La veille d'une nouvelle ère

"C'est la métamorphose. Un matin on se lève et on comprends que dans le silence et la discrétion, on est devenu quelqu'un d'autres."

Virginie Despentes


Après cela, c'était comme si son esprit s'était dit « laissons-la un moment ». Elle avait été incapable de penser, de réfléchir, d'agir. Elle ne savait pas que tuer prenait autant d'énergie. Des jours qui suivirent, il ne restait que de vagues souvenirs, des images qui l'avaient marquées, des sensations qui étaient restées.

Le sourire de Rabastan, par exemple, après son apparition dans le salon. Un sourire de fierté, un sourire qui disait « C'est bien. Tu l'as fait ». Elle se souvenait aussi d'avoir été portée par Lucius jusqu'à leur chambre. Peut-être qu'elle avait pleuré contre lui, elle ne se souvenait plus. Il l'avait dénudée, posée dans la baignoire, toujours en réalisant des gestes d'une infinie tendresse, comme s'il avait peur de la briser en étant trop brusque. Elle se souvint de l'eau brûlante coulant sur son visage, dans ses cheveux, du torrent rouge qui s'évacuait sous ses pieds. Puis après, un grand trou de mémoire, coupé par des mots doux de Lucius, les éclats de voix de Bellatrix et un bruit de fond qui s'arrêtait, reprenait, s'arrêtait, reprenait.

De tout ça, de tous ces souvenirs désordonnés, elle se souvenait d'une chose en particulier. C'était la sensation d'avoir encore le corps recouvert de sang. C'était le fait de savoir qu'elle avait ôté la vie à quelqu'un, en seulement quelques minutes. Elle aurait pu se traiter de meurtrière, de monstre ; mais quelque part en elle, elle savait qu'il l'avait mérité.

Qu'avait-on fait d'elle, se surprenait-elle à penser. Elle avait l'âme souillée, les yeux cernés, le cœur déchiré. Et au fond d'elle, l'envie irrésistible de se battre, encore et encore, jusqu'à ce que la mort vienne la chercher.

Au bout du quatrième jour, lorsque Bellatrix entra dans la chambre, elle ne s'attendait pas à voir sa sœur cadette assise normalement sur ses draps, en train de la dévisager comme si rien ne s'était passé. La veille, elle était encore tremblante de fièvre, à murmurer des mots incompréhensibles durant son sommeil. Aujourd'hui, il n'y avait plus aucune traces de ces jours fiévreux.

– Depuis quand tu rentres dans notre chambre ?

– Depuis quand tu tues les gens, comme ça, sans prévenir ?

Narcissa esquissa un faible sourire. Ses cheveux étaient plus emmêlés que jamais et donnèrent envie à l'aînée de passes des heures à les coiffer, juste pour s'imaginer dans le passé, quand rien n'importait plus que la tenue du jour.

– Pourquoi, tu aurais voulu y assister ?

– Et comment.

Elles éclatèrent de rire. Bellatrix referma la porte derrière elle et s'assit sur son lit, à ses côtés.

– Lucius m'a permit d'aller voir si ton état n'avait pas empiré. Tu nous as fait peur.

– Je ne me souviens de rien.

Il y avait un air triste sur son visage.

– On finit par s'habituer. Tuer, ça fait bizarre au début, puis après c'est comme une drogue.

– Non. Je ne veux pas m'habituer. Je ne suis pas comme toi.

– Je sais, Cissy. Je sais.

Elle soupira et l'attira contre elle. Elle était fière de sa petite sœur. Elle ne le disait pas, mais son cœur était gonflé d'orgueil. Alors oui, elle s'était prise les foudres de son Maître. Il avait été en colère d'avoir perdu un combattant tel que Yaxley, sacrément en colère même, mais lorsqu'elle avait appris ce qu'il avait fait à sa petite sœur... Le corps avait été une vraie charpie. Le tapis avait été imbibé de sang plusieurs mètres à la ronde, ce qui avait valu tous les jurons existants de Lucius. Narcissa avait surpris tout le monde. Elle-même ne l'aurait jamais imaginé capable de faire une chose pareille. Certes, elle avait tué Andromeda, mais là... c'était différent. Planter un couteau dans quelqu'un était un acte bien plus difficile que tuer à distance. Et ravager autant un corps, c'était le signe d'une vengeance assoiffée. Et Narcissa l'avait fait elle-même. Sans l'aide de personne.

– Comment a réagi Drago ? Demanda-t-elle, sa tête à présent posée sur ses genoux, comme elles avaient l'habitude de faire petites.

– Il était en colère.

– Contre moi ?

– Tu te doutes bien que non.

Le silence revint, un silence durant lequel la seule chose que l'on pouvait entendre était les cheveux de Narcissa glissant entre les longs doigts de Bellatrix et leurs souffles, rythmées à l'unisson.

– Tu te rappelles du jour où on était allé voir la vieille voyante ? Questionna la cadette.

– Pourquoi tu me parles de cela ?

–Parce que ce jour-là, elle m'a dit des mots que je n'ai jamais été capable d'oublier.

–Les prophéties sont des idioties.

– Pourtant, une partie de la mienne s'est déjà réalisée.

Bellatrix regarda sa sœur, les sourcils froncés. Elle ne lui avait jamais dit quoi que ce soit au sujet de cette prophétie. Elle était ressortie de la tente le sourire aux lèvres, clamant que son avenir allait être luxueux et brillant. Tout le monde l'avait crue. Même elle.

– Qu'est-ce que cette vieille t'a raconté ?

– Que je perdrai tous ceux que j'aime, sauf la personne pour laquelle je me détruirai. Que mes sœurs disparaîtraient à jamais.

– Oh, peut-être que je disparaîtrai un moment, qui sait, mais je reviendrai, soit sans crainte, dit-elle d'un ton léger.

Mais Narcissa se redressa et planta ses yeux dans les siens, d'un air troublé qui ne lui ressemblait pas.

– Tu ne comprends pas... Elle m'a dit que je te tuerai, Bella. Je ne sais pas comment, mais je vais te tuer...

Un sanglot fit trembler son corps.

– Et j'ai peur... j'ai si peur...

***

– Je vous ai réuni une dernière fois, mes chers fidèles, la veille d'une grande bataille. Ce soir, nous allons vaincra Harry Potter.

Les pas lourds des géants résonnaient déjà dans la plaine. C'était des grand boum boum, comme s'il chargeaient de grosses pierres sur leurs dos afin d'accentuer leur poids et préparaient des armes pour tout détruire.

– Lorsque le jour se lèvera, ce sera une nouvelle ère qui se lèvera avec nous, la plus pure et plus brillante de tous !

Les créatures de la nuit sortaient une à une de leurs cachettes, déjà vigilantes au moindre ennemi. Certaines rampaient et laissaient dans la terre de longues traces gluantes. D'autres, avec leurs petites pattes, faisaient des bruits semblables à des insectes communiquant entre eux. Le reste volait, légers dans les airs, discrets, invisibles. Ils sortaient de la forêt tels une lave de créatures inconnues et ténébreuses, toutes n'ayant qu'une chose en tête : se battre.

– Je vous promet, mes chers amis, un monde tel que personne n'aura jamais vu. Une société reconstruite, parfaite. Nous éliminerons les branches dans vos familles qui nous empoisonnent, et les sorciers gagneront enfin le pouvoir divin, le pouvoir qui nous revenait depuis le début !

L'obscurité recouvrait déjà entièrement la vallée. Le lac noir bouillait comme enivrée par les tambours des armées. D'autres créatures en sortirent en sifflant, en couinant, toutes avançant dans la même direction, vers le même but commun.

– Grâce à moi, on vous respectera ! Grâce à moi, ces noms que vous portez gagneront encore plus de richesse et de fierté ! Il faut remettre à la place qui convient l'espèce moldue avant qu'ils ne nous découvrent et nous envahissent. Il faut créer du renouveau dans ce vieux monde.

Dans les ténèbres du soleil couchant, une armée humaine coulait sur la plaine telle une flaque de sang se répandant au sol. Ils étaient des milliers, voire des millions, tous marqués par la rage et le fanatisme. Leurs yeux ambitieux parcouraient le paysage comme si la terre leur appartenait déjà.

– Nous avons commis de nombreux échecs, c'est vrai. Nous avons perdu des personnes vaillantes et précieuses, mais elles ne seront pas mortes pour rien ! Après ce soir, le monde se pliera sous nos pieds, et alors nous construirons quelque chose de meilleur, de plus beau !

Sa voix sonnait hypocrite, fausse aux oreilles de Narcissa, mais peu importait. Il avait déjà enivré ses troupes, rendues fébriles d'excitation et d'adrénaline. Les pas des géants sonnaient comme des tambours qui rythmée la marche d'une gigantesque armée. Des milliers de kilomètres noirs de fidèles, noirs de fanatiques, de monstres n'attendant qu'un seul signal pour dévorer tout ce qui se présentait de vivant. Devant eux, l'immense château de Poudlard dessinait ses contours dans le reflet de la lune. Un silence se posa, solennel, terrifiant, et alors sa voix siffla dans les airs :

– Ce soir, nous attaquons Poudlard !

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