CHAPITRE BONUS 2 - Dans la peau de Kakashi II

Pour Kakashi Hatake, l'amour était une maladie.

Sous n'importe quelle forme qu'elle soit, c'était un poison qui s'infiltrait dans les veines pour envahir le cœur, qui venait gangréner chaque cellule sur son passage, qui embrumait l'esprit jusqu'à en devenir fou.

Et surtout, l'amour apportait toujours la tragédie sur son chemin.

Kakashi Hatake n'était pas un homme qui voulait s'abandonner à l'amour. Il n'était de toute façon pas digne d'être aimé. Il préférait en trouver un vague substitut en lisant les livres qui occupaient toujours ses mains, en se disant que des mots peints sur une page ne feraient au moins jamais souffrir personne. Il laissait la vraie romance à ces gens innocents qui n'étaient pas désabusés, qui y voyaient encore quelque chose de beau, d'assez précieux pour se battre, malgré toute la douleur qu'elle apportait.

Kakashi avait trop souffert, parce qu'il avait trop aimé. C'était un plongeon dans un précipice duquel on ne sortait jamais. Ça laissait des traces indélébiles sur la peau et sur l'âme, qui ne cicatrisaient pas. Il avait rejeté ces sentiments qui le rendaient humain pendant longtemps, après qu'il ait tout perdu. Il s'était adouci un peu avec le temps grâce aux pitreries de Gaï, grâce à l'espoir que lui avait insufflé l'équipe de genin dont il était devenu le sensei. Oui, il avait retrouvé espoir. Mais pas pour lui.

Mais lorsque le Ninja Copieur sentit son âme doucement s'incliner pour elle, il fut terrifié.

Non, ce n'était pas possible. Il avait rejeté ça pendant des années, pendant presque une décennie, il avait si longtemps repoussé cette chose dans le cœur qui rendait fébrile sans être proprement malade, qui mettait des œillères devant des yeux qui voyaient pourtant parfaitement.

Et malgré ses efforts pour les étouffer, pour les garder sous silence, pour les tuer de l'intérieur, il les sentait monter envers et contre tout, ces sentiments qui mettaient en branle toutes ses valeurs désabusées.

Kakashi était en train de tomber amoureux d'elle.

Il était amoureux de la façon dont elle regardait ses lèvres pour boire ses mots qu'elle n'entendait plus. Il était amoureux de sa force délicate, qui la poussait à batailler avec courage contre quelque chose de plus grand qu'elle, contre un geôlier silencieux qui scellait sa propre tête. Il était amoureux de la façon dont elle se relevait doucement de ce défi de l'existence, qui l'avait détruite, oui, mais qui la poussait à se reconstruire en quelqu'un de plus fort et merveilleux encore. Chose qu'il n'avait pas réussi pour lui-même.

Il tombait amoureux avec une force telle qu'elle le laissait choqué, hébété. Douloureusement fasciné, par ces choses que cette jeune femme éveillait en lui, et le secouaient dans tous les sens, sans lui laisser la chance de respirer, de retrouver les idées claires. Il était en train de succomber à cette belle magie qui se dégageait d'elle. Il était en train de s'abandonner à cette tristesse lourde qui l'habitait, qui était commune à celle qu'il avait en lui, mais qu'elle avait la force de défier.

Cela réveillait ses vieux cauchemars. Si durement, si violemment qu'il craignait chaque jour que la nuit tombe. Il rêvait qu'il ne transperçait plus le cœur de Rin mais le sien, il rêvait que la déception s'empare de ses traits à la place de cette étrange adoration qu'elle lui adressait toujours, tandis qu'il la tuait de ses mains, de ces mêmes mains qui rêvaient seulement de l'effleurer avec douceur. Qu'il éteignait cette même brillance dans ses yeux qui lui faisait doucement perdre la raison.

Son amour naissant réveillait les démons que le temps avait doucement étouffé, et Kakashi le vécut comme un nouvel enfer. La regarder était presque douloureux, parce qu'il se sentait écartelé entre le feu de son affection qui le poussait à tendre la main vers elle, et cette horreur qui lui tordait les tripes à l'idée qu'il finirait par lui arracher la vie par sa seule force d'aimer.

Et c'était dur, si dur parce qu'elle, elle ne semblait pas vouloir le lâcher. Elle le cherchait sans cesse. Elle souriait chaque fois qu'il baissait son masque, de ce sourire qui foudroyait quelque chose à l'intérieur de lui. Elle ne semblait pas voir l'aura macabre qui avait toujours plané autour de lui. Comme si elle n'avait pas conscience qu'il était loin d'être cet homme fort et stable qu'il lui avait longtemps montré, mais plutôt une âme déchiquetée qui errait péniblement dans les vagues de cette existence un peu trop cruelle.

C'est comme si elle était aveugle à tout cela.

Et puis...

Et puis, elle était son élève. Et même si Kakashi voyait une certaine absurdité dans le fait qu'il soit devenu l'instructeur d'une jeune femme qui n'avait que l'esprit d'équipe pour lui manquer, il n'avait moralement pas le droit de ressentir ça. Le monde shinobi n'était déjà pas vraiment propice au développement d'idylles amoureux, mais il était encore moins tolérant vis-à-vis des affections qui dépassaient la hiérarchie.

Et dans l'espoir de revenir à la raison, Kakashi s'attachait à cette excuse comme à une bouée de sauvetage. Il s'en convainquait à chaque seconde qu'il passait avec elle. Il se flagellait lui-même lorsqu'il se retrouvait mû par des pensées qu'il considérait infectes, en essayant de se convaincre qu'elle était une enfant perdue et non pas une femme belle et douce qui avait le pouvoir de ravager son cœur d'un seul regard.

Il n'avait de toute façon pas le droit de lui donner ce pouvoir. Matraqué par son esprit modelé par la condition shinobi lorsqu'il se retrouvait acculé, Kakashi allait presque penser que ses sentiments pour elle étaient un mal qu'il avait pour devoir d'éradiquer, pour son propre bien-être et la réussite des missions violentes sur lesquelles il était de plus en plus amené à s'exposer.

Le Ninja Copieur essayait tant bien que mal d'oublier que malgré son acharnement, c'était bon, que de l'aimer. Que ça lui donnait l'impression de respirer enfin après une existence entière à retenir son souffle de peur des ravages du feu.


Lorsque Kakashi se retrouvait tiraillé entre l'envie irrépressible de voir si elle allait bien et cette frayeur implacable d'exposer ses sentiments irrationnels, il trouvait généralement la solution en ce petit carlin dénommé Pakkun.

Ce matin-là, lorsqu'il invoqua une fois de plus son Ninken, le Ninja Copieur grimaça en se rendant compte que ça devenait une habitude.

- Yo, patron. C'est encore pour surveiller la fille ?

Kakashi acquiesça.

- Fais attention. Si elle continue à aiguiser sa sensibilité au chakra comme ça, elle va finir par me repérer.

- Je sais.

Pakkun contempla son maître d'un drôle d'air, presque sceptique.

- Tu pues les hormones lorsqu'il s'agit d'elle, patron. Dis-moi, t'as prévu d'en faire ta femelle ?

Kakashi grimaça et se mit à gigoter d'inconfort.

- J'y comprends rien à votre système d'accouplement, moi. Vous êtes si compliqués, vous, les humains...

- Pakkun... menaça le Jônin d'une voix basse et sévère.

Le Ninken baissa la tête, reconnaissant une limite à ne pas franchir dans le ton autoritaire de son maître.

- Désolé, désolé. C'est juste que ça fait si longtemps que je n'ai pas senti une fille intéressante sur toi. Ça te ferait du bien de...

- Pakkun !

Les oreilles du carlin s'abaissèrent. Il était visiblement en train de mettre Kakashi mal à l'aise, et ce n'était absolument pas son but.

- D'accord, d'accord, j'y vais. Mais...

Pakkun lança un petit coup d'œil à son maître bien aimé après un bond en direction de l'appartement de la jeune femme.

- Elle pue les hormones aussi dès qu'il s'agit de toi.

Et le Ninken disparut, laissant un Kakashi bredouille, qui ne savait pas trop quoi faire de cette étrange information.


Tsunade appela le Ninja Copieur dans son bureau un soir pour lui annoncer que suite à ses progrès, elle allait envoyer son élève sur une nouvelle mission.

- Laissez moi l'accompagner.

C'était sorti de la bouche de Kakashi avant même qu'il ne sache que ces mots étaient sur sa langue. Il était lui-même surpris de sa propre détermination à ce sujet.

Et dire qu'il cherchait désespérément à s'éloigner d'elle !

Tsunade croisa ses doigts sous son menton et le dévisagea si intensément que le Jônin aux cheveux argentés en eut des sueurs froides.

- Kakashi, comment communiques tu avec elle ?

Ce dernier demeura silencieux.

- Tu lui montres ton visage, n'est-ce pas ?

Kakashi n'eut d'autre choix que d'acquiescer. Il fut étonné de voir son Hokage sourire doucement.

- Eh bien, si tu es prêt à baisser ton masque devant elle, c'est qu'elle doit compter pour toi.

Pour des raisons médicales, Tsunade avait longtemps été la dernière personne vivante à connaître son visage. Et même s'il n'était pas vraiment proche du Cinquième Hokage, cette dernière semblait savoir ce que cela signifiait pour lui, de se mettre à nu.

- C'est d'accord. Tu pars avec elle. Mais juste...

Elle le transperça d'un regard qui glaça les os du Ninja Copieur.

- Kakashi Hatake, j'espère que tu sais ce que tu fais.

Et en vérité, Kakashi Hatake ne savait pas plus ce qu'il faisait qu'elle.


Cette mission avait été un méli-mélo de situations critiques, tantôt pour lui, tantôt pour elle, tantôt pour eux deux.

Kakashi avait senti son cœur se dérober tout au long du trajet. Elle était terrifiée, épuisée, et pourtant elle avançait comme si les chaînes de son handicap n'étaient pas en trains de traîner à ses chevilles.

Le Ninja Copieur se demandait quand est-ce qu'il cesserait d'être soufflé par cette détermination, cette envie de faire de sa vie quelque chose de mieux. Il se demandait ce qui pouvait bien lui donner une force pareille. Ça relevait presque de la magie, pour lui.

Et puis, il y avait eu l'arrivée des bandits. Ce n'était pas prévu au programme. Kakashi n'était pas concentré.

Voilà ce que ça faisait, l'amour. Ça dirigeait l'esprit vers la personne adorée, ça ne laissait pas le bon sens guider les gestes correctement.

Il avait fini avec une main en lambeaux et la jeune femme dont il était amoureux en train de pleurer de culpabilité.

Si seulement, si seulement elle pouvait savoir à quel point elle était incroyable. Même si la terreur lui avait prit les tripes, elle s'était battue avec véhémence. Ce violent imprévu l'avait bouleversée, bien sûr, mais de la part de quelqu'un qui avait croisé pour la première fois des ennemis pour les combattre sans entendre, c'était plutôt admirable.

Kakashi n'en avait strictement rien à faire de sa main brûlée. S'il devait saigner de partout pour lui rendre son sourire, il le ferait.

S'il devait rendre son dernier souffle pour lui rendre l'ouïe, il le ferait.

Ces certitudes le frappèrent avec la violence d'un poing en pleine figure. Il savait qu'il s'était un peu amouraché, oui, mais...

Oh Dieu, pas à ce point.

Kakashi l'attira contre lui, et fus heureux que son geste soudain calme ses sanglots.

Et pour la première fois, il chuchota au creux de son oreille éteinte à quel point il l'aimait.


Le dire à voix haute était étrange, lorsqu'on savait que la personne concernée n'entendait pas. Ça rendait la chose tout aussi tangible qu'intouchable. Ça donnait à ses sentiments une certaine existence, sans les conséquences qui allaient avec.

Et Kakashi mentirait s'il ne disait pas que ça lui faisait du bien. Un bien fou, d'exprimer ces choses si dures dans la réalité et si douces dans son imaginaire, gardées secrètes contre l'oreille de celle qui n'avait pas le pouvoir de l'entendre, pour son propre bien.

Ça lui permettait de ne pas devenir totalement fou.

Il ne savait pas ce qu'il lui avait pris, à l'emmener danser comme ça. Il n'était lui-même pas très bon danseur. Mais Kakashi l'avait contemplée tandis qu'elle fixait la foule bienheureuse d'un regard torturé, et tout ce qu'il souhaitait, c'était effacer cette peine sur son visage de ses propres mains.

Il avait apprécié ce moment plus que de raison. Pendant un instant, il s'était dit que c'était possible. Que c'était peut-être ça, la vraie vie. Des gens qui dansent les uns contre les autres, contre ceux qu'ils aiment, sur de la musique aussi bien que dans le silence. Kakashi l'avait vu rire, et cette simple vision l'avait conforté dans cet état béat dans lequel il baignait. Il n'était plus shinobi, à cet instant là. Ni un orphelin maudit. Ni un fratricide. Ni un putain de meurtrier.

Il était juste là, avec elle, à la regarder oublier un peu son silence en apprenant à le piétiner en dansant, et la voir évoluer sur la piste tout contre lui avait éveillé un sentiment innommable dans son cœur.

- Je t'aime, Kakashi ne cessait de murmurer dans ses cheveux alors qu'il l'entendait rire contre sa poitrine, et ses propres mots étaient noyés sous la musique, les cris et les chants qu'elle ne pouvait plus percevoir.

Il l'aimait tellement qu'il avait presque failli céder, lorsque dans un mouvement audacieux, elle s'était mise à descendre elle-même son masque devant cette foutue auberge, avec un feu dans ses yeux qui lui avait noué la gorge.

Et puis, il était redescendu sur terre avec une violence douloureuse, lorsqu'il s'était rappelé qu'il ne méritait nullement ce genre de regard lumineux, plein d'adoration, plein de tendresse, plein d'envie.

Elle est sûrement sous l'effet de l'euphorie, s'était-il dit, bouleversé par la dévotion si sincère qu'il voyait sur son visage alors qu'elle le contemplait, avec ce putain de sourire qui faisait sauter son cœur dans sa gorge. Elle ne sait pas ce qu'elle est en train de faire. Elle croit ressentir des choses qui n'existent pas.

"Je n'aurais jamais dû me laisser aller."

Et Kakashi l'avait repoussée. Avait ignoré son visage qui s'était fendu de douleur, en faisant comme si ça ne le détruisait pas de l'intérieur, de lui avoir refusé quelque chose pour lequel il brûlait tant, lui aussi.

Oh, il n'avait tout simplement pas le droit de lui faire ça.

Les jours suivants avaient été durs. Ça avait brisé quelque chose dans sa poitrine, de voir qu'elle n'osait même plus le regarder dans les yeux. Il regretta la douceur de ces dernières semaines, lorsqu'il avait l'impression que la fureur de son amour pour elle pouvait être un peu rassasiée par des contacts inoffensifs, par les sourires pleins de reconnaissance qu'elle lui adressait, par ses murmures amoureux qu'il déballait sans qu'elle ne puisse jamais le comprendre.

Mais Kakashi se disait que c'était sans doute mieux comme ça. Il ne ferait de mal à personne d'autre que lui. Et ça lui allait bien.

Et puis, avoir découvert que la fillette pour laquelle elle avait sacrifié son sens le plus précieux semblait l'avoir remise d'aplomb. C'était bien. C'était juste, que ça se passe comme ça.

Kakashi disparut sur les sentiers de ses missions meurtrières pendant les longues semaines qui suivirent, en bataillant contre cet attachement profond qui malgré la distance, continuait d'enfler dans sa poitrine, envers et contre tout, douloureusement.


Lorsqu'il la découvrit sur son palier quelques mois plus tard, l'air particulièrement agacée avec un Pakkun visiblement ennuyé sous le coude, Kakashi avait eu du mal à cacher sa stupeur.

Bon sang, elle dégageait quelque chose de fort, d'enivrant. Il se sentait perdre la tête rien qu'en posant les yeux sur elle. Le temps passé à l'éviter n'avait pas aidé.

Au contraire. C'était comme replonger subitement dans une addiction après des semaines de sevrage.

Elle avait allégrement défoncé toutes ses barrières à peine reconstruites rien qu'en se présentant ici.

Et il se débattit en l'écorchant de mots cruels.

- J'ai d'autres impératifs. Mon monde ne tourne pas autour de toi.

Si seulement elle pouvait ne pas ainsi prendre tout ce qu'il disait comme vérité pure. Si seulement elle pouvait se rendre compte à quel point il mentait. Ça lui faisait mal, tellement mal de lui dire de telles conneries, qui étaient pourtant ses dernières armes, ses dernières défenses pour qu'elle n'ose plus l'approcher de trop près.

Et malgré ça, elle resta là, à le défier du regard, à essayer de cacher tant bien que mal ses traits tirés par la peine qu'il venait de lui infliger.

Et c'est là qu'il comprit.

Ça lui sauta aux yeux avec la force d'une avalanche qu'il se serait pris sur la tête.

Elle s'était amourachée de lui aussi.

Il comprit que le respect dévoué qu'elle lui avait souvent montré à travers ses yeux se conjuguait toujours avec cette autre chose qu'il n'avait jamais su nommer. Il avait essayé d'ignorer ces regards brillants qu'elle lui lançait souvent quand elle croyait qu'il ne le savait pas, et fait semblant de ne pas remarquer ses rougeurs chaque fois qu'il plongeait son regard dans le sien.

Ça avait toujours été là. Kakashi n'avait juste pas envie de le voir.

Il était anéanti.

Elle ne pouvait pas l'aimer. Qu'est ce qu'elle avait à aimer chez lui ? Il n'était qu'une carcasse vide qui s'efforçait de trouver chaque jour le courage de lever la tête. L'aimer, lui ? Non, non impossible. Il avait pris le geste téméraire de son élève, ce soir-là pendant la mission alors qu'elle avait timidement essayer de l'embrasser, pour une simple ironie du sort. Elle ne pouvait pas l'aimer. C'était à cause de lui, qu'elle vivait un enfer de silence. Il était trop torturé. Trop dangereux. Il n'avait rien à lui offrir si ce n'est du sang et les larmes qu'il avait passé son existence à retenir.

C'est avec ironie qu'il se disait que c'était elle, qui maintenait un soupçon de vie en lui. Qui lui faisait éprouver ces choses qui font se sentir indéniablement vivant. Qui lui apportait de l'espoir pour sa propre rédemption, parce qu'elle était si forte dans son enfer, et il y puisait du courage.

- Vous m'avez sauvée.

Il croisa son regard et y lut tellement d'amour que ça lui en fit mal à la poitrine. Comment c'était possible ? Comment pouvait-elle être convaincue d'une chose pareille ? Il n'y avait pourtant aucune trace d'hésitation dans ses yeux résolus pour le conforter dans ses insécurités. Elle parlait avec une sincérité pure, convaincue que l'homme écorché qui se tenait devant elle était celui qui l'avait aidée à reprendre sa vie en main, alors qu'elle ne devait sa victoire qu'à elle-même. Il se sentait comme un imposteur, à voir tant de reconnaissance et de dévotion dans l'expression qu'elle lui adressait.

Cela fit vibrer quelque chose à l'intérieur de son être, malgré tout. Un certain engouement chaleureux, de se savoir aimé en retour, inconditionnellement, même si c'était totalement irrationnel.

Et dire qu'il voulait juste la protéger, l'aider, au tout début. C'était allé si loin. A peine s'en était-il rendu compte que Kakashi avait déjà été piégé dans les lianes insécables d'un amour profond qui l'échappait lui-même. Et maintenant, il serait encore plus difficile de la repousser alors qu'il avait compris qu'elle l'aimait tout autant.

Il ne savait pas comment gérer tout ça. Il n'en pouvait plus.

Alors, alors juste une fois, il s'autorisa à fermer les yeux et à oublier que son existence rendait toujours tout difficile et douloureux. Juste un instant.

Kakashi l'embrassa pour la première fois et il se sentit perdre pied. A travers les gestes doux qu'il apposait sur son visage tout entier, il voulait lui transmettre toutes ces choses qu'il ne parvenait à dire que dans le creux de ses oreilles qui n'entendaient plus. Lui dire qu'il souhaitait que cet instant ne s'arrête jamais. Qu'il aimerait juste la garder contre lui, en sécurité, et ne plus jamais bouger. Tout serait tellement plus facile, si le monde à l'extérieur de ces murs n'était pas aussi menaçant. S'il n'avait pas été tiraillé par ses choses qui le rendait fade et amer depuis si longtemps.

Kakashi fut honteux du gémissement qu'il lâcha contre sa bouche lorsqu'elle répondit à son baiser. Il fut pour la première fois heureux qu'elle ne l'entende pas. Il avait tellement brûlé pour ça qu'il avait du mal à se contrôler. Mais il ne voulait lui montrer rien d'autre que de la douceur, de la délicatesse, parce qu'elle méritait qu'on honore ce qu'elle était avec tendresse.

Après ce moment d'abandon timide, Kakashi peina à reprendre contenance. Mais la réalité était dure. Et il fallait s'y faire.

Il réussit à la convaincre que ce ne serait plus jamais possible. La façon dont sa lèvre inférieure tremblait tandis que son visage se décomposait tua le Ninja Copieur de l'intérieur. Il savait que si elle avait le malheur d'insister, il n'aurait plus la force de l'écarter.

Mais elle n'osa pas. Elle porta douloureusement le poids de ce qu'il venait de dire sur ses épaules, et disparut dans le noir de la nuit.

Durant la mission de rang S qu'il effectua la semaine suivante, Kakashi ne vit pas vraiment l'intérêt d'éviter le jutsu meurtrier qui le frappa de plein fouet.


Elle était venue à l'hôpital. Kakashi lui en voulait pour ça autant qu'il en était reconnaissant. Il l'avait longuement observée, alors qu'elle se tenait maladroitement contre le mur de sa chambre, ne sachant visiblement pas où se mettre. Ça lui rappela que c'était lui qui vrillait maintenant qu'elle semblait guérir.

Il lui avait honteusement demandé de revenir, parce qu'il n'en pouvait plus.

Et elle était venue.

Kakashi n'avait pas l'esprit clair, et il en avait profité pour s'abandonner à nouveau. Il savait qu'il le regretterait. Mais puisque la fièvre le tenait résolument, il ne se sentait plus la force de lutter contre elle. Il avait la tête qui lui donnait la sensation d'imploser, et la peau douce et fraîche de la jeune femme contre ses paumes le soulagea de son mal avec une intensité qui lui fit perdre le peu de raison qu'il lui restait.

Et cette fois, c'était elle qui l'avait embrassé.

Kakashi lui avait tout dit contre son cou, dans cette liberté que son silence lui offrait. Et il s'était noyé contre ses lèvres, la laissant le modeler comme elle l'entendait. Il en avait tellement besoin. Il l'aimait tellement, ce côté insolent et téméraire qui se faisait de plus en plus appuyé dans la personnalité de la jeune femme. Il avait été amusé de la façon possessive dont elle s'était mise à vouloir posséder son visage, mais ne s'était pas attendu à ce que son toucher devienne si bouillonnant et éperdu alors qu'il brûlait déjà bien assez.

Et même s'il mourrait d'envie de la laisser passer ses mains sur son corps tout entier, la crainte viscérale qui tenait toujours le Ninja Copieur passa à travers sa propre fièvre, et de peur qu'il ne puisse plus se contrôler, il avait dût la repousser encore une fois.

Ça l'avait encore plus esquinté que la fois précédente. Parfois, il se demandait comment il avait réussi à se façonner une telle inexpressivité, pour que même avec son visage dénudé elle ne décèle pas la force avec laquelle il avait besoin d'elle, comment sa propre présence pouvait autant le séduire aveuglément et lui faire tellement mal en même temps.


Kakashi l'avait croisée dans la rue par inadvertance, quelques semaines plus tard. Elle était accompagnée du petit Nara. Et il était clair que ce jeune avait un coup de cœur pour elle. Et même si ça paraissait juste, normal, évident, le Ninja Copieur avait senti pour la première fois la bile aigre de la jalousie lui monter dans la gorge.

Mais il était impuissant. Oui, c'était mieux qu'elle fréquente quelqu'un qui n'avait pas un bagage de la taille d'un cimetière. Qui se rapprochait plus de son âge. Qui ne risquait pas de la blesser par sa propre présence.

Mais cela avait causé une douleur sans nom dans sa poitrine. Kakashi la voulait pour lui. Ce sentiment violemment possessif était injuste, tellement injuste, mais le Ninja Copieur ne put s'empêcher de lancer un regard menaçant à Shikamaru qui avait cligné des yeux de surprise en décelant la tempête d'avertissement dans le regard du Jônin aux cheveux argentés.

Merde. Ce gosse était intelligent. Il avait compris.

Il fallait qu'il arrête ça. Qu'il s'éloigne, encore, encore.


La commémoration de la fin de la Troisième Grande Guerre Ninja avait toujours été un jour difficile pour Kakashi Hatake. Ou plutôt, un jour insurmontable.

Il avait toujours plus de mal à accepter qu'il avait survécu à ces gens dont les noms étaient à présent inscrits dans la pierre et qui valaient mieux que lui. Il ne comprenait pas ce qu'il fichait encore ici. C'est presque s'il aimait  se meurtrir l'âme lui-même avec les cendres de sa culpabilité, pour se prouver à lui-même toujours plus fort qu'il ne méritait pas d'avoir survécu.

Cette année là fut la plus difficile de toute. La pluie l'avait rongé et il avait aimé ça. Il aurait souhaité qu'elle l'emporte. Que son âme tombe en morceau et s'écoule dans les courants sinueux qui glissaient sur les brins d'herbe qu'il piétinait.

Kakashi était perdu. Alors qu'il pensait que les années l'avaient aidé à guérir doucement, il se retrouvait plus bas qu'il ne l'avait jamais été. Parce qu'il se refusait de ressentir ces choses qui aurait pu le faire vibrer. Il saccageait son être tout entier, à peine en train de cicatriser, en renonçant à toutes ces choses qu'il ne se sentait pas le mérite d'effleurer.

Il se laissa tomber dans la pénombre de ses cauchemars éveillés, alors qu'il était debout depuis un temps infini devant cette stèle. Ça faisait du bien, de rester caché dans sa noirceur. C'était douloureusement réconfortant. Il était convaincu que c'était sa place, son refuge. S'éteindre alors qu'on respire encore, quel sentiment grisant.

Et comme si le monde lui-même lui hurlait d'arrêter ça, il l'avait fait venir.

Elle, qui avait doucement entrelacé ses doigts aux siens pour l'arracher des mains froides et sales de sa propre horreur. Il entendait vaguement sa voix basse et douce à travers les torrents de la pluie. Il sentait un peu la chaleur de ses paumes contre les siennes, de ces mains qui essayaient de le secouer alors qu'il s'était soudainement retrouvé au milieu d'un appartement qui n'était pas le sien. Elle semblait le supplier. Et il avait envie d'aller vers elle.

Kakashi lui montra alors tout ce qu'il y avait de plus obscur chez lui. Il lui montra le sang qu'il avait sur les mains, indélébile, qui ne partait pas alors qu'il avait passé sa vie à essayer de les laver. Et puis, lorsqu'il s'était rendu compte que c'était bien elle, juste là, qui l'appelait, il avait ressenti le besoin de l'effrayer une dernière fois. De lui montrer comme il était furieux, désespéré, amer. Dangereux.

Et elle avait supporté son baiser rude sans broncher. Il ne comprenait pas, il ne comprendrait jamais pourquoi il n'avait pas vu de la terreur briller dans ses yeux. Pourquoi, pourquoi elle le regardait comme ça, avec un sourire tendre, comme si elle l'aimait toujours après ce qu'il venait de lui montrer ?

Et puis, elle lui dit. Elle lui dit qu'il était son sauveur, qu'il était formidable, qu'elle ne penserait jamais autrement. Et enfin, Kakashi laissa tomber ses dernières défenses et décida de la croire. Il comprit qu'il n'avait plus la force de la repousser. Qu'il était épuisé, de combattre ce cœur qui battait trop fort, qui voulait le maintenir en vie encore longtemps juste pour elle.

Il se sentit flotter pour la première fois depuis toute une vie lorsqu'il la serra fort contre lui dans l'obscurité de sa chambre. Quel sentiment étrange, que de se sentir si bien après avoir traversé son propre enfer. Il lui promit dans le creux de son oreille éteinte qu'il ferait de son mieux. Qu'il l'aimait tellement, parce que si elle était convaincue qu'il l'avait sauvée, Kakashi voulait plutôt lui affirmer que c'était elle qui était en train de le soigner, de déposer délicatement un baume cicatrisant sur toutes les plaies qu'il avait dans l'âme. De le réveiller doucement de sa torpeur, de lui avoir montré pour la première fois que peut-être, peut-être qu'il avait le droit de l'aimer.

Il la sentit s'endormir délicatement dans ses bras alors qu'il lui disait tout, et Kakashi sentit son cœur gonfler. Elle était si fragile et forte à la fois. La vie l'avait aussi descendue, et pourtant elle y croyait toujours.

Elle croyait en lui.

Oui, il voulait que sa vie ne soit composée que de moments doux comme celui-ci. Peut-être qu'il ne le méritait pas. Peut-être qu'il n'avait pas le droit de s'autoriser ça. Mais il n'avait plus la force de lutter. Il voulait se laisser ensevelir par la douce détermination qu'elle incarnait, par toute la tendresse qu'il voulait enfin lui montrer. Qu'elle méritait.

Le sommeil ne fut jamais aussi clément que cette nuit-là.


___________


Bonjour, bonsoir.

J'espère que ce second chapitre bonus vous a plu autant que le premier. Ca m'a touchée en plein cœur de voir que tant de personnes étaient encore là après tout ce temps ! Vraiment, merci infiniment.

Je continue de croire que ces chapitres n'apportent pas grand chose de plus... Enfin, je comprends pourquoi je ne les ai pas publiés il y a deux ans. J'espère que ça vous convient quand même.

On se voit dans quelques jours pour la troisième et dernière partie du point de vue de Kakashi !

Emweirdoy

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