Chapitre 28

C'était un jour ensoleillé.

Le ciel était clair, mais l'air était froid. Cela n'empêchait pas les habitants de Konoha de pulluler dans les rues, et même si je me sentais plus à l'aise en croisant quelques passants inconnus, traverser une ruelle noire de monde m'était encore difficile. Je bataillai encore contre les résidus de cette phobie qui me paraissait ancienne et qui continuait de me donner des sueurs froides malgré tous mes efforts.

Je me retrouvais donc à longer les murs, le cœur battant un peu fort sous les effets de l'anxiété, en tentant d'ignorer tous ces gens mutiques qui gravitaient autour de moi sans me voir. J'essayai d'apposer sur ce paysage un brouhaha que seule mon imagination pouvait créer ; ça m'aidait un peu. Je ne m'étais jamais autant remise à mon inventivité depuis que je n'entendais plus rien. C'est presque si je n'avais pas façonné un univers sonore tout entier dans ma tête, juste pour ne pas perdre la raison dans ce brouillard de silence dans lequel j'errai depuis un an, seule avec mes propres pensées pour unique compagnie.

Alors que je me concentrai à inventer une voix pour l'homme qui passait juste à côté de moi en parlant vivement à sa compagne, je n'avais pas réalisé que je passais juste à côté de l'Académie. Trop obnubilée par mon travail de création mentale, je n'avais pas fait attention au chakra chaleureux qui pétillait juste derrière mon dos.

Lorsqu'une main bronzée se posa doucement sur mon épaule, je fis un bond. Les quelques regards médusés que me lancèrent certaines personnes autour de moi me prouvèrent que j'avais sûrement dû lâcher un cri de surprise.

Je me retournai vivement, prête à dégainer un kunaï s'il s'agissait là d'un individu mal intentionné. A la place, je me retrouvais nez à nez avec le visage balafré d'Iruka-sensei, qui me contemplait d'un air embarrassé.

« Ne t'inquiète pas ! Ce n'est que moi. »

- Oh ! Euh... Bonjour, Iruka-sensei. Désolée.

Il me sourit chaleureusement pour toute réponse.

« Tu as bonne mine ! Tu vas mieux ? »

Je répondis à l'affirmative, son sourire était contagieux. Il me posa de nombreuses questions sur mes activités de ces derniers mois, s'intéressa minutieusement aux progrès sur ma situation qu'il notait dans mes réponses, comme s'il n'avait rien d'autre à faire de cette après-midi et qu'il avait tout le temps du monde à me consacrer.

C'est vrai que cela faisait un moment que je ne l'avais pas croisé. Jusqu'ici, je ne m'étais pas rendue compte comme sa douceur chaleureuse m'avait manquée.

« Tu as repris les missions, alors ? C'est formidable ! Je me doutais qu'un travail administratif ne t'irait pas, de toute façon... »

- Ne vous en faites pas, j'ai beaucoup apprécié travailler au Bureau des Missions avec vous quand même, je le rassurai pour effacer la mine dépitée qui avait pris possession de son visage. Vous m'avez vraiment beaucoup aidée, après mon accident.

Quelques rougeurs apparurent sur ses pommettes et il se gratta la tête, gêné.

« Ahah... Je suis content de voir que tu t'en sors bien. C'est ce qui compte. »

Puis il me contempla, les yeux brillants de fierté. Ce fut à mon tour de rougir ; je n'étais plus cette jeune fille égarée qui se croyait totalement indigne de ses compliments, et pourtant maintenant, je n'étais pas sûre d'être encore capable de les accepter quand même.

« Il parait que Kakashi est hospitalisé ? »

Je me raidis un peu en lisant ces mots, avant d'hocher la tête. Iruka-sensei sembla pousser un soupir et il passa sa main dans les quelques mèches rebelles qui n'avaient pas accepté sa queue de cheval.

« Ça devient fréquent, apparemment. Je le trouve vraiment bizarre, en ce moment. J'ai discuté avec Asuma, et il m'a dit que Kakashi était en train de lui rappeler l'époque sombre où il était dans l'Anbu. Je ne sais pas vraiment de quoi il parlait, mais ça ne m'a pas l'air très positif... »

Le jeune professeur finit par secouer la tête tandis que j'essayais d'analyser ces nouvelles informations.

Je connaissais la réputation qu'avait eu mon sensei lorsqu'il était dans les services spéciaux. Mais l'homme aux cheveux argentés qui m'avait aidée à vaincre mon silence me paraissait bien loin de cette image morbide qu'on m'avait dépeinte de lui à cette époque-là, malgré tout le mystère qui continuait à flotter autour de lui. Je me demandais que qu'Asuma-sensei avait voulu dire par là en parlant à Iruka.

« Enfin... Je dois faire un tour au palais du Hokage. Tu voudras bien saluer Kakashi de ma part ? »

Je tentai de camoufler ma grimace en acquiesçant. Iruka-sensei ne vit rien, et se contenta de me saluer chaleureusement en reprenant son chemin.

Cette rencontre fortuite m'avait fait plaisir. Mais qu'importe la personne avec qui je parlais, j'avais toujours l'impression que tout me ramenait inconsciemment au Ninja Copieur. C'était comme si son ombre ne cessait jamais de me suivre, ou peut-être que c'était moi qui ne parvenais tout simplement pas à me le sortir de la tête.

J'allais devenir dingue.


***


Le soir même, enfermée dans mon appartement, j'avais du mal à me tenir tranquille.

Agitée était peut-être le bon mot pour définir mon état à ce moment-là.

Je m'ennuyais profondément. J'étais dans cet état d'esprit qui mêlait fatigue profonde et excitation générale, où je n'avais plus la force de faire quoi que ce soit sans avoir pour autant envie de dormir. Lee m'avait vraiment maltraitée sur le terrain d'entraînement aujourd'hui, et avait passé son temps à râler à propos de mon manque manifeste de concentration. Je me suis prise chacun de ses poings en plein dans la mâchoire sans jamais parvenir à les éviter, autant que les coups de pieds qu'il m'avait envoyé dans l'abdomen pour m'éjecter quelques mètres plus loin. J'étais sale, éreintée, égratignée et courbaturée de partout, et ma joue gauche commençait dangereusement à se teinter de violet.

Et comme si un pic d'énergie m'avait prise juste après l'entraînement où j'en aurais grandement eu besoin, voilà que je tournais en rond comme un lion en cage tout le long des murs de mon appartement.

Et je le savais. Je savais qui en était la cause.

J'étais en train de tomber si profondément dans les griffes de mes sentiments que j'avais du mal à avoir les pensées claires. Et ce fait était exacerbé depuis le soir où j'avais touché les lèvres de Kakashi pour la première fois.

C'était dingue. Plus il me repoussait, plus je me sentais attirée. Ses signaux contradictoires me faisaient perdre la raison. Il me disait qu'il était mon sensei, et moi son élève. Il me montrait sans une once d'hésitation son visage sans jamais le faire en présence d'autres personnes. Il appuyait sur le fait de représenter un danger pour moi. Puis, il me soufflait qu'il était fou de la façon dont je regardais sa bouche, et m'embrassait de cette tendresse qui m'avait fait croire un instant qu'il avait peut-être brûlé pour ça, lui aussi. Ensuite, il affirmait que ça ne devrait pas se reproduire, et me jetait dehors.

A peine essayai-je de me faire à l'idée d'abandonner tout espoir avec cet homme aux cheveux argentés, en luttant pour le tenir loin de moi autant que de mon cœur et de mes pensées, qu'il me demandait d'aller lui rendre visite à l'hôpital malgré tout.

Je ne comprenais rien. Et plus le temps passait, plus ces réflexions me torturaient, m'écartelaient entre ce qu'il me restait de bon sens et de l'abandon dans lequel je voulais me laisser aller. C'était comme me tendre une petite bribe d'espoir, me la mettre entre les mains, avant de me l'arracher violemment au moment où je pouvais enfin l'effleurer.

Et c'était douloureux. Douloureux, comme incertitude. Maintenant que j'avais à peu près maîtrisé mon silence, il fallait maintenant que je me batte contre mon propre sensei. Je me sentais fatiguée de toujours lutter contre des choses incertaines, qui ne m'assuraient jamais un quelconque réconfort à la fin. C'était comme marcher dans le noir, sans rien y voir, sans cesser d'avoir peur de se cogner, de tâter les murs sans relâche, et ne jamais trouver la porte de sortie.

Je le savais, je le savais que j'aurais dû arrêter ça depuis longtemps. Que rien n'était viable là-dedans, que ces espoirs fous que je nourrissais auraient dû rester qu'à l'état de fantasmes qu'on se donne le droit d'imaginer parfois dans le noir, avant de dormir. Mais maintenant, je me sentais trop engagée. J'avais un pied dedans, un pied dehors, et j'hésitai encore entre entrer et sortir. Et Kakashi Hatake ne m'aidait pas.

Pire, il empirait tout. Tout le temps.

Et maintenant que j'observais la Lune qui régnait sur la nuit noire à travers ma fenêtre, je sentais ma peau picoter d'anticipation pour la nouvelle mauvaise idée que je venais d'avoir.

Et si, et si j'allais le voir quand même ?

Et si je respectais son souhait juste pour lui prouver que je tenais mes promesses alors que lui ne les tenait pas ? Et si j'allais essayer de comprendre le grand « pourquoi » qui tournait tout autour de lui, tout le temps ? Et si je m'inclinai une nouvelle fois envers cette envie irrépressible de contempler ce visage que moi seule avait le droit de voir ?

Et même si ce foutu bon sens me susurrait à l'oreille que c'était une mauvaise idée, que je risquais de me miner le cœur plus encore, je l'ignorai. Rien d'autre ne pourrait apaiser mon esprit si agité en cet instant qu'aller régler des comptes avec le Ninja Copieur en convalescence.

C'est sur cette réflexion que je m'appuyai sur le rebord de ma fenêtre avant de me jeter dans la pénombre du soir.


La Lune était haute dans le ciel et je réalisais alors que la soirée était vraiment avancée. L'air frais de la nuit me giflait le visage alors que je vagabondais sur les toits, obstinée, le cœur battant.

La lumière artificielle sur les murs immaculés de l'hôpital m'éblouit au moment où je finis par entrer. Le hall était vide, et j'imaginais le silence planer au-delà que dans ma propre tête. La façon dont la réceptionniste me toisa alors que je m'approchai me renseigna tout de suite sur ses manières désagréables.

« L'heure des visites est passée depuis longtemps, » me dit-elle avec un regard las après que j'aie demandé à voir Kakashi Hatake. « En plus, ce patient a développé une forte fièvre à la suite de sa carence en chakra. Il ne doit pas être dérangé. »

Je maudis le sursaut d'inquiétude qui pris possession de moi à cette information.

J'insistai un peu néanmoins, et je vis l'agacement monter chez mon interlocutrice. Elle fronçait des sourcils chaque fois que je dirigeai mon regard vers sa bouche pour comprendre ses réponses et ça avait l'air de la déranger. Elle ne devait pas avoir compris que je n'entendais pas et dans ma tête, je m'amusai à lui inventer une voix de mégère.

Elle finit par me mettre sèchement à la porte et je me retrouvais, penaude, devant le portail de l'hôpital. Je pensai un instant à abandonner pour rentrer chez moi, lorsque je me souvins d'un soir lointain où Kakashi-sensei s'était introduit chez moi par effraction pour voir si j'allais bien.

Un sentiment chaleureux m'envahit à ce souvenir que j'affectionnais, en plus de la solution qu'il apporta avec lui.

Cette fois-là, le Ninja Copieur était passé par la fenêtre.

Il ne me fut pas difficile de contourner le bâtiment et d'effectuer le travail mental pour repérer la fenêtre de sa chambre en me remémorant son numéro ainsi que le chemin que nous avions pris l'autre fois à l'intérieur des murs.

A l'instant où je me retrouvai à sa hauteur, j'hésitai un moment. La fenêtre était entrouverte, j'avais le champ libre pour simplement la pousser. Mais il faisait noir derrière la vitre, et je savais maintenant que Kakashi avait de la fièvre et qu'il était sûrement en train de dormir. Qu'est-ce que cela m'apporterait, de rentrer ? Et même dans l'éventualité qu'il soit réveillé ; avais-je vraiment envie de l'affronter, là, maintenant, quitte à ce que ma poitrine saigne encore ?

Je finis par secouer la tête, et une force obscure me poussa à finalement poser ma main sur le battant de la fenêtre pour la faire lentement basculer. J'entrai silencieusement, d'un pas souple, et je clignai des yeux pour m'habituer à l'obscurité de la pièce. La Lune qui étendait sa lueur laiteuse à travers la vitre m'aida pour ça, et je posai immédiatement mes yeux sur la forme allongée de Kakashi.

Lorsque ma vue s'éclaircit encore, je remarquais alors qu'il avait les yeux fermés et qu'il respirait tout doucement, par le mouvement lent de ses épaules qui montaient et descendaient paisiblement.

C'était une vision étrange, que de voir cet homme dormir.

Même avec son masque sur le nez, il était facile de remarquer qu'il semblait particulièrement apaisé dans son sommeil, d'une manière que je ne lui avais jamais vu en étant éveillé. Il n'y avait pas ce froncement entre ses sourcils, ces marques en dessous des yeux, et ses paupières entravaient la vision d'une lueur perpétuellement épuisée dans ses pupilles.

Là, il semblait serein. Plus si intouchable. Peut-être même pouvait-il donner l'impression d'être accessible d'une façon franche et pure, pour la première fois.

Je me sentis profondément troublée.

Les jambes un peu faibles, je m'assis doucement sur la chaise qui traînait là contre le mur, près du lit. C'est là que je me suis demandée s'il ne valait pas mieux que je m'en aille. Une douce magie me poussait à garder les yeux posés sur la silhouette endormie de mon sensei, mais au fond de moi, je savais que je ne devais pas être ici. Comme si je ne me sentais pas le droit d'observer cet homme dans l'état le plus inoffensif qu'un être humain pouvait l'être.

Gênée pour une raison quelconque, je me mis à détailler les recoins de cette pièce insipide, dont les contours devenaient plus affirmés à mes yeux par la lumière crue de la Lune. J'y passais un moment que je ne saurais compter, les pensées dans le vague, dans un moment de contemplation étrange où une profonde quiétude s'installa au fond de moi.

Au moment où je me disais que je pourrais facilement m'endormir, mon regard revint sur le Ninja Copieur.

Pour finalement croiser son œil noir qui était grand ouvert.

Mon sang se glaça avec la surprise, et je demeurai figée en le regardant se redresser légèrement sans me quitter des yeux.

Comme si son masque avait glissé de lui-même, ses lèvres furent découvertes, rendues pâles sous le regard de la Lune. Elles dessinèrent un sourire léger qui fit sursauter mon cœur, tandis que son regard d'encre n'affichait rien qui ne puisse m'informer sur l'état de pensée de l'homme à moitié assis là, à deux pas de moi.

« Je ne pensais pas que tu viendrais. »

- Moi non plus.

Il ne sembla pas surpris de mon honnêteté. Son sourire s'agrandit.

« Et surtout pas à une heure pareille. »

- Mon monde ne tourne pas autour de vous. J'ai d'autres impératifs.

C'était peut-être bas d'utiliser ses propres mots, mais je fus satisfaite du pli qui apparut entre ses sourcils.

Je le toisai d'un regard perçant, résolue à ne pas me laisser fondre complètement dans sa pupille sombre qui brillait malgré l'obscurité, en croisant les bras sur ma poitrine, comme pour créer une barrière invisible entre lui et mon cœur qui battait avec acharnement.

Et c'est là que je les vis. Les lignes de sueur qui dévalaient ses tempes, les cheveux qui restaient collés contre son front. Ses épaules qui frémissaient légèrement, le regard un peu absent, le teint terne rendu blafard non pas à cause de la Lune, mais de la fièvre.

Je n'avais pas repéré ces signes tandis qu'il dormait. Je m'en voulu profondément, à cet instant, de l'avoir hissé de ce sommeil où il avait eu l'air de se sentir si bien.

Je n'aurais su dire ce qui me poussa à lever le bras instantanément, à avancer ma main pour la poser doucement sur son front moite. Ce fut comme le réflexe d'essayer d'attraper un objet qu'on venait de faire tomber. Je n'ai tout simplement pas pu m'en empêcher.

- Vous êtes brûlant ! je soufflai alors en jaugeant la chaleur terrifiante de son front contre ma paume.

Kakashi s'était raidi subitement à mon contact, mais ne m'avait pas repoussé. Il me dévisageait profondément à présent, les deux yeux grands ouverts d'hébétude, comme s'il était en train de se demander qui j'étais et ce que je faisais là.

« Tu as la main froide. »

Et alors, je le regardais fermer les paupières et s'appuyer sur ma main comme s'il y trouvait un refuge inespéré. Ebahie, je demeurai immobile pendant quelques longues secondes, à le regarder soupirer contre ma paume, en me demandant s'il n'allait pas s'endormir comme ça.

Et puis, mon corps agit à nouveau à sa guise, sans me demander mon avis. Mon pouce commença à se mouvoir doucement contre son front, en essuyant quelques larmes de sueur, en effleurant ses cheveux moites. Il y dessina quelques cercles d'une délicatesse sans nom, et c'est dans un sursaut de pensées que je réalisai que j'étais en train de mêler mes sentiments à ce geste inoffensif.

Kakashi rouvrit les yeux et son regard retomba dans le mien. Mon cœur bégaya et je retirai ma main précipitamment avant que lui-même ne repousse mon geste tendre.

Mais il attrapa mon poignet au vol dans une prise qui me parut incroyablement ferme de la part d'un homme fiévreux. Son regard était étrange, un peu dur malgré la confusion que sa température lui peignait, et je crus un instant qu'il était en colère.

- Je n'aurais jamais dû vous réveiller, balbutiai-je maladroitement en tentant d'échapper à sa poigne. Je suis déso...

Le voir ouvrir la bouche pour parler me fit taire.

« Viens là. »

Il me tira en avant sans me demander mon avis. Je n'eus d'autre choix que de m'affaler sur le bord de son lit, le souffle coupé par la chaleur accablante qui me percuta alors, dégagé par son corps brûlant, même à travers la couverture qui le recouvrait jusque le haut des cuisses.

Je voulus protester mais la grande main chaude qui vint m'attraper le visage m'ôta le don de parole.

Je vis sa poitrine se gonfler et ses traits prendre une expression de soulagement intense.

« Putain, t'as la peau si fraîche. »

Il y avait quelque chose d'affamé qui se mêlait dans le vague de son regard, et j'eus un élan de panique.

- Si vous avez chaud, je peux aller chercher de l'eau...

Il secoua violemment la tête et eut à nouveau cet air que l'on pourrait confondre avec de la colère.

« Non, non. C'est toi que je veux. »

J'eus le souffle coupé et quelque chose dans ma poitrine remua avec violence.

Est-ce que la fièvre était en train de le faire délirer ?

Kakashi ne me laissa pas le temps de me remettre de ses derniers mots ; ses grandes mains restées puissantes malgré la maladie s'emparèrent de ma taille et m'emmenèrent contre lui.

Je ne me suis pas débattue. J'aurais peut-être dû ; mais au fond de moi, je n'en avais même pas envie.

Mon cœur battait fort d'anxiété, néanmoins. Qu'est ce qu'il s'apprêtait à faire, au juste... ?

J'eus l'impression que le temps s'étirait, tandis que le Ninja Copieur bougeait si vite...

Pour simplement enfouir son nez au creux de mon cou.

J'hoquetais de surprise en sentant son souffle brûlant frapper ma peau juste en dessous de ma mâchoire. Je demeurai pétrifiée, en appréhendant ses prochains mouvements.

Mais il ne bougea pas. Il se contentait de respirer fort tout près de ma gorge, en me serrant maladroitement dans ses bras. De longues minutes s'écoulèrent sans qu'il ne fasse rien d'autre que de garder son visage dans mes cheveux, le menton posé juste à côté de la jonction entre mon cou et mon épaule. Même si nous étions tous deux immobiles, mon cœur paniqué ne cessait de battre à vive allure, en réagissant violemment à la chaleur que dégageait la poitrine de mon sensei tout contre mon bras.

Cela dura un temps fini, un long instant d'apparence si calme provoquant pourtant une agitation monstrueuse au fond de moi qui ne s'adoucit jamais. A un moment, la respiration de Kakashi me parut si calme que je crus un instant qu'il s'était endormi, là, comme ça, contre moi.

C'était étrange, de voir cet homme asservi par la fièvre, en proie des tortures que sa propre chaleur lui faisait subir. Il ne m'avait jamais montré autre chose de lui qu'une image forte, insurmontable, apathique si ce n'était pas complètement fermée et mystérieuse. Et malgré l'énigme vivante qu'il incarnait à lui tout seul, j'avais toujours trouvé en lui un côté profondément rassurant, côté qui s'était vu exacerbé lorsqu'il avait commencé à s'occuper de moi après mon accident.

Là, je le découvrais sous tout un autre angle, qui me déstabilisait infiniment. C'est presque s'il ne me paraissait pas... fragile, là, blotti contre mon cou, ses mains serrant ma taille comme si j'étais une bouée de sauvetage. Sa poitrine frémissait, comme s'il ronronnait, et...

Oh. C'étaient ses cordes vocales. Ses cordes vocales qui vibraient contre mon épaule, et qui envoyaient des petits frissons jusqu'à l'intérieur de ma chair.

Il était en train de parler.

J'eus un élan d'amertume immense, de me retrouver là, à ne pas pouvoir écouter ce qu'il avait à dire, complètement impuissante à son souffle plein de mots indéchiffrables qui taquinait ma peau.

Et puis je me dis que peut-être, peut-être qu'il me disait des choses qu'il n'était pas encore capable de me dire droit dans les yeux, mais qui étaient quand même adressées à mon cœur. Une petite lueur d'espoir s'alluma au fond de moi. Alors, au lieu de m'indigner, d'exiger qu'il me laisse déchiffrer ses paroles sur sa bouche, je levai doucement la main, et le bout de mes doigts vint doucement caresser ses cheveux d'argent. Je le sentis se crisper doucement contre moi, et le frisson de ses cordes vocales s'arrêta un instant. J'avais peur de faire une erreur, en me laissant aller à cette boule de tendresse qui s'était doucement installée au fond de ma poitrine, et pourtant mes mains refusèrent de quitter ses mèches grises qui brillaient devant l'éclat de Lune et qui me chatouillaient doucement le menton.

Combien de fois avais-je rêvé de toucher ses cheveux de cette couleur si étrange ? Tant pis, si c'était mal. J'en crevais d'envie.

Et alors que je pensais avoir dépassé les bornes, d'avoir définitivement coupé la parole de Kakashi contre mon cou, la vibration de ses cordes vocales reprit lentement. Et je souris doucement dans le noir, extasiée.

Il était d'accord avec ça.

Je ne sais pas si c'étaient seulement quelques minutes ou la moitié de la nuit qui passa ainsi dans une quiétude étrange, dans une discussion à sens unique, alors que je ne me lassais pas de la sensation de mes mains dans ses cheveux et sa respiration contre ma chair. Je me sentais bien, à ma place, avec ses mains dans le creux de ma taille, ses doigts qui se mettaient parfois à y tracer des formes abstraites, si prudemment que je doutais même qu'il l'ait vraiment fait. Je savais que c'était éphémère, que ce sentiment placide ne durerait pas toujours, qu'il reviendrait, le moment où la fièvre cesserait de lui faire croire que j'avais peut-être le pouvoir de le soulager. Mais je profitais de chaque seconde, de chacun des battements de mon cœur et du sien, qui m'étaient plus précieux que le fait d'entendre quoi que ce soit.

Parce que pour la première fois depuis qu'il avait commencé à envahir ma tête, le silence n'était plus si difficile à supporter, à cet instant-là.

Au bout d'un temps infini, je sentis l'homme brûlant contre moi bouger légèrement. Ma poitrine se serra déjà de déception, en croyant le charme brisé.

Kakashi leva simplement la tête, et je baissai la mienne pour le contempler, un peu craintive, redoutant ce que j'allais y trouver.

Nos souffles se rencontrèrent alors et j'en fus tétanisée. Son visage était si près, pâle, encore légèrement transpirant, et pourtant si beau, avec ses lèvres entrouvertes, ses traits étrangement sereins, ses deux yeux ouverts, l'un noir comme la nuit et l'autre rouge comme le sang, embrumés et éveillés à la fois.

Je ne saurais dire qui s'est avancé le premier.

Le fait est que ses lèvres brûlantes étaient à présent sur les miennes, sèches et pourtant si douces au toucher. Je le sentis expirer lentement par le nez, et j'aimais penser que c'était un peu à l'image de ces exercices de respiration auxquels on procède parfois pour se calmer. Il demeura parfaitement immobile, néanmoins. Comme si la simple sensation d'avoir son visage contre le mien suffisait, qu'il ne ressentait pas ce déluge intérieur, ce cœur qui crie victoire, et cette impression de sentir son sang remuer de bien-être dans les veines.

Moi, j'étais à présent un parfait mélange tout ça. J'avais l'impression d'être le mot « adoration » sous sa forme vivante, et je me délectais plus que de raison d'avoir simplement sa bouche posée sur la mienne.

Je n'avais jamais retiré mes mains de ses cheveux, et j'en profitais pour tirer timidement, juste pour qu'il lève un peu la tête et me donner ainsi le pouvoir de planer au-dessus de ses lèvres comme je l'entendais.

Je le sentis sourire contre ma bouche alors qu'il se pliait à mon caprice et mon cœur déborda de joie.

Kakashi me laissa l'embrasser doucement, comme si c'était moi qui avais le contrôle, cette fois. Comme si c'était moi qui aurais le choix de le jeter ou de le garder contre moi à la fin. L'une de mes mains vint enlacer sa joue chaude, alors que je me mettais à picorer le coin de ses lèvres puis la ligne de sa mâchoire anguleuse avec une affection que je ne pris même pas le soin de cacher. Je le sentais réagir à travers la pression qu'avaient ses mains cramponnées à ma taille, en serrant fort et relâchant ses doigts par intermittence, comme si ma façon d'honorer son visage lui faisait vraiment un tel effet, comme s'il était particulièrement sensible à la sensation de mes lèvres sur sa peau incendiée par la fièvre. Il se dégageait de lui une chaleur irrespirable, si bien que je me demandais à un moment si c'était ça ou mes émotions incontrôlables qui me faisaient tourner la tête et me rendaient si frénétique.

J'avais envie que ça dure toujours. Qu'il me laisse l'effleurer, le toucher, l'embrasser comme je le voulais, sans craindre ce futur proche où il me dirait qu'on ne devrait pas, que ce n'était pas bien, où il mentionnerait un certain côté dangereux chez lui juste parce qu'il n'était pas assez cruel pour me laisser lire sur ses propres lèvres qu'il ne voulait finalement pas de moi.

Non, non, je ne voulais pas que ça se passe comme ça !

Mes gestes sur lui se firent alors plus possessifs et il le sentit. Je lui mordillai un peu la lèvre, descendis dans son cou, et pris la nuée de frissons qui l'envahit pour une victoire. Ses mains remontèrent le long de mon dos en réaction, comme pour me tenir plus près – deuxième victoire. Les miennes sillonnaient ses cheveux, descendirent sur ses épaules fortes, tracèrent du bout des doigts les muscles épais de ses bras, puis de ses côtes, puis de sa poitrine, et...

Kakashi me repoussa alors d'une force mesurée, brusque dans aucune manière, mais fermement.

Il était à bout de souffle, les cheveux plus ébouriffés que jamais. En croisant son regard, je vis une lueur presque féroce y vibrer, qui disparut en un battement de cils.

« Tu vas finir par me tuer. »

J'aurais tout fait pour saisir l'intonation de ces mots. Accusateurs ? Irrités ? Moqueurs ?

Parce qu'il n'exprimait rien, à part une profonde hébétude qui devait probablement se conjuguer avec cette fièvre qui le tenait résolument.

A vrai dire, même sans être fébrile, je me retrouvais dans un état de stupeur assez similaire.

Et pourtant, une certaine témérité insolente m'habitait encore, et j'ouvrais la bouche pour l'exprimer d'une simple question.

- Pourquoi ?

Le Ninja Copieur me regarda comme si une autre personne se tenait à ma place et qu'il se demandait qui j'étais.

« Tu ne te rends pas compte de ce tu fais. »

- Eh bien, quoi que je fasse, vous m'avez laissé faire.

Je l'observais lâcher un long soupir en se passant une main lâche dans les cheveux que je venais de chambouler, et je réalisai alors à quel point il avait l'air exténué. Une petite boule de culpabilité s'insinua dans ma poitrine, me disant que cet homme devant moi, aussi puissant shinobi pouvait-il être, était fiévreux et dans tous les cas, sûrement pas dans son état normal.

Je n'avais rien à exiger de lui dans une situation pareille.

Je me redressai alors et me remis debout à côté de son lit en époussetant mon pantalon comme si je venais de me trainer dans un endroit plein de poussière. Il me regarda d'un œil attentif, et je pense que c'est ma petite cervelle alanguie par cet homme qui inventa la lueur déçue dans ses yeux.

- Je... Je devrais vous laisser vous reposer.

Kakashi ne répondit pas. Il se contenta de me considérer profondément, encore une fois, les sourcils exagérément froncés, comme s'il se livrait à une bataille intérieure.

J'eus une envie irrépressible de lever ma main et de lui caresser une dernière fois la joue. Mais je me retins au dernier moment, laissant mon bras planer dans les airs, sous ses yeux à l'aspect aussi égaré que je l'étais à ce moment même.

Je ne savais pas quand je le reverrai, ni même si lui avait une quelconque envie de me revoir. A cette idée, j'étais désemparée ; il y avait encore quelques minutes, j'avais l'impression qu'il était à moi tout entier, et voilà que je retombais dans le désarroi où je ne savais plus rien après y avoir tellement cru.

Je baissai finalement la main et réussis à rassembler le courage pour me retourner sans le regarder. Je sentis ses yeux me brûler le dos tandis que je m'appuyai sur le rebord de la fenêtre pour trouver mon élan.

Et je disparus dans l'obscurité de la nuit.


__________


J'espère que ce chapitre vous aura plu x)

Ils sont un peu longs d'ailleurs ces derniers temps, j'espère que ce n'est pas dérangeant. J'essaie vraiment de poser les bons termes sur la relation entre Kakashi et la Reader et pour ça, il me faut pas mal de mots T_T

Les avis, critiques et théories sont toujours les bienvenus!

Des bisous et à jeudi

Emweirdoy

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