CHAPITRE BONUS 1 - Dans la peau de Kakashi I

Kakashi Hatake a été surnommé de nombreuses façons dans sa vie.

Le fils prodigue du Croc Blanc de Konoha. Le fratricide. Surtout, et le plus souvent, le Ninja Copieur.

Il a pris des vies et a pris les noms que les survivants lui ont donnés. Parfois, c'était un héros, d'autres fois un monstre, mais la plupart du temps, c'était un ennemi.

Sa réputation était plus grande que lui, et le moyen le plus simple de l'oublier, c'était de prétendre qu'elle n'existait pas. Ainsi, il était le sensei paresseux de quelques enfants indisciplinés qu'il avait vu grandir, le mystérieux homme aux cheveux argentés qui se promenait parfois au marché, le shinobi qui prenait des bains de soleil sur les toits du village en lisant des livres douteux, la silhouette sombre qui se tenait devant la stèle des héros aux premières heures du matin.

Il était tout cela à la fois et rien de tout cela, une litanie d'identités qu'il avait collectées et organisées au fil des ans et qu'il offrait à ceux qui le croisaient. Et il détestait voir l'adoration dans les yeux de ces derniers, lorsqu'il passait devant eux, lorsqu'il ne faisait absolument rien pour valoir une once du respect qu'on lui vouait.

Parce que ce dont il était sûr, c'est qu'il était un échec ambulant. Il n'y avait qu'à voir la tête de son équipe à présent.

Ses élèves lui avaient été volés par les trois grands ninjas de la légende, et même s'il aurait dû être fier de les voir sous la tutelle de ces illustres shinobis, il ne pouvait s'empêcher de considérer cela comme une défaite personnelle. Bien sûr, Naruto et Sakura lui étaient revenus, mais ce n'était plus pareil. Ce n'était plus lui qui tenait par la main ces enfants devenus adolescents, c'étaient eux qui l'embarquaient sur leur radeau. Une sensation étrange, que de se voir dépassé par les gamins qu'il avait cru éduquer. Ce n'était pas plus mal. Même pas trente ans, et il avait l'impression d'avoir fait son temps. Il était si fatigué. Place à la relève.


Kakashi avait été particulièrement surpris lorsque Tsunade avait évoqué son ambition de lui refiler un nouvel élève. Un peu désabusé, aussi. Il n'avait même pas réussi à rendre la raison à Sasuke et l'avait laissé déserter. Qu'est ce que le cinquième Hokage attendait encore de lui ?

Il avait pris la fiche d'identité que Tsunade lui proposait et l'avait parcourue dans les grandes lignes.

Une jeune femme. Orpheline. La vingtaine. Chûnin. Ninja sensoriel.

Un peu pris de court, Kakashi étudia ensuite ses statistiques.

- Elle a un niveau Jônin, il commenta en haussant un sourcil.

- C'est son esprit d'équipe qui pose un problème.

Kakashi tiqua. Il sentait le traquenard. Et la façon dont Tsunade l'observait de ses yeux perçants le confortait dans cette idée.

- Elle se jette à corps perdu dans ses missions comme si elle cherchait à se faire tuer. Elle est seule depuis trop longtemps. Elle ne comprend pas que servir le village ne veut pas forcément dire se sacrifier.

- Où est ce que vous voulez en venir ?

- Elle a un comportement similaire à celui que tu avais dans l'Anbu, Kakashi.

- Je ne vois pas ce que je peux faire pour elle.

Et il était sincère. Il comprenait le comportement de cette fille, mais comment lui venir en aide si lui-même ne savait pas ce qu'il foutait encore sur cette vieille Terre ?

- Elle intègre l'unité Kakashi, et elle commence demain, déclara le cinquième Hokage d'un ton sans appel.

Le Ninja Copieur savait que polémiquer ou même soupirer d'exaspération n'avait aucune utilité lorsqu'on se trouvait devant quelqu'un comme Tsunade Senju.

Eh bien, il se retrouvait avec une nouvelle élève, visiblement.


Une chose à laquelle Kakashi ne s'était pas attendue, c'était le comportement hostile de Sakura et Naruto envers leur nouvelle coéquipière. Il n'aurait jamais imaginé que ces deux-là feraient une projection sur elle de Sasuke ; et surtout, il n'était absolument pas habitué à une telle froideur de la part de ces deux êtres habituellement plein de vie.

Les présentations avaient été... plus qu'étranges.

- Mon nom... Eh bien, je me doute qu'on vous l'a déjà dit, avait dit platement la nouvelle venue lorsque Kakashi lui avait demandé de se présenter. Pour les loisirs, je dirai que j'aime bien lire. Je n'aime pas le silence. Et des rêves... C'est un grand mot. Je ne suis pas sûre d'avoir la prétention d'en avoir.

Elle ne semblait pas mal à l'aise, mais pas franchement enthousiaste d'être là non plus. On aurait dit qu'elle subissait un peu la situation, et son ton était détaché, comme si ce qu'elle disait elle-même lui importait peu.

Elle se fichait éperdument de ce que pensaient ses nouveaux coéquipiers. Kakashi le voyait bien, dans son langage corporel. Ça lui avait sauté aux yeux ; il avait à peu près le même. Ce n'était pas de l'arrogance – même si ça y ressemblait - mais un désintérêt profond, terne, presque triste.

Les premiers entraînements avaient été fastidieux. Pas sur le plan technique ; oh ça non, la nouvelle était douée. Ses sens étaient prodigieux et elle savait visiblement se servir de ses oreilles, un avantage certain pour appréhender la plupart des situations, même les plus désespérées.

Non, le problème était que le monde entier semblait lui glisser dessus, comme si elle était totalement imperméable à ce qui pouvait se passer au-delà de la bulle invisible qui semblait la tenir prisonnière. Il y avait une certaine froideur en elle, que Kakashi connaissait bien, et ça le remuait un peu de voir qu'une solitude similaire à la sienne habitait le corps de cette jeune fille.

Naruto et Sakura n'aidaient pas. Derrière son livre à la couverture orange, le Ninja Copieur ne passait pas à côté des regards furieux du jeune Uzumaki, qui avait du mal à avaler la présence de ce nouvel élément qui lui était parasite, et Sakura, qui au contraire peinait à la regarder dans les yeux, de peur de croiser ce vide qui habitait ces deux pupilles solitaires.


Un soir, alors que ses deux élèves bien aimés l'avaient innocemment invité à l'Ichiraku dans l'espoir de voir ce qui se passait sous son masque en passant, Kakashi avait tenté de calmer un peu le jeu.

- Vous pourriez faire un effort, vous deux, il leur avait dit d'un ton réprobateur.

- Mais, sensei, elle ne fait pas partie de l'équipe ! Elle a pas le droit de remplacer Sasuke ! Naruto rétorqua un serrant deux poings furieux.

Le Ninja Copieur décela la douleur sourde qui dansait dans le fond des yeux bleus du blond. Le pire de tout, c'est qu'il le comprenait.

- Et puis, elle donne pas vraiment du sien non plus, elle, renchérit Sakura en gonflant sa joue.

- Elle n'est pas là pour remplacer Sasuke, que cela soit bien clair, commença Kakashi en les regardant dans les yeux tour à tour avec sévérité. Cette fille n'a jamais intégré une équipe avant, elle ne sait pas ce que c'est. Elle est seule, et l'a toujours été. On est là pour l'aider. Je compte sur vous.

Le Jônin appuya son regard sur Naruto qui baissa instantanément les yeux, un peu honteux. S'il y avait quelqu'un qui comprenait la solitude, c'était bien le blond. Ce dernier était parvenu à colmater la brèche dans son cœur avec un peu d'aide, mais tout le monde n'avait pas ni cette chance ni cette volonté.

Kakashi lui-même avait été amputé des deux pendant longtemps.


Avoir un peu remonté les bretelles de Naruto et Sakura semblait avoir eu son petit effet par la suite.

Le Jônin commençait à déceler une certaine harmonie dans cette nouvelle équipe. La nouvelle venue semblait s'être un peu adoucie. Il se disait que c'était l'effet Naruto & Sakura – lorsqu'ils étaient dans leur état normal et non asservis par leur amertume. Ces gosses avaient eu le même pouvoir sur lui-même. Celui... Celui de savoir arrondir les angles, de polir les reliefs un peu trop saillants de l'âme, pour rendre les piquants un peu moins douloureux.

Quelques semaines ainsi, et Kakashi sentit l'espoir doucement revenir vers lui. Un espoir un peu ténu, mais qui lui promettait néanmoins que cette sorte de deuxième chance en tant que sensei n'était pas vaine. On était encore loin de son idylle d'équipe soudée par le fer dans une symbiose inébranlable, mais voir la jeune fille se faire une place ici, pas à pas avec eux, observer ses traits s'adoucir parfois devant les pitreries des deux autres et quelques esquisses de sourire naissant sur ses lèvres représentait beaucoup pour Kakashi. Tsunade avait peut-être raison. Peut-être... peut-être qu'il avait encore sa chance, peut-être qu'il avait encore une petite pierre à apporter pour façonner un monde où ces jeunes ne connaitraient plus jamais l'enfer qu'il a vécu.

Le Ninja Copieur avait mis tout son cœur à essayer d'intégrer la nouvelle à son équipe, pour tenter d'effacer les vestiges de l'affliction qui trainait si souvent sur le visage de la jeune femme, qui ressemblait tellement à celle qu'il portait en lui. Il ne savait pas trop d'où lui venait ce besoin d'être protecteur, de s'investir autant pour sa deuxième chance ; il avait toujours pris son travail avec sérieux mais ce n'est que récemment qu'il se mettait à vraiment faire ça avec le cœur. Il craignait tellement que les choses se reproduisent. Il avait appris de la défection de Sasuke, et il s'était juré que plus jamais, jamais il ne laisserait les choses se reproduire.

Plus jamais on ne lui arracherait les maigres lueurs d'espoir qu'il parvenait encore à tenir au fond de lui. Il avait envie de voir ses espérances grandir. S'épanouir enfin, avant qu'elles ne meurent toutes dans l'œuf. Peut-être que cette fois-ci... Peut-être qu'on le laisserait enfin réussir.


Persuadé d'être un être maudit, Kakashi Hatake se demandait souvent si son âme ne dégageait pas des miasmes odieux qui attiraient délibérément les gens vers leur tombeau. Il se disait qu'il le méritait sûrement. Il avait tué tant de personnes. Des ennemis, pour la plupart, mais qu'il avait tout de même arraché à un probable entourage, une certaine famille, un potentiel amour. Il avait assassiné ses amis. Il s'était lui-même troué le cœur, à cause de son arrogance, sa stupidité, son mépris.

Son existence même n'avait pas été une raison assez valable pour maintenir son père en vie.

Et chaque fois qu'il s'autorisait à espérer un peu, juste un peu, Kakashi Hatake voyait son maigre optimisme se faire allégrement démembrer.

Oui, il en était sûr. Il était maudit.

Et la façon dont cette mission s'était terminée n'a fait que le lui confirmer une fois de plus.

Il n'avait pas su la retenir. Il avait compris à l'instant où Naruto s'était mis à beugler le nom de la jeune fille.

Une gamine recroquevillée, une bombe s'apprêtant à lui exploser à la figure, et elle, elle qui était en train de courir droit vers sa perte, en balayant toutes les nouvelles aspirations ridicules de Kakashi en l'espace de quelques secondes. Le Ninja Copieur s'est senti une fois de plus mortellement impuissant, inutile, remis à sa place de spectateur dans ce grand schéma morbide qui aimait décidément le pousser à regarder les gens se crucifier à sa place.

Et puis, l'explosion.

Kakashi fut soufflé en même temps que tout ce qui se trouvait autour de lui. Il sentit son cœur se fendiller, non pas à cause de la déflagration - ça il s'en fichait éperdument - mais parce qu'il était peu probable que sa nouvelle élève ait survécu. Il se voyait déjà, dans quelques instants, à essayer de retrouver les morceaux calcinés d'un corps si jeune, qu'il viendrait remettre à Tsunade sans oser regarder le dégoût dans ses yeux sévères.

Putain, il s'était déjà doucement attaché à cette fille. Il le comprit lorsque le choc de sa chute lui fit moins mal que ce poids innommable qui avait frappé sa poitrine à l'idée d'avoir un nouveau décès sur la conscience.

Au milieu de la fumée dense de l'explosion qui lui bouchait la trachée, il peina à reprendre ses repères. Il n'avait pas franchement envie de se relever. Mais il pensa à Naruto et Sakura. Avant de se morfondre proprement, il fallait d'abord qu'il ramène ces deux-là à la maison.

Et puis, Kakashi entendit.

Il entendit ces sanglots enfantins au milieu de la brume épaisse et irrespirable. Il entendit les reniflements d'une enfant, et il savait pertinemment qu'il n'y avait qu'une seule gamine dans les alentours de ce village sacrifié où tous les habitants avaient été évacués.

Kakashi courut à toute jambes, le cœur battant, en suivant avidement les pleurs, un point de repère dans les nuages noirs de la culpabilité qui avaient déjà commencé à encercler sa poitrine. Si cette gamine avait manifestement survécu, alors, alors ça voudrait dire... Peut-être que...

Dans la fumée qui s'était un peu dispersée, le Ninja Copieur tomba alors sur la fillette, agenouillée devant un corps inerte et ensanglanté, qui pleurait à chaudes larmes.

- Elle... Elle est morte ! A cause de moi ! hoquetait l'enfant.

Le cœur de Kakashi semblait être monté jusque dans sa gorge, jusqu'au bord de ses lèvres. Avec une prudence presque craintive, il s'agenouilla à côté de la petite fille avant de poser une main sur le poignet calciné de la silhouette immobile.

Il crut un instant qu'il n'y avait rien. Ses paumes tremblaient tellement qu'il ne sentit tout d'abord pas la petite pulsation qui battait faiblement contre le bout de ses doigts.

Et puis, ça le frappa avec la violence d'un poing en pleine figure.

Vivante ! Elle était vivante !

- SAKURA ! hurla Kakashi de toutes ses forces, et la jeune fille aux cheveux roses vint à leur rencontre l'instant d'après, indemne, flanquée de Naruto, qui semblait intact lui aussi.

Sakura comprit immédiatement. Elle passa ses mains sur le corps brûlé avec une rapidité méticuleuse, précise, et évalua la situation en un claquement de doigts.

Son regard émeraude rencontra celui de son sensei et ce dernier ne put passer à côté de l'affolement pourtant bien caché dans les grands yeux de Sakura.

- Il faut vite la ramener à Tsunade. Il y a... Il y a peut-être une chance.

Kakashi réagit au quart de tour. Ses ordres fusèrent, calmes et froids, à la hauteur du commandant aguerri qu'il avait souvent été. Sakura s'occuperait de ramener la gamine auprès de ses proches, Naruto sécuriserait le terrain et lui-même accourrait à Konoha pour ramener la blessée au Cinquième Hokage le plus vite possible.

Malgré sa précipitation, Kakashi s'empara du corps calciné avec une douceur qui le surpris lui-même. Le visage de la jeune femme, bien que tapissé de filets de sang, n'avait pas été brûlé. Il la bloqua fermement contre sa poitrine et c'est là qu'il perçut les faibles remous de son chakra qui dansait encore sous sa peau écorchée.

Il y avait encore une chance.

Il s'élança sur les hauteurs des arbres, priant pour qu'il n'arrive pas trop tard.


Par chance, Tsunade était en service à l'hôpital lorsque Kakashi était arrivé, essoufflé et transpirant, le corps inerte de son élève dans ses bras. L'Hokage n'avait pas perdu une seconde, n'avait posé aucune question. Le Jônin aux cheveux argentés ne pouvait qu'admirer le calme sans pareil avec lequel Tsunade avait pris la situation en main, la détermination brillant profondément dans ses yeux sévères aux couleurs chaudes.

Voilà des heures qu'il patientait dans le couloir, devant les soins intensifs, à tourner en rond comme un lion en cage. Shizune lui avait doucement proposé de rentrer chez lui, disant qu'il était inutile qu'il perde son temps à se ronger les sangs ici alors que cela risquait de durer encore un moment.

Kakashi l'avait envoyé balader.

Naruto et Sakura étaient arrivés peu de temps après. La mission avait été un succès mais un goût amer de défaite reposait dans la bouche de ces trois ninjas qui se demandaient si là avait été la première mais aussi la dernière mission en la compagnie de cette fille étrange qu'ils avaient appris à apprécier.

Les soins durèrent des heures et des heures, jusqu'à ce que la nuit passe. Naruto et Sakura étaient repartis chez eux, ne supportant plus le poids de l'attente ni l'étrange humeur massacrante de leur sensei qui demeurait muré dans un silence sombre sans lâcher des yeux la porte derrière laquelle la vie de son élève était en train de se jouer.

Il ne s'accrochait plus qu'à ça. A ce petit espoir qu'il n'ait pas encore tout foutu en l'air, que peut-être sa malédiction n'avait pas encore pris l'existence de cette jeune femme qui n'avait rien demandé.

Lorsque Tsunade apparut dans l'encadrement de la porte quelques longues heures plus tard, elle fut réellement surprise de voir que Kakashi était encore là, tandis que ce dernier se précipitait sur elle pour savoir s'il avait gâché sa deuxième chance ou non.

- Elle est stable, avait répondu le médecin fatigué. Hors de danger.

Le soulagement s'abattit instantanément sur les épaules du Ninja Copieur qui avait misé tellement de choses dans la teneur de ces simples mots.

- Tu peux rentrer chez toi, Kakashi. Il faut s'en remettre aux mains du temps, maintenant.

Kakashi ne rentra pas chez lui.


Le jour où il l'entendit hurler, l'esprit du Ninja Copieur passa du soulagement de la savoir éveillée à l'inquiétude en un millième de seconde.

- J'vous entend pas ! J'entends rien !

Il percevait les craquelures dans sa voix éraillée, alors même qu'il se trouvait à l'autre bout du couloir.

La poitrine de Kakashi se comprima, en entendant la terreur dans ces cris qui s'apparentaient à de la souffrance brute. Il chercha à comprendre ce qu'il pouvait bien se passer, mais une horde de médecins lui bloqua le passage, le reléguant encore une fois à la place de simple auditeur dans le tourbillon de douleur palpable d'autrui.

Comment ça, elle n'entendait plus ?

Il était si tendu que la main douce que Sakura posa sur son épaule faillit le faire déjanter. Il n'avait même pas remarqué que ses deux élèves étaient soudainement arrivés à ses côtés.

Lorsque Tsunade sortit de la chambre de la blessée, après que les cris aient soudainement cessés, Kakashi ne put passer à côté de la fatigue perplexe qui avait prit possession de son visage sévère.

Avant que lui et ses élèves ne l'assaillent de questions, le Cinquième Hokage invita Kakashi à la suivre d'un geste sec.

Et lorsqu'ils furent entre les murs sécurisants de son bureau d'hôpital, elle lui expliqua.

Elle lui expliqua par des mots froids et ternes, épuisés, que son élève était devenue sourde à cause de lui.

- C'est psychologique. J'ai fait des examens. Son système auditif est intact. Je pense que c'est dû à un probable choc à la tête. J'ai cru que c'était un simple traumatisme crânien, mais les séquelles ont l'air plus lourdes que ça en avait l'air...

Il l'écouta en silence, anéanti.

- Tu sais, tu n'es pas le seul à t'inquiéter pour elle.

Kakashi avait noté le ton soudainement clément de sa supérieure, qui le tira doucement de sa propre torture qu'il était en train de s'infliger. Il leva les yeux vers un regard étrangement délicat que lui offrait Tsunade, imprégné d'une douceur qu'il ne lui avait que rarement vu.

- Je suis contente que tu aies trouvé la motivation de t'investir pour elle. Je t'en remercie, même. Mais je t'en prie... Ne te flagelle pas pour quelque chose qui n'est pas de ta responsabilité. Elle va s'en sortir.

Kakashi acquiesça, doucement. L'aigreur de sa culpabilité formait encore une boule immonde dans sa gorge, mais les mots de la princesse du village eurent un effet anesthésiant.

Et surtout, il décela un certain sentiment dans les yeux dorés de Tsunade, qui ressemblait presque... presque à une affection maternelle, lorsqu'elle parlait de cette jeune fille qui venait de perdre la capacité d'entendre. Cette révélation lui fit comprendre qu'elle ne lui avait pas seulement confié une jeune kunoichi parmi tant d'autres, mais une chûnin solitaire et perdue qu'elle considérait comme sa propre fille.

Kakashi fut troublé. Un malaise profond pointa au fond de lui, en réalisant qu'il n'avait pas su protéger la jeune fille à qui elle semblait tenir profondément, mais aussi qu'il ne s'était jamais rendu compte à quel point le Hokage lui faisait confiance.

- Alors, je compte pour toi de ne pas te morfondre, et ne pas la laisser tomber.

Et Kakashi espérait avoir le pouvoir de tenir cette promesse.


Une terrible vérité tomba sur la tête de Kakashi le jour où lui et ses deux autres élèves purent enfin rendre visite au quatrième membre de leur équipe.

Il ne pouvait pas lui parler. Il ne pourrait plus jamais lui parler.

Comment l'aider, s'il ne pouvait même pas lui adresser quelques mots réconfortants ?

Il envisagea rapidement plusieurs solutions, qui apparurent simultanément dans son esprit clair et habile. Ecrire ? Non, trop fastidieux. Apprendre le langage des signes ? Il n'était pas sûr que l'état actuel de son élève en convalescence soit propice à ce genre d'apprentissage.

Terrassé par son impuissance, il ne pouvait que la regarder.

Observer son visage livide, alors que Naruto et Sakura essayaient de lui faire la conversation, sans comprendre qu'ils étaient simplement en train de la museler en la mettant au pied du mur. Il voyait comme ses pupilles paniquées se dirigeaient sur leurs lèvres qui bougeaient trop vite, comme son regard s'éteignait lorsqu'elle finissait par abandonner, désarmée, et que les bras du silence dans laquelle elle était plongée l'amenait dans son propre monde où elle se retrouvait plus seule que jamais.

Et puis, elle avait coulé un regard implorant sur lui. Et ses yeux s'étaient agrandis, lorsqu'elle s'était rendue compte comme lui qu'elle ne serait plus capable de communiquer avec son propre sensei.

Il y avait un mur, infranchissable, impénétrable, façonné par la seule présence du bout de tissu qu'il avait toujours porté sur son visage. Son expression si pâle hurlait au secours, suppliait qu'on la sorte de là, et lui, une fois de plus, ne pouvait rien faire.

Alors il espérait que ses simples gestes pourraient apporter leur part de réconfort. Kakashi savait que ça ne suffisait pas, mais il voyait son regard s'éclairer un peu lorsqu'il faisait trainer sa main dans ses cheveux quand venait les ébouriffer gentiment, en essayant de lui transmettre tout le courage du monde par l'intermédiaire du bout de ses doigts. Le chagrin qu'elle dégageait le faisait suffoquer, et il se demandait pourquoi le ciel se tournait toujours vers ceux qui se sentaient infiniment seuls, pour les enfoncer toujours plus dans les brumes de l'isolement. Comme si leur solitude initiale ne suffisait pas.

Elle était cruelle, cette façon dont le sort s'acharnait. A croire qu'il n'y aurait jamais de porte de sortie.

Mais si Kakashi était en paix avec le fait de ne jamais trouver sa rédemption, il voulait l'offrir à cette jeune femme en qui il la voyait.

Et c'est ainsi qu'il décida de briser l'unique barrage qui se tenait entre elle et lui.

Le choix n'avait pas été difficile, finalement. Il se demanda même pourquoi il ne l'avait pas fait d'office.

Il avait ses raisons pour maintenir son visage loin du reste du monde, mais il décida qu'elles étaient bien bénignes comparée à la détresse de cette élève qui commençait à éveiller des sentiments surprotecteurs en lui, dont il ne comprenait pas forcément la force avec laquelle ils le tenaillaient.

Mais c'était là. Et elle avait besoin d'aide. Et même s'il se sentait bien trop pathétique pour pouvoir espérer la secourir en quoi que ce soit, il se disait qu'il ne pouvait pas se permettre de ne pas essayer.


Le jour où il entra seul dans sa chambre d'hôpital d'un pas déterminé, il fut à nouveau frappé par le désespoir béant qui se dégageait d'elle. C'est presque si le silence dans lequel elle habitait formait une sorte de brouillard autour d'elle, qui la maintenait loin des autres plus que jamais.

Cela conforta Kakashi dans sa décision. Il voulait la ramener sur terre, avec eux.

Avec lui.

Il décela facilement le désarroi qui l'habitait tandis qu'elle le regardait entrer, très vite remplacée par une terreur qui donna envie à Kakashi de la serrer dans ses bras.

Il réalisa que ses pensées digressaient étrangement et préféra s'asseoir sur la chaise qu'il avait tirée pour regarder ses traits se décomposer sous ses yeux.

Et lorsqu'elle se mit à gigoter d'inconfort, à le supplier du regard de cesser la torture, il décida qu'il était temps.

Kakashi leva la main et lorsque le bout de ses doigts vint se poser sur les bords de ce masque qui l'avait toujours maintenu à l'abri, il vit de part les rougeurs qui tapissaient ses joues qu'elle avait compris.

Et au lieu de le scruter intensément comme il avait cru qu'elle ferait, elle détourna le regard, l'air atrocement embarrassée. Lorsque Kakashi comprit que ce n'était pas moins qu'un signe de respect envers sa pudeur, il eut envie d'hurler.

Il ne méritait le respect de personne, et encore moins le sien.

La première fois qu'elle posa ses yeux sur ses lèvres fit se répandre un sentiment innommable dans le fond de sa poitrine, qu'il s'efforça d'étouffer.

C'était si étrange. Presque exaltant, de voir qu'elle le comprenait enfin, juste parce qu'il avait mis sa bouche à découvert. Elle le scrutait en rougissant, son regard tombait sur ses lèvres à chaque fois qu'il prenait la parole, et ça le fascinait plus que de raison.

Il était impressionné de voir qu'elle avait si vite appris à lire sur les lèvres. D'entendre sa voix qu'elle semblait garder toujours basse, presque inaudible, comme si elle avait peur de crier par inadvertance.

Kakashi était fier, parce que malgré sa peine immense, elle avait l'air d'avoir envie de se battre. Contre ce silence qui la maintenait loin de ce monde dans lequel elle avait à peine appris à entrer.


Elle l'avait presque supplié de venir la voir. Mais il n'était jamais revenu.

Kakashi bataillait avec cette impression étrange qui l'avait enseveli après qu'elle ait posé ses yeux sur son visage pour la première fois. Il avait aimé la façon dont elle l'avait regardé, presque avec dévotion. Mais il avait pris peur, une peur étrange, tapie au fond de lui et qui lui enserrait l'estomac, qu'il ne savait pas vraiment identifier.

Il ne voulait pas qu'elle s'accroche à son visage comme à une bouée de sauvetage. Pas parce qu'il rechignait à descendre son masque devant elle... Non, ça, il l'avait fait avec une facilité qui l'avait lui-même surpris.

Il ne voulait simplement pas lui faire croire qu'il avait le pouvoir de la sauver. Il était bien trop pathétique pour ça.

Kakashi Hatake voulait désespérément l'aider. Mais pour ça, il fallait qu'il agisse avec parcimonie. Ne pas trop s'approcher.

Parce que ça tournait toujours à la catastrophe, lorsqu'on s'approchait trop de lui.

Alors, il venait la voir avec une fréquence qui défiait toute logique. Juste pour s'assurer qu'elle allait bien, quand assez de jours étaient passés pour qu'il se remette de la façon dont elle le regardait chaque fois qu'il laissait son masque tomber.

Et elle n'allait pas bien. Son visage était toujours marqué par la peur, la terreur éclairait ses yeux en permanence. Les seules fois où la torture qui semblait habiter sa propre tête lui donnait un moment de sursis, c'était...

Eh bien, quand elle posait les yeux sur lui. Et ça le bouleversait plus que de raison.


Un jour, il lui avait prit la main au détour d'une rue.

Elle était bloquée. Bloquée par la foule mutique, qui lui donnait sûrement l'impression de l'avaler, de l'étouffer. Sans avoir perdu l'ouïe, Kakashi était assez familier avec ce sentiment.

Il suffoquait toujours, lorsqu'il était au milieu d'une foule.

Le Ninja Copieur pensait que l'avoir prise par la main était un geste somme toute innocent. Il n'avait pas trouvé d'autre moyen de la guider sur le coup, et il avait peur, si peur qu'elle se désintègre de détresse face à ce mur qu'elle ne pouvait pas franchir.

Et puis, sa main s'était facilement glissée dans la sienne, et elle le tenait fort, comme s'il n'y avait plus que lui pour la maintenir dans la réalité. Et... Il avait aimé ce sentiment.

Il avait aimé qu'elle s'accroche à lui, qu'elle cherche toujours ses lèvres du regard, qu'elle semble trouver une paix éphémère lorsqu'elle déchiffrait ce qu'il disait.

Et il prenait peur. Et il disparaissait à nouveau.

Ça lui faisait ça à chaque fois. Lorsqu'il l'avait retrouvée sous la pluie, à écorcher des arbres de colère parce que Tsunade avait décidé qu'elle ne pourrait plus exercer. Elle lui rappela ses propres réactions. Un monstre qu'il tenait en lui et qui lui faisait perdre le sens de la réalité parfois. Ce monstre était en train de s'acharner sur elle. Et il ne le supportait pas.

Il voulait lui donner de l'air. Il voulait l'aider à respirer, haïssant l'idée qu'elle ait les mêmes racines de douleur dans ses poumons qui l'empêchaient de laisser l'air entrer. Lorsqu'il était loin du Pays du Feu, au cœur d'une mission qui ne lui donnait pas le temps de penser à elle, il s'inquiétait. Viscéralement. Il espérait que les vagues conseils qu'il réussissait à lâcher lui donnaient de quoi réfléchir, juste pour qu'elle se concentre sur autre chose que sa souffrance. Il espérait que Iruka s'occupait bien d'elle. Il espérait que Naruto et Sakura ne la laissaient pas tomber.

Kakashi se surprenait à sentir son cœur sursauter chaque fois qu'elle fixait ses lèvres avec dévouement. A attendre impatiemment de la revoir, de constater par lui-même les progrès qu'elle faisait. Parce qu'ils étaient prodigieux. Elle pleurait, se relevait et se battait. Et même si c'était infiniment dur, infiniment insupportable, elle finissait toujours par se secouer, à chercher, encore et toujours, quelque chose qui pourrait à nouveau l'ancrer dans la réalité.

Et le Ninja Copieur était incroyablement admiratif. Il n'était pas sûr que lui-même aurait pu supporter une telle chose, à sa place. Cette jeune femme était incroyable. D'apparence chétive par son handicap, elle envoyait petit à petit allégrement valser tout ce qui la maintenait emprisonnée. Elle avait maitrisé la lecture des signatures de chakra en moins de deux. Elle se faisait des amis. Elle nourrissait ses rêves fous, elle s'autorisait à espérer. Et malgré les désillusions, la peur, l'abandon, elle se tenait encore debout.

Et Kakashi, lui, cela faisait si longtemps qu'il était à genoux. Qu'il rechignait à se relever, parce que c'est plus long de recoller les morceaux que de s'effondrer. C'est presque bon, de s'effondrer, et d'attendre qu'un jour la douleur passe. Au bout d'un moment, on s'habitue doucement à ce qu'elle ne disparaisse jamais, et on apprend à vivre en suffoquant.

Mais elle, elle n'avait plus envie de suffoquer.

Et un jour, Kakashi l'avait vu sourire. Il l'avait entendu rire.

Et ça avait répandu une nuée de frissons chaleureux sur son échine, lorsqu'il l'avait vu hurler d'hilarité alors que Rock Lee, Naruto et Sakura la poursuivaient sur les toits dans leur frénésie combative. Ils n'avaient pas le droit de faire ça. Et pourtant, Kakashi avait hésité à les arrêter.

Il voulait l'entendre rire encore un peu plus longtemps.


Il y avait un nouveau monstre qui habitait Kakashi Hatake lorsqu'il la regardait. Mais un monstre doux, presque agréable, qui lui donnait chaud lorsqu'elle baissait son regard sur ses lèvres, lorsqu'elle lui souriait paisiblement. Qui le poussait à vouloir la toucher, la serrer contre lui, à avoir envie de lui murmurer des mots doux dans le creux de ses oreilles éteintes. Il aimait cette sensation de sa poitrine qui se serrait, non plus de peine ou de culpabilité, mais d'adoration envers ce bout de femme et ses réactions si franches, qui était en train de lentement lui prouver que rien n'était jamais perdu.

Il n'était en fait plus vraiment question d'une promesse qu'il s'efforçait de tenir. Ni d'un soi-disant devoir de protection que lui imposait son rôle de sensei.

Oh merde. Ça n'allait pas du tout.

Kakashi était en train de tomber doucement amoureux.


__________


Surpris ? Moi aussi.

Comment dire... Déjà bonjour ?

Après près de deux ans d'absence sur la plateforme, j'ai doucement voulu me remettre à écrire. Je suis en train de plancher sur une nouvelle histoire, et en quête d'inspiration ainsi que de réconfort dans ce que j'avais déjà pu faire, je me suis mise à relire Silence dans son intégrité, pour repérer mes erreurs, les choses que j'avais bien faites, mes maladresses...

Et quelle ne fut pas ma surprise en voyant qu'à la toute fin de mon document texte se trouvait une longue partie sur le point de vue de Kakashi que j'avais écrite à l'époque et que j'avais complètement oubliée depuis.

Je ne l'ai sûrement pas publiée il y a deux ans parce que je trouvais que ça faisait trop "listing", de décrire de façon condensée l'histoire du point de vue de notre Ninja Copieur préféré. Mais en fin de compte, je me suis dit que la publier quand même vous ferait peut-être plaisir après tout ce temps.

Avec le recul de ces années qui sont passées, j'ai eu envie de tout réécrire ; mais j'ai préféré vous publier le truc tel quel, dans son jus de l'époque, juste en corrigeant les petites fautes d'orthographe par-ci par-là.

J'espère que ça vous a plu. La partie du point de vue de Kakashi contient encore deux chapitres, qui sortiront dans les prochains temps en fonction de vos retours.

Désolée également pour cette longue absence et de ce retour inopiné ! Je suis en train de revenir doucement en espérant que mes prochaines histoires vous plairont tout autant que celle-ci a semblé être appréciée, même si avec le recul je n'écrirai plus jamais ce genre de trucs maintenant. Silence a un peu vieilli, que ce soit dans la façon dont je l'ai écrite ou même des propos que je tiens dedans sur lesquels je ne suis plus d'accord aujourd'hui, deux ans plus tard.

Et pourtant, même entre ce laps de temps, des gens ont continué de la lire (et même de la relire !), de voter et de commenter envers et contre tout. Je ne vous remercierai jamais assez pour ça, et j'espère que ce shot de nostalgie avec la sortie de ce chapitre bonus vous fera plaisir, autant à ceux qui ont suivi cette histoire depuis ses débuts qu'à ceux qui la découvrent aujourd'hui.

Merci encore de tout cœur, et à très bientôt !

Emweirdoy

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top