Chapitre 3
- La veille -
Nous observions en silence le chef de notre village s'acharner à retrouver le document en question au milieu du champ de bataille qu'était son bureau. Les montagnes de paperasse s'envolaient sous ses gestes coléreux et aucun d'entre nous n'osait même respirer trop fort de peur de s'attirer le courroux d'une Godaime visiblement éreintée.
J'avais toujours profondément respecté Tsunade. Mais il y avait des fois où je me posais de sérieuses questions quant à sa capacité à gérer la tension d'un poste aussi pesant que celui de Hokage. Même Shizune, qui se tenait raide à ses côtés, semblait au bout du rouleau.
Rien que de la voir aussi lasse et épuisée me fatiguait. Mais Naruto ne semblait pas être du même avis, et, imperméable à l'agitation ambiante, il demanda avec tout le dynamisme dont il était naturellement doté:
- Eh, Mamie Tsunade, on peut vous aider?
Cette dernière releva soudainement la tête et lui lança un regard sévère.
- Sûrement pas! répondit-elle d'une voix cassante. Vous risqueriez uniquement d'empirer tout ce chantier et de lire des choses qui ne vous regardent absolument pas.
Et elle replongea tête baissée dans ses recherches. Les quatre autres personnes présentes et moi-même soupirâmes imperceptiblement dans un même réflexe.
- Ah, je l'ai! jubila finalement Tsunade, victorieuse, en exhibant un unique document dans sa main droite.
Elle se replaça prestement derrière son bureau et souffla un bon coup avant d'entamer la lecture de l'ordre de mission qu'elle avait si ardemment cherché cette dernière quinzaine de minutes.
Il était question de poursuivre et d'arrêter une bande de bandits qui traînaient aux bordures du Pays du Feu et qui semaient régulièrement du grabuge dans les villages frontaliers. Rien de plus classique.
J'étais légèrement déçue. Depuis mon affectation dans l'unité Kakashi, nous n'avions rien accompli de réellement exaltant; nous nous contentions d'intervenir sur des incidents mineurs au sein même du village, et à force je me demandais si nous n'étions pas redevenus genin - même si Naruto l'était encore sur le papier, tout le monde savait qu'il avait presque le niveau d'un jônin. Il s'agissait ici de la première mission au delà de nos frontières depuis des mois, et elle ne se révélait même pas passionnante.
Kakashi-sensei s'absentait énormément pour accomplir des tâches épineuses dont nous n'avions même pas le droit de d'évoquer la couleur, et j'étais intimement convaincue que cela concernait le retour de Naruto au village et du danger qu'il courrait de part le démon abrité en lui. Mais je n'avais jamais posé la question, en sachant que je n'étais pas habilitée à me mêler d'affaires à l'apparence si graves.
Nous restions donc au village à nous occuper de broutilles sans grand intérêt, en attendant le retour de notre sensei qui était dans nos têtes synonyme d'entraînements éreintants et de missions stimulantes. Mais dès que l'argenté rentrait, il repartait presque aussitôt, nous laissant sur notre faim et dans l'ignorance totale de ce qu'il pouvait bien se tramer à l'extérieur de ces foutues portes.
Naruto était plutôt du même avis que moi, à la seule différence qu'il osait exprimer haut et fort sa frustration. Sakura, elle, ne la partageait pas forcément; elle avait tellement de travail à l'hôpital qu'elle ne se souciait que très peu de ce manque cuisant d'action. Elle avait le mérite d'aimer son travail, et de le faire bien. Je l'enviais pour ça.
Et pour finir, j'étais persuadée que Tsunade s'évertuait à me tenir à l'écart de missions à l'extérieur de son plein gré. L'avais-je tellement déçue pour qu'elle ne daigne plus me confier quoi que ce soit d'important? Elle clamait à la protection de Naruto, mais j'étais convaincue que j'avais également ma part de responsabilité dans cette espèce de quarantaine maquillée.
Et mes doutes trouvèrent confirmation lorsque la princesse de notre village planta son regard dur dans le mien, pour lâcher sévèrement:
- Et pas de bêtises.
J'ouvris subitement la bouche tandis que je sentais la colère monter en moi, prête à exploser, mais Tsunade me devança.
- C'est une mission plus difficile qu'elle ne semble l'être. Ces malfrats sont des pros de l'explosion, une sorte de groupe d'illuminés qui prétendent éclairer le monde de leur art éphémère. Ils s'inspirent des faits et dires d'un criminel inscrit dans le Bingo-book et veulent prolonger sa volonté. Ils utilisent ainsi des villages de campagne comme terrain de jeu.
Tsunade balança sa tête en arrière et se massa les tempes dans un soupir éreinté. Je remarquai alors toute l'étendue des cernes violacées sous ses yeux et ses traits crispés à l'extrême.
Ma colère passagère retomba instantanément; je n'avais aucune envie d'infliger mes caprices stupides à cette femme sur qui la responsabilité du village entier pesait sur les épaules. J'allais me contenter d'accomplir cette mission en bonne et due forme, et lui prouver que j'étais capable de travailler en équipe et de ne pas tout faire foirer.
L'Hokage finit par relever la tête et scruter les membres de l'équipe un à un, avant de s'arrêter sur notre sensei qui n'avait pas dit un mot depuis que nous étions entrés dans ce bureau.
- C'est toi Kakashi, bien sûr, qui prendra le commandement de cette opération. Tâchez de faire de votre mieux. Et revenez-nous vivants.
Elle enfonça à nouveau ses yeux dans les miens en un regard équivoque. Je frissonnai d'irritation et lui affichai tout de même une expression peut-être un peu trop insolente pour l'adresser au shinobi le plus puissant du village. Mais elle ne sembla pas en tenir compte et se détourna en nous invitant à quitter la pièce. Alors que je remerciai le ciel d'avoir fait en sorte que personne d'autre que la Godaime ne remarque mon malaise, je croisai l'œil unique de Kakashi-sensei et quelque chose sembla se froisser au fond de ma poitrine à la vue de ce regard avisé qu'il m'adressa.
Tandis que nous passions le pas de la porte, la voix de Tsunade se fit entendre une dernière fois dans notre dos:
- Ah et une dernière chose: au delà des explosions, ils sont particulièrement doués avec le maniement du sabre. Faites attention.
***
Je me remémorai la dernière phrase de notre Hokage tandis que la pointe du sabre ennemi m'entaillait la joue. Je prenai un instant pour remercier silencieusement Tsunade de nous avoir prévenus; encore une seconde d'hésitation et je n'aurai plus été là pour rencontrer le regard frustré de mon adversaire qui s'élança sur moi à toute vitesse en poussant un grognement hargneux.
Cette mission était bien plus ardue que je ne me l'imaginais, finalement. Le fracas des explosions se faisaient entendre tout autour de moi, et les cris terrifiés des habitants me glaçaient le sang. Le petit village était inondé d'une vapeur nauséabonde aux relents de poudre, et je priai pour que Sakura ait fini d'évacuer tout ce pauvre monde.
Nous étions arrivés juste à temps; à quelques centaines de mètres du village, nous avions entendu la détonation macabre qui nous avait fait presser le pas. Nous sommes arrivés à l'instant où les bandits s'apprêtaient à lancer une nouvelle déflagration; Naruto, Kakashi-sensei et moi-même avions engagé le combat immédiatement tandis que Sakura était partie pour prendre en charge les blessés potentiels.
Le groupe ennemi était constitué d'une dizaine de personnages vêtus de capes sombres qui oscillaient tour à tour entre le lancer d'explosifs et le combat au corps à corps avec nous. Il était ardu de gérer la bataille en entendant sans cesse une bombe exploser derrière, en craignant qu'un pauvre enfant en soit victime et de se dire que nous étions trop concentrés dans notre fichu combat pour le sortir de là. Cette horreur gratuite me prenait l'estomac, faisait vriller mon calme naturel et je sentais monter dans mes bras la puissance de l'indignation.
J'envoyai finalement au tapis mon adversaire non sans mal et j'essuyai machinalement le sang qui coulait de ma joue entaillée. Je baissai les yeux quelques secondes sur cette tâche écarlate au creux de ma paume et j'en frissonnai légèrement. Mon cœur battait à mille à l'heure et je le sentais tambouriner contre mes tempes; le danger imminent faisait monter une pression immense qui se déversait dans chacune de mes veines et me tendait à l'extrême.
L'angoisse se mêlait à mon excitation en une tempête délicieuse qui faisait rage au fond de moi même. J'étais galvanisée et terrifiée à la fois, et je savourais cette étrange sensation comme on s'accroche à la bouée qui nous sauve de la noyade.
Mes oreilles me ramenèrent sur terre en m'informant d'un mouvement juste derrière moi et je me retournai brutalement en brandissant un kunaï du bout de mes doigts.
- Ça va?
Kakashi-sensei se tenait devant moi, légèrement essoufflé et les cheveux encore plus en bataille qu'à l'accoutumée. Il ne s'offusqua pas le moins du monde de mon arme pointée droit sur lui et se contentait de me sonder de ses deux yeux dépareillés. Son Sharingan à découvert flamboyait face à la menace de l'instant, et si nous n'avions pas été en plein cœur d'une bataille contre des fous qui n'attendaient qu'à nous exploser le visage au sens propre du terme, j'aurai été tentée d'étudier avec fascination cet étrange œil aux nuances noires et écarlate scindé de cette longue cicatrice pâle et longiligne qui se perdait sous son masque.
J'acquiesçai finalement pour répondre à sa question et baissai mon kunaï. Je sondai avec attention les environs, en quête d'un mouvement de la part de nos ennemis au milieu de cette fumée sombre et épaisse. Quelques maisonnettes flambaient et éclairaient affreusement cet air cendré que nous respirions; ces explosions n'étaient décidément pas du même ordre que de simples parchemins explosifs. C'étaient de véritables déflagrations.
- On a presque fini, dit la voix trainante de Kakashi-sensei qui ne semblait jamais se détacher de son calme légendaire, malgré le tableau angoissant qui se peignait devant nos yeux. Sakura a terminé d'évacuer les habitants et il semblerait que tu viennes de nous débarrasser du dernier criminel. Nous devrions aller voir où en est Naruto.
J'acquiesçai derechef, en lui jetant un nouveau coup d'œil tandis qu'il se baissait sur l'ennemi assommé qui gisait à terre. Je ne savais par quel magie, ses vêtements demeuraient immaculés sans même une petite tâche de boue. Moi, je devais ressembler à un vieux chiffon noir de suie.
Il me fit finalement signe et nous nous enfonçâmes plus profondément dans le village attaqué. Malgré la vision de certaines bâtisses noircies par le souffle des explosions, les dégâts n'étaient pas si importants et les habitants pourraient vite revenir vivre ici lorsque cette mission prendrait fin. Je percevais encore quelques détonations au loin et je devinai que même si nos ennemis étaient défaits, ils avaient disséminés d'autres explosifs qui prenaient feu sans qu'ils n'aient besoin de les activer. Il faudrait que nous désamorcions toute menace avant de partir, pensai-je.
Nous retrouvâmes Naruto aux prises avec trois des criminels, et je fonçai l'aider à désarmer l'un tandis qu'il assommait l'autre. Je m'emparai d'un sabre ennemi pour menacer le troisième, qui fut fauché l'instant d'après par Kakashi-sensei. A la seconde où ce dernier finit de ligoter les trois fauteurs de trouble, Sakura nous rejoignit en assurant avoir évacué tous les villageois en les rassemblant plus loin dans la forêt, sans aucune blessure majeure à signaler. La mission touchait à sa fin.
- Je ne comprends vraiment pas pourquoi ils font ça, soupira Naruto en se grattant le sommet du crâne.
- D'après ce que les villageois m'ont dit, ces adeptes de l'explosion seraient tous originaires de ces petits hameaux frontaliers, expliqua Sakura en posant tristement les yeux sur les trois bandits ligotés. Ils sont revenus en représailles de ces villages qui les ont banni pour leur divergence, apparemment.
J'observai à mon tour nos ennemis déchus de leur dignité.
- Ils ne sont pas profondément mauvais, je pense, déclarai-je d'une voix plate. C'est la vie qui les a rendu comme ça. Elle n'est pas toujours très juste.
Mes trois acolytes se tournèrent vers moi, surpris. Naruto et Sakura finirent par acquiescer lentement tandis que Kakashi-sensei me transperça de ses yeux noir et rouge en fronçant ses sourcils gris. Décontenancée par la teneur d'un tel regard que je ne parvins pas à déchiffrer, je le fuyai. Je surprenais de plus en plus souvent le ninja masqué à me regarder ainsi les seules fois où j'ouvrais la bouche, et je m'interrogeai légèrement sur le sens cette étrange lueur dansant dans les yeux de mon sensei.
Ce dernier finit par baisser son bandeau frontal pour recouvrir son œil écarlate, et s'adressa à nous de sa voix grave et traînante:
- Sakura, emmène nous à la rencontre des villageois, j'ai besoin de m'entretenir avec eux. On ne se sépare plus sous aucun prétexte: il y a encore des bombes qui traînent, prêtes à nous exploser à la figure. On ira nettoyer tout ça plus tard, quand on se sera assuré que tout le monde est en sécurité.
Nous hochâmes la tête de concert et nous nous mîmes en route, Sakura et Kakashi-sensei à la tête de notre petit groupe. Nous dépassâmes les bâtisses vides et nous longeâmes ce village embrumé à l'apparence fantôme, déserté de ses habitants. Avec cet étrange silence environnant, il était difficile de croire qu'il y avait encore quelques instants, nous étions pris dans de violents combats sabreux et que nous risquions chaque seconde de nous faire défigurer par d'immenses explosions.
La fumée s'estompait peu à peu et ma vision sembla retrouver du détail. La tension qui régissait mon être s'évanouit lentement, éteignant avec lui le frisson du combat qui me vivifiait tant. Mes muscles tendus à l'extrême pendant tout le temps des affrontements s'apaisèrent mais laissèrent la trace d'un tiraillement ankylosé de les avoir tant maltraités. Une fatigue accablante s'abattit alors soudainement sur moi, et je fus heureuse de voir cette mission doucement s'achever.
Tandis que nous passions en courant près d'une énième maisonnette abandonnée, mon regard s'accrocha à un détail qui me glaça le sang.
Une fillette était recroquevillée contre un mur noir de suie, échouée là, près d'une caisse de bois, abandonnée de tous.
Mais ce qui m'effraya le plus était la bombe cachée derrière la caisse, hors de sa vue, qui ne demandait qu'un geste de sa part pour lui exploser au visage et la tuer.
Je pris alors la décision qui allait sceller la fatalité de mon existence.
Le temps sembla s'arrêter à l'instant où je m'élançai à toute vitesse sur elle en ignorant les appels interloqués de mes coéquipiers. Mon nom qu'ils criaient ne semblait n'avoir plus aucun sens et résonnaient comme des échos abstraits à mes oreilles. Et pourtant, tout se passa en une fraction de seconde, infime, une seconde comme les autres, mais une seconde où j'avais fait mon choix et où mon avenir s'était arrêté.
Mes jambes partirent avant que ma tête ne leur demande. Mon cœur battant violemment contre mes oreilles sonnait comme un compte à rebours macabre. Ma fatigue et la douleur de mes muscles meurtris s'envolèrent en un instant. Je n'avais aucune idée de ce que je faisais. Je savais juste qu'il était hors de question que je laisse tomber cette fillette oubliée de ses pairs. L'idée que mon réflexe désespéré me coûte la vie avec celle de cette gamine ne m'effleura même pas. J'en avais strictement rien à faire, à cet instant; la petite fille était devenue mon point de repère, la seule chose que je parvenais à voir, la seule chose qui comptait. Si je devais être la seule personne à se soucier de son existence, je le serai. Pour cette attention que je n'ai moi-même jamais reçue.
Elle était moi. Et je devais la sauvegarder. Coûte que coûte.
Je me jetai sur elle tandis que je percevais le grésillement de la bombe qui s'activait. J'avais atteint le point de non retour. Tant pis.
J'enserrai la fillette, minuscule, au creux de mes bras comme si mon propre corps avait été une armure blindée en acier.
- Tu vas vivre, je te le promets, lui soufflai-je doucement, et la sérénité de ma propre voix me donna l'impression d'être hors du temps tant nous étions condamnées.
Je l'entendis sangloter contre ma poitrine lorsque le craquement abominable de l'explosion se déchaina soudain. Je fermai fort les yeux et raffermit ma prise sur l'enfant contre moi, mon dernier point d'attache.
Un blanc immense prit place devant mes yeux en se déferlant sur ma rétine et j'eus l'impression que mes tympans avaient éclaté sous le choc. Mon corps quitta le sol dans le souffle démesuré de la déflagration. Ou non. Je n'en était même pas sûre. Je ne sentis pas la chaleur intolérable me brûler peau, ni la douleur atroce se déverser dans mon corps désarticulé. Je cherchai seulement la petite fille contre moi et m'accrochai à sa frêle silhouette comme preuve manifeste que tout n'était pas perdu.
Quelques tâches noires firent irruption dans l'immensité de blanc devant mes yeux, et je sus que j'allais partir. Les sensations désertaient mon corps et je crus pendant un instant flotter paisiblement dans un vide serein. J'aurais tant aimé y rester.
Désolée, fillette. Je ne savais même plus si tu étais encore là. Je ne voyais plus rien, à présent.
Je finis par m'éteindre avant même de toucher le sol.
Et le noir pris le pas sur mon existence toute entière.
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