Chapitre 7
Il n'y avait qu'une seule question qui flottait dans ma tête, et qui n'avait jamais eu autant de sens qu'à cet instant là.
Pourquoi vous cachez ça ?
Bien sûr, je me gardai bien de la poser. Je peinai déjà bien trop à fermer ma bouche formant un gros "O" de stupeur pour oser prononcer ces quelques mots.
Je savais très bien que la façon dont je le déshabillai du regard n'était absolument pas correcte. Mais je ne pouvais m'en empêcher, c'était plus fort que moi.
Il n'y avait aucune affreuse cicatrice qui le défigurait, aucun détail compromettant qui justifiait la présence d'un bout de tissu pour le cacher. Il y avait bien sûr la balafre de son œil gauche qui dépassait de son bandeau et fendait légèrement sa joue, mais il n'y avait là rien de gênant. C'était même, à mon sens, le détail qui achevait le chef-d'œuvre.
Je compris alors qu'il devait se cacher le visage en permanence pour tenir à distance la gente féminine qui sinon, serait à ses trousses du matin au soir. Oui, ça devait être ça. Ça ne pouvait pas être autre chose.
Tandis que je lavai des yeux ce visage qui aurait pu convaincre un homme qu'il y avait des chances pour qu'il soit attiré par le même sexe que lui, une autre question fusa dans mon esprit.
Je ne devrais pas avoir la chance de voir une chose pareille.
- Pourquoi... Pourquoi vous faites ça?
Et pour la première fois de ma vie, je vis réellement un sourire étirer les lèvres fines de cet homme qui n'avait jusque là sourit uniquement par les yeux. Cette vision presque irréelle me donna l'impression de recevoir un poing dans l'estomac.
Sa bouche finit par s'ouvrir et je pus le comprendre pour la première fois depuis que je baignais dans les profondeurs du silence.
"Parce qu'il faut bien que je vienne enfin te rendre visite pour quelque chose."
J'étais complètement éberluée. Lui n'avait pas cessé de me fixer de cette pupille sombre durant tout le temps de ma contemplation et semblait s'amuser de mes réactions. Quel genre d'aberration était donc cet homme?
- Mais vous... Mais je suis en train de vous voir, articulai-je difficilement.
"Oui, je sais", répondit-il en un sourire plus grand qui laissait voir une rangée de dents droites et blanches.
J'eus envie de me gifler pour la futilité de mes mots qui sortaient de ma bouche. Mais j'avais l'impression que mon cerveau marchait au ralenti.
- Et... Ça ne vous dérange pas?
Je m'étais lancée dans l'analyse détaillée de son nez fin et droit, mais je fus stoppée dans ma lancée lorsqu'il secoua la tête négativement.
"Si ça m'avait dérangé, tu ne serais pas en train de me regarder comme ça."
Je sentis le feu me monter aux joues instantanément, et je détournai le regard avec difficulté. Mais il fut de nouveau attiré par ces traits fins qui se fendirent en un nouveau sourire, et je devinai alors qu'il riait.
Je ne n'avais jamais vraiment entendu mon sensei rire, je crois. A cet instant, je me mis à imaginer quel son cela pouvait-il bien avoir.
Je finis par émerger de ma rêverie lorsqu'un nouveau mouvement de ses lèvres capta mon attention.
"Je voulais te demander si tu allais bien."
Cette question éclata la bulle de tranquillité placide dont la découverte de son visage m'avait enveloppée et la panique revint toquer violemment à la porte de mon esprit.
Kakashi-sensei sembla le remarquer puisque son regard rieur devint plus sérieux, plus tendu.
- Je... Je sais pas, en fait, bégayai-je, subitement désarmée.
On ne m'avait pas vraiment demandé si j'allais bien depuis mon réveil. On me demandait si j'avais mal, si j'avais bien mangé, si je ne me sentais pas trop seule, ce genre de choses. Mais on ne m'avait jamais explicitement demandé comment j'allais, comme si dans l'inconscient général, on était tous convaincu que non, ça allait pas, et qu'on avait de ce fait pas besoin de demander. On cherchait à me faire rire, à me rassurer, à me détourner de ce mal-être qui me consumait depuis mon réveil à cause de ce silence omniprésent qui me brûlait à petit feu, comme si aller mal allait de soi. De ce fait, je n'avais aucune idée de comment j'allais, et le fait qu'on me pose la question pour la première fois me donna la nausée.
Comme pour m'exorciser de cette panique brûlante, Kakashi-sensei tendit le bras et posa sa main sur le haut de mon crâne pour m'ébouriffer lentement les cheveux. C'est lorsque je sentis mon âme s'apaiser instantanément que je réalisai à quel point j'aimais ce geste qui semblait signifier quelque chose que je ne comprenais pas.
Je levai les yeux vers ce visage découvert qui m'offrait un sourire renversant et je ne lui rendis qu'une pâle imitation.
L'argenté finit par se lever paresseusement et je tentai de réprimer une nouvelle angoisse qui vint me percuter: celle de voir partir la seule personne qui avait réussi à m'apaiser de la sorte.
"J'étais venu te faire un sermon pour avoir désobéi à ma règle fondamentale, normalement", lu-je en passant sur ses lèvres et je sentis mon cœur se froisser à l'idée de l'avoir déçu.
Ne pas prendre de décision seul. Penser à ses compagnons. Ne pas les abandonner.
J'avais bafoué les règles capitales de Kakashi-sensei en l'espace d'un instant où j'avais décidément choisi d'être stupide, et ça ne m'avait même pas effleurée jusqu'à maintenant. Quelle idiote!
"Mais je pense que je n'ai pas besoin d'en rajouter. La vie t'a déjà assez punie comme ça."
Je le vis avec horreur s'emparer de son masque et commencer à le remonter sur son nez. Par un réflexe désespéré, je levai le bras et lui attrapai le poignet pour l'en empêcher.
Ce qui me perturba le plus fut le regard paisible qu'il me lança, nullement surpris, comme s'il s'y attendait. Il se contenta de faire danser dans son œil noir une lueur inquisitrice sans jamais se dégager de ma poigne.
- Dites... Est ce que vous reviendrez me voir?
Ça, par contre, il ne semblait pas s'y attendre au vu de son sourcil argenté qui se fronça aussitôt ma phrase achevée. De mon côté, j'eus envie de me gifler. Qu'est ce qu'il me prenait, bon sang?
Mais il me rassura en m'offrant un dernier sourire fabuleux avant que je ne lise sur ses lèvres:
"Bien sûr. Je ne vais pas abandonner mon élève au milieu du silence. Ça, je ne le permettrai pas."
Je lâchai son poignet comme s'il m'avait brûlé. Et effectivement, je sentis mon cœur se réchauffer.
- Merci, Kakashi-sensei.
Il avait déjà remis son masque en place lorsqu'il leva nonchalamment une main pour me signifier qu'une telle gratitude n'avait pas lieu d'être. Moi, j'étais convaincue que si.
C'est lorsque la porte se referma sur sa silhouette que la morosité s'effondra sur moi comme si elle ne m'avait jamais quittée.
***
- Des conditions de sortie?
J'y croyais pas. Je me demandai même si j'avais bien lu sur ses lèvres.
Un mois que je pourrissais dans le silence morbide de l'hôpital, et en plus de ça, je m'évadais sous conditions. Cette malédiction était sans fin.
Je vis Tsunade soupirer devant ma mine scandalisée.
"Oui, des conditions de sortie. Et tu as intérêt à t'y tenir, sinon tu auras affaire à moi."
Je capitulai. J'avais déjà été témoin de la force magistrale de sa disciple aux cheveux roses; je n'avais aucune envie de réaliser l'étendue de celle de son mentor. Dépitée, je fis comprendre à Tsunade que j'étais prête à comprendre l'énoncé de son verdict.
"Bien. Tout d'abord, tu as interdiction formelle, je dis bien FORMELLE de te surmener ou de fournir de gros efforts. De ce fait, hors de question de retourner sur n'importe quel terrain d'entraînement pendant les deux prochaines semaines."
Oh mon Dieu. Qu'est ce que je vais bien pouvoir faire de ces deux semaines? L'ennui infini qui m'avait accompagné durant mon séjour à l'hôpital ne semblait pas vouloir me lâcher les basques.
"Tu risques d'avoir quelques vertiges, des nausées ou même des pertes de connaissances; c'est à cause de ton choc à la tête. Si c'est trop fréquent, tu te débrouilles pour m'en informer au plus vite. De toute façon, il faut que tu passes au moins deux fois par semaine à l'hôpital pour voir comment ta santé évolue."
J'acquiesçai, désabusée.
Tsunade se pencha un peu plus au dessus de son bureau, de manière à enfoncer profondément son regard sévère dans le mien. Je déglutis nerveusement.
"J'ai besoin que tu me fasses part du moindre problème, de la moindre évolution notable, du moindre détail qui te semble important de me signaler. Tu vas retourner à l'extérieur, c'est à dire au milieu du bruit que tu ne peux plus entendre, et ça peut-être psychologiquement éprouvant. Fais en sorte d'être entourée le plus souvent possible, et ne te mure pas derrière ta solitude si tu es dépassée. Si tu as besoin d'aide, dis-le, et nous devons être parfaitement au clair là dessus. Je ne pense pas avoir besoin de te rappeler que tu as failli y passer. Ne prends pas ta sortie à la légère."
J'acquiesçai derechef, en tentant de me fourrer ses avertissements profondément dans le crâne. Mais j'étais bien trop excitée à l'idée de retrouver les ruelles de mon village bien aimé pour enregistrer toute la teneur de ses mises en garde pour l'instant.
"Tu veux que je demande à Lee de t'accompagner jusqu'à chez toi? Je sais qu'il se porterait volontaire sans hés..."
- Non merci, je vais me débrouiller, coupai-je en me balançant d'une jambe à l'autre.
Tsunade soupira, vaincue par mon bouillonnement apparent. Elle signa mon attestation de sortie d'un geste de sec avant de me le tendre, et je l'attrapai vivement.
"Fais attention à toi", lus-je en passant sur ses lèvres avant de me précipiter aux portes de l'hôpital.
***
Je dus mettre une de mes mains en visière sur mon front pour lever la tête vers le ciel, tant le soleil m'agressait les yeux. La légère brise ambiante me fit l'effet d'une douce caresse sur ma peau, et j'en frissonnai de délectation.
Comme l'extérieur m'avait manqué.
Il n'y avait pas grand monde devant l'hôpital et j'en profitai pour sautiller de joie, arrachant quelques regards étonnés d'une poignée de personnes au passage.
Je m'en fichai éperdument. J'étais enfin libre. Enchaînée par quelque obligations, certes, mais libre de respirer l'air extérieur, de redécouvrir les ruelles sinueuses du village qui m'avait vu naître, de manger ce que je voulais et de dormir de tout mon saoul sans qu'un médecin quelconque ne vienne me rappeler continuellement que j'étais malade et que j'avais un problème de surdité qu'ils ne parviendraient probablement jamais à soigner.
J'étais libre d'oublier un tant soit peu que la vie m'avait arrachée ma capacité d'entendre le monde autour de moi. Alors je voulais le redécouvrir par le seul pouvoir de mes yeux.
J'avais l'impression de réaliser pour la première fois que le ciel était bleu, qu'il existait un animal doté d'ailes qui peuplait les cieux, que l'herbe en cette saison était presque douce et que les arbres n'avaient jamais été aussi verts. Que passer le bout de mes doigts sur la craie des maisons me faisait frissonner de dégoût, que les shinobis du village étaient tous habillés pareil et que cinq immenses visages avaient été taillés sur le versant de la colline qui abritait tout ce petit monde qui était le mien.
Le village caché de la feuille n'avait jamais été si beau à mes yeux, à ces mêmes yeux qui avaient vus le scintillement d'une explosion sur le point de déferler et qui avaient cru ne jamais rien voir d'autre que la mort arriver.
J'avais survécu et j'avais la chance de me trouver là, à observer mes origines dans le détail le plus futile qui rendait pourtant mon village si prestigieux. J'avais survécu et je restai un shinobi moi aussi, un fervent protecteur de cet endroit qui n'avait jamais cessé de me fasciner alors même que j'y étais née.
Je remplaçais comme je le pouvais de l'absence cuisante de bruit autour de moi par l'émerveillement que m'insufflait la vision de ces détails silencieux. Je surpris tout de même la tristesse me lacérer sans aucune pitié lorsque je passai devant un arbre sans entendre le bruissement de ses feuilles, lorsque qu'un oiseau s'envola sur mon passage sans que je ne perçoive son piaillement, lorsque je sautai au dessus du cours d'eau du parc sans en entendre l'écume.
Mon enthousiasme vola finalement en mille morceaux lorsque j'atterris au cœur de la ruelle la plus peuplée de Konoha et que je n'en perçus pas un murmure.
Des centaines de silhouettes déambulaient tout autour de moi, en évitant soigneusement ma carcasse paralysée d'effroi, en continuant de mouvoir leurs lèvres en chœur sans savoir que je n'en comprenais pas une miette, en ne se doutant pas une seconde que leurs innombrables présences ne procuraient même pas un écho à mes oreilles et qu'un silence atroce enveloppait chacune de leurs personnes. Un groupe d'enfants me bouscula et leurs rires cristallins résonnèrent uniquement dans mon imagination, un chien m'aboya dessus silencieusement et je ne parvins même pas à capter les plates excuses sur les lèvres de son maître qui tentait de le tirer loin de moi. Un marchand me héla, haussa les sourcils en découvrant mon expression mortifiée et je ne pus que l'imaginer me demander si tout allait bien. Je me mis à courir, sans entendre le martèlement de mes pas apeurés sur le sol, ni les grognements agacés des gens que je bousculais, encore moins mes gémissements effrayés chaque fois que je croisai un visage avec la bouche grande ouverte pour parler.
Je sentais mon cœur battre à toute allure au fond de ma poitrine et je me mis à craindre qu'il ne lâche sous l'effet de cette panique effroyable dont je ne voyais pas le bout. J'étais noyée au milieu du bruit qui n'existait plus que dans ma tête et je vagabondais dans un monde infernal où le silence était l'unique roi et où ses sujets avaient été déchus de leur don de parole. J'avais l'impression que plus jamais je ne sortirai la tête de l'eau qui assourdissait mon univers entier.
Sans que je ne mesure le temps que j'avais passé à fuir chaque être de chair ou de pierre qui me hurlait silencieusement que je n'appartenais plus à la même réalité qu'eux, je me retrouvai devant la porte de mon propre chez-moi, où ma tête vrilla dangereusement au point que je finisse par rendre mon dernier repas insipide de l'hôpital, à genoux sur mon palier.
Ruisselante de sueur et de larmes, avec l'impression de suffoquer tant le fait même de respirer semblait me lacérer de l'intérieur, je parvins au bout d'un quart d'heure à tourner la poignée de ma porte et à m'engouffrer dans le cocon familier de mon appartement.
Habité par un silence creux et sans vie, lui aussi.
Je me laissai glisser contre la paroi de ma porte refermée, dévastée au plus profond de moi.
Je pris ma tête dans mes mains tremblantes et je priai le ciel pour que tout ceci soit le fruit du plus vicieux des cauchemars.
Les larmes de détresse qui coulèrent de mes yeux toute la nuit suivante me prouvèrent que je ne m'en réveillerai jamais.
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