Le baiser de la mort*
"Que vais-je faire de ce que l’on a fait de moi ?"
Jean Paul Sartre
Narcissa ne se séparait plus de sa dague. Partout où elle se rendait, elle la cachait dans son bustier, comme le faisaient les femmes de l'ancien temps. Lucius l'avait remarqué mais n'avait rien dit. Narcissa aurait même parié l'avoir vu sourire, le soir où elle l'avait sortie de sa cachette. Avec cette arme, elle se sentait plus forte. Protégée. Mais elle ne la portait pas simplement pour le fait de la porter. Elle se sentait épiée par Yaxley. Observée, surveillée, comme s'il préparait un mauvais coup et attendait le moment propice pour lui sauter à la gorge. Narcissa faisait en sorte de ne jamais rester seule dans son propre manoir. Un coup avec Lucius, un autre coup avec Bellatrix, elle avait même accompagné Rodolphus une fois. Lorsqu'elle était avec d'autres personnes, elle savait qu'il ne pouvait même pas lui parler. Lucius le savait. Rabastan soupçonnait. Ça lui suffisait pour reculer et se cacher.
Pourtant, un jour, elle n'y pensa pas et se retrouva seule dans le long couloir du manoir, un peu éloigné de la place principale. Elle voulait y chercher des grimoires que Bellatrix lui avaient demandés, et durant un instant avait oublié Corban. Son erreur fut fatale. À mi-chemin, elle entendit sa voix, toujours aussi désagréable pour ses oreilles.
– Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas parlé, sourit-il en s'approchant d'elle.
Elle était de dos à lui et refusait de se retourner. Lorsqu'elle voyait son visage, elle y sentait ses mains partout sur elle, la douleur qui s'introduisait dans chaque fibre de sa peau, et un dégoût, un tel dégoût d'elle-même et de lui qu'elle ne pouvait plus le regarder sans être prise de frissons.
– Tu m'évites.
Sa main glissa dans la courbe de sa taille et elle se raidit instantanément. De par les réactions de son corps, elle lui fit comprendre qu'elle ne voulait plus de lui, que c'était fini, mais il referma sa prise et l'attira fermement contre lui. Les battements de son cœur résonnaient si fort dans ses tympans qu'elle s'étonnait encore de pouvoir l'entendre.
– Je sais que tu luttes contre ton amour pour moi, Narcissa. Je sais que tu m'as toujours désiré mais que tu ne te l'es jamais avoué à toi-même.
C'était une blague. Il se jouait d'elle, ou il lui faisait une mauvaise farce. Tôt ou tard, il rigolerait et lui dirait que oui, c'était une blague. Et s'il ne le faisait pas... alors il était fou. Un psychopathe. Sa main glissa sur son ventre comme s'il cherchait à l'emprisonner entre ses griffes. Narcissa se retint contre son envie de lui casser son bras et aplatir son crâne contre le mur. Il fallait qu'elle agisse intelligemment. Il fallait qu'elle trouve quelque chose pour se débarrasser de lui définitivement.
– Tu t'accroches à Lucius parce qu'il est riche, et qu'il a de l'influence, mais moi... moi je suis bien plus que ça.
Une sensation désagréable de danger et de peur s'immisça en elle et affola son esprit. Il fallait qu'elle reste calme. Il fallait qu'elle se maîtrise ou elle allait regretter quelque chose. Son souffle chaud courut sur son épaule.
– Je pourrais t'offrir bien plus qu'il n'a jamais su t'offrir.
Sa main remonta vers ses seins et voulut s'introduire sous son bustier quand d'une main elle le chassa avec brusquerie. Sa seule réaction fut le rire. Il se moquait éperdument d'elle. Une voix à l'intérieur lui hurlait de tout arrêter. Parce que le contact de sa peau lui donnait un haut-le-cœur, parce qu'à chaque fois des souvenirs affreux réapparaissaient dans son esprit, parce que ça lui donnait envie de hurler de rage, de colère, de tristesse. Et parce qu'elle ne supportait pas d'être touchée par quelqu'un d'autres que Lucius. Mais elle se mit à jouer, elle aussi. Parce que Yaxley faisait tout par le jeu, alors elle le contenterait, et au dernier moment, elle serait le serpent qui se soulève grâce à sa seule force et plante ses crochets dans la chair de son ennemi. Elle ne voulait plus être la victime couinant qui prit pour qu'on vienne l'aider. Elle avait appris que dans ces moments-là, personne ne venaient jamais l'aider.
– Comme quoi ? Souffla-t-elle, d'une voix étrangement posée.
Il fut surpris. Il n'avait pas l'air de s'attendre à ce genre de question. Corban avait l'habitude de voir Narcissa se battre. Tout le temps, sans arrêt. En ce moment même, il aurait cru qu'elle se battrait contre lui, pour ignorer les appels de son cœur et ses sentiments. Mais elle se rendait. Elle se rendait pour lui, pour leur amour.
– Comme un plus grand nom que celui de Malefoy.
Elle laissa échapper un petit rire. Il ne se doutait pas que derrière cette réaction se cachait de la nervosité, presque de l'hystérie. Il ne savait pas qu'elle riait parce que c'était le seul moyen d'exprimer sa peur. Et il le prit mal.
– Le nom Yaxley n'a-t-il pas plus de valeurs que le nom que tu portes ? N'a-t-il pas lus d'histoire que les autres ? Répond !
Alors Narcissa comprit. C'était comme si de gros nuages s'écartaient pour laisser place au soleil. Une sensation d'avoir découvert quelque chose qui expliquait tout.
Yaxley devenait fou. Il voyait que son nom s'oubliait, petit à petit. Il savait qu'on ne le craignait plus comme avant, et il prenait ça comme une attaque à son honneur, alors il répliquait. Il la réclamait elle. Parce que Black était un nom puissant et respecté, parce que Malefoy reflétait le luxe et la pureté. Il voyait en Narcissa un moyen de s'élever dans la hiérarchie. Un moyen de montrer à tous sa nouvelle puissance et la nouvelle pureté de sa famille. Un moyen de devenir le nouveau roi d'une société.
– Si, bien sûr que si, susurra-t-elle, empêchant sa main de trembler.
Il parut satisfait. Il en fallait peu pour un fou pour se sentir apaisé, cela aussi Narcissa l'avait appris. Un fou était instable car il ne désirait qu'une chose. S'il n'obtenait pas cette chose, il devenait dangereux, mais dans le cas contraire...
– N'importe qui serait fier de porter ce nom, reprit-elle.
Il ne voyait pas son visage. Elle était dos à lui, aussi ne vit-il pas la larme qui coula discrètement le long de sa joue. Il ne vit pas non plus sa main se glisser sous son bustier et en sortir un objet reluisant. Corban était dans son monde, un monde où il croyait obtenir Narcissa comme un livre qu'on achète dans une librairie. Un monde où elle l'aimait, en dépit de tout le mal qu'il lui avait fait. Corban était un fou dans son monde à lui, et restait aveugle face à la menace qui se profilait juste devant ses yeux.
– Et toi ? Tu en serais fière ?
Lentement, elle se retourna et vit ses yeux briller d'espoir. Alors elle lui sourit et lui donna ce qu'il demandait tout ce temps. Son acceptation. Il devint alors comme un enfant devant ses cadeaux de Noël, fébrile et impatient, tout en gardant sa statue d'homme et une expression posée. Sa folie était intérieure. La folie était toujours intérieure.
– Est-ce que tu m'aimes ?
Narcissa sentit les battements de son cœur accélérer. Son esprit se brouiller, comme pour la protéger de ce qu'elle s'apprêtait à faire. Comme pou insinuer « Fait, mais ne te voit pas affecté par cet acte ».
Par la suite, elle n'entendit plus rien. Seulement les battements de son cœur qui faisaient boum boum. Boum boum. Boum boum.
Elle sut ce qu'elle faisait, mais elle n'y réfléchit pas. Une partie d'elle se réfugia dans un coin de son esprit et se recroquevilla comme un enfant effrayé qui attendait que l'orage passe.
Boum boum. Boum boum. Boum boum.
Elle approcha son visage du sien, mais n'entendit rien, ne vit rien. Elle se détourna au moment où leurs lèvres allaient se toucher.
Alors le serpent mordit sa proie.
Avant qu'elle n'ait pu se rendre compte de ce qu'elle faisait, elle sentit déjà un liquide chaud couler d'entre ses doigts. Une partie du poids du corps de Corban s'affaissa sur elle. Elle ouvrit la bouche pour crier quelque chose, crier de revenir en arrière, de tout recommencer mais cette fois-ci en n'ayant pas l'impression de réellement tuer quelqu'un.
La main de Corban s'accrocha à sa robe pour se retenir de glisser, un filet de sang coula de sa bouche pour se répandre sur le tissu en velours vers de la parure. Il s'accrochait à la vie. Il s'y accrochait de toute ses forces, avec toute sa volonté car il ne voulait pas mourir. La mort était quelque chose qui lui faisait peu. Et la mort venait le chercher aujourd'hui.
Narcissa ne supporta pas son poids et tomba au sol. Il glissa sur le côté et atterrit dans ses bras, une main tâtant fébrilement son ventre pour y retirer la lame qui l'avait condamné. Mais elle la tenait toujours fermement et l'enfonça plus encore, pour lui faire payer le prix de sa souffrance et de tout ce qu'il lui avait pris. Les larmes coulaient à flot sur son visage horrifié.
Tout à coup, elle changea d'altitude. En regardant ses yeux, elle y revit leurs corps collés de force contre le mur. Elle y revit ses mains qui osaient la toucher partout, partout, partout, sans s'arrêter, alors elle retira la dague et planta, planta, planta jusqu'à ce qu'il ne reste qu'une bouillie de reste humain, planta jusqu'à ce que les giclements de sang l'aveuglent, planta et hurla à la fois jusqu'à manquer de voix.
Elle en fut essoufflée. Satisfaite et horrifiée. Elle l'avait fait. Elle avait osé le faire. Elle s'était vengée.
Le regard de Corban s'était éteint. Ses yeux fixaient le plafond d'un air vide. Sa main ensanglantée retomba mollement sur le sol.
Il était mort. Mort, mort, mort, répéta en boucle Narcissa dans sa tête. Il est mort. Mort, mort, mort.
Elle laissa retomber son corps avec dégoût au sol, la dague toujours serrée fort dans sa main. Son visage et sa robe étaient recouverts de sang. Le sang de Yaxley. Il est mort. Mort, mort, mort.
Elle se releva, tituba légèrement puis se remit à marcher comme si de rien était, comme si elle était juste passée par là, pensée s'être perdue et rebroussé chemin. Elle ne pensait plus à rien. Elle était vide. Ses pas la menèrent jusqu'aux grands escaliers du salon. Là-bas, des voix flottaient dans l'air, sans qu'elle n'en comprenne un traître mot. Elle descendit d'un pas lourd. Sur la pierre le sang goûtait. Ploc. Ploc. Ploc.
Les voix se turent lorsque sa silhouette ensanglantée sortit de l'ombre de la pièce. Rodolphus se redressa, momifié. Bellatrix ouvrit la bouche d'un air béat, pensant halluciner. Lucius se leva instinctivement mais comprit que le sang n'était pas le sien.
La lame tomba au sol dans un bruit sourd.
– Yaxley est mort, prononça-t-elle d'une voix blanche.
Puis, dans un souffle :
– Je l'ai tué.
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*Le titre fait référence à une technique aux échecs qui consiste à placer la reine à côté du roi ennemi pour faire échec et mat.
Oui, je suis fière de ma métaphore.
Et fière de Narcissa aussi.
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