Chapitre 33
Peu après mon expulsion de l'équipe, j'appris que Sakura et Naruto s'étaient vu attribuer un nouveau coéquipier ainsi qu'un commandant qui remplacerait Kakashi durant ses nombreuses absences.
« Il est flippant parfois, Yamato-taicho, mais ça va encore, alors que Saï... »
Naruto eut l'air d'être traversé par une nuée de frissons dégoutés.
« Un vrai mufle, » ajouta Sakura en grimaçant.
- Eh, les gars... Soyez gentils, j'intervins, amusée. Être nouveau dans une équipe toute faite, c'est pas toujours facile...
Et j'en savais quelque chose.
« C'est un mec de la Racine » dit le blond en gonflant sa joue, l'air exaspéré. « Il est encore plus imbuvable que toi au début. »
« Non, non, ça n'a rien à voir, » Sakura semblait enfin avoir retrouvé la voix de la raison. « Il est dix mille fois pire. »
J'éclatai de rire en décidant de lâcher le morceau. J'espérais que ce fameux Saï avait le ventre bien accroché, avec ces deux-là.
Il trônait une atmosphère joviale à l'Ichiraku. On sentait un courant d'air chaud traverser les rideaux de l'échoppe malgré la nuit qui était tombée depuis un moment, et on pouvait voir l'été arriver rien que dans la façon dont le vent sec frappait la peau lorsqu'on se promenait le soir dans les ruelles de Konoha. Ces belles soirées étaient annonciatrices d'une vague de clientèle, et Teuchi et Ayame distribuaient des sourires ravis derrière le comptoir en conséquence.
Perdue dans un moment d'errance où j'appréciai l'agitation silencieuse tout autour de moi, les lumières vives qui ornaient le petit restaurant, les gigotements incessants de Naruto ainsi que l'odeur alléchante du bol de ramen posé juste devant moi, je sentis des doigts effleurer doucement ma main qui était posée sur ma cuisse, sous le comptoir, me tirant délicatement de ma rêverie.
La main inconnue vint caresser tendrement le dos de la mienne, avant de glisser dans ma paume et de croiser ses doigts avec les miens. Je rougis à ce contact qui m'était si intime en public, et maudis cette tendance à ne pas savoir garder contenance dès que sa peau entrait en contact avec la mienne.
Assis à ma gauche, Kakashi plissait tranquillement des yeux. Je saurais facilement dessiner sur son masque le sourire tranquille qu'il arborait en dessous, et je lui lançai ce qui aurait pu s'apparenter à un regard noir si mon cœur ne battait pas tant d'adoration.
Il faisait ça tout le temps.
Des doigts qui s'effleurent sous une table, les mains qui se nouent dans la pénombre d'une ruelle noire de monde, les caresses volées en ramassant un Icha Icha mystérieusement tombé, en tenant une porte, des baisers murmurés du bout des lèvres lorsque tout le monde avait le dos tourné. Kakashi aimait me titiller en public, faire exploser mon cœur au coin d'une rue, passer distraitement une main sur moi juste derrière la porte du bureau du Hokage. C'était devenu aussi insoutenable qu'incroyable de le croiser dans une allée ou de passer du temps avec lui hors des murs rassurants de mon appartement ou du sien.
Et lorsqu'il avait accepté de manger un bout avec nous à l'Ichiraku plus tôt dans la soirée pour fêter notre présence simultanée au village qui se faisait rare ces derniers temps, je savais qu'il sauterait sur l'occasion pour poursuivre son manège enjôleur et tester ses prodigieuses capacités de discrétion.
Parce même s'il jouait clairement avec le feu, personne ne semblait jamais remarquer son insolence.
C'est qu'il était fort ; son air innocemment nonchalant ne le trahissait jamais. Il fallait vraiment être particulièrement observateur, ou approcher son visage de très près pour voir que quelque chose brûlait férocement dans le fond de son œil noir.
Moi, pour ma part, j'étais spécialement nulle à ce jeu.
« Hé, t'es toute rouge ! Tu es malade ? » les orbes bleus de Naruto étaient posés sur mon visage et il m'observait avec une telle inquiétude qu'il avait subitement cessé de se goinfrer.
- Juste fatiguée par cette chaleur, était la réponse que je bafouillais la plupart du temps lorsqu'on me faisait remarquer que j'avais le teint d'une tomate bien mûre.
Et c'est généralement à ce moment-là que Sakura me lançait un regard étincelant qui disait « Moi, je sais ce qu'il se passe ! »
Vraiment, c'était fatiguant. Et en même temps, c'était si... exaltant.
Lorsque Naruto termina son huitième bol, nous décidâmes qu'il était temps de clore cette soirée. Mes deux anciens coéquipiers harcelèrent le Ninja Copieur pour payer la tournée, qu'il réussit à décliner par un tour de passe-passe ingénieux. Il glissa néanmoins quelques ryos discrètement dans ma poche pour que je puisse régler ma note – il était le roi des radins aux yeux de tout le monde, mais j'étais l'exception, et ça me gênait autant que ça me faisait sourire.
Après quelques pas digestifs ensemble dans les ruelles animées de Konoha, nous nous séparâmes un à un. Lorsque ce fut au tour de Kakashi de se détacher du groupe, il leva une simple main en guise de salut, mais je croisai son regard soucieux.
« Est-ce que ça va aller ? » demandaient ses yeux.
Et j'acquiesçai d'un discret hochement de tête assuré.
Parce que bientôt, je me retrouvais seule devant l'avenue marchande de Konoha, où les festivités battaient son plein à cette heure, où les lampions éclairaient doucement la nuit et les gens qui pullulaient en dessous.
Ces soirées estivales étaient si belles, et c'était quelque chose que je n'avais plus jamais réalisé ces deux dernières années. Que j'avais occulté, maudis même, parce que cela impliquait des gens qui riaient en silence, des gamins qui gloussaient dans le vide, un brouhaha général qui aurait dû se trouver là et qui pourtant n'existait pas pour moi.
La joie mutique me terrifiait, m'était monstrueuse lorsque je n'avais pas su y assembler les brumes opaques qui flottaient dans ma propre tête, en me faisant confondre un rêve hors du temps avec cauchemar silencieux.
Mais maintenant... Maintenant, je pouvais le faire.
Un pas, puis deux, et je m'élançais dans foule qui m'avait tant paralysée autrefois. Elle m'engloutit, m'étouffa, et pourtant je respirais bien à l'intérieur avalant ces bouffées de joie que dégageait chacun des êtres que je croisais, m'extasiant devant cette multitude de signatures de chakra qui modelait une boule d'énergie humaine en plein cœur de ce village que j'aimais tant, enivrante fabuleuse, magique. Les bruits, les battements, les chants, les rires, je les entendais dans ma tête, je les faisais vivre en passant à l'intérieur, et bientôt, j'arrivai dans cette intersection plus sombre et plus calme qui signifiait que c'était fini, que j'avais passé l'épreuve la plus dure, que j'y arrivais seule désormais et que le silence qui enveloppait ne me faisait maintenant plus reculer.
Je me sentais guérie, capable de vivre avec ça pour le reste de ma vie. Et même si ne plus entendre les voix claironnantes de mes amis, le timbre grave, lent et vibrant de l'homme que j'aimais ouvrait toujours plus une blessure qui ne cicatriserait jamais, je savais que l'hémorragie s'était définitivement arrêtée.
En passant la porte de mon appartement un peu essoufflée, je n'étais pas surprise de voir que Kakashi était déjà là, confortablement affalé dans le canapé dans une tenue décontractée. Son regard était inquisiteur sur moi alors je l'enlevais rapidement mes chaussures.
« Alors ? »
J'eus un sourire gêné.
- Ça va... Ça s'est bien passé.
Il s'était rapidement levé et en une demi-seconde, je me retrouvais au creux de ses bras dans une étreinte affectueuse. Il m'embrassa doucement le bout du nez et je ris de ses pitreries.
« Je suis fier de toi » je finis par lire sur ses lèvres pleines.
J'haussai les épaules.
J'étais gênée de faire tout un évènement à propos d'une simple traversée dans une rue bondée en période estivale. Cela avait été une épreuve monstrueuse durant ces deux dernières années où je m'étais acharnée pour enfin passer ce cap ; mais quand on y réfléchissait, ce n'était... Eh bien, pas grand-chose.
Et pourtant, Kakashi célébrait cette étape franchie avec plus d'enthousiasme que moi-même.
C'est qu'il avait toujours été au premier rang pour m'aider et me soutenir dans ma quête du silence.
Et comme pour ponctuer cette pensée, il leva le bras et m'ébouriffa tendrement les cheveux, comme il le faisait si souvent lorsque j'étais encore son élève. Ça me fit un drôle d'effet, et je demeurais un instant interdite tandis que le Ninja Copieur se dirigeait vers la cuisine pour se servir un verre d'eau.
C'était toujours une vision extraordinaire de voir Kakashi évoluer à son aise dans mon appartement comme s'il avait toujours habité ici. Il se déplaçait avec cette souplesse caractéristique du ninja d'élite, ouvrait mes placards d'une main habile pour prendre toujours exactement ce qu'il cherchait, manipulait mes ustensiles, les interrupteurs et appareils comme si c'étaient les siens. Il faisait pleinement partie du décor silencieux dans lequel j'avais toujours vécu à présent, et le réaliser au bout de la centième fois faisait toujours joyeusement sursauter mon cœur.
Il attrapa mon regard alors qu'il portait le verre à ses lèvres et haussa un sourcil argenté.
« Qu'est-ce qu'il y a ? »
- Je suis contente que tu sois là, je dis simplement avec un sourire comblé.
Il me rendit mon sourire mais je vis dans ses yeux qu'il n'avait pas tout à fait compris le cheminement qui m'avait poussée à louer sa présence de façon aussi inopinée.
« On aurait pu leur dire, ce soir. »
Je tombai à nouveau dans son regard dépareillé avant de vivement secouer la tête.
- Pas avant que je devienne Jônin.
C'était une phrase que j'avais souvent dite, ces derniers temps. Et comme toujours, Kakashi haussa distraitement les épaules avant de finir son verre.
« Je sais... Je disais juste que c'était une belle occasion. On est rarement tous au village, ces derniers temps. »
Une autre chose étrange, était qu'il semblait tenir à rendre notre relation officielle aux yeux du village. Alors que je pensais de prime abord qu'il serait le premier à vouloir rendre ça discret, c'était moi qui me retrouvais à marcher à reculons à ce sujet.
Pas que je n'avais pas envie. Au contraire, je brûlais de me tenir au bras de Kakashi dans la rue, de montrer à l'univers qui bavait sur le Ninja Copieur qu'il était mien.
Seulement, dans le monde shinobi, il était considéré comme très malvenu de s'engager sur la voie sentimentale. On disait souvent que cela détournait grandement les ninjas de leurs devoirs fondamentaux, et même si la société actuelle n'était plus aussi réductrice sur le droit de vie privée des shinobis, il y avait encore autre chose qui me tourmentait. Je me disais qu'en ayant le même rang que lui, cela rendrait ma place auprès de Kakashi Hatake plus légitime, qu'on oublierait vite qu'il était un instructeur entiché de son ancienne élève. Et même s'il m'assurait qu'il se fichait éperdument de ce que pensait le reste du monde, je n'avais pas envie de voir sa réputation souillée à cause de moi.
« Hey. »
Kakashi s'était approché sans que je ne le voie, alors que j'étais perdue dans les affres de mes insécurités. Ses grandes mains qui étaient venues encadrer mon visage m'avaient ramenée sur terre, et voilà que je plongeai dans ce regard profond dans lequel j'aimais tellement me noyer.
« Rien ne presse, d'accord ? Arrête de t'inquiéter. »
- Je n'y penserais pas si tu ne passais pas ton temps à me tripoter en public, et je sus que j'avais plus grogné que parlé.
« Je n'y peux rien... » il posa un baiser sur mon front avant que je ne puisse rattraper ses lèvres : « ... et puis, tu es tellement belle, quand tu rougis. »
Le feu me monta aux joues et son sourire s'agrandit.
« Ouais... Juste comme ça. »
Il esquiva avec adresse le petit coup que je lui envoyais dans les côtes, hilare.
Kakashi était magnifique, quand il riait. C'était quelque chose qui était devenu commun avec moi, et pourtant, ça me paraissait toujours particulièrement rare, infiniment précieux. Un instant magique à capturer de mes yeux, pour y imaginer la musique éclatante qui sortirait du fond de sa poitrine vibrante, à imprimer au fer rouge dans les tréfonds de ma mémoire.
S'il y avait bien une chose pour laquelle j'aurais tué afin qu'on me rende l'ouïe, c'était pour ça.
Je l'observais à nouveau alors qu'il fuyait sur le canapé pour s'y affaler et ouvrir son précieux Icha Icha. Je souris avant de me diriger vers la salle de bains, faisant un détour derrière lui pour presser un baiser dans la masse de ses cheveux argentés.
Et il me regarda disparaître derrière la porte, le sourire aux lèvres et les yeux brillants.
***
Tant de choses avaient changé depuis cette conversation que nous avions eue.
Les jours qui avaient suivi, Kakashi était partout. Comme pour respecter à la lettre ses engagements, il faisait un détour chez moi dès qu'il avait quelques heures devant lui. Et nous ne faisions rien d'autre que ce que nous avons fait ce soir-là : lire ensemble, paisiblement dans le silence, alors qu'il m'enveloppait dans ses bras puissants et me laissait reposer contre son torse. Je me souviens, de cette espèce de timidité qui planait dans l'air, comme si nous étions effrayés d'être proches mais incapables de nous éloigner. Il m'offrait des gestes doux, délicats, des baisers à m'en faire perdre le souffle, et s'en allait pour revenir le lendemain, tout le long de ma convalescence le temps que mon bras et ma main guérissent.
Le premier d'entre nous qui dut retourner en mission fut moi. Il m'avait tranquillement accompagnée devant les portes du village et m'avait furtivement embrassée la seconde où les gardes avaient les yeux détournés. Ça m'avait donné le vertige, et le regard inquiet qu'il m'avait lancé juste avant que je ne m'élance dans les arbres m'a ensuite obsédée pour tout le reste de ma mission.
Le jour où je suis rentrée, je l'ai retrouvé dans ma cuisine, en train de préparer à manger. C'est la première fois que j'ai bloqué sur cette vision de lui, ici, dans mon appartement, et la façon dont cela s'accordait si bien avec les espérances que j'entretenais dans mes rêves les plus fous. Il m'avait offert un sourire, dit « bienvenue à la maison », et malgré mes vêtements sales et ma peau imprégnée de toute la transpiration des derniers jours, m'avait serré dans ses bras, très fort, comme si je lui avais manqué. Et je me suis sentie à la maison.
C'est lorsqu'il fut à son tour de partir pour une mission de rang élevé que je compris à quel point aimer quelqu'un était difficile pour le bien de la santé mentale. Il m'avait assuré que ce n'était qu'une promenade de santé, et que de toute façon, dorénavant, il n'avait plus aucune raison de la terminer en gisant sur un lit d'hôpital. Cette affirmation me fit peur autant qu'elle me rassura ; parce que d'habitude, il se blessait exprès ? Est-ce qu'il ne voulait plus faire ça parce qu'il savait que je l'attendais ?
En tout cas, il était rentré de cette mission sans aucune égratignure. Et je l'avais accueilli de la même façon dont lui l'avait fait pour moi.
Et les semaines étaient passées ainsi. Sans trop le réaliser, Kakashi avait petit à petit envahit mon silence dans chacun de ses recoins, avait rongé cette partie de mon cœur que j'avais verrouillée et gardé fermée pendant si longtemps au reste du monde. Mon quotidien était ponctué du bout de ses mèches argentées, de son regard vif et étincelant qu'il plongeait dans le mien pour me rattraper et me ramener sur terre, de ce visage à la beauté brute que seule moi avait le droit de contempler.
Je retombais tous les jours amoureuse de Kakashi Hatake. Dans ses gestes les plus anodins du quotidien, dans la manière dont je le surprenais parfois en train de me regarder, dans cette façon qu'il avait d'honorer tout ce que j'étais chaque fois qu'il me touchait. Il semblait timide et aventureux à la fois, effrayé et railleur en même temps. J'avais appris à cohabiter avec les horreurs qui le torturaient, et je voulais que mes mots silencieux résonnent si fort dans son cœur jusqu'à en étouffer le bruit de ses démons. J'avais envie qu'ils rendent sa souffrance un peu plus douce. Pas plus facile, plus douce, pas aussi amère que lorsqu'il se tenait seul devant la stèle des héros, droit et digne dans son manteau de chagrin. Parce que maintenant, j'étais là, et je partageais sa veste.
Parfois, il arrivait sur le bord de ma fenêtre avec une telle tristesse dans son regard que mon souffle en était coupé. Je le prenais alors par la main sans poser de question, l'accompagnait dans cette amertume dont il ne m'écartait pas totalement sans pour autant m'y faire entrer. Les après-midis passées avec moi devenaient alors des nuits, où il m'enlaçait simplement sous les draps, et où je pouvais sentir ses cordes vocales vibrer contre mon dos alors qu'il déballait ce qui lui tenaillait le cœur sans que je ne l'entende. Il faisait ça souvent. Mes oreilles éteintes étaient son refuge, son garde-fou, où il y déversait toute sa douleur et sa souffrance, rassuré que je ne puisse saisir la noirceur de ses mots. Après, il laissait les bras du sommeil l'envelopper et dormait si longtemps que je m'en inquiétais.
Il me disait juste qu'il ne dormait jamais aussi bien que lorsque j'étais là.
Kakashi passait souvent la nuit chez moi, depuis. Et ce que je pouvais qu'aimer ça, être lovée dans le creux de ses bras, partager son souffle lorsque nous nous mettions à nous embrasser avec fièvre sans qu'il n'aille jamais plus loin qu'une simple main glissée sous mon haut où il se contentait de caresser mon ventre du bout des doigts.
Une fois, je me suis retrouvée au-dessus de lui, assise sur ses hanches, à effleurer timidement les striures profondément marquées dans la chair blanche de son torse nu. Je me délectais des frissonnements qui faisaient réagir son corps tout entier à mon passage, et de la façon dont il me fixait en silence, les yeux brûlants, les mains fortes posées sur le haut de mes cuisses comme pour ne jamais me laisser partir.
Et je la sentais, cette tension qui m'étouffait presque, comme si je pouvais la saisir alors qu'elle flottait dans l'air. Elle habitait à ce moment même le creux de mon ventre. Je me demandais combien de secondes il resterait avant que l'un de nous craque, et légèrement effrayée par cette idée, j'avais doucement retiré ma main de la chaleur de sa peau.
- Ça... Ne te dérange pas ? j'avais senti ma voix vriller dans ma gorge nouée.
Kakashi avait haussé un sourcil sans que ses yeux ne perdent jamais de sa fureur, et ça me fit déglutir.
« De quoi ? »
- De ne pas... De ne pas faire ça. Pas encore.
Un sursaut de lucidité dans son regard dépareillé m'avait indiqué qu'il avait compris à quoi je faisais référence.
« Tu me prends pour un pervers parce que je lis Icha Icha ? » son expression était devenue taquine.
J'eus un sourire embarrassé.
- Eh bien... Oui, un peu.
Il eut l'air faussement offusqué et la tension disparut avec mon petit rire silencieux que je laissais échapper. Il sourit à son tour en levant son bras pour poser sa main contre ma joue et son regard fut si doux à cet instant là que mon cœur sembla tomber dans le fond de mon estomac.
« C'est la première fois que j'ai l'impression d'avoir tout le temps du monde. Avec toi, je veux en profiter chaque seconde. »
S'il y avait bien quelque chose que je savais maintenant, c'est que Kakashi peinait à mettre des mots sur ce qu'il ressentait. Lorsqu'il parvenait à articuler des phrases comme celles-ci, je ne pouvais m'empêcher de me sentir comblée, de voir à quel point le temps rendait ça moins difficile.
***
Une nuit, deux semaines après notre soirée à l'Ichiraku, je fus réveillée par des gigotements tout près de moi. Je n'avais pas besoin d'ouvrir les yeux pour savoir que c'était Kakashi ; il passait presque toutes ses nuits avec moi, à présent, et à vrai dire, je ne pensais plus avoir la force de me passer de sa chaleur qui m'enveloppait doucement pour me ramener chaque soir dans les bras du sommeil.
Mais à l'instant où je repris conscience en plein milieu de la nuit, je sus tout de suite qu'il y avait un problème. Kakashi remuait bizarrement, et lorsque mes yeux furent assez acclimatés à l'obscurité ambiante, je pus voir les dégâts sur son visage, les traits tordus de douleur alors qu'il dormait encore, comme si son inconscience était en train de le brûler vif, de l'intérieur. Paniquée, je posai une main sur son épaule frémissante, l'autre sur sa joue moite de sueur.
- Kakashi ! J'implorai alors dans le noir, en espérant que ma voix soit assez forte. Kakashi ! Réveille-toi, réveille-toi !
Prisonnier de ses songes abominables, il ne se laissa pas en sortir facilement. Alors que je croyais que je ne pourrais jamais le ramener à la réalité, affolée, bouleversée par les stigmates d'une horreur presque palpable qui marquaient son visage endormi, il finit par sursauter brutalement en ouvrant grand les yeux.
Il me contempla un moment sans me voir, à bout de souffle, ses pupilles prises au piège dans les images rémanentes du cauchemar qui venait de le ravager. Son regard finit par faire une mise au point sur mon visage et ses traits se détendirent à l'instant où il me reconnut dans le noir.
- Kakashi ? j'appelai en caressant prudemment sa joue.
« Je suis désolé, » ses lèvres tremblèrent un peu dans la lueur claire de la Lune. « Je... Je ne voulais pas que tu voies ça. »
Kakashi semblait réellement affligé et mon cœur se serra. Il me regardait avec une certaine prudence, comme s'il s'attendait à ce que je me mette à lui cracher dessus, ou quelque chose comme ça.
- Je suis avec toi, je lui murmurai doucement en passant ma main sur sa tempe puis ses cheveux. Je suis là et je veux tout voir de toi, quoi qu'il arrive.
Sa mâchoire serrée ne le laissa esquisser qu'un début de sourire mais ça n'avait pas d'importance ; je voyais la lueur reconnaissante dans ses yeux.
Il me dit qu'il avait besoin d'un temps dans la salle de bain pour se calmer, et j'attendis un long moment dans le lit, aux aguets, assise en tailleur sur le matelas.
Il revint dans la chambre presque une demi-heure plus tard et sembla surpris de me voir avec les yeux grands ouverts, et je le vis cacher imperceptiblement les mains derrière son dos.
« Tu dors pas ? »
Je secouai la tête. Avait-il vraiment espéré que je me rendorme tranquillement après ça ?
- Tu vas bien ?
J'aurais presque pu palper l'inquiétude qui devait avoir résonné dans ma voix. Il m'offrit un sourire qui se voulait rassurant, mais je le connaissais assez bien dorénavant pour savoir qu'il était forcé. Il n'avait pas atteint ses yeux.
Kakashi se rallongea avec moi et me prit dans ses bras. Je le sentis se raidir un peu lorsque je me mis à chercher sa main pour nouer ses doigts aux miens.
Sa paume était sèche, brûlante, comme si elle était couverte de sillons et des crevasses que laissait généralement l'eau sur la peau.
Pendant combien de temps s'était-il lavé les mains ?
Je sentis les pinces d'une inquiétude sèche me tordre l'estomac, et pourtant je ne posais pas de question. J'avais promis à Kakashi que je serais patiente, je m'étais interdite de le bousculer et lui semblait toujours avoir apprécié mon silence là-dessus. Et même si tout ceci rendait mon cœur douloureux, je voulais attendre qu'il décide lui-même du moment où il voudrait m'en parler, en essayant déjà de m'habituer au fait qu'il ne le ferait peut-être jamais.
Il m'enlaça un long moment et sa respiration était redevenue si calme que je crus un moment qu'il s'était rendormi. Mais il finit par poser deux doigts sous mon menton, et je me tordis le cou pour le regarder.
« Je peux te parler ? »
Il avait ce regard amer qui me froissait le cœur.
- Bien sûr.
J'allais enfouir mon visage dans son cou pour qu'il puisse se décharger contre mon oreille qui n'entendait plus, mais il me stoppa dans mon geste en une petite pression de sa main sur ma joue. Je lui lançai un regard déboussolé.
« Non.. Je veux que tu comprennes. »
Je clignai des yeux, stupéfaite, avant d'esquisser un petit sourire qui se voulait rassurant.
- Parle-moi, Kakashi.
Il prit une grande inspiration et après une petite hésitation, il ouvrit la bouche.
Dans la pénombre de la chambre, ses lèvres étaient à peine éclairées par les rayons blancs de la Lune qui traversaient doucement les rideaux. Le regard fixé sur les mots qu'il peinait à faire sortir, je l'encourageais du bout des doigts, en lui caressant doucement la joue, en lui passant tendrement ma main dans ses cheveux qui scintillaient légèrement sous l'éclat de Lune.
Kakashi fermait les yeux en me parlant, comme s'il redoutait ce qu'il allait trouver dans le fond de mon regard, comme s'il craignait mes réactions à ses aveux.
Il parla longtemps, en trébuchant sur les mots, en bredouillant sur les phrases, sans que je n'ose l'interrompre une seule fois. Il semblait vouloir rester parfaitement immobile, ne rien laisser entrevoir des émotions qui lui rongeaient l'intérieur, et pourtant, je les voyais, ses lèvres qui tremblaient parfois, et je les sentais, ses mains qui se crispaient régulièrement sur mon corps. C'était si douloureux, de le voir comme ça, de comprendre enfin ce qui le rendait si vide parfois, juste pour oublier les horreurs dans sa mémoire qu'il ne pourrait jamais effacer. Je me disais que si j'en avais le pouvoir, je m'imprégnerais de toute sa souffrance, juste pour qu'il cesse enfin de suffoquer sous le poids de cette culpabilité qui lui rongeait l'âme depuis si longtemps.
« J'ai essayé à tout prix de m'évader de mes cauchemars et quand je me réveillais, c'était pire. »
Cette phrase me tordit l'estomac et je pressai mes lèvres contre les siennes, ouvertes alors qu'il me parlait, juste pour lui rappeler que j'étais là. Il ouvrit les yeux et croisa mon regard dans l'obscurité, son sharingan scintillant dans le noir.
« J'ai l'impression que la mort me suit de partout, et elle emmène tout le monde, sauf moi. C'est pour ça que... »
Je vis sa pomme d'Adam rouler sur sa gorge pour déglutir et il s'humecta les lèvres.
« C'est pour ça que je voulais pas trop m'approcher de toi. Je voulais pas... Que tu partes aussi. A cause de moi. »
Je compris tellement de chose, à cet instant-là. Pourquoi il avait essayé de me repousser tellement de fois, en me disant qu'il était dangereux.
- Je ne partirai pas, j'osai parler pour la première fois et je sentis ma voix enrouée dans ma gorge. Je ne partirai jamais. Je te le promets.
Kakashi esquissa un vrai petit sourire pour la première fois cette nuit-là et mon cœur bondit.
« C'est difficile, de tenir à toi, tu sais. »
Il grimaça et je devinai que ce n'était pas comme ça qu'il voulait que ses mots sonnent.
« Je veux dire... »
Je ris doucement avant de le couper en l'embrassant.
- C'est difficile de tenir à toi aussi, Kakashi.
Et ça l'avait été. Mais plus maintenant.
Ses grandes mains vinrent encadrer mon visage et il plongea profondément son regard dépareillé dans le mien.
« Merci. »
Et mon cœur gonfla d'amour pour cet homme, qui venait de m'avouer la tragédie qu'avait été sa vie, et qui me remerciait simplement d'avoir écouté en silence.
Kakashi me fit l'amour pour la première fois, cette nuit-là.
Le silence avait rendu cet instant léger, presque religieux. Kakashi me touchait avec une fièvre prudente, comme s'il avait peur de me briser entre ses mains. C'était incroyable de l'avoir ainsi au-dessus de moi, transpirant, les muscles tendus, les traits torturés par le plaisir, mais sans jamais fermer ses yeux, pour toujours les garder profondément ancrés dans les miens tandis qu'il me faisait voir ces choses qui n'existent que dans l'intimité de deux corps qui s'unissent. Il soufflait sur un feu en moi, alors que je ne savais même pas qu'il était déjà allumé, et je suffoquais sous les coups du désir immense pour lui qui me consumait tout entière et qui se voyait enfin rassasié par ses hanches qui ondulaient lascivement contre les miennes. Puis il se penchait, embrassait mes gémissements que je ne m'entendais pas pousser, avant de faire cogner son souffle haché contre la peau de mon cou alors que je lui lacérais le dos.
Je rejetai la tête en arrière, secouée de bien être, ivre de cette sensation de l'avoir en moi, le cœur palpitant furieusement comme s'il voulait sortir pour aller rejoindre le sien. Je me demandais si c'était le plaisir qui me faisait siffler les oreilles, qui me donnait l'impression que ma tête allait exploser en mille morceaux.
Et puis, comme si un bouchon avait sauté, je sortis la tête de l'eau.
Ce ne fut d'abord qu'un écho. Une vague résonnance, une légère intonation basse et lente qui semblait se rapprocher de mon oreille pour ensuite envahir mon tympan au rythme du souffle qui s'écrasait contre ma peau.
- Je t'aime... Je t'aime tellement, disait la voix grave aux sonorités hachées, vibrante d'émotions, tout près de moi.
Je me demandais un instant si je n'étais pas en plein rêve. Si je n'étais pas en train de gravement délirer, à m'imaginer la voix de Kakashi si fort dans ma tête qu'elle me parut si vraie, si semblable à celle que ces deux années m'avait fait doucement oublier...
Et puis, j'ouvris grand les yeux, et je compris.
- Kakashi !
Ma voix ! C'était ma voix !
Hébétée, je posai deux mains sur la poitrine de Kakashi et ce dernier se laissa entraîner en arrière en m'emportant avec lui.
Et là, nue et allongée tout contre lui tandis que nous faisions l'amour, je me mis à pleurer.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Je t'ai fait mal ?
Kakashi s'arrêta, paniqué, et discerner les sonorités affolées dans sa voix grave fit redoubler mes sanglots. J'entendais le sifflement dans son souffle saccadé, les vrais battements anarchiques de son cœur sur lequel ma tête était posée, et c'est presque si je pouvais écouter la friction de la poussière dans l'air.
- Tu as dit que tu m'aimais !
Kakashi se redressa brusquement sur ses coudes, et attrapa mon visage dans la paume d'une main pour me pousser à le regarder dans les yeux.
Il avait les sourcils froncés, et un espoir fou brillait dans ses pupilles dilatées. Il ouvrit la bouche, et sa voix lente et profonde résonna jusque dans le fond de mon âme.
- Tu... Tu entends ce que je dis ?
- Oh, Kakashi ! Ta voix ! Elle est si belle !
J'hoquetai de plaisir et de bonheur simultanément, émerveillée par mes propres reniflements, par le bruissement des draps sous nos deux corps enchevêtrés, par le chant des grillons que j'entendais grésiller au dehors. Dieu, j'entendais à nouveau !
Je m'appuyai sur les hanches de Kakashi par inadvertance et il lâcha un grognement rauque qui ravit mes oreilles nouvelles. Je frissonnais de délectation, le corps entier palpitant d'euphorie, en demandant encore. Je roulais alors le bassin contre celui du bel homme aux cheveux argentés, et ce dernier renversa sa tête en arrière en murmurant mon prénom. Prononcé ainsi, dans la bouche de l'homme que j'aimais, de sa voix grave et frémissante de plaisir, lui donnait une sensualité telle que je crus mourir de bien-être. Parce que je l'entendais. Parce que je croyais ne plus jamais avoir le droit à ça, même dans mes rêves les plus fous, et recouvrer l'ouïe de cette façon me donnait un sentiment d'exaltation et de toute puissance que je ne voulais plus jamais lâcher.
Voyant que je ne cessais pas mes gestes lascifs tout contre son corps, Kakashi attrapa mon regard à travers ses paupières mi-closes.
Dieu, ce qu'il était beau, comme ça.
- Aaah... Tu veux... continuer ?
Je gémis alors qu'il appuyait sa suggestion par un mouvement sec de ses hanches qui me fit voir des étoiles. Sa voix chargée avait une inflexion aussi surprise de me voir si enhardie dans un tel moment, et comblée d'envisager que je ne voulais pas m'arrêter malgré tout.
- Oui... S'il te plaît, je veux t'entendre.
Je voulais l'entendre comme ça pour le reste de mon existence. Prendre ses grognements dans ma main comme si je pouvais les attraper, m'imprégner de lui, de sa peau brûlante, de sa voix lente et grave que je pensais ne plus jamais entendre de ma vie.
Je m'écoutai soupirer, et je fermai les yeux pour mémoriser cet instant magique, ces sensations incroyables, le bruit merveilleux du souffle haletant de Kakashi, comme si tout cela allait m'être retiré aussi vite qu'on me l'avait rendu.
Et même lorsque nous eûmes terminés, tandis que j'essayais de reprendre mon souffle et mes esprits, enlacée dans les bras forts d'un Kakashi aussi comblé que moi, sa voix grave et le reste des bruits du monde ne disparurent pas.
Ils ne disparurent plus jamais.
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J'ai dit un jour que la façon dont j'avais imaginé la fin de cette histoire était osée. Voilà ce que je voulais dire. En vérité, c'est la première chose que j'ai imaginée lorsque j'ai commencé à penser cette fic au tout début... Ahah. Je voulais que ça reste soft malgré tout, ainsi je ne sais pas trop comment appréhender vos réactions T_T
En tout cas, j'espère que ça vous a plu...
Ce chapitre marque la fin de cette fanfiction, les gars. Ça me fait tout bizarre, et surtout, je n'ai jamais terminé une seule fic de ma vie. Ceci est un grand moment pour moi.
Mais ne vous inquiétez pas: il reste encore un épilogue ! Histoire de terminer proprement tout ça. Je le publierai demain soir. Et après ça... Eh bien, ce sera vraiment la fin.
J'ai hâte d'avoir vos retours autant que ça me stresse. Et surtout, je voulais vous remercier. Pour vos vues, vos votes et vos commentaires, et tout le courage que vous m'avez donné tout au long de l'écriture de cette fanfiction. Vous êtes incroyables, et je ne sais comment vous exprimer ma gratitude sinon que de vous imaginer passer un bon moment en lisant cette histoire :')
Encore merci pour tout, et à demain pour l'épilogue !
Emweirdoy
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