Je te hais

"Le temps qu'on met à tourner la page est proportionnel à la sincérité des sentiments."

Le quais de la voie 9/4 grouillait d'élèves de tout âges, tous se mélangeant entre eux et criant tels des canaris hystériques. Dieu qu'elle détestait cette atmosphère trop pleine. Il y avait trop de bruits et trop de mouvements pour elle. Trop de vie et trop de bonheur pour quelqu'un qui se sentait mort à l'intérieur. Elle pria pour que Drago sorte rapidement.

Plusieurs minutes passèrent avant qu'elle ne le voit enfin sortir du wagon des verts et argent. Narcissa poussa un soupir de soulagement et attendit patiemment qu'il l'aperçoive. Comme toujours, il était précédé de ses deux fidèles acolytes, Crabbe et Goyle, et de la petite Parkinson qui... lui tenait la main ? Un faible sourire se dessina sur ses lèvres scellées. Elle avait toujours su qu'ils finiraient ensemble ses deux là.

Le regard de son fils parcourut la foule à la recherche d'un de ses parents, et lorsque ses yeux croisèrent les siens, son visage s'éclaira. Le cœur de Narcissa se gonfla de joie. Que deviendrait-elle sans lui ? Alors qu'elle s'était sentie détruite quelques secondes auparavant, revoir son visage lui avait redonné espoir. Elle l'observa embrasser Parkinson et se diriger vers elle, le sourire aux lèvres. Elle nota qu'il avait ignoré royalement ses deux acolytes, certainement plus par habitude qu'autre chose.

- Mère !

Lorsqu'elle l'entendait parler, elle pouvait entendre la voix de Lucius et se sentir rassurée. Il avait tout de son père ; les cheveux blonds platines, les yeux gris perçants. Mais cette lumière dans ses yeux, son sourire lorsqu'il la vit, cela, c'était d'elle. Ou celle du passé. Elle l'embrassa sur le sommet du crâne quand il arriva à sa hauteur. Un baiser discret, furtif ; elle ne souhaitait pas que Lucius entende qu'elle était trop tendre avec son fils.

Drago recula de quelques pas et prit le temps d'observer sa mère. Son sourire retomba et ses sourcils se froncèrent.

- Qu'il y a-t-il ?

- Je... tu verras quand on arrivera.

Elle fit un effort surhumain pour retenir les tremblements dans sa voix. Il ne fallait pas qu'il la voit flancher, pas elle. Après tout, il ne s'était rien passé de grave. Ni morts, ni destin scellé, rien qui ne soit tragique. Non, rien du tout. Pourtant, une petite voix au fond d'elle lui murmura « le pire vient après. »

Elle sortit le Portoloin, une coupe de jade et de diamants qu'elle s'était servie pour venir jusqu'ici et ensemble ils arrivèrent devant le grand portail du manoir Malefoy. L'ambiance glaciale et sinistre contrastait avec celle de la gare, mais on finissait par s'habituer. Drago se tourna vers Narcissa, une expression d'incompréhension s'implantant sur son jeune visage.

- Pourquoi n'est-on pas directement rentré ?

Voilà venu le moment qu'elle redoutait tant. Toujours ce moment où dévoiler la vérité devient une nécessité, et peu importe les efforts voués, il reste impossible de s'enfuir. Ce moment qu'elle avait tourné et retourné dans sa tête, sans avoir pu trouver une solution ou un autre mensonge à raconter. Elle planta ses yeux dans ceux de son fils et dit :

- Ta tante est ici.

Plusieurs fois, il papillonna des yeux sans vraiment trop comprendre. Premièrement, il pensa qu'elle faisait référence à son esprit, ou qui savait, son fantôme. Après avoir trouvé cela absurde, il pensa qu'on leur avait envoyé son squelette, ce qui était plus idiot encore. Puis lorsqu'il vit les yeux de sa mère briller de chagrin, il comprit. Elle lui avait menti.

- Alors elle n'est pas morte durant la première guerre.

Narcissa secoua lentement la tête, s'acharnant à garder ses joues sèches. Au moins, elle n'avait pas eu à lui expliquer, ce qui lui épargnait un effort de plus à faire. Une feuille morte roula jusqu'à ses pieds, vestige d'un automne des plus glaciaux. La mort s'invitait décidément partout.

Il ne chercha pas d'autres explications. Il fit léviter sa valise à ses côtés, ouvrit le portail dans un grincement habituel et s'engagea dans l'allée, en silence. C'était presque pire ainsi. Un silence pire que n'importe quel mot.

Elle le suivit également, les mains tremblantes. Elle ne savait pas s'il était en colère, triste ou tout simplement vexé. Drago savait rester impassible dans les moments les plus critiques. Cela, c'était Lucius qui lui avait appris. Mais alors qu'elle pensait l'avoir mis en colère, arrivé sur les escaliers de pierre, il se retourna et l'attendit. Peut-être qu'au final les mots étaient inutiles. Son regard lui pardonnait déjà. Cette intention, aussi insignifiante soit-elle, voulait tout dire pour elle.

Ils rentrèrent ensemble dans le sombre manoir familial. Quelques portraits s'agitèrent, mais Narcissa ne faisait plus attention à eux depuis longtemps déjà. Les murs ornés de nobles gravures tentaient de se faire grands et imposants, mais Narcissa ne se laissait plus intimider. Il y avait seulement ce silence, un silence spectrale, glacial, qui lui donnait froid dans le dos. Un silence qui, avec le temps, avait réussi à s'immiscer en elle et faire partie de son âme.

- Pose ta valise ici, ordonna-t-elle d'une voix plus basse que d'habitude.

Il obéit sans rechigner, posa sa malle contre le mur du hall d'entrée et s'engouffra dans le salon. Narcissa prit une fraction de seconde pour inspirer lentement et lui emboîta le pas.

Lucius et Bellatrix étaient en train de se lancer un regard des plus mauvais lorsque Drago et Narcissa firent irruption dans la pièce. Cette-dernière n'y prêta pas attention et posa sa cape sur un des fauteuils de velours vert. Le silence qui prit place fut un des plus gênants, et l'ancienne Serpentard devina dans l'attitude de son fils la curiosité de rencontrer Bellatrix Lestrange et l'envie immédiate de se sauver.

Comme si Bellatrix venait de se rendre compte que quelque chose avait changé, elle se tourna vers son neveu et, après avoir mimé un effet de surprise dramatisé, elle se mit à sourire diaboliquement. Elle s'approcha lentement, et l'observa comme s'il était un objet scientifique à découvrir. Drago devint blême et chercha l'appui d'un de ses parents ; Lucius garda son masque stoïque et froid et Narcissa le rassura d'un léger sourire, même si à l'intérieur elle hurlait de rage. Bellatrix s'invitait d'elle-même chez les Malefoy et se permettait de faire comme si eux étaient des intrus.

La Mangemort tourna autour de Drago qui devint aussi blanc qu'un drap immaculé. Elle se délectait de la peur qu'elle émanait, oh oui. Elle aimait se sentir crainte, respectée. La prison ne l'avait décidément pas arrangée.

- Tu me regardes comme si je revenais des vivants, prononça-t-elle finalement.

Drago déglutit bruyamment et fuya du regard. Lucius lança un regard mauvais à sa belle sœur sans motif apparent et cette-dernière se tourna vers Narcissa, les yeux exagérément écarquillés. Ses doigts maladifs se crispèrent sur le velours. Surtout, ne rien faire transparaître. Surtout.

- Tu lui as fait croire que j'étais morte ? Demanda-t-elle dans un souffle.

Parce qu'en plus, elle s'étonnait. Narcissa aurait pu rire d'ironie si elle avait gardé ne serait-ce qu'un brin d'humour dans son âme.

- C'était plus facile, répondit-elle d'une voix froide, les yeux plantés dans ceux de sa sœur aînée.

- Facile pour quoi ?

- Pour me convaincre que tu l'étais.

Elle commença par échapper un petit rire. Des nerfs, ou parce qu'elle trouvait cela drôle, nul ne le savait. Mais bientôt, elle explosa de rire. C'était un rire aiguë qui donnait froid dans le dos. Un rire qui incita Drago à reculer de quelques pas. Soudain, elle s'arrêta, reprit son souffle, et dit :

- Je ne te pensais pas comme ça, Cissy.

Narcissa sentit alors toute peur s'enfuir. Ses doigts se décrispèrent du fauteuil et ses yeux s'emplirent d'un regard mauvais qu'elle n'arborait que très peu.

- Parce que tu croyais vraiment que j'allais te décrire en héroïne à mon fils ? Tu croyais sincèrement que j'allais entretenir ta mémoire en attendant sagement que tu reviennes - si tu revenais - ? Tu as tout gâché Bella. Tout. Toute mon enfance, j'ai cru en toi, je t'ai respecté ; mais peu importe combien je t'aimais, à l'instant où tu as posé ta foutu baguette sur le foutu meuble en bois d'acajou, tu es morte, Bella, morte ! Ce n'est pas en abandonnant lâchement les gens que l'on gagne leur respect, met-toi bien cela dans la tête.

Comme vidée de toute émotion, Narcissa lui lança un dernier regard plein de haine et sortit à grands pas du salon.

Un léger rictus orna les lèvres de Lucius ; pour la première fois, Bellatrix ne savait comment réagir.

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