𝐔𝐧𝐝𝐞𝐫 𝐭𝐡𝐞 𝐬𝐭𝐚𝐫𝐬 - 2

« Abyssus abyssum invocat. »

C'était une nuit d'été. Le huit juillet. Je m'en souviens, parce que c'était mon anniversaire.

J'étais stupide. Il l'était aussi, mais c'était naturel chez lui. Et j'aimais qu'il le soie.

Mais à cause de mon erreur, je nous ai perdus.

J'avais quatre ans lorsque je l'ai rencontré pour la première fois, en juillet 1910. Il avait six ans. Il venait travailler pour gagner une misère dans notre ferme. Il venait aider mon père, et plus tard, mes deux jeunes frères. Il était à peine plus grand que moi, avait des yeux noirs, brillants, que je trouvais beaux – et encore aujourd'hui. Ses cheveux étaient aussi marrons que le café que mon père achetait au marché, et surtout, il n'était ni blanc, ni complètement noir. Ce genre de personnes seraient nommés "métisses" plus tard. Mais pour nous, il était "le fils du noir" ou "l'entre-deux".

Sa mère et lui vivaient dans le village voisin, sans le père, qui était noir, et avait été exécuté dès que l'identité du père fut connue. Elle avait dit être violée, mais je sus plus tard qu'elle avait menti ; elle avait été totalement d'accord. Même si toute relation sexuelle entre blancs et noirs était synonyme de viol par l'être noir.

Il travaillait du matin au soir, dans le champ. Le midi, nous mangions à table, sauf lui. Je lui apportais nos restes, et un morceau de pain que j'avais volé, pour qu'il mange devant la maison, sur le perron.

Je ne comprenais pas pourquoi il ne pouvait pas manger avec nous. Je ne comprenais pas pourquoi les non-blancs n'étaient pas aimés. Je posai la question à mon frère cadet, lorsqu'il revint de l'école. Ma mère avait insisté pour qu'il y aille au moins pour apprendre à lire et écrire. "Ça lui servira plus tard".

« Le maître a dit que les noirs étaient les esclaves des blancs, avant qu'on leur dise qu'ils soient libres. »

J'accompagnais quelques fois mon père en ville, et l'écoutais parler. Je compris ce jour là que les blancs considéraient encore les noirs comme leurs esclaves. Comme des gens inférieurs. Le garçon continuait de venir, sans que je sache quoique ce soit de lui. C'est à l'été 1917 que j'osai lui demander son nom, en lui apportant, comme toujours, les restes et un morceau de pain.

« Nansen. Et toi ? »

J'entendais pour la première fois sa voix. Il ne parlait jamais, ni dans le champ, ni en présence de mon père. Ce qui était compréhensible. C'était moi qui lui avais parlé pour la première fois.

Cet été là, nous avions rattrapé tous les précédents. Il me parlait de sa mère, qu'il trouvait très belle, de l'endroit où il vivait, de lui-même. Et j'appris rapidement qu'il n'avait pas vraiment d'amis. Il n'était ni blanc, ni noir. Les deux côtés le rejetaient.

« Tu sais, si tu n'as nulle part où aller, tu pourras toujours revenir ici. Même si papa ne veut pas, je serai là pour t'accueillir. »

Il m'a souri un peu maladroitement.

« Merci. »

À partir de là, il venait aussi pendant l'hiver, puis l'automne et le printemps. Nous nous voyions de plus en plus, et dès qu'il était libre, nous allions nous cacher dans la grange, avec mes frères. Ils nous apprenaient à lire. Mon père ne sembla pas s'en occuper ; dès que mes corvées étaient faites, je lisais le livre que Nansen m'avait acheté avec un an d'économie. C'était devenu mon trésor. Le seul cadeau qu'il ne m'ait jamais offert.

Le temps passé en sa compagnie semblait si long et court à la fois. Si bien que sans m'en apercevoir, j'arrivai à un âge où tous les hommes tournaient le regard vers moi. Les jeunes, les vieux. Le seul qui ne m'observait pas était mon père. Mes frères étaient partis travailler, un peu plus loin, chez un oncle.

J'étais seule, avec mon père, ma mère, et Nansen. Il est arrivé pour le travail d'été, après trois semaines de séparation. Nous avons attendu la nuit pour nous retrouver dans la grange, dont un bout lui servait de chambre à coucher, entre un box de cheval et un tas de paille.

« Est-ce-que tu sais à quel point tu m'as manqué ?

— Je suppose que je t'ai autant manqué que ce que tu m'as manqué. »

Il a souri, et s'est assis sur le petit tas de paille qui lui servait de lit. Il m'a invité à m'asseoir près de lui.

« Il faut que je te parle de quelque chose. » avons-nous dit en même temps, avant de bégayer.

Il m'a laissé la parole en premier. "Honneur aux dames". J'ai rougi doucement. Il a passé une main dans mes cheveux châtains bouclés, détachés.

« Mon père a trouvé un associé. Et pour être sûr de garder son aide, il veut me marier à son fils, qui a quelques années de plus que moi.

— Mais tu as à peine seize ans !

— On peut déjà se marier et fonder une famille à cet âge là...

— Je vais partir. »

Je me tus. Il me fixa quelques secondes avant de s'expliquer :

« Je vais aller chercher du travail ailleurs, voir le monde. Viens avec moi. On vivra tous les deux. Loin de ce pays où on ne supporte pas les gens comme moi.

— Où ça, loin ?

— Au delà de la mer, peut-être ? »

J'ai entrouvert les lèvres. Au delà de la mer. Là où je pourrais choisir. Vivre avec lui. Je voulais accepter. J'ai accepté. Sans une hésitation. Parce que je serais avec lui.

« Nansen, je t'aime. »

Il m'a dévisagé. Son regard et ma raison me disaient qu'il ne fallait pas. Mais nos cœurs, battant à l'unisson, ne pouvaient rien refuser à l'autre.

Ce devait être le huit juillet 1922, maintenant que j'y repense. Parce que le lendemain, je suis partie en ville accompagnée de Nansen. Nous avions convenu de faire comme s'il était chargé de me protéger, ce qu'il faisait tout de même. Les gens nous regardaient bizarrement, mais dès qu'il eut des paniers dans les bras, les gens semblaient comprendre qu'il était à mon service. Nous sommes entrés dans la banque. Il est entré en premier, on lui a dit de sortir.

« Ce homme est avec moi. » ai-je dit, assez fortement.

Et ils ont repris leurs occupations. J'ai soupiré, levé la tête vers lui et lui ai adressé un sourire. Nous sommes sortis ensuite, et il m'a avoué vouloir m'acheter un livre, étant donné que j'avais fini le mien. J'ai insisté pour qu'il garde son argent, mais il n'a pas voulu m'écouter. Il était idiot, mais je l'aimais ainsi. Puis, un coup de feu a retenti. Nansen a pris mon poignet, et m'a tirée derrière un mur, le temps que la fusillade prenne fin. Lorsque le shérif a crié que c'était terminé, nous sommes sortis, lui le premier. Le shérif s'est approché.

« Madame, ou peut-être mademoiselle, ce noir est-il avec vous ?

— Mademoiselle, et oui, cet homme est avec moi.

— Tu sais qui a lancé le premier coup ?

— Non, monsieur, a-t-il dit. J'ai caché mademoiselle dès que j'ai entendu le tir, je ne voulais pas que mademoiselle soit blessé. Mon maître ne me l'aurait pas pardonné.

— Encore une fusillade sans coupable... Souffla le vieil homme.

— J'espère que vous trouverez le coupable. Mais monsieur, si je peux me permettre, je ne pense pas que ce soit un noir, monsieur. Peut-être que je me trompe, mais n'arrêtez pas un innocent, s'il vous plaît. »

Ils se sont longuement regardé, et le shérif est parti sans un mot de plus.

« Tu n'as rien ?

— Je vais bien, mademoiselle. »

J'ai rougi, puis détourné le regard.

« Ai-je dit quelque chose de mal ?

— Non... Mais je ne veux pas que tu m'appelles mademoiselle.

— Tu sais bien que je ne peux rien te refuser. »

J'ai souri, et résisté à la tentation de l'embrasser. Nous avons récupéré nos affaires, à temps, et sommes rentrés à la ferme. Il est reparti travailler, tandis que je racontai la fusillade à ma mère.

« Heureusement qu'il était là, souffla ma mère. Si tu avais été blessée, nous aurions dû repousser voire annuler ton mariage... »

Et, se rendant compte de la bombe qu'elle venait de lâcher, elle plaqua une main sur sa joue, et je laissai tomber une assiette au sol.

« Mon quoi ?

— Ma chérie... Ton père voulait t'en parler ce soir... Il a posé une date pour ton mariage avec le fils de son associé. Vous vous mariez dans une semaine... »

J'ai reculé. D'un pas. Deux. Trois. Je me suis tournée, j'ai fui. Elle m'a appelée. J'ai continué de courir. Je suis sortie, et ai couru vers la ville. Mes frères m'ont appelé, sans résultat. J'ai ignoré la voix forte de mon père, qui pourtant me faisait frémir. Et j'ai même ignoré Sa voix.

« Loreena ! »

Qu'il me rattrape. Qu'il me dépasse et m'attrape. Pour que je puisse fuir. Pour que nous puissions fuir.

Je suis arrivée en ville quelques heures plus tard. Il faisait nuit, et la seule lumière qu'on voyait venait d'un saloon. J'y entrai, et m'approchai du comptoir, sentant tous les regards sur moi.

« Tu bois quoi ?

— Je cherche une chambre pour cette nuit.

— Viens dormir dans mon lit, poupée ! Tu verras, il y fait très chaud ! A ricané un des clients.

— T'as de quoi payer ?

— Je dois aller chercher de l'argent, demain. Je vous payerai le double de ce que je vous dois !

— Le triple. Et quatre fois plus si vous ne voulez pas qu'on vous dérange.

— Je vous dois combien pour cette nuit ?

— Vingt dollars.

— Je vous donne cent dollars demain, avant midi, si personne ne vient me déranger jusqu'à ce que je quitte la chambre.

— Vous montez et prenez la quatrième chambre.

— Je peux avoir de quoi boire contre dix dollars de plus ? »

Comme réponse, la femme pose un verre, le remplit de bière et me le tend.

« Merci beaucoup, je vous revaudrai ça.

— L'argent achète tout, en ville, miss. Même les êtres humains. »

Je saisis la bière et monte les escaliers. Je passe les premières portes et ouvre la quatrième, comme indiqué. Une odeur de pisse me monte au nez. Je ne veux même pas savoir qui était là avant et ce qu'il a fait. Je ferme la porte, m'assois sur le lit, et m'y allonge, après avoir posé la bière sur la table de chevet. Puis, je souris. Pas mal, comme début de nouvelle vie.

Le lendemain matin, je me réveille un peu chancelante. Sans doute la bière. Je ne savais pas que c'était si bon, l'alcool. Je descends au comptoir, rend le verre et remercie encore une fois la femme. Je regarde l'heure ; il est presque neuf heures. J'époussiette ma robe et sors, me dirigeant vers la banque. Dès que c'est mon tour, je demande à retirer tout l'argent que je possède, et cinq cent dollars sur celui de mon père. Je cache l'argent entre mes seins et retourne au bar. Je tends les cent dix dollars promis.

« Reviens quand tu veux, miss. » fait-elle avec un sourire, malgré le cigare qu'elle a entre ses lèvres.

Je passe dans un magasin pour acheter un sac afin d'y mettre mon argent, puis une tenue d'homme à la taille, ainsi qu'un chapeau. J'enfile ma tenue dans la chambre où j'ai passé la nuit – dernier caprice que j'ai demandé – attaché mes cheveux en une queue de cheval haute, vendu ma robe et observé l'argent qu'il me restait. Comme mes frères m'avaient également appris à compter, je sus qu'il me restait environ six cents dollars, sur les neuf cents que j'avais.

Je ne savais pas quoi faire, désormais. J'hésitais à rentrer à la ferme. Mon père me reconnaîtrait rapidement. Mais il fallait que je prévienne Nansen. Alors je lui ai envoyé une lettre. Je me faisais passer pour un marchand à qui il lui avait réservé un produit quelconque. Je lui donnai rendez-vous à la mairie, au centre de la ville.

Je l'attendis quelques heures, assise sur un banc, devant la mairie. Quand je le vis enfin, je me levai. Il s'approcha de moi. Il m'avait reconnue.

« Nan...

— Mademoiselle, je recherche une jeune femme avec une robe jaunâtre, ne l'avez vu pas vue ? »

Ce que j'avais vu, c'était ses yeux. Je compris, et secouai la tête. Je commençai à partir, mais il finit par courir à mes côtés, m'attrapant le bras.

« Cours ! Ne t'arrête pas !

— Nansen !

— S'ils s'en rendent compte, je suis mort ! »

J'ai fixé ses yeux noirs. Ils tremblaient autant que ses mains.

« Là bas ! »

Nous avons accéléré, puis grimpé sur le premier cheval que nous vîmes. J'ai attrapé les rênes et ai fait comprendre au cheval qu'il fallait fuir.

« Je sais que c'est pas le moment, mais sache que tu es magnifique dans cette tenue.

— Non, c'est pas le moment ! »

Un coup de feu retentit. Le cheval s'effondra, touché à une jambe, nous faisant tomber. Nansen m'attrapa pour amortir ma chute. Le temps de rouvrir les yeux, nous étions entourés de pistolets. L'un des hommes le tira loin de moi. Mon père me tendit sa main.

« Debout.

— Je peux me lever seule. »

Je me suis redressée, et j'ai voulu avancer vers lui. On m'a bloquée, tandis que les pistolets le visaient lui.

« Qu'est-ce-que vous faites ?!

— Je savais que les noirs n'étaient que des violeurs et des kidnappeurs. Jamais je n'aurais dû t'embaucher, sale fils de violeur !

— Père ! Il ne m'a rien fait !

— Il t'enlevait !

— Shérif, s'il vous plaît, croyez moi !

— Il vous tirait par le bras, mademoiselle.

— Ce n'est pas vrai ! Je lui ai demandé de...

— Silence ! »

J'ai frémi quand son regard a croisé le mien.

« Il a failli t'enlever, et tu ne l'as même pas vu. Comment aurais-je fait s'il t'avait enlevée, toi, ma précieuse fille ?

— Je ne suis pas ta précieuse fille ! Je ne sers qu'à t'arranger avec ton associé ! Je ne veux pas me marier !

— J'AI DIT SILENCE ! »

J'ai tremblé. C'est à cet instant que j'ai compris. J'étais faible. Je n'étais qu'une faible femme, à ses yeux. J'ai fait un pas vers Nansen. J'ai repoussé l'homme qui me regardait. Je me suis accroupie.

« Si j'accepte de me marier, le laisseras-tu en vie ?

— Seulement si tu te maries bel et bien avec lui, et qu'il parte le plus loin possible.

— Attendez, je peux continuer à travailler ! Je ne m'approcherai plus d'elle, je le jure, mais laissez moi rester ici, je vous en prie ! Je n'ai nulle part où aller !

— Ce n'est pas mon problème. Shérif, amenez-le en prison. »

J'ai reculé. Je l'ai fixé dans les yeux. Et j'ai voulu hurler. De rage envers moi-même ? De joie ? De colère ? Dans doute les trois en même temps. Parce que j'avais été stupide, et tout était ma faute.

Le mariage a bel et bien eu lieu. C'était le seize juillet. Mon premier et dernier mariage, avec le fils de son associé. Un jeune homme venant d'Angleterre, avec de longs cheveux. Il me trouvait magnifique. Je ne l'ai jamais aimé. Et je l'aime toujours pas.

Il y a eu une fête, chez lui. Où du moins, dans la grande maison qu'il avait achetée grâce à son père. Je n'ai rien fait. Je suis restée assise tout du long. Fixant cette bague à mon doigt, synonyme de ma faiblesse. Lorsque la fête s'est terminée, je suis montée me coucher. J'ai fixé le lit, désormais notre lit, pendant une dizaine de secondes. J'ai fermé la porte derrière moi, et ai retiré ma robe. Je l'ai jetée contre le miroir, et je me suis observée.

Ce n'était plus moi que je voyais.

« Qui es-tu ? »

Je ne savais pas. Ni ce que j'étais, ni ce que j'étais en train de faire.

« Ce que tu fais ? Tu le protèges, m'a répondu mon reflet. Comme moi. »

J'ai posé une main sur le miroir. Elle m'a souri.

« Il reviendra à toi, sois-en sûre. Tu lui fais confiance, non ? »

Et la porte derrière moi s'est ouverte. Je me suis retournée vers l'homme que je devrais avoir toute ma vie à mes côtés. Il s'est approché de moi et m'a retiré mon corset.

« Merci. » ai-je soufflé, juste avant qu'il n'aventure ses doigts dans mon dos.

Je l'observais dans le miroir. Il observait mes cheveux, qu'il caressait.

« Papa ne mentait pas. Tu es vraiment magnifique. Ces cheveux châtains, ces yeux noirs, brillants... Ta beauté est sans égale... »

J'ai détourné le regard, avant de me diriger vers l'armoire contenant mes vêtements. J'ai tendu ma main vers la robe qui me servirait pour dormir, mais il m'en empêcha.

« Que fais-tu ?

— Je vais dormir.

— Il faut donc que je te déshabille ? Ça me plaît.

— Tu ne me déshabilleras pas.

— Mais, mon amour, nous sommes mariés...

— Je ne veux pas.

— Nous devons pourtant... Notre première nuit...

— Si je dis que je ne veux pas, c'est que je ne veux pas ! Peux-tu comprendre ça, où dois-je sauter par la fenêtre ? »

Il m'a regardé de longues secondes. Il paraît qu'il avait une réputation de séducteur, plus jeune. Je devais bien être la première femme à lui parler ainsi.

« Excuse moi de m'être emportée. C'est juste que j'ai à peine seize ans et tout ça est soudain pour moi. Très soudain, même. Je n'ai jamais eu de relation avec quelqu'un.

— Je comprends. Laisse-moi t'apprendre, alors.

— Cette journée m'a épuisée. Je vais me coucher. »

J'ai enfilé ma robe, et je suis allée m'allonger. C'était la seconde fois que je dormais dans un lit qui n'était pas le mien. Il est venu près de moi, et m'a attrapée contre lui. J'ai voulu m'écarter, mais je me suis vite endormie. Trop vite, peut-être.

Les premiers jours dans cette ferme étaient difficiles. Je me réveillais tous les matins en me demandant qui c'était, cet homme. Mais rapidement, je me suis adaptée à sa présence. Et plus le temps passait, plus sa patience s'effritait.

Et puis un soir, il n'a plus réussi à résister. Les viols conjugaux n'existaient pas. La femme était l'objet du mari. Mais comme si un ange flottait près de moi, j'ai été malade le lendemain. Comme ça a continué le jour suivant, on a appelé un médecin. J'ai demandé à le voir seul, et je lui ai expliqué.

« Vous souffrez de stress, mademoiselle, mais rien de grave, cela devrait s'arranger. »

Et dès que mon mari revint, l'annonce tomba.

« Votre femme attend un enfant. »

La nouvelle a tourné rapidement dans la ville. Lui était heureux. Mais quand mon père a débarqué, deux jours plus tard, j'ai su qu'il se doutait de quelque chose. Il m'a attrapée par le col de ma robe. J'ai lâché les draps que je tenais. Il m'a levée.

« De qui est cet enfant ?

— Monsieur, que faites vous ? A crié une domestique.

— Réponds ! »

Mon mari est arrivé. Mon père m'a lâchée. Avant de s'en aller, il m'a dit, devant tout le monde ;

« Si c'est un enfant noir qui naît, ce fils de violeur noir et le bébé seront brûlés vifs ! »

J'ai dû expliquer la situation à mon mari, excepté le fait que j'aie bel et bien couché avec Nansen, et il m'a mis une claque.

« Si c'est bel et bien l'enfant de l'entre-deux, je te baiserai tous les soirs, jusqu'à ce que tu tombes enceinte de moi.

— C'est du viol !

— Tu es ma femme. Mon objet. Si je veux te baiser jusqu'à ce que tu meures, je le ferai. »

Il ne me restait qu'une seule chose à faire. Fuir, seule. C'est ce que je fis, en pleine nuit. Je quittai la maison vers une heure du matin, sous les étoiles, et les rayons de la lune. Je marchai longtemps, jusqu'à l'aube, avant de croiser une calèche. Je donnai de l'argent au cocher pour monter, et m'endormis. Il me réveilla deux heures plus tard, dès que nous fûmes arrivés. Je courus jusqu'à la prison, et demandai à voir Nansen. Le shérif m'amena devant sa cellule.

« Loreena...

— Je suis enceinte. »

J'aurais pu lui dire n'importe quoi d'autre. Mais j'ai décidé de commencer par ça.

« Tu es quoi... ?

— Enceinte. (J'ai regardé autour de moi avant de chuchoter :) De toi.

— Et ton mari ? Il le sait ? Et ton père ?

— Ils vont vous brûler vifs, toi et le bébé, si il n'est pas blanc, et ce connard de Mc Edinus me violera tous les soirs jusqu'à ce que je sois enceinte de lui. »

Il a resserré ses mains sur les barreaux, avant de me fixer du regard.

« Je ne veux pas que tu meures. Et l'enfant non plus. Je ne peux espérer qu'il soit blanc.

— Il y a des chances ?

— Oui. On a toujours été très pâles, dans ma famille.

— C'est vrai. J'ai cru que tu étais un enfant mort, la première fois que je t'ai vue.

— Et moi, la première fois que je t'ai vu, tu avais l'air d'avoir vingt ans.

— Plutôt dix-huit.

— Comment ça ? »

Il m'a fait signe d'approcher.

« Une légende raconte que deux personnes peuvent être ce qu'on appelle des âmes sœurs. Tu en as entendu parler ?

— Non, jamais. Ça a un rapport avec la sorcellerie ?

— Pas vraiment, mais on pourrait croire. Je te raconte ?

— Je t'écoute.

— Il y a longtemps, dans le peuple des "Aztèques", il y avait une magicienne. Elle liait les âmes. Pour qu'elle lie deux âmes, il fallait lui donner des mèches de cheveux des deux amants, qui s'aimaient au point de mourir pour l'autre. Elle récitait ensuite une prière.

— C'est tout ?

— Non. Si l'un des deux mourrait de manière non naturelle, il fallait que l'autre se tue, et que leurs sangs se mélangent. Ainsi, ils étaient liés pour l'éternité, destinés à se retrouver dans toutes les vies qu'ils vivraient.

— Comment sais-tu tout cela ?

— Va savoir... Souffle-t-il, fermant les yeux et haussant les épaules, avant de revenir me fixer avec un sourire mesquin. Ai-je entendu cette histoire par un blanc ? Par un noir ? L'ai-je inventée, ou étais-je un de ces aztèques ? »

J'ai longtemps fixé ses yeux. Et j'ai compris au fond de lui. Le shérif s'est approché. Je lui ai demandé encore cinq minutes. Il a accepté.

« Ça veut dire que tu étais un de ces aztèques, et que tu t'en souviens ?

— Exact.

— Et donc tu as un... Âme sœur ?

— Une âme sœur, pour être précis. Je m'en suis souvenu en la voyant, à l'âge où je suis mort, à ses côtés, c'est à dire l'an dernier.

— Comment es-tu mort... ?

— Loreena ? »

Il passe deux doigts sous mon menton, et relève ma tête, la collant contre les barreaux. Une de ces mains glisse sur la mienne.

« Je suis mort parce que mon âme sœur a été sacrifiée. Mais ce n'est pas cette question que tu te poses réellement. Tu te demandes plutôt... qui est mon âme sœur, n'est-ce-pas ?

— Ça ne me regarde pas... »

Il a souri à nouveau, et a posé un baiser sur mes lèvres.

« Tu es mon âme sœur, Loreena. »

J'ai entrouvert les lèvres. Puis, j'ai souri, et je l'ai embrassé sur le front.

« Nansen, je dois t'avouer autre chose.

— Tout ce que tu voudras, mon amour.

— Je m'en vais. Je vais partir loin de la ville. Je vais donner naissance à cet enfant ailleurs, et faire croire qu'il est mort-né et enterré, s'il n'est pas blanc. Tu seras libéré, et nous fuirons !

— Alors j'attendrai ton retour en pensant à ton magnifique visage. »

Je l'ai embrassé une dernière fois. J'ai effleuré sa main encore une fois. Et je suis partie.

J'ai changé de ville, cette fois-ci. Souvent, je passais la tête par la fenêtre de la calèche, observant derrière moi. Repensant à l'homme que j'avais abandonné. Mais j'ai souri. Je reviendrais le chercher. J'ai dû renoncer au confort auquel j'avais eu droit en arrivant. J'ai gagné de l'argent par mes propres moyens. J'ai servi des boissons, j'ai aidé dans une banque, à la mairie. J'ai réussi à survivre tout en économisant. Et puis, il est arrivé.

J'avais dix-sept ans quand il est venu au monde, fin février. J'ai pleuré en le voyant. De douleur, mais aussi de joie. Parce qu'il était blanc. J'allais pouvoir rentrer. Fuir avec Nansen. J'étais la femme la plus heureuse du monde. J'ai quitté la ville le jour de mes dix-sept ans. Mon fils avait cinq mois. Il avait les cheveux et les yeux de son père. Et il était aussi beau que lui.

Dès que je suis arrivée au village, mon bébé dans mes bras, je suis allée en prison.

« Nansen, vous dites ? C'est pas le noir qui va être brûlé vif, aujourd'hui ? »

Ils étaient tous au centre de la ville. Tous autour d'une structure en bois. Je me suis glissée dans la foule, et j'ai croisé son regard. Et tout m'est revenu.

« Loreena ! »

J'ai tourné la tête vers mon père. Il a regardé mes bras. Il m'a fixé dans les yeux.

« Blanc, hein ?

— Oui ! C'est l'enfant de mon mari. Nansen est innocent. Laissez le partir.

— Une minute. »

Le médecin qui m'avait vue un an plus tôt m'a salué. Il m'a demandé le jour de la naissance de mon fils. J'ai répondu honnêtement ;

« Le vingt-neuf février, pourquoi ? »

Et tout a basculé. Il m'a pris mon fils, délicatement, pour l'examiner. Il a fait un signe de tête à mon père, et lui a tendu. Il s'est approché du bûcher, et a attaché l'enfant. J'ai hurlé.

« Qu'est-ce-que vous faites ?!

— Selon votre mari, vous n'avez couché ensemble qu'une fois. Ce qui veut dire que si c'était bien son fils, il aurait dû naître au milieu du mois de Mars. »

Ils ont allumé le bûcher. Nansen m'a souri, parmi ses larmes. Le bébé a commencé à hurler. L'homme de ma vie aussi. J'ai mordu ma lèvre inférieure fortement, en essayant de me libérer des bras de mon père. Je lui ai donné un coup de coude dans le menton. Je me suis souvenu des mots de Nansen. Alors j'ai couru dans le feu, jusqu'à lui. Il m'a observé, tandis que le feu crépitait, et que notre enfant hurlait de douleur. Je lui ai mordu la lèvre inférieure, et je l'ai embrassé.

« Va-t-en... Tu vas encore mourir devant mes yeux...

— Je ne suis venue que pour mourir en te contemplant une dernière fois. »

J'ai essuyé ses larmes, et je me suis accroché à lui. Plus un hurlement. Plus que le crépitement du feu qui dévorait notre corps et rongeait nos os.

« Était-ce si important pour toi de vivre à ses côtés, ma fille ? »

✦✦✦

Voilà la seconde partie d'Under the stars !

J'espère qu'elle vous plaît autant que la première, même si elle est BEAUCOUP plus longue. Il y en aura encore une, la dernière, demain, ou après demain, on verra bien.

Ah et comme vous êtes pas tous latinistes... :)

« L'abîme appelle l'abîme. »

Une faute en entraine une autre.

#Historia

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