La Sicilienne de Fauré

« Et puis
Au bout du compte
Quand il ne nous restera plus rien
Il y aura toujours la musique. »

Narcissa avait décidé disparaître pour quelques temps. C'était ce qu'elle faisait lorsque tout allait mal. Se fondre dans les murs du manoir et espérer, son retour, retrouver une vie normale. Lucius la recherchai les premiers jours, s'aventurant même dans les pièces les plus délaissées, mais abandonna devant son échec. Il s'en voulait de l'avoir ainsi blessée et de s'être emporté par la colère. Narcissa était tout pour lui. Il ne voulait pas la perdre. Pas elle.

Il était même allé voir dans la salle du piano. Mais c'était absurde. Narcissa n'y jouait plus depuis bien longtemps. Même si, un instant, il eut espéré l'écouter de nouveau, cassant le silence froid de leur immense demeure.

En réalité, Narcissa était restées dans le même manoir que son mari, seulement, la bâtisse était tellement vaste qu'elle avait su trouver un endroit dont Lucius n'avait même pas idée de l'existence. Elle avait même pensé y rester pour le restant de ses jours, mais elle savait que si elle le faisait, cela la rongerait toute sa vie.

Finalement, quelques jours plus tard, elle ressortit de sa cachette, silencieuse et discrète, se fondant dans l'obscurité de la nuit. Son ombre se projeta sur les murs gris bien trop connus de l'ancienne Serpentard. Elle s'empara de sa cape, ganta ses mains, rabatit son capuchon sur son visage et sortit sans un bruit, comme une fugitive.

Elle crut entendre un bruit derrière elle, mais elle ne s'y attarda pas. Elle passa le grand portail de fer et transplana quelques mètres plus loin. Un autre « crac » s'ensuivit, furtif, se confondant entre les hululements des chouettes.

Le Manoir des Black, malgré le temps passé, continuait d'imposer sa présence dans les vastes terres du Wiltshire. La pierre était abîmée, certes, et les statuts disparaissaient sous les herbes grimpantes, mais il était toujours debout, et fier de l'être. Cela suffit à Narcissa pour avoir le courage d'y entrer.

L'odeur de la poussière froide la fit légèrement grimacer. L'air sentait le vieux, le renfermé, mais elle devina aux traces implantées sous la couche grise que quelqu'un était déjà venu ici auparavant. Son regard parcourut un instant les pièces où elle avait vécu enfant ; ces endroits autrefois plein de vie. C'était un temps où la naïveté enfantine la rendait heureuse. Un temps où la guerre ne lui avait pas pris un être cher. Un temps où elle était heureuse, et ne se convainquait pas de l'être.

Un objet, posé sur un meuble à sa droite, attira son attention. Elle s'en saisit lentement et souffla dessus pour éliminer les traces du temps passé. Un moment, elle resta immobile, comme mortifiée devant cette photo oubliée. Les trois sœurs Black posaient, la tête relevée, les yeux emplis de fierté. Ceux de Bellatrix se plissaient légèrement. Elle était certainement en train de se mordre la joue pour ne pas éclater de rire devant le photographe. Narcissa se rappelait encore de l'allure de ce-dernier : pensant se rendre dans une famille de moldus, il s'était habillé si étrangement que même elle avait ri en le voyant débarquer chez eux.

Elle sourit légèrement à ce souvenir. Mais ce fut bref. À la vue d'Andromeda et ses longs cheveux châtain, son cœur se serra si fort qu'elle se sentit mourir. Un doux sourire ornait son visage d'ange si innocent. Elle se demanda, tandis qu'elle passait son doigt sur le verre, à quoi elle ressemblait à présent. Si elle était toujours aussi belle, malgré les années passées.

– Tu regrettes ?

Narcissa ne sursauta pas, parce qu'elle s'y attendait. Elle avait senti la présence de sa sœur aînée dès la sortie de son manoir. Lentement, elle reposa le cadre sur le meuble et se retourna. Un voile noir s'était posé sur le visage de Bellatrix, sans doute l'effet de se retrouver dans un lei empli de souvenirs communs.

– Qu'est-ce que tu veux ? Questionna-t-elle d'une voix sèche qui sous-entendait qu'elle n'avait pas envie de discuter avec elle.

– Faire la paix avec ma petite sœur.

Elle rit, plus de nervosité qu'autre chose.

– Ben oui, voyons. Tombons chacune dans les bras de l'autre, pardonnons nos erreurs et sourions pour notre futur.

Bellatrix grimaça. Elle ne s'attendait pas à cette réaction.

– Tu sais très bien que ce n'est pas mon genre.

– Alors que veux-tu ? Pourquoi m'as-tu suivie jusqu'ici ?

Bellatrix la dévisagea. Narcissa avait changé. Son visage s'était éteint, terni par les années passées trop rapidement. Son caractère s'était affiné ; il ne restait plus rien de la petite fille naïve qui avait grandi en ces lieux.

– Tu me méprise.

Elle feignit l'innocence.

– Aucunement.

– Je sais que tu m'en veux, mais il y a un moment où le mieux est de tourner la page.

– Cette page-là est trop lourde, je n'y arrive pas.

Bellatrix avait décidé être patiente aujourd'hui. Tandis que Narcissa lui crachait son venin, elle demeura immobile, une expression stoïque implantée sur son visage.

– Je n'ai rien à te dire, alors va-t-en, ordonna-t-elle après de longues minutes de silence.

– Non.

Pour la première fois, Narcissa fut déstabilisée. Leur discussion ressemblait plus à une bataille dont chacune tentait de gagner l'autre par ses mots.

– Pars j'ai dit.

– Tu vas essayer de m'ignorer encore longtemps ? Faire comme si je n'étais qu'une parfaite étrangère à tes yeux ?

– Tu l'es, à présent.

– Arrête tes sottises ! Je suis encore ta sœur, je l'ai été toute ta vie !

– Non. Tu as arrêté de l'être lorsque tu es partie, de même qu'Andromeda.

Bellatrix tituba un instant. Elle ne perçut aucun tremblement dans sa voix, aucun regret à prononcer ces mots blessants. Mais, après tout, elle le méritait, n'est-ce pas ?

– Je suis désolée de t'avoir abandonnée.

– Ce n'est que maintenant que tu t'excuses ? Tu es consciente d'avoir détruit ma vie, avoir fait surgir des millions de questions dans ma tête ?

– Tu me hais, je le sais. Tu ne le méritais pas. Tu n'as jamais rien demandé. Alors je t'en pris, cesse de te torturer l'esprit. Tu comptes pour moi.

– Je compte parce qu'à présent, tu n'as plus rien. Alors tu veux avoir une sœur sur qui compter, un rocher sur lequel t'accrocher. Sauf que tu ne l'auras pas. Jamais.

Elle se plaisait à lui faire mal, comme elle lui en avait fait à elle. Elle se disait que c'était juste, sans prendre en compte la petite voix qui lui murmurait de tout abandonner. Parce que sans vouloir l'avouer, elle l'aimait. La haine avait peut-être réussit à recouvrir ce sentiment, à tenter de l'étouffer, il était toujours là, griffant ses barreaux en fer. Les deux sœurs s'aimaient, mais comme séparées d'un mur de pierre, elles demeuraient plus distantes que jamais.

– Je veux te montrer quelque chose.

Bellatrix lui tendit la main, mais Narcissa tourna la tête, les yeux brillants. Elle ne voulait pas la laisser gagner. Pourtant, lorsqu'elle la lui prit de force et l'entraîna dans les couloirs poussiéreux de leur ancien manoir, elle se laissa faire. Elle était fatiguée de lutter contre sa propre volonté. Bellatrix aimait la douceur des mains de sa sœur. C'était des mains maternelles, celles qu'elle aurait voulu avoir malgré elle. Elle voyait toujours en Narcissa quelque chose qu'elle n'avait jamais réussi à obtenir. Elle était jalouse, peut-être.

Elles arrivèrent dans une pièce lumineuse qui contrastait avec le reste du manoir. Les grandes fenêtres laissaient les premiers rayons du soleil se déverser sur l'instrument qui s'imposait en son milieu. Il était propre, sauvegardé du temps, toujours aussi fier qu'auparavant. Son piano.

– Non.

Sa main lâcha brusquement celle de Bellatrix et ses yeux s'emplirent de nouveau de larmes. Décidément, cela commençait à être une habitude. La brune se retourna, quelque peu surprise, et la supplia du regard.

– Joue un morceau pour moi.

– Tu sais en jouer, non ? Pourquoi tu ne le fais pas ?

– Je ne m'en rappelle plus. Et puis... je n'ai jamais aussi bien joué que toi.

– C'est hors de question.

– Pourquoi ?

– J'ai mes raisons.

Elle ne voulait pas revoir surgir les fantômes d'Evan et Aurbun par le seul son d'un piano. Déçue, Bellatrix gagna les grandes fenêtres et observa le jardin abandonné qui s'étendait à l'extérieur. Un silence tomba. Narcissa fixait l'instrument avec appréhension comme s'il était capable de se transformer en monstre à tout moment. Elle s'était promit de ne plus jamais y toucher. Mais que craignait-elle ? De ramener des morts à la vie juste parce qu'elle jouait du piano ? C'était absurde.

Lentement, elle s'avança, caressant de son doigt le meuble verni de noir. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas réalisé ce geste.

Lorsqu'elle regarda le pupitre, elle s'aperçut que des partitions étaient déjà posées. Bellatrix était venue ici. Elle avait déjà prévu qu'elle l'emmènerait dans cet endroit. Elle savait déjà qu'elle finirait par en jouer.

Narcissa s'assit devant les touches d'ivoire plus anciennes qu'elle. C'était si... étrange. Refaire les mêmes gestes qu'il y a quatorze ans, dans une situation totalement différente. Sur la première page, le titre du morceau lui rappela quelques souvenirs qu'elle ignora. Bellatrix n'avait pas choisi une musique emblématique. Juste une partition prise au hasard, dans l'espoir de l'entendre jouer. Peut-être qu'elle tenait plus fort à elle qu'elle ne le pensait.

Les premières notes résonnèrent dans le manoir dénudé de vie et rongé par le temps. Bellatrix, le visage tourné vers l'extérieur, ferma les yeux et laissa couler une larme de bonheur. Depuis qu'elle était sortie de prison, elle n'avait rien écouté d'aussi beau. Les doigts de sa sœur cadette n'avaient pas perdu de leur agileté, et la Sicilienne de Flauré sonnait presque plus mélancolique que ce qu'elle n'était censée être.

Narcissa, quand à elle, se vida complètement. À travers ces notes musicales, elle oublia ses peines, ses regrets et, pour la première fois, se retrouva face à elle-même sans une pensée obscurcissant son esprit. Elle chercha dans ses sentiments les plus profonds et en ressortit l'amour voué à sa sœur aînée. Elle ne s'arrêta que lorsque le morceau prit fin et ne ressentit ni un manque, ni un dégoût de s'être abandonnée au pouvoir de l'instrument.

Cela faisait quatorze ans que Narcissa n'avait pas joué, et elle ne ressentait rien. Elle s'était juste délivrée de ses peines. C'était ce qui importait.

– Merci.

La voix de Bellatrix se fit tremblante. Elle avait pleuré. Narcissa ne dit rien, laissant le silence se poser et emplir son cœur fragmenté.

– Je n'ai jamais cessé de penser à toi, tu sais, avoua-t-elle, chagrinée. J'ai passé chaque seconde de ma vie à regretter. Et plus encore quand je suis revenue. J'ai vu que l'erreur que j'avais commise était irréparable.

Narcissa, encore une fois, ne répondit rien. Elle avait la gorge obstruée.

– Ton fils tient de toi. Certes, il ressemble à son père, mais... son âme est semblable à la tienne. Il a la même douceur. Le même regard.

La cadette baissa la tête et se mordit la lèvre. Elle garda le silence. Muette comme une pierre. Bellatrix se retourna enfin, dévoilant les sillons que les larmes avaient laissées derrière elles.

– Je t'aime Cissy. Je n'ai jamais cessé de t'aimer. Et je suis désolée.

Elle s'avança et lui tendit la main. Narcissa releva la tête, resta un moment pensive puis, finalement, fit ce qu'elle s'était refusée de faire quelques temps auparavant. Elle lui donna la sienne.

Ses yeux brillants se relevèrent et les mots franchirent seuls ses lèvres tremblantes.

– Promet moi de ne plus jamais m'abandonner.

Bellatrix inspira profondément et planta ses yeux dans ceux de sa sœur, confiante, apaisée, presque heureuse.

– Je te le promet. 

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