Epilogue

Je patientai nerveusement dans le couloir du palais du Hokage.

Mes cent pas résonnaient entre les murs vides, l'attente se faisant ressentir rien que dans les échos de mes pieds qui raclaient machinalement le parquet vernis.

Je venais de sortir de près de trois semaines d'évaluation intense qui indiquerait de ma capacité ou non à intégrer les rangs des ninjas d'élite. Je m'étais donnée comme une forcenée durant ces jours infernaux, et j'espérai avoir montré ce que j'avais dans le ventre. Kakashi avait même refusé qu'on se voie ces dernières semaines pour que je puisse pleinement me concentrer sur mon examen. Parce qu'il fallait le dire, cet homme avait de quoi facilement tourner toute mon entière attention sur lui.

Et oh, ce qu'il me manquait. Terriblement.

Rien que pour ça, j'avais hâte que ça se finisse, que Tsunade m'ouvre cette porte pour qu'elle puisse enfin me dire si j'avais réussi haut la main ou lamentablement échoué. Mon cœur battait la chamade sous les coups de l'appréhension, et je me disais qu'encore quelques minutes à tourner comme ça et je deviendrais complètement dingue.

La porte du bureau de l'Hokage finit par s'ouvrir et Shizune apparut dans l'encadrement.

- Elle t'attend, dit-elle avec un sourire.

J'acquiesçai, en contrôlant mes jambes pour ne pas me précipiter à l'intérieur à la façon Naruto. Il fallait que je conserve un minimum de dignité, s'il s'avérait que j'étais dorénavant Jônin...

Cela signifiait tellement pour moi.

Shizune referma la porte derrière moi et me laissa seule en face de notre Hokage.

Tsunade me fixait d'un regard pétillant derrière son bureau, le menton posé sur ses doigts noués. Je savais qu'elle voulait garder une expression neutre, mais la petite courbure des commissures de ses lèvres la trahissait.

- Tu en as fait, du chemin, sa voix tranchante résonna alors dans toute la pièce.

Il y a une époque où l'inflexion sévère de sa voix me mettait mal à l'aise. Maintenant, c'est à peine si je me contenais de sauter de joie en percevant la douceur qui y tintait tout au fond, que je n'avais jamais saisi du temps où entendre me paraissait acquis.

- Alors ? Qu'est-ce que ça a donné ? je demandai prudemment, le cœur battant d'anticipation.

La princesse du village soupira et secoua la tête.

- Toujours aussi impatiente, hein...

Elle fouilla grossièrement dans les documents qui trainaient devant elle pour en piocher une feuille manuscrite, et à ma plus grande surprise, elle se leva pour venir se planter devant moi.

Tsunade me considéra profondément de ses grands yeux impitoyables, et je déglutis d'anxiété. Si elle faisait ça, c'est parce j'avais échoué, alors ?

- Félicitations, elle finit par déclarer solennellement, son expression sérieuse trahie par le grand sourire qui vint fendre son visage. Tu peux à présent rejoindre les rangs Jônin.

Ma poitrine se réchauffa d'exultation, et je manquais de hurler de joie lorsqu'elle me tendit mon nouveau diplôme ainsi qu'un gilet pare-balle tout neuf sorti de nulle part. La dignité, il fallait que je pense à ma dignité.

Ainsi, je me contentais de prendre délicatement les objets qu'elle me donnait, qui faisaient de moi à présent une kunoichi d'élite, un sourire immense plaqué sur mon visage, si large qu'il me faisait mal aux joues.

En relevant la tête, je ne pus passer à côté de la lueur fière qui brillait dans le fond des yeux de Tsunade.

- Tes capacités sensorielles t'assuraient déjà cette place depuis longtemps, elle affirma d'une voix contrôlée comme si elle tentait de cacher quelque chose sous sa sévérité naturelle. Alors, maintenant que tu as recouvré l'ouïe... C'était du gâteau.

J'eus un sourire plus grand encore alors que j'examinai avec fascination la veste verte que je tenais entre mes mains, identique à celle de Kakashi et de la plupart des autres Jônin du village – dont je faisais à présent partie !

Et puis, je tiquai sur quelque chose.

- « Depuis longtemps » ? je levai un regard interrogateur sur le chef de notre village qui observait minutieusement chacune de mes réactions avec un petit sourire.

Tsunade secoua la tête.

- Le sens du partage et de la coopération te encore manquait cruellement, auparavant. C'est la raison originelle pour laquelle je t'ai placée dans l'équipe 7. Et même après tout ce qui s'est passé... Eh bien, ça t'a réussi.

Je me souviens très bien de l'état d'esprit dans lequel j'étais, avant, lorsque ce n'était pas le silence qui me tenaillait mais la solitude. En méditant ses mots, je ne pouvais qu'être d'accord avec elle.

Oui, tellement de choses avaient changées, depuis.

Tsunade eut un nouveau sourire, pressa une main particulièrement douce sur mon épaule dans un geste chaleureux qui me sidéra, avant de retrouver place derrière son bureau.

J'avais maintenant envie de me ruer dehors et hurler au monde entier que j'appartenais désormais à l'élite des shinobi du Pays du Feu.

Et surtout, j'avais envie de sauter dans les bras d'un certain ninja aux cheveux argentés.

J'allais demander à Tsunade de me donner congé lorsque cette dernière me devança.

- Comment va ta relation avec Kakashi ?

Je fus foudroyée sur place.

- Vous... Que... Comment vous...

Oh non non non ! J'allais vraiment me faire radier du rang Jônin aussitôt l'avoir intégré ? Comment elle pouvait être au courant ?

Je lui lançai un regard apeuré et fus profondément décontenancée par la douceur qui, à présent, imprégnait totalement son regard doré posé sur moi.

- Je connais tous mes hommes mieux que personne, elle m'assura avec un petit sourire. Je n'étais pas franchement d'accord lorsqu'il était encore ton sensei, mais à présent, je ne vois pas ce qui pourrait vous empêcher d'être heureux, tous les deux.

Elle le savait depuis longtemps, en plus !

- Cependant, ton nouveau rang implique de nouvelles responsabilités, parfois lourdes à porter. J'espère que tu es consciente de ça, alors je compte sur toi pour ne pas te concentrer uniquement sur ton idylle avec le Ninja Copieur.

J'acquiesçai fermement, embarrassée qu'elle ait su ce qu'il se tramait sans jamais rien dire, mais surtout heureuse qu'elle ne désapprouve pas. Elle semblait même... Plutôt contente pour nous.

Le cœur sautillant de joie, j'allais me retourner vers la porte, mais le Hokage me coupa à nouveau dans ma lancée.

- Dis-moi...

Sa voix était à présent soucieuse et je retournai un regard inquiet sur elle.

- Vous vous protégez, j'espère ? Si tu ne l'as pas déjà fait, je peux te fixer un rendez-vous pour la piqûre contraceptive...

- Aaah !

Je me bouchai vivement les oreilles, refusant d'en entendre plus. Je pensais échapper à ce genre de conversation, n'ayant pas de parent pour le faire, alors il était hors de question d'en engager une avec mon propre Hokage !

Une fois avoir retrouvé l'air extérieur, savourant chacun des détails sonores qui habitait joyeusement les rues de Konoha à cette heure-là de la matinée, je repensais à Tsunade. Il est vrai qu'elle avait souvent été comme une mère pour moi.

Une mère particulièrement étrange, oui, mais une figure maternelle quand même.

Je souris en regardant le ciel.

Il faisait beau, ce jour-là. Et j'entendais les oiseaux chanter.

***

Rock Lee, Sakura et Naruto m'avaient organisé un pique-nique surprise pour fêter ma promotion. Je leur ai dit que ce n'était pas forcément nécessaire, gênée par avance de m'exposer comme le centre de l'attention, mais ils n'avaient rien voulu entendre.

Voilà que Lee me tirait vaillamment dans les rues bondées de Konoha en ce beau jour d'été, sans me laisser le temps de souffler.

- Mais calme toi, Lee ! je râlais de la façon dont il me trainait presque dans la poussière. On est pas pressés, si ?

- Dépêche-toi ! Ils nous attendent tous !

Je grognai une nouvelle fois pour la forme, émue à l'intérieur.

Ce n'était pas si désagréable, d'avoir des amis.

Et j'espérai que par « tous », il comprenait dans le lot quelqu'un en particulier, dont la seule pensée faisait fleurir mon cœur d'affection.

Mes amis ne savaient toujours pas, pour ma relation, et le Ninja Copieur n'avait plus vraiment insisté là-dessus. Et dire que cela faisait presque un mois que je ne l'avais pas vu...

C'était insoutenable.

Je revenais brusquement à la réalité lorsque Lee s'arrêta, pour me pousser sur le terrain d'entraînement recouvert d'une herbe douce et verte en cette saison. L'endroit ressemblait à une petite clairière, juste à la lisière de la forêt qui bordait Konoha, et je vis quelques silhouettes installées en son centre.

J'entendais déjà Naruto s'époumoner pour une raison quelconque, et Sakura lui râler après. Il y avait même ce fameux Saï avec eux, et je crus comprendre que les choses s'étaient peut-être adoucies avec ce garçon, il est vrai, un peu étrange au premier abord. En m'approchant, je remarquai que Shikamaru était là aussi, flanqué de la fille du village du sable, Temari. Je souris imperceptiblement ; même si le jeune Nara passait son temps à le nier, il était facile de remarquer qu'on les voyait de plus en plus souvent ensemble, ces deux-là. Ino et Chôji étaient à leurs côtés et discutaient vivement, et même Iruka et Asuma-sensei étaient présents.

Le brouhaha de leur conversation animait l'atmosphère radieuse de cette après-midi d'été, et ma poitrine se réchauffa en réalisant que je les entendais tous, juste là, tandis qu'ils m'attendaient, moi.

Une pointe de déception s'imposa néanmoins lorsque les mèches de cheveux argentés que je cherchais avidement dans le petit groupe ne se montrèrent pas. Je ne sentais de toute façon pas sa signature de chakra.

Il n'était pas là.

Je secouai la tête pour chasser la peine qui me prit soudainement le cœur, en affichant un demi-sourire tandis que je m'approchai de cette fine équipe.

- Elle s'est bien agrandie, notre amitié, hein ?

Je tournai la tête vers Lee à mes côtés, qui m'offrait un sourire rayonnant.

Le mien s'agrandit en conséquence, jusqu'à m'en donner des crampes aux joues.

- Et comment !

J'entendis Naruto hurler mon prénom et toutes les têtes se tournèrent vers moi. Je rougis devant toutes ces paires d'yeux posés sur ma personne et tous les compliments et félicitations qui se mirent à me pleuvoir dessus. Les conversations et les pitreries de chacun reprirent rapidement, et j'aimais m'imprégner de toutes ces voix que je pensais perdues pour toujours, en les laissant allégrement envahir mes tympans. Chacune de leurs inclinaisons était précieuse, leur éclat me rendait joyeuse, et je m'appliquai à les ancrer une à une profondément dans ma mémoire, pour que plus jamais le silence ne les fasse tomber dans l'oubli.

Découvrir la voix de Shikamaru avait été assez perturbant au début, comme tous ces gens que j'avais rencontrés lorsque les bruits du monde s'étaient arrêtés. Je riais de leur divergence avec celles que je leur avais imaginées dans ma tête, de voir à quel point j'avais vu juste ou eu totalement tort. Pour ceux que je connaissais déjà, j'avais réalisé comme leur intonation était devenue fade dans la vaste vacuité de ma tête, dénué de vie, alors que la réalité était tellement plus expressive, vivante.

C'était bon, de tous les voir comme ça. De savoir qu'ils étaient là pour moi.

De les entendre.

C'est après un long moment à me laisser balloter dans les échos de ma propre joie au milieu de celle des autres que je le sentis, soudainement, là, tout près.

Cette énergie, qui sentait comme la forêt pendant un orage, et qui m'électrisait de la tête au pied en faisant bondir mon cœur jusque dans ma gorge.

- Désolé pour le retard !

Sa voix grave et traînante qui vibra dans l'air me fit frissonner de la tête aux pieds. Je levai la tête, pour voir Kakashi accroupi du haut de la branche feuillue d'un arbre, l'œil plissé, la main levée. Il avait attiré l'attention de toute l'assemblée par sa soudaine apparition, et c'est dans un silence paisible qu'il se laissa tomber pour atterrir souplement juste à côté de moi.

Sa main gantée effleura mon épaule et je frémis.

- Kakashi-sensei ! vociféra Naruto en le pointant du doigt. Comment pouvez-vous être en retard pour un jour pare...

Le Ninja Copieur ne l'écouta pas. Sous les yeux de tout le monde, Kakashi s'empara de ma taille de ses deux mains et vint fourrer son nez masqué dans mes cheveux.

- Félicitations, il souffla, avant de poser sa bouche habillée contre mes lèvres.

Je crus un instant que le silence était revenu, ne distinguant uniquement les battements erratiques de mon cœur qui cognait contre mes tempes. Une éternité plus tard, lorsque Kakashi se recula, l'amour était si clair dans son regard que ça me faisait mal à la poitrine. Ses pommettes et le bout de ses oreilles étaient d'un rouge criard, et je compris que ça lui faisait un certain effet à lui aussi, de nous être enfin exposés sous les yeux du monde.

Je me tournai alors mécaniquement, le cœur battant, pour évaluer la réaction de nos compagnons.

Les mâchoires de Lee et Naruto étaient tombées dans la verdure de la pelouse, Shikamaru avait détourné le regard, et Sakura applaudissait joyeusement, enchantée. Temari avait la main posée sur la bouche pour cacher une moue amusée, et Iruka-sensei nous contemplait, choqué, les joues roses. Saï esquissait son drôle de sourire et semblait prendre des notes sur un petit carnet, Asuma-sensei était en train de s'étouffer avec la fumée de sa cigarette, et Ino et Chôji avaient les yeux exorbités.

- C'est quoi ce délire ? s'exclama Naruto qui se remettait avec peine de ses émotions.

- Enfin, enfin ! s'extasiait Sakura, aux anges.

- C'est... C'est la fougue de la jeunesse ! Lee lâchait quelques larmes émues en nous regardant avec de grands yeux émerveillés.

- Peuh ! Dégueu, grogna Shikamaru qui se prit une tape sur la tête de la part de Temari.

- C'est une norme sociale, de s'embrasser sur la bouche ? demanda tranquillement Saï, imperturbable.

- Euh, félicitations, articula gentiment Iruka, qui rougissait toujours.

- Kakashi, t'es un sacré brigand ! Asuma-sensei cracha avec la fumée de sa cigarette, un petit sourire aux lèvres.

- Ils sont trop mignons ! s'écria Ino, l'air admirative.

- Quelqu'un veut des chips ? proposa Chôji.

Je ris un peu, intimidée par la divergence de leurs réactions, mais rassurée de voir que pour l'ensemble, c'était plutôt bien passé. Je sentis la main de Kakashi glisser dans la mienne et il entrelaça ses doigts avec les miens. Je me tournai vers lui pour le regarder.

Il se dégageait de lui quelque chose de rayonnant, de si chaleureux que j'en eu le souffle coupé. Ses yeux étaient plissés si fort que l'on pouvait facilement deviner l'étendue de son sourire sous son masque.

Kakashi avait l'air heureux.

***

C'était une belle soirée d'été.

Les fenêtres de mon salon étaient grandes ouvertes, et même si la nuit était tombée depuis longtemps, le vif éclairage de la rue en contrebas suffisait à illuminer la pièce d'une lumière tamisée. On entendait le brouhaha de la grande avenue d'ici, un fouillis de conversations vives, de rires et de chants. Les grillons s'étaient réveillés et ils accompagnaient cette musique que faisait la nuit d'été à Konoha.

Je fermais les yeux et écoutait attentivement. Je me prenais dans ces moments de méditation très souvent, appréciant contempler cette différence de volume entre le silence ambiant de mon appartement qui résonnait avec les bruits de vie à l'extérieur. Je profitais, parce qu'une petite frayeur demeurait tapie dans le fond de mon estomac, nuit et jour ; celle que mes oreilles se rebouchent aussi vite qu'elles s'étaient dégagées, pour me replonger dans ce silence insoutenable qui m'avait collé à la peau pendant deux ans. En observant mes tympans, Tsunade avait été claire : ma guérison était psychologique. Mes oreilles avaient toujours été fonctionnelles. Un choc émotionnel, un déclic dans le cerveau, et pouf ! j'entendais de nouveau. Et je craignais que le contraire soit tout aussi valable. Mais d'après notre Hokage, c'était peu probable. Et je décidai de la croire.

Quand les gens me demandaient ce qui avait provoqué la réapparition subite de mon sens, je rougissais en bafouillant.

Je ne pouvais décemment pas dire que mon ouïe était revenue pendant que Kakashi et moi faisions l'amour, que ce choc émotionnel tant attendu provenait de l'euphorie de me voir offrir mon corps à l'homme que j'aimais, et que ce dernier avait particulièrement su me faire voir des étoiles.

Non, je ne pouvais définitivement pas dire ça.

Rougissant de mes propres pensées vagabondes, je baissai le regard sur l'homme en question qui n'avait aucunement conscience du cheminement de mes réflexions à cet instant.

Installés dans le canapé, Kakashi avait la tête posée sur mes cuisses alors qu'il lisait tranquillement Icha Icha, tandis que je méditais sur le bruit autour de nous en lui caressant doucement le cuir chevelu. Ses mèches désordonnées étaient douces entre mes doigts, et je me prenais de fascination une fois de plus pour cette belle couleur, d'un gris argenté, presque blanc, si pur.

Nous faisions ça très fréquemment, ces derniers temps. Je me sentais flotter, durant ces moments. Je me sentais si bien. Des soirées silencieuses mais pas trop, parce que le vrai silence, je le connaissais ; il avait hanté ma propre tête.

A présent, tout était à sa place. Dans mon esprit, dans mes oreilles et dans mon cœur.

Les premiers temps après ma guérison n'avaient pas tout à fait été comme ça. J'étais plutôt du genre à demander à Kakashi de parler, tout le temps, assoiffée de sa voix grave qui faisait vriller quelque chose dans le fond de ma poitrine à chaque fois que je l'entendais, tout le temps. Lui qui ne savait pas trop quoi dire, ça l'avait mis mal à l'aise ; alors, il s'était mis à me lire Icha Icha à voix haute. Ce fut mon tour d'être embarrassée. Et puis, en écoutant un peu, je me pris au jeu. Ça faisait drôle d'entendre des mots graveleux sortir de sa bouche, et lorsque le passage devenait explicite, il me lançait toujours ce regard mortellement effronté et ce petit sourire aguicheur, qui disait : « Tu es sûre de vouloir entendre ça ? ».

Je répondais toujours à ses défis. Et généralement, ça se terminait sous la couette, dans une version plus réelle d'Icha Icha.

Et puis, après quelques jours, je me suis plus concentrée sur les détails. Ces petites choses qui comblaient les espaces vides du bruit et des sons, qui y ajoutaient un relief, une profondeur. Des détails si importants, inestimables même, que je n'avais pu saisir lorsque je n'entendais pas.

Comme ces grognements que Kakashi ne pouvait s'empêcher de lâcher dans ma bouche lorsque je me mettais à l'embrasser un peu trop ardemment, ses petits fredonnements entre chacune de ses taquineries, les râles nés du fond de sa poitrine lorsque nous faisions l'amour. Des choses à côté desquelles je serais passée toute ma vie si le silence ne m'avait pas quittée, ces choses de lui qui auraient été définitivement perdues.

Et ensuite, j'avais redécouvert le monde, qui avait repris de ses couleurs avec sa musique. Et le monde s'était à nouveau ouvert à moi. J'étais là, bien ancrée dans le présent. La terre continuait de tourner, et je ne marchais plus en décalé.

Je tournais en même temps qu'elle.

Les voix, les sons, la musique, les bruissements, les clapotis. Toutes ces choses qui animent un monde et qu'on oublie souvent, qu'on ne remarque même plus, parce qu'on a l'impression qu'ils sont immuables. Personne ne se doute de la façon dont ça fait mal, quand ils nous sont arrachés, les bourdonnements de la vie.

Et moi, je ne veux plus jamais passer à côté sans les entendre.

- Tu ne me l'as jamais redit.

- Hmm ?

Kakashi tourna une page. Je me demandais comment il pouvait encore être tellement pris dans ce livre qu'il connaissait pourtant sur le bout des doigts.

Pour attirer son attention, je cessais mes douces administrations dans ses cheveux. Et ça marchait bien ; il leva immédiatement la tête en tendant le cou, cherchant désespérément à faire perdurer le contact.

- Tu ne me l'as jamais redit, répétai-je en attrapant son regard.

- De quoi ?

Sa voix était encore plus traînante que d'habitude, témoignant du bien-être placide dans lequel il baignait doucement, dans ces moments sereins et calmes qu'il partageait avec moi.

Kakashi fouilla un peu les profondeurs de mes yeux avant de comprendre.

- Oh.

Ses joues rosirent il se mit à légèrement gigoter d'inconfort.

- C'est que... J'étais plus à l'aise de te le dire quand tu n'entendais pas, il bredouilla.

Ce n'étaient que des mots, je pensais. Mais c'étaient ces mots qui m'avaient rendu mon ouïe.

J'y tenais plus que tout, et s'il n'était pas encore prêt à ce que je les entende, j'étais pour ma part prête à attendre.

Kakashi cessa brusquement de gesticuler avant de relever la tête et de planter son regard dans le mien.

- Par contre, toi, tu ne me l'as jamais dit tout court.

Ce fut à mon tour de rougir, tandis que la surprise me frappait.

Il avait raison. Je l'avais pensé tellement de fois, si fort, que j'avais oublié que ce n'était jamais sorti de ma bouche.

J'entrouvris mes lèvres en prenant une grande inspiration, mais Kakashi posa un doigt sur ma bouche avant que je ne puisse dire enfin ce que mon cœur et mon corps hurlaient depuis si longtemps.

- Non. Pas comme ça.

Une chose qu'il fallait noter sous les allures maladroites de Kakashi Hatake, c'est qu'il était un grand romantique, quand il le voulait.

Il se leva, passa une main dans ses cheveux comme pour les rendre présentables et lissa les plis de son chandail. Je ris de ses pitreries, avant qu'il ne me tende la main, paume ouverte, le regard brillant.

- Tu danses avec moi ?

Mon cœur sursauta dans ma poitrine, et je glissai timidement ma main dans la sienne, grande et chaleureuse.

Il me tint fort contre lui, et commença à bouger.

- Il n'y a pas de musique, je bégayai, déboussolée.

- On n'en a pas besoin, il murmura, sa voix vibrante contre mon oreille.

Il y a une éternité, nous dansions dans le silence, au milieu d'une foule mutique qui s'était peu à peu évaporée autour de nous. Ce souvenir me revint en tête avec la violence d'une gifle, alors que Kakashi me faisait tournoyer là, au milieu de mon salon silencieux, et je perdis mon souffle.

Il baladait ses mains dans mon dos, posait quelques baisers dans mon cou, me faisait pivoter à bout de bras. Je me mis à rire, de bonheur, de l'amour qui débordait de mon cœur et qui s'installait dans chacune de mes terminaisons nerveuses, comme s'il voulait fleurir tout autour de moi.

Et Kakashi se mit à rire en écho. Un son si clair, si beau, si vrai, sorti des tréfonds de sa poitrine pour se libérer en vibrant gaiement dans l'air, et mon corps entier fut foudroyé par cette mélodie que j'avais tellement, tellement rêvé d'entendre.

Je cessais de me balancer sur mes jambes pour me jeter sur lui et le serrer si fort, si fort contre moi. L'oreille contre son cœur, je l'entendais chanter joyeusement, lui aussi.

- Je t'aime tellement, Kakashi Hatake.

Son corps entier se tendit et sa respiration s'affola, et je reculai légèrement pour plonger dans son regard noir comme la nuit.

Ses joues étaient roses, sa bouche entrouverte, et je fus engloutie par le vertige qui flottait alors dans ses yeux.

Il leva doucement la main et caressa ma joue d'un geste si tendre qu'il fit crépiter quelque chose dans ma poitrine.

Et alors, ses lèvres sourirent. Ces lèvres que j'avais tant regardé pour le comprendre, ces lèvres que moi seule avait le droit de voir, ces lèvres qui avaient tant frôlé les miennes.

- Je t'aime aussi.

Et l'homme aux cheveux argentés m'embrassa comme si le lendemain n'existait pas.

Je le savais, maintenant.

Le silence n'avait eu aucun pouvoir, et il n'en aura plus jamais, avec Kakashi près de moi pour le chasser.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top