𝕏𝕍𝕀𝕀𝕀 - 𝕃𝕒 𝔽𝕠𝕚 𝕔𝕙𝕦𝕔𝕙𝕠𝕥𝕖 𝕒 𝕝'𝕠𝕣𝕖𝕚𝕝𝕝𝕖 𝕕𝕦 ℙ𝕖𝕔𝕙𝕖𝕦𝕣 -

https://youtu.be/gnlp1hHQb1E


Klaro venait de passer l'une des pires journées de son séjour ici, à Hope County, ou Eden's Gate, comme l'appelaient ces tarés décérébrés de pseudo-religieux. D'ailleurs, s'il était aussi mal, c'était bien à cause d'Ambrose, qui n'y était pas allé de main morte avec lui, mais au final, il était parvenu à reprendre l'avantage et à se venger sévèrement sur ce dernier. S'il n'avait pas été repéré par les autres fanatiques, Klaro n'aurait pas hésité une seule seconde à massacrer son adversaire, et le laisser pourrir au fond des bois comme la pourriture qu'il était.

Il venait de passer une heure à reprendre son souffle et à s'habituer aux douleurs qui allaient le suivre dans les prochains jours. Il avait aussi essayé de se désinfecter le front, mais sans grand succès. Le matériel manquait ici, il allait certainement devoir retourner sur l'île de Dutch pour trouver de quoi se remettre rapidement sur pieds, ou bien retourner à Fall's End, au choix. Il finit par se lever, après ce long moment de repos dans la salle de bain. Il faisait nuit noire, le chalet dans lequel il se trouvait était cerné par les bois et par un calme pesant. Sauf peut-être l'une des trois ou quatre explosions que l'on pouvait entendre chaque jour dans cette vallée.

Une fois debout, le noiraud s'avança vers la douche, retirant ses vêtements les uns après les autres, avant de finir totalement nu. Ses cicatrices et ses multiples tatouages étaient dispersés partout sur son corps meurtri par ce rude combat qu'il venait de mener. Il entra dans la douche, et fit couler l'eau. Elle était gelée, mais mine de rien, le jeune homme ne rechigna pas. Il avait de l'eau, c'était déjà beaucoup.

L'eau froide se mit à ruisseler sur sa chevelure, coulant ensuite sur sa peau, sur ses blessures, sur ses ecchymoses, sur ses entailles et sur tout le reste de sa peau. La température lui donna la chair de poule, mais il parvint à résister. Il garda la tête basse, alors que le liquide coula jusqu'au bout de son menton et de son nez, et qu'il posa sa main sur le carrelage froid.

Cette eau, malgré son ton glacial, lui apportait un certain réconfort. Pour une fois ! Depuis le début, il avait eu un très mauvais rapport à l'eau, disons-le. Il se frotta la mâchoire, légèrement endolorie par les coups qu'il avait aussi reçu, et resta un temps interminable sous le jet d'eau.

Il avait besoin de cet instant hors du temps pour faire le vide dans son esprit. Toutes ces responsabilités qu'il devait supporter, toutes ces vies qu'il devait sauver, toutes ces vies qu'il devait prendre, sans pouvoir toutes les épargner évidemment.

Tout ça pesait de plus en plus lourd sur sa conscience. Il en venait même à douter de réussir, et de pouvoir continuer.

Klaro était enfin sorti de la douche. Il avait maintenant la peau aussi froide que celle d'un cadavre ! Il avait eu l'initiative de cacher des vêtements dans la petite bicoque, au cas où, et s'en accomoda. Il avait besoin de rejoindre un endroit plus équipé pour soigner ses blessures, mais il avait aussi besoin de sommeil. Le voilà maintenant face à un dilemme très complexe : partir, ou rester encore un peu.

Et finalement, ce fut son corps qui décida ! Ses jambes ne pouvant plus le porter, il traîna machinalement des pieds vers le vieux canapé à moitié en miettes, usé et vieux, pour s'y laisser tomber, soulevant un léger nuage de poussière qui retomba aussitôt sur le sol. Il posa son avant-bras sur son front, alors que son regard était rivé sur le plafond de bois sombre plongé dans la nuit. Son autre main se reposait sur son estomac, alors qu'il se perdit à nouveau dans ses pensées.

Il en vint à se demander ce que pouvait bien faire John en ce moment. Est-ce qu'il était cloitré dans son bunker ? Ou bien est-ce qu'il baptisait à nouveau des gens, comme lors de leur première rencontre ? Malgré que ce jour-là, c'était Joseph qui s'en était occupé.

Tiens, Joseph... Et lui ? Que faisait-il ? Est-ce qu'il avait des passe-temps un minimum humains ? Comme la collection de timbre ? Les échecs ? Accumuler des bibelots de grand-mère ? Ou bien est-ce qu'il était réellement totalement plongé dans son délire religieux ? Était-il en train de prier ? D'écouter les péchés des autres ? De noyer un autre gamin ?

Et puis, comment en était-il arrivé là ? Une personne à la vie "normale" n'en serait pas arrivée à devenir gourou d'une secte meutrière avec une telle ampleur ! Joseph aussi avait certainement des blessures qui l'avaient conduit à agir ainsi, et même si on pouvait se demander s'il était fou, il fallait bien admettre une chose : il était plus qu'intelligent et charismatique.

Après tout, comment aurait-il fait pour obtenir une telle influence ? Une telle quantité de fanatiques ? Comment serait-il parvenu à assouvir toute une vallée à sa volonté ? Toute une partie du Montana qui plus est !

Ce type était complètement taré, mais aussi très dangereux sur le plan psychique. Klaro devait s'en méfier, et du rester de sa famille aussi. Si John avait un peu changé sa vision des choses, Klaro n'était pas sûr que le reste de sa petite famille soit aussi facile à convaincre.

A force de penser, penser, et repenser, Klaro avait les paupières de plus en plus lourdes. La fatigue l'avait considérablement dominé, et peu à peu, il se mit à somnoler. A tel point qu'il ne s'était même pas aperçu qu'il était observé depuis qu'il était revenu d'ici.

Un homme, un fanatique sans nul doute, avait entendu l'alerte lorsque le pilote de l'avion avait repéré l'Ange Noir en plein combat avec Ambrose. Mais s'il l'avait suivi, seul par dessus tout, ce n'était pas pour le tuer...

Il avait été envoyé par une personne plutôt spéciale, qui lui avait simplement donné l'ordre de lui offrir une petite invitation pour la rencontrer. Alors sans attendre, le fanatique chauve et à la barbe épaisse; portant un débardeur crasseux marquée par la croix placardée partout ici, entra dans la maison, pendant que Klaro venait juste de s'endormir. Il portait une sorte de bombonne avec un long tuyau en plastique translucide, menant à un masque artisanal et très peu hygiénique apparemment.

Le fanatique ralentit au fur et à mesure qu'il approcha, et se mordit la lèvre une fois à un mètre du jeune homme, prenant garde à ne pas faire de bruit en posant la bombone et en positionnant le masque au dessus de son visage. Il tourna la valve pour lancer le gaz, alors que Klaro commençait à ouvrir les yeux en sentant une odeur étrange, semblable à celle des médicaments, mêlé à un parfum sucré et doux.


"Allez, bonne nuit l'hérétique !"


Lâcha l'inconnu avec un ricanement de petit diable, alors que Klaro referma instantanément les yeux, transporté à cause du contenu du gaz.

Ce dernier, sous forme de brume verte pâle, passa dans le tube pour directement finir dans ses poumons. Klaro sentit une sensation de bien être absolue et de paix intérieur le gagner, alors qu'il plongeait dans les méandres de son subconscient comme jamais auparavant, se sentant s'enfoncer en travers du canapé comme dans un trou noir.

Quand Klaro ouvrit les yeux, il eut immédiatement une sensation de déjà vu.

Pas seulement avec ce qu'il voyait, mais aussi avec ce qu'il ressentait. Un étrange bien-être, une sorte d'euphorie des sens, mais aussi un certain malaise. Son corps était apaisé, relâché de toute tension, mais sa raison lui rapportait quelques vagues souvenirs de cet endroit.

Des champs qui s'étendaient à perte de vue, avec des centaines de milliers de fleurs blanches. Des champs de Grâce s'étendant à l'infini, par delà l'horizon. Horizon qui était d'ailleurs embrumé par de lourds cascades de nuages blancs qui semblaient tomber vers le sol. Tout paraissait si clair, si fade, si faux et si amer. Klaro se souvenait désormais.

Il se souvenait de cette fois, où lors de son sommeil, il avait rêvé de cet endroit. Il se souvenait qu'il s'était retrouvé attaché à un poteau, avec Joseph face à lui.

Alors c'était ça, la Grâce ? Beaucoup l'avaient mis en garde. Eli. Mary. Jérôme. Nick. Dutch aussi. Tout le monde lui répétait la même chose : tout est faux. Faith ? Ils lui répétaient aussi la même chose : ne la croit jamais. Elle ment comme elle respire.

On lui avait sciemment expliqué ce qu'était la Grâce. Une drogue, puissante, à la fois doucereuse et dangereuse. Une illusion pure, qui vous donne une image d'un pseudo paradis dont on ne veut jamais partir. On reste noyé dans la Grâce, on devient prisonnier de cet endroit sans jamais s'en rendre compte, car on se croit heureux, en sécurité, loin de tout. Mais dans le monde réel, vous êtes tellement drogué, que vous êtes devenu un Ange, sans jamais pouvoir revenir en arrière.

La Grâce était en quelque sorte un portail menant vers une prison déguisée en paradis. Malheureusement, beaucoup se tournent vers la drogue pour oublier la vie, mais le problème supplémentaire cette fois, c'était que la secte forçait les gens à se droguer, et usait ensuite ces gens pour servir leurs intérêts.

Klaro trouvait ça inadmissible, cruel, et sadique. Mais il était loin d'imaginer qui était la Reine de cette Grâce !

Alors qu'il fit quelques pas dans ces jardins, il distingua au loin quelques créatures plutôt étranges. Des lapins blancs avec de petits bois de cerfs, des superbes biches élancées munies d'ailes à plumes resplendissantes... Tout un tas de créatures irréalistes loin de tromper le noiraud malgré leur beauté. Le jeune homme vint même regarder ses mains pour être certain de ne pas rêver, mais ses mains étaient correctes, normalement constituées, sans la moindre déformations. Ses cinq doigts étaient en place, ses cicatrices aussi...

Une main attrapa délicatement son bras, le sortant de ses pensées, alors qu'il tourna lentement la tête, puis le haut de son corps pour finalement voir qui venait l'interpeller.

Il s'agissait de Faith, à n'en pas douter. Klaro ne l'avait jamais rencontré, mais il avait entendu suffisamment de bruits de couloirs pour savoir que c'était elle. Des cheveux superbes, des yeux enivrants, un sourire adorable. Tout chez elle pouvait séduire n'importe qui, mais Klaro s'y connaissait en beauté venimeuse. Lui même avait joué à ce petit jeu de séduction avec John, et jusque là, il en était sorti très gagnant ! Ce n'était pas cette fillette qui allait la lui faire à l'envers.

La jeune femme habillée d'une superbe robe blanche ornée de fleurs roses pâles élargit son sourire, avant de lâcher un petit rire et d'attraper les deux mains de Klaro -sans son consentement- et les serra dans les siennes, alors que lui, avait le regard béat, en ayant l'impression que cette Faith était encore plus folle qu'on ne lui avait décrit.


"Tu dois être Klaro, c'est ça ? J'ai tellement entendu parlé de toi ! sa voix résonnait comme un écho, alors que pourtant, l'endroit était vaste et sans cloisons. Son rire disparaissait peu à peu au loin, alors qu'elle avait ce ton enfantin et beaucoup trop ravie. J'avais tellement hâte de te rencontrer ! John, Jacob, et même le Père ont eu le privilège d'aller à ta rencontre ! Je ne voulais pas être la seule à ne pas y avoir droit !

-Le privilège ? Vous avez une drôle de façon d'accueillir vos ennemis hérétiques je dois dire ! Klaro voulait retirer ses mains, mais la jeune femme gardait tout de même une sacrée poigne, les maintenant dans les siennes, bien au chaud.

-Il n'y a pas de camp ! Enfin... Nous n'en voulions pas, mais la cupidité des Hommes a toujours eu ce besoin de division, tu le sais, mieux que personne...

-Peut-être qu'il ne fallait pas tuer, piller, et séquestrer les pauvres gens de cette vallée, non ?"


Faith fronça soudainement le regard. Son sourire disparu et son front se plissa alors qu'elle lâcha violemment les mains de Klaro, comme si les flammes de l'enfer les consumaient, et qu'elle venait de s'y brûler. Elle recula d'un pas, alors qu'elle fixa le noiraud droit dans les yeux, avec une once de colère dans le regard.


"Tu ne comprends pas ! Nous faisons ça parce que vous nous y avez forcé ! Vous empêchez des pauvres innocents à ne pas accéder à l'Eden ! Pour qui vous prenez vous à les empêcher de suivre la voix du Père ?! Pour les obliger à vivre au milieu de ces atrocités ?!

-Et vous, vous êtes qui pour les emmener dans cet endroit totalement faux ? Pour leur retirer tout ceux à quoi ils tiennent ?"


L'échange entre eux devenait de plus en plus tendu. Une atmosphère chargée en électricité planait au dessus de leurs têtes. Faith continua de défier Klaro du regard, alors que ce dernier ne se fit pas prier pour faire de même. La jeune femme blonde recula d'un pas, et soudain, son sourire revint pendant un tiers de seconde. Puis, elle disparut.

Elle s'envola en riant comme par magie, s'évaporant dans une brume verdâtre, un peu comme le gaz qui s'échappait de la Grâce. Son rire voltigea dans les airs, alors qu'un papillon bleu se posa discrètement sur l'épaule de Klaro, et que Faith réapparut derrière lui.

Klaro s'était vite retourné, ayant senti sa présence, et la jeune fille affichait à nouveau son immense sourire, comme si tout allait bien, comme si tout était beau, comme si elle était vraiment heureuse.


"Tu finiras par comprendre ! Je sais qu'au fond de toi, tu sais pertinemment que nous avons raisons, cependant... Nos pratiques te paraissent barbares, c'est ça ? Mais nous sommes sûrement moins pires que tout ces gens qui nous contrôlent, ces traites parmi nos amis, nos familles, et nos dirigeants ! Ceux qui nous gouvernent nous font croire à une liberté totalement faussée et minimisée ! Ils nous manipulent, se servent de nous comme des ouvriers pour leur rendre la vie plus facile, avant de nous oublier ! Des millions de gens ont vécu sur la Terre, certains ont passé leur vie à travailler pour les autres, ou simplement pour avoir un toit, et jamais ils n'ont eu de reconnaissance ! Jamais on ne se souviendra d'eux ! Jamais ils ne connaitront le bonheur !"


Faith prit à nouveau les mains de Klaro, et le tira doucement avec elle, tandis qu'elle reculait dans la mer d'herbes hautes, flottant sur la pointe de ses pieds nus comme un oiseau majestueux, apportant Klaro dans sa voltige.


"Tu sais, mieux que quiconque, que nous devons vivre pour être heureux, nous devons vivre pour nous, pas pour obéir aux autres..."


Faith avait raison, Klaro ne pouvait le nier, cependant, il était encore en total désaccord avec ces pratiques, mais il ne jugea pas utile de le préciser. Son regard était suffisamment explicite à ce sujet.

Pour lui, agir de cette façon, c'était devenir comme eux, et leur donner raison. Plutôt que de combattre directement la source du problème, on devient comme ce même problème. On ne règle pas des horreurs en se rabaissant à son niveau pour ne plus y voir des horreurs, mais des banalités.

Si les pratiques de cette secte n'étaient pas aussi extrêmes, s'ils ne se servaient pas de Dieu comme prétexte à tout faire, même les pires horreurs, et si la majorité n'étaient pas aussi fous, Klaro aurait adhéré à cette cause. Mais finalement, il allait s'abstenir.

Faith avait lu dans ses yeux qu'elle n'avait pas réussi à le convaincre, du moins, pas aussi facilement. Elle lâcha délicatement ses mains, frôlant ses doigts une dernière fois, avant de lentement reculer, à pas de velour.


"Tu es spécial Klaro, pourquoi t'obstiner à te battre pour les autres quand tu pourrais penser à ton bonheur pour une fois ?

-Parce que mon bonheur, c'est dans le partage que je le trouve, et c'est pas en étant égoïste et seul que je vais être heureux !"


Alors que le jeune homme aurait cru lui soutirer une nouvelle fois de la colère, Faith eut un sourire triste, accompagné d'un bref rire alors qu'elle baissa les yeux. Elle resta ainsi, l'espace de quelques instants, avant de lentement faire volte-face, et avancer dans le champ fleuri, caressant les pétales de fleurs blanches du bout des doigts.


"Tu pourrais partager... commença Faith.

-Avec nous"


Acheva une autre voix dans le dos du jeune homme. A cet instant, il ne remarquait plus la silhouette dansante de la jeune femme, seulement cette voix, qu'il avait vite reconnu, et qui le troubla un instant.

Il se retourna lui aussi, lentement, et eu confirmation sur ses doutes. Joseph se tenait là, comme la fois où il l'avait vu tandis qu'il était ligoté à ce poteau, le soir de son Baptême.

Il était torse nu, encore, propre sur lui, bien coiffé, la barbe bien taillée, portant fièrement et avec charisme sa paire de lunettes aux verres teintés jaunis. Son visage lui semblait impassible, alors qu'il le toisait presque avec bienveillance.

Il tenait dans sa main gauche un chapelet noir, fait de perles qui reflétaient la lumière fade du ciel. Il leva ses deux mains, les ouvrants vers le ciel, laissant le chapelet pendre dans le vide, et les approcha de Klaro, comme pour le désigner, ou pour l'inciter à prendre ses mains. Klaro n'était pas sûr.


"Nos portes te sont ouvertes, Klaro... Je sais qui tu es. Je sais ce que tu as enduré. Je sais ce que tu risques en sortant d'ici. Tu as quelque chose que beaucoup d'Hommes ont perdu... Tu as le sens de la justice. Tu suis ton instinct et la morale. Tu ne souhaites pas dépendre des autres. Tu es fort car tu sais vivre sans l'aide de personne, et tu l'es encore plus une fois entouré. Toi et moi, Klaro... Nous sommes pareils. Nous avons soufferts, nous avons été abandonnés par ceux qui devaient nous aider, et nous nous sommes débrouillés. Moi, grâce à la voix de Dieu et en suivant le chemin de la Foi, toi grâce à ta détermination en suivant le chemin de la rédemption et de la liberté."


Joseph s'approcha un peu plus, et Klaro ne ressentit par le besoin de reculer ou de l'en empêcher. Tout deux avaient le regard fixé sur l'autre, sans se lâcher une seule seconde.  Le Père posa ses mains délicatement sur ses épaules, d'une poigne relativement légère, voir amicale. Il continua à le regarder, sans prononcer un mot, avant de reprendre de sa voix douce et suave.


"Je sais où est ta place, Klaro... Elle est parmi nous, au sein de notre famille ! Je sais que tu vas refuser aujourd'hui, mais je suis sûr que bientôt, tu changeras d'avis..."


Klaro baissa le regard un instant, comme en pleine réflexion, comme pesant le pour et le contre. Joseph eu l'espoir, l'espace d'un petit instant, d'avoir réussi à le convaincre. Klaro fixa un point mort parmi les herbes à sa droite, et enfin, parla.


"Tu as raison... dit-il avant de relever ses yeux vers Joseph, les yeux remplis de détermination et de volonté. Je vais passer mon tour. Mais... Il y a bien une chose que je trouve dommage.

-Laquelle ?"


Demanda Joseph, l'air sincèrement intriguée, si bien qu'il fronça légèrement les sourcils en inclinant un chouia sa tête sur le côté, laissant ses mains glisser sur les épaules de Klaro, comme celui-ci reculait.


"Ce discours, et cette proposition... C'est moi qui aurait dû te la faire."


Le Père n'était pas sûr de bien comprendre le fond de sa pensée. Il continua à le regarder de façon perdue, pendant que Klaro se sentait quitter ce pays imaginaire et faux. Il se sentait revenir peu à peu à lui, comme à deux doigts de se réveiller d'un rêve étrange.

Progressivement, tout devin trouble, une brume entoura son champ de vision, parsemée de scintillements clairs, tandis qu'il voyait la silhouette de Joseph disparaître parmi les champs de Grâce.

Lorsque Klaro ouvrit enfin les yeux, il eut une superbe vue sur le plafond en planches de bois pourri du chalet dans lequel il créchait lors de sa dernière croisade. Le soleil avait l'air d'être levé depuis longtemps. L'odeur de la Grâce lui restait encore un peu dans les narines; sa fraîcheur restait encore dans ses poumons, tandis qu'il cligna des yeux, troublé, et se remémorant ce qui venait de se passer.

Tout était comme lors d'un réveil au petit matin, après une nuit baignée de rêves psychédéliques. Il se rappelait avec minutie toutes les paroles, tout les détails. C'était comme s'il avait rêvé, et pourtant, il se souvenait de tout, et tout paraissait si réel.

C'était là le danger de la Grâce, le pouvoir de l'illusion qu'elle provoque.

Klaro resta de longues minutes affalé sur son canapé miteux dans lequel il venait sûrement de dormir pendant de longues heures pour récupérer. Il eut enfin le courage de se redresser, et s'assit sur le canapé convenablement, posant ses avant-bras sur ses cuisses, et fixant le parquet visible entre ses mains qui pendouillaient dans le vide.

Il passa l'une d'elle sur sa nuque, puis sur son visage. Il était toujours amoché, et avait besoin de soins, mais hors de question de rester dans le coin, il ne voulait pas encore se faire choper par ce tocard d'Ambrose, et encore moins se faire droguer à nouveau.

Klaro n'était pas bête, il avait bien compris que quelqu'un était venu pour le droguer pendant son sommeil, et le pire, c'était qu'il n'avait été que drogué. Ca aurait pu être bien pire, il aurait pu se faire enlever, se faire tuer même !

Il devait partir d'ici, mais il ne voulait pas être seul, sans compter qu'il avait besoin d'aide pour ses blessures. Il allait retourner à Fall's End, immédiatement, aller au Spread Eagle, s'offrir une bière digne de ce nom, et ensuite souffrir le martyr pendant une vraie séance de soins.

Il se leva, rassembla ses affaires, et sortit de la maison sans attendre, avant de marcher le long du sentier pour rejoindre la route. Heureusement, pas loin d'ici, se trouvait une station essence munie d'un garagiste que Klaro avait libéré il y a peu. Les résistants qui s'y trouvaient allaient certainement lui offrir un véhicule pour revenir !

Il mit une quinzaine de minutes pour arriver au lieu tant convoité, et combien d'exclamations et de témoignages d'inquiétudes il avait eu droit en arrivant. Tout le monde s'inquiéta pour lui, mais il resta plutôt froid et impassible pour le coup, il voulait juste partir. Au début, le responsable du garage n'était pas très enthousiaste à l'idée de le laisser prendre le volant dans cet état, mais se résigna rapidement en ayant vite compris que Klaro n'était pas d'humeur pour ce genre de choses. Il lui assigna une voiture correcte et prête à l'emploi, et Klaro se mit en route, sans demander son reste.

Klaro était on ne peut plus soulagée quand il reconnut au loin l'entrée de Fall's End, notamment grâce au bar de Mary May qu'il pouvait déjà voir, à côté duquel était garé fièrement le Widowmaker qu'il avait ramené il y a de cela quelques temps. Et après son petit trajet, Klaro s'était rendu compte en écoutant un peu la radio, qu'il avait dormi plus d'une journée entière. Il s'était réveillé le lendemain, décidémment, la Grâce l'avait plongé dans un profond sommeil, cependant très répérateur, il ne pouvait pas nier ça.

Il était encore très secoué à l'idée qu'il aurait pu perdre la vie, ou se faire enlever là-bas ! Il se demandait bien pourquoi Joseph n'avait pas profité de cette occasion, soit il était très idiot, soit il était sincère, soit il avait une idée derrière la tête.

Klaro arriva aux abords de la ville, et se gara juste devant le Spread Eagle. L'enseigne faite de néons colorés était fièrement illuminée au dessus de sa tête tandis qu'il sortait de la voiture. Il y avait quelques personnes juste devant, on dirait que les affaires de Mary reprenaient maintenant que les fanatiques n'étaient plus là pour faire leur loi. Il avança alors que deux trois personnes l'avaient reconnu et salué, et entra par la porte d'entrée, secouant le petit carillon à l'intérieur pour avertir de son arrivée.

A l'intérieur se trouvaient bien du monde ! Mary était juste derrière le bar, sûrement en train de ranger ce qui se trouvait derrière le comptoir, et leva la tête en entendant le tintement du carillon. Face à elle, se trouvaient Nick, assis sur l'un des nombreux tabourets avec une bière à la main, et Jérôme, debout à ses côtés, posant une lourde caisse d'alcool sur le comptoir.

Les trois tournèrent la tête vers Klaro dès son entrée, et celui-ci soupira lourdement à l'idée qu'on lui fasse encore la morale ou des oraisons sur son état peu frais...


"Klaro ?! Putain ! Il t'es arrivé quoi ?! s'exclama Nick en lâchant négligemment sa bouteille sur la table, la laissant vaciller, presque sur le point de tomber avant que celle-ci ne reprenne son équilibre. Le brun se leva de son tabouret, et s'approcha vivement de Klaro, qui marcha vers eux dans le plus grand des calmes.

-J'ai encore croisé ce bouffon d'Ambrose, il me lâche pas cet enfoiré !

-Ambrose ? Jérôme s'approcha à son tour, et posa ses mains sur les épaules de Klaro, le forçant à le regarder, avant de lui demander d'un air inquiet. Ca va, camarade ? Tu te sens bien ?

-Ouais, si vous m'offrez une bière !

-Ca fait plus de 24 heures que personne n'avait de nouvelles de toi ! On a entendu parlé de ton accrochage avec Ambrose, on a entendu les fanatiques dire à la radio que tu l'avais presque tué, mais que tu avais fui avant de te faire attraper, et depuis... Plus rien ! On a bien cru que tu étais mort de tes blessures, ou que tu t'étais évanoui dans la rivière, ou dans un ravin... Pire ! Que les fanatiques t'avaient trouvé ! Mais c'était peu probable... Ils auraient été trop fiers pour s'en cacher ! expliqua le pasteur en lui tapotant l'épaule avant de l'inviter à approcher du comptoir, pendant que Nick fit de même en veillant à ce que son ami ne trébuche pas.

-Je suis désolé, mais il m'est arrivé quelque chose de vraiment bizarre..."


Klaro s'assit à moitié sur un tabouret, une jambe tendue et le pied sur le sol alors que l'autre était sur le rebord en bois à la moitié du tabouret. Il posa un bras sur le rebord en bois poli alors que Mary approcha, déjà prête pour les soins. Pas besoin de parler, elle savait ce qu'elle avait à faire. Elle avait sorti un chiffon propre, une trousse de secours, un peu d'alcool médical, et elle attaquait directement le front encore bien amoché du jeune homme, mais qui était moins pire à regarder au moment de l'attaque.


"J'ai eu la chance d'expérimenter la Grâce ! commença-t-il sur un ton léger et sarcastique, avant de chiper l'une des bières dans la caisse en bois, et d'ouvrir celle-ci avec le coin du comptoir. Et j'ai rencontré cette nana, Faith je crois...

-Quoi ?! Faith ?! s'exclama Mary qui appuya un peu trop fort sur le front du noiraud qui siffla de douleur. La jeune blonde retira le chiffon imbibé d'alcool de son front, avec un visage plein de colère et de surprise à la fois. Elle tourna les yeux vers ses camarades, et dit d'une voix plus que tendue. Cette salope l'a drogué ! C'est pour ça qu'on avait pas de nouvelles ! Elle aurait pu le droguer à mort, ou même l'embarquer !

-C'est ce que je me disais aussi... fit Klaro, encore tiraillé par la douleur en portant ses doigts délicatement sur sa blessure. Mais elle l'a pas fait... Oh, et j'ai surtout croisé Joseph là-dedans !

-Joseph ? Qu'est-ce qu'il t'as dit ? l'interrogea Jérôme en se postant à ses côtés alors que Nick occupait l'espace à l'opposé du jeune homme.

-Il disait... Il disait qu'on était pareil, et que j'étais le bienvenu dans leur famille...

-Pff, un ramassis de conneries ! du Nick tout craché.

-Ca ressemble à une proposition de dernière chance ! lâcha Mary May avec sarcasme avant de soupirer et de reprendre ses soins.

-Faith m'a fait son discours sur l'état du monde tout ça tout ça... Mais elle avait l'air trop fausse pour moi, soit elle surjoue, soit c'est une marionnette... Ou elle est vraiment insupportable !

-La garce !"


Le trio d'amis du jeune homme paraissait plus que troublé et tiraillé par cette nouvelle, et il fut proposé à Klaro qu'il reste pour se reposer, histoire d'être surveillé, et d'éviter de plonger à nouveau dans la Grâce.

Et honnêtement, Klaro n'était pas contre un peu de repos. Ce combat avec Ambrose l'avait épuisé, mais en même temps, il ressentait une certaine fierté. Il se souvenait encore de la tête défiguré de ce pauvre type, allongé au sol, faible et dominé. Ce type avait tout de détestable. Depuis leur première rencontre, Klaro avait comprit que tout les opposait, et qu'Ambrose était son ennemi juré, son alter ego. Il avait enfin obtenu vengeance pour la dernière fois. Obtenu vengeance pour ces cictarices au sommet de son dos qui le qualifieraient de Pécheur pour toujours. Obtenu vengeance pour ces putains de tatouages sordides et mal faits par dessus le marché. Mais Klaro avait encore soif de ça. Il aimait bien cette idée de faire peur aux fanatiques, il ne savait pas trop pourquoi d'ailleurs.

Peut-être était-ce le sentiment de pouvoir qu'il ressentait ? Peut-être était-ce le respect qu'on lui accordait ? La reconnaissance ? Non. C'était ce sentiment d'être unique. D'être différent.

D'être le seul à avoir réussi ce que personne n'avait fait auparavant.

Il ne cherchait pas à jouer les héros. A vrai dire, lui même n'était pas certain de ses motivations. Sans doute étaient-elles nombreuses. La justice. La vraie justice. Sauver les innocents. Châtier les fouteurs de troubles qui pensaient être au dessus de quiconque.

Il se battait pour la liberté. Klaro avait sa définition de la liberté. Et il avait la ferme intention de la défendre.

Quand ses soins furent enfin finis, Klaro décida de monter à l'étage après que Mary lui ai accordé la chambre qu'il avait déjà occupé maintes fois depuis son arrivée. Il alla s'affaler sur le lit, à la recherche d'un sommeil sans rêves et sans Grâce cette fois. Le soleil se couchait peu à peu. Il se souvenait que demain c'était samedi. Samedi était devenu un jour de fête à Fall's End. C'était un moment de partage pour tous. Il avait été décidé que chaque samedi, une fête aurait lieu au bar, de quoi redonner du baume aux cœurs des gens.

En parlant de samedi. Samedi, c'était jour de repas de famille chez les Seed. Mais John n'en avait pas envie. Il ne voulait plus de ce repas où l'on se parlait à peine. Il en avait assez de ce repas où on se regardait dans le blanc des yeux, où il était interdit de rire, de partager un vrai moment en famille. D'ailleurs, la famille, John ne l'avait pas connu comme la majorité des gens dehors la connaissaient. Et John avait ce besoin de connaître ça. Ce n'était pas mal, après tout, non ? Si Dieu existait, allait-il le blâmer pour souhaiter connaître le vrai sens du mot "famille" ? Pour chercher à vivre ces instants que pendant toute sa jeunesse il avait jalousé des autres ?

Dans sa famille, comme ses frères, et ce depuis son plus jeune âge, c'était juste souffrir ensemble. C'était juste ça. C'était subir, et pleurer ensemble. Même s'il avait longtemps été séparé de ses frères, ils étaient tous d'accord là-dessus, et Faith également. Jamais John n'avait eu droit à ce que les enfants, les ados, ou même les adultes dits "normaux" vivaient. Jamais d'anniversaires dignes de ce nom. Jamais de soirées entre amis. Jamais de fous rires. Rien.

Ses vrais parents, il n'en avait plus le souvenir. Ceux qui les avaient remplacé ? A part le torturer depuis son plus jeune âge et le rendre tel qu'il était aujourd'hui, ils n'avaient rien fait de plus. Une fois qu'il avait retrouvé sa famille, il avait espéré que les choses auraient un peu changé. Au final, la notion de famille n'avait pas monté dans son estime.

Mais aujourd'hui, Klaro lui proposait une nouvelle vision, une nouvelle alternative. Et plus les jours passaient, plus John était immanquablement attiré par cette curiosité de découvrir. Klaro avait quelque chose de spécial qui attisait chez lui une certaine convoitise incontrôlable et électrisante.

C'était décidé. Ce foutu repas, il n'irait pas. Pour la première fois depuis des années. Il avait un tout autre projet à la place.

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