuer entre elles. C'était contre nature.
– Ensemble, ok ? Reprit Bellatrix d'une voix brisée.
– Non...
Andromeda fixa sa sœur cadette une dernière fois. Elle la contempla, une lumière brillant dans ses yeux noirs et pensa à toutes ces années qu'elles avaient manqué. À tout ce que leurs valeurs leur avait pris.
– À trois.
– Bella, je ne peux pas, arrête...
Narcissa étouffait. Elle voulait partir. Se fondre dans le mur. Disparaître. Pour toujours.
Andromeda sut que ces dernières minutes étaient arrivés. Alors elle ne pleura pas, non. Elle sourit et lui parla. Parce que c'était la dernière occasion de lui dire ce qu'elle avait sur le cœur.
– Je suis désolée, Bella, Cissy. Je ne voulais pas de ça, pour rien au monde. Je vous aimais. Je vous aime.
– Un.
– Cissy, Cissy écoute-moi. Je ne t'en veux pas. On a tous fait des choix, et tu as fait le tien, seule. Quoi que tu puisses penser plus tard, tu n'es pas un monstre. Ne te détruit pas pour moi.
– Deux.
– Je n'ai pas peur de mourir. Il n'y a qu'une chose que je regrette, c'est de ne pas t'avoir vu vieillir, mais de ma vie, rien. Ton fils a tout devant lui. Ne lui retire pas ça. Pas pour moi. Je t'aime. Milles fois.
– Trois.
Il eut un éclair vert aveuglant.
Un hurlement, de quelques secondes.
Puis le silence, de longues minutes.
La baguette de Narcissa tomba au sol dans un bruit sourd. Ses genoux touchèrent la pierre avec dureté.
Elle ne s'entendit pas hurler.
Elle ne réfléchit pas lorsqu'elle rampa jusqu'au cadavre pour le prendre dans ses bras.
Andromeda avait l'air de dormir. Narcissa lui caressa les cheveux, tendrement.
– Et l'étoile brilla, fredonna-t-elle, ses larmes s'écrasant par terre. Tout là-haut, dans le ciel, l'étoile brilla...
Elle était belle, quand elle dormait. Ses cheveux étaient doux, comme dans son souvenir.
– Et la lune l'accompagna, tout là-haut dans le ciel...
Sa voix s'éteint.
Tout s'éteint en elle.
Tout était si calme, à présent.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top