Chapitre 22

Pakkun était venu nous retrouver afin d'apparemment informer mon sensei qu'il n'y avait aucune trace de nos récents ennemis aux alentours pour nous importuner. Du moins, c'est ce que j'avais cru comprendre lorsque Kakashi-sensei s'était tourné vers moi pour me faire part de son sourire rendu invisible par le masque qu'il venait de remettre. 

Mon angoisse ne s'estompa par autant. J'étais éreintée, par l'intensité de cette mésaventure mais aussi par cet ouragan d'émotions acérées qui m'avaient fauchée et laissée tremblante et démunie. Les quelques heures de route que nous fîmes par la suite me parurent insurmontables, et j'avais passé tout ce temps à essayer désespérément de calmer mes membres frissonnants, toujours sous le choc de tout ce qu'il venait de se passer. Jamais, au grand jamais une confrontation n'avait été aussi bouleversante pour moi. Peut-être était-ce parce que jamais je n'avais été complètement sourde en y prenant part.

Et Kakashi-sensei avait finalement terminé de me faire chanceler par son étrange étreinte. Vraiment, je me sentais plus égarée que je ne l'avais jamais été.

J'avais souvent jeté un œil inquiet sur la main blessée de l'homme argenté à mes côtés pour vérifier si un quelconque saignement n'avait pas recommencé. Mon sensei dût le remarquer, puisqu'il finit par enfoncer sa main bandée profondément dans sa poche pour la retirer de ma vue. J'avais donc passé le reste du trajet à regarder mes pieds, définitivement perturbée.

Après des heures à errer dans le silence que je devinais placide de la forêt, l'arrêt soudain de mon sensei dans sa marche suffit à faire s'élever une nouvelle panique effroyable à l'intérieur de moi en même temps que mes yeux sur le paysage. 

Mon palpitant se calma doucement lorsque je compris finalement que nous étions simplement arrivés devant l'entrée d'un village animé en cette fin d'après-midi. Pas d'ennemis en vue, pas d'explosions dans chaque recoins; simplement quelques modestes maisonnettes et de joyeux passants dans les rues. Bien que je me savais à présent hors de danger, j'étais terrifiée. Encore et toujours, mais pour une autre raison cette fois ci. C'en fut trop pour mon corps et mon âme malmenés.

J'eus l'impression de m'éteindre à ce moment là. Comme si tout mon être était dépassé, comme s'il ne supportait plus rien. Alors mon corps se mit en pause, si bien que je n'aurais su expliquer comment j'avais pu me retrouver tout d'un coup dans une lumineuse salle de séjour avec une vieille dame en train de m'ausculter.

"Elle est en état de choc", lu-je mécaniquement sur ses lèvres fripées avant qu'elle ne se retourne vers la silhouette de mon sensei adossé sur le mur de bois à quelques mètres de là, m'observant avec une expression indéchiffrable.

Je papillonnai des paupières sans comprendre, comme si je venais de me réveiller d'un long sommeil. Qu'est ce qu'il m'arrivait, là? 

- Je vais bien, moi, articulai-je difficilement, en sentant que ma voix peinait à s'échapper de ma gorge sèche. C'est Kakashi-sensei qui est gravement blessé à la main...

La vieille dame secoua la tête avant de palper mon bras de ses doigts ridés. Je sursautai en sentant une vive douleur déferler dans mon membre engourdi.

"Je l'ai déjà soigné, il pourra bientôt reprendre l'usage de sa main. Toi par contre, je dois encore regarder la vilaine plaie que tu as là sur ton bras." Elle se retourna à nouveau vers mon sensei, et je l'observai avec étonnement le fusiller du regard. "Qu'avez vous fait de cette jeune fille, bon sang? Elle est complètement déboussolée!"

Déboussolée, je l'étais. J'avais réussi à oublier qu'un kunaï m'avait perforé le bras, et surtout je commençai à sacrément paniquer de ne pas comprendre comment j'avais bien pu atterrir ici. Je n'avais pas une bribe de souvenir concernant ma traversée de ce village devant lequel nous nous étions arrêtés. Peut-être que c'était un détail que je n'avais finalement pas envie de me remémorer.

La petite vieille posa sa main sur mon front, comme pour vérifier si je n'avais pas de la température. Ses lèvres bougeaient, et je gardai le regard fixé dessus sans essayer de les comprendre. Je n'imaginais qu'une voix douce et légèrement éraillée par le temps murmurer des mots rassurants, et ça me suffisait bien.

Je n'osai lever les yeux vers Kakashi-sensei et son regard étrangement fermé. J'en avais marre d'avoir peur et de me sentir coupable. Ainsi je me laissai porter par les gestes volatiles et délicats de la petite vieille qui soulagea la douleur dans mon bras comme par magie, mais qui n'eut malheureusement pas le pouvoir de soigner celle dans mon âme qui me torturait tant.

Je fermai les yeux en espérant voir la catastrophe qu'avait été cette journée se volatiliser à l'image d'un mauvais rêve qui se dissipe au réveil.

Je saluai l'inconscience à la place, comme si elle avait toujours été une bonne amie.


***


Ce qui m'étonna le plus lorsque j'ouvris les yeux fut l'odeur étrange qui embaumait l'air et qui me fit directement savoir que je n'étais pas chez moi. Une fois cette légère surprise passée, je me redressai en m'habituant doucement à l'obscurité ambiante, pour finalement découvrir que cette chambre m'était effectivement totalement inconnue et que nous étions au beau milieu de la nuit, puisque les rayons laiteux de la Lune me saluaient à travers les rideaux fins de la fenêtre.

Je devinai la présence d'un autre lit en dehors de celui dans lequel j'avais apparemment entamé ma nuit. Vide. 

Un léger trouble s'empara de moi en réalisant que j'étais seule dans un endroit totalement inconnu. Je m'empressai de sauter du lit, après avoir remarqué que mis à part mes chaussures, j'avais encore tous mes vêtements sur moi tandis que mon bandeau frontal ainsi que ma sacoche de voyage avaient gentiment été posés sur la commode à côté. Pieds nus sur le parquet froid, je quittai à pas de loup cette chambre plongée dans l'obscurité, mes sens en alerte, à la recherche d'un détail quelconque pour m'indiquer ce que je pouvais bien faire ici.

Le couloir était sombre et calme. Je vis des chiffres de métal miroiter sous la lueur de la Lune qui traversait la fenêtre tout au bout, et je devinai ainsi que c'était bien là la preuve que je me trouvais dans une auberge d'aspect plutôt chaleureuse et familiale. Je gravis quelques escaliers avant de ressentir dans l'air la trace manifeste d'une chaleur que je connaissais bien, et qui avait toujours ce doux et léger effet de faire chanter mon cœur au fond de ma poitrine. Je suivis cette présence marquée dans l'atmosphère comme une lumière dans le noir, jusqu'à me retrouver sur le perron du logis où je découvris finalement l'objet de mon intérêt tout entier assis sous l'astre qui rendait la nuit moins noire.

Il devait avoir repéré ma présence depuis des kilomètres à la ronde. Pourtant, il ne se retourna pas.

Coincée entre cette peur de le déranger et cette envie irrépressible de voir sa présence effacer l'amertume de mon existence, je restai quelques secondes figée sur le pas de la porte dans savoir quoi faire. J'avais envie de lui parler. Et c'est cette profonde inclination qui me poussa finalement à m'avancer pour m'échouer à côté de lui.

Je lui lançai un petit regard craintif. Rien n'indiquait qu'il tolérait ma présence, et pourtant il ne parut pas ennuyé non plus. Son masque se fondait dans les ténèbres de la nuit qui contrastait tant avec la pâleur de ses cheveux affranchis de son bandeau qui épousaient si bien la lueur laiteuse de la Lune sur laquelle il avait justement le regard rivé. Aucun détail n'aurait pu m'arracher de cette vision étrange de cet homme assis à côté de moi et le nez levé vers le ciel qui ne semblait aucunement avoir cure de ma présence.

- Kakashi-sensei...

Je le vis fermer les yeux quelques instants, comme s'il soupirait d'exaspération. Ma présence était-elle aussi agaçante que ça? Mon cœur se serra lorsqu'il finit par baisser la tête et ouvrir les yeux pour enfin les planter dans les miens.

J'eus du mal à identifier cette lueur qui trainait dans ses pupilles dépareillées. Je n'aurais su dire s'il avait l'air de m'en vouloir ou s'il paraissait soulagé, s'il était serein ou agité. A cet instant, cet homme était devenu la plus grande énigme qui soit. Et je me trompais, parce qu'il l'avait finalement toujours été.

- Vous êtes énervé contre moi? osai-je timidement, en ne sachant sur quel pied danser.

Il haussa ses sourcils et m'offrit pour la première fois depuis quelques minutes un semblant d'expression identifiable: de la surprise.

Il baissa son masque et je sentis mon cœur battre plus vite.

"Pourquoi est ce que je serai énervé contre toi?"

Une part de moi fut soulagée et une autre déconcertée. 

- Bah... J'ai été très mauvaise pendant le combat de ce matin, et je n'ai même pas été fichue de tenir debout jusqu'au bout...

Kakashi-sensei secoua la tête.

"Ce n'est pas de ta faute. Je n'aurais peut-être pas dû tant insister pour que tu retournes en mission".

Même si je comprenais son avis, même si j'étais totalement d'accord avec lui, je ne pus empêcher ces mots de me blesser profondément au point d'avoir l'impression de sentir mon cœur se faire violemment piétiner. Ce n'était que la vérité, mais oh Dieu ce que cela faisait mal d'entendre cela de la bouche de celui en qui j'avais placé tous mes espoirs de guérison.

"Ce n'étaient rien d'autre que des vagabonds un peu trop belliqueux qui n'avaient rien à voir avec la mission", poursuivit-il en conservant son air pensif. "Tout se serait bien passé s'ils ne nous avaient pas débusqués, et pourtant c'est le genre d'aléas auxquels il faut malheureusement s'attendre lorsqu'on est shinobi. On ne pouvait pas savoir mais en même temps j'aurais dû le prévoir, ainsi je ne sais plus trop quoi penser."

- Alors... Vous ne pensez pas que je suis une incapable?

Il m'observa en fronçant des sourcils.

"Mais d'où te vient cette idée?"

- Mais... Je vous ai mis en danger avec mes états d'âmes! J'ai été incapable de réagir comme il le fallait, j'ai été paralysée par la peur! C'est désolant, pour quelqu'un qui se croit être une kunoïchi...

Je fus définitivement perdue lorsque je vis mon sensei éclater de rire. J'étais en train de rêver.

"Evidemment que tu as eu du mal à gérer la situation, c'était la première fois que tu te confrontais à ça après ce qui t'est arrivé. Je ne peux pas te blâmer de t'être sentie dépassée, ce n'était pas prévu que tu affrontes ça si vite. Et malgré tout, tu as eu de bons réflexes, tu as couvert mes angles morts et tu as su te débarrasser de trois d'entre eux assez brillamment, je dois dire. Mais après tout ça... Je me demande juste si te pousser à reprendre les missions n'était pas juste une erreur de jugement de ma part."

Je clignai des yeux, déconcertée tandis que je le contemplais relever la tête vers le ciel étoilé. Ses paroles faisaient écho à ce que je ressentais, d'une certaine manière; je ne savais pas si retourner sur les routes escarpées du monde shinobi était une bonne idée. Je n'avais jamais su, et pourtant Dieu ce que je l'avais voulu. Après cette mésaventure à l'apparence bénigne, j'avais été tellement secouée que je m'en retrouvais plus égarée que jamais. Ce qui m'étonnai néanmoins, c'était de voir mon sensei dans le même état de doute que moi.

Ces pensées me torturaient et tournoyaient dans mon crâne, lorsque je vis les lèvres de Kakashi-sensei bouger tandis qu'il contemplait toujours la nuit, comme hypnotisé.

"...Je n'arrive pas à te cerner. Tu es parfois si expressive que j'ai l'impression de tout comprendre, et puis du redeviens indéchiffrable et je me rend compte alors que j'ai rien compris du tout. Il y a des fois où tu a l'air déterminée, d'autres fois où tu donnes l'impression de vouloir abandonner, alors je ne sais plus si je dois t'encourager à continuer ou au contraire te dissuader pour que tu ailles enfin mieux. Je ne pense pas être un très bon sensei et je ne sais souvent pas trop comment me comporter au mieux avec mes élèves, mais je dois avouer que toi, tu me donnes du fil à retordre."

Je me demandai un instant si je n'avais pas commis une erreur en traduisant ses mots silencieux. J'avais l'impression qu'il m'avait fait part pour la première fois d'une de ses pensées pures, sans détours, démunie de ces esquives dont il abusait si souvent pour tenir éternellement le monde à bonne distance de lui. Et que cela me concerne directement me déstabilisa franchement. Je n'avais aucune idée de comment réagir à un tel aveu. Ni de la façon dont je pouvais bien lui dire que ce qu'il venait de m'avouer faisait écho à ce que je pensais de lui.

- Je...

Il balaya mes mots à venir de sa main couverte de bandages et secoua la tête pour me dissuader de répondre quoi que ce soit à cela. Et finalement, c'était mieux ainsi.

Mon regard resta accroché à sa main blessée et mon inquiétude ainsi que ma culpabilité revinrent au galop. 

- Votre main...? demandai-je d'une voix étranglée.

Kakashi-sensei leva son bras pour me montrer ses doigts proprement bandés sous les rayons de la Lune.

"La petite dame de tout à l'heure m'a dit que si tu n'avais pas appliqué le baume sur les brûlures, j'en aurais sûrement gardé les traces. Ce ne sera pas le cas," dit il en pliant et dépliant tour à tour ses doigts.

Pour la première fois, je me suis dit qu'avoir été rendue sourde par le feu d'une explosion avait son utilité. Et le sourire qu'il m'offrit fut le plus beau remerciement qu'il soit.

- Je... Je ne me souviens plus de ce qui s'est passé lorsque nous sommes entrés dans le village, avouai-je en baissant les yeux, lorsque la vision de cette vieille dame sortie de nulle part me revint en mémoire.

Il passa sa main devant mon visage pour me pousser à le regarder à nouveau. Si je n'avais pas été aussi honteuse de moi même, je n'aurais jamais eu la force de lâcher ce visage du regard. Le contempler suffisait à me faire croire que les évènements de la veille n'avaient été que de vagues et lointains souvenirs, lui parler exorcisait tout le mal contenu au fond de moi. Cet homme était un véritable magicien.

"C'est normal, d'une certaine manière. Lorsque ton cerveau est saturé d'émotions trop lourdes à supporter, il préfère tout renier, et tu te retrouves parfois quelque part comme si tu venais de te réveiller, sans comprendre ce qui t'a amené là alors que tu es restée consciente tout du long".

Je le regardai avec surprise. Il venait de décrire exactement l'impression que j'avais eue.

- Ca vous est déjà arrivé?

Il me fixa quelques secondes, avant d'hocher la tête doucement. Je me demandai ce qui pouvait bien mettre à bout un homme tel que lui au point de se voir subir des absences pour oublier la cruauté de la réalité. Et surtout, Dieu ce que cela pouvait me rassurer. Je n'étais pas devenue complètement folle à lier.

"Tu m'as fait peur."

Et la surprise fit son retour en s'abattant sur moi. 

- Vous êtes pourtant plutôt le genre de personne qui donne l'impression de n'avoir jamais peur de rien...

"Je reste humain", finit-il par articuler doucement, en prenant un air absent, comme s'il était tout d'un coup parti bien loin de moi.

Je parvins alors à mettre un mot sur cette chose indéchiffrable qui habitait souvent le fond des yeux de mon sensei. Cet air torturé qu'il avait parfois, que j'avais remarqué après ma conversation avec Asuma-sensei. Et cette tristesse infinie qui se dégageait de lui, en contraste total avec l'assurance qu'il laissait paraître à travers sa calme nonchalance. Cette expression qu'il avait toujours en me regardant droit dans les yeux.

La culpabilité.


***


J'avais beaucoup dormi le lendemain, presque toute la journée. Cela ne m'était plus arrivé depuis le début de ma nouvelle vie sans mon audition, de me retrouver plongée dans un tel sommeil de plomb, comme si mon propre corps avait décrété en vouloir à la terre entière et se réfugiait ainsi dans une inconscience profonde et sans rêves. J'avais ainsi habité la chambre de l'auberge toute la sainte journée pour hiberner, et profité du sommeil comme diversion à mon mal-être. Lorsque je me réveillais et que je prenais conscience que je ne me sentais absolument pas reposée malgré ces heures de coma, je m'empressai de me retourner pour m'y enfoncer à nouveau. A force, cette facilité à sombrer ne me faisait même plus peur; c'était simplement libérateur. 

J'avais conscience d'être au beau milieu d'une mission, mais mon sensei ne vint jamais me réveiller pour m'annoncer qu'il était temps de repartir. Et franchement, je n'en avais pas tellement envie.

Les heures passèrent ainsi en quelques secondes, où mes pensées demeurèrent troubles et embrumées par le sommeil. Je rêvais de silhouettes sombres au loin qui disparaissaient dans la fureur d'un feu détonnant, d'un paysage où je pouvais entendre quelques bribes d'éclats de rire étouffés, comme si j'avais été enfermée dans une bulle de savon ou coincée sous la surface de l'eau. Mais j'entendais quelque chose, et ça me faisait bizarre, si bien qu'au réveil j'avais souvent du mal à me dire que tout cela n'avait été un rêve et que je me retrouvais à nouveau dans une réalité bien trop silencieuse. Même si cela me dépouillait de tout mon courage dès les premières lueurs de l'aube, je me disais que mes songes avaient au moins le mérite de ne pas me faire oublier la couleur de la voix que le monde pouvait avoir autour de moi.

Plongée dans les brumes de ma somnolence, je crus entendre une voix lente et grave que je n'avais pas entendue depuis une éternité. Je sursautai en ouvrant les yeux, pour rencontrer le visage soucieux de Kakashi-sensei un peu trop près de moi, mais dans l'instant, je n'en tins absolument pas rigueur. Je me redressai subitement et gardai le regard fixé intensément sur sa bouche découverte, attentive.

"Euh... Je commençais à m'inquiéter que tu ne te réveilles pas..."

Et je me rendis compte que je n'avais rien fait d'autre que de rêver sa voix.

Je retombai lourdement sur mon coussin, dépitée. J'y avais vraiment cru.

Mon sensei, lui, se tenait toujours près de mon lit et m'observait d'un air consterné, les sourcils froncés. Malgré la légère obscurité dans laquelle était plongée la pièce, je remarquai que ses joues étaient légèrement rosées, et au delà du fait que le mot "adorable" me vint presque instantanément à l'esprit en le regardant, je réalisai que je m'étais tenue bien trop près de son visage pour regarder ses lèvres.

Je rougis à mon tour et cachai ma tête mes bras. Non mais qu'elle idiote!

- Pardon, j'avais cru pouvoir entendre quelque chose..., marmonnai-je sans savoir si j'avais parlé assez fort pour qu'il ne m'entende.

Je me découvrais le visage avec surprise lorsque je sentis le matelas légèrement s'affaisser sous le poids de Kakashi-sensei qui venait de s'asseoir sur le bord du lit. Je rencontrai son regard intrigué qui brillait sous la lumière tamisée du soleil du soir qui pénétrait doucement la pièce.

"Tu entends quelque chose quand tu rêves?"

J'étais légèrement interdite de le voir soudainement si intéressé par ce qu'il pouvait bien se passer dans la tête d'un sourd. Mais je me rendis compte que si je ne l'avais pas été, j'aurais aussi été avide de ce genre détails. Ainsi, je ramenai mes jambes contre mon buste comme pour me protéger de la chaleur que cet homme semblait dégager ou provoquer chez moi, je ne savais plus, et lui répondis.

- Oui, un peu. Mais c'est rien de très clair, tout est un peu... atténué, comme si j'avais la tête sous l'eau. Mais ça je le ressens aussi quand je suis réveillée, sauf qu'à la place c'est des espèces d'acouphènes qui trainent dans mes oreilles...

Je me frottais les oreilles par réflexe, comme si j'espérais toujours déloger la crasse qui semblait me boucher les tympans. Même en sachant que ce geste était tout à fait vain, je le faisais très régulièrement, surtout au réveil, sans trop m'en rendre compte.

"C'est ma voix que tu as cru entendre?"

Je fronçai les sourcils en lisant ces mots. J'oubliais parfois que mon sensei était encore plus clairvoyant que Sakura.

- Heu... Oui. Mais j'ai dû rêver...

Kakashi-sensei hocha la tête. Il semblait pensif.

Je l'observais quelques instants. Les traces violacées sous ses yeux s'étaient encore élargies. Est ce que cela faisait bien quarante-huit heures qu'il n'avait pas dormi?

Il plongea son regard dans le mien et me prit en flagrant délit de ma contemplation. Il n'en tint une nouvelle fois pas rigueur et se contenta de sourire doucement.

"Dis-moi, est ce que tu te sentirais assez bien pour que je t'emmène voir quelque chose?"

Je fronçai les sourcils, interdite.

- Et la mission?

Ma voix se perdit dans ma gorge lorsque je vis son sourire s'agrandir. Je me suis dis à cet instant que je ne me lasserai jamais de voir un tel spectacle de toute ma vie.

"Ca peut attendre demain".

Ma curiosité avait déjà pris le dessus lorsque j'acquiesçai. 

Il se redressa, et après m'avoir dit qu'il m'attendrait à l'entrée de l'auberge, il remit son masque sur son nez et disparut derrière la porte.

Quelques minutes plus tard, j'étais sous les lueurs orangées du soleil couchant à ses côtés.

Je lui lançai un regard intrigué, qu'il me rendit en plissant les yeux. Le vent était léger, et faisait voleter ses cheveux libérés de son bandeau et les plis de son chandail légèrement trop large pour lui. Vêtu ainsi sous le soleil déclinant, on avait du mal à croire qu'il s'agissait là d'un des plus grands ninjas de notre temps; il avait plutôt des allures d'un simple passant un peu trop beau qu'on admire en se disant que ce n'est qu'une belle image qu'on ne reverra jamais.

J'aimais me dire que j'avais la chance de l'admirer un peu plus que le temps de se retourner discrètement dans la rue.

Il dévala les marches du perron et je lui emboitai le pas.

Mon cœur commença à battre plus fort alors que nous nous enfoncions dans les allées claires du village où nous faisions escale depuis deux jours, dont je ne me souvenais plus avoir traversé. Si les quelques habitants gravitant çà et là ne me terrorisèrent pas trop de prime abord, ils finirent de m'étouffer lorsque le cortège s'intensifia autour de nous. Des lanternes chaleureuses s'allumèrent tandis que le jour mourrait, les visage s'éclairèrent de sourires malgré l'obscurité au dessus de nous et la joie prit vie dans l'air, et m'empoigna la gorge sans me laisser le loisir de respirer. Lorsque je vis des banderoles scintiller au dessus des avenues en l'honneur de cette fête de fin d'été, je me demandais un instant pourquoi je n'étais pas encore à genoux.

Je lançai un regard paniqué à l'homme argenté que je peinais à suivre. Est ce qu'il avait l'intention de m'achever après le désastre qu'avait donné ce début de mission?

Je réalisai qu'il se tenait juste à côté de moi, que son bras frôlait mon épaule. La chaleur de l'air se reflétait dans son œil noir qui brillait, et il me lança un nouveau sourire qu'on ne pouvait voir que dans ses yeux. Moi aussi, j'aurais aimé ne pas sentir cette gaieté s'évaporer autour de moi et sortir de mon empire de poussière, où l'on ne sait pas rire et où tout est pierre. J'aurai tout donné pour ça.

Les silhouettes se resserrèrent autour de moi. Je commençai à manquer d'air. Je levai la tête vers le ciel dans l'espoir de trouver dans ces étoiles scintillantes une main secourable, mais elles se contentèrent de briller aussi fort que ces lumières trop éblouissantes pour moi. C'était trop beau pour quelqu'un qui n'entendais pas, cette joie était trop vide et creuse dans le silence profond qui ne cessait de s'étendre autour de moi. J'étais paralysée au milieu de cette euphorie muette et je sentais le piège se refermer sur moi. Moi qui croyais être guérie, je mesurais à quel point je m'étais égarée dans les faux espoirs dont parlait Tsunade.

Je commençai à reculer lentement, dépassée. Je ne pouvais rien faire d'autre que reculer. Encore et toujours, reculer.

Mais une poigne aussi douce que ferme me stoppa dans ma fuite. 

La main valide de Kakashi-sensei resta doucement accrochée à mon poignet et je me pétrifiais une nouvelle fois. Alors que je pensais qu'il voulait finir de me tuer au milieu de cette foule mutique, j'hoquetai de surprise en sentant sa paume rencontrer la mienne et ses phalanges emprisonner mes doigts.

Comme la dernière fois, ce geste m'électrisa et je sentis mon cœur rater un battement. Ma vue se fit moins trouble et je pris une grande inspiration comme pour purger mon corps de cette chaleur qui montait à l'intérieur. Ma concentration se dirigea sur le champ vers la gestion de ces frissonnements qui dévalèrent mon échine et de ce cœur qui semblait prêt à s'échapper de ma cage thoracique. Mais ce n'était plus à cause de la peur.

Le regard vissé devant moi, je refusais de le diriger vers l'homme à côté de moi pour ne pas définitivement perdre mes moyens. C'était ma dernière barrière. Et cette main accrochée à la mienne, mon dernier secours.

Mais tandis que je me détendais, elle tenta de s'échapper. Et je refusais qu'elle ne me laisse seule dans le noir. Alors, je la serrai, très fort, pour qu'elle ne parte pas. Je nouai mes doigts fermement autour des siens, et le cœur battant, je daignai enfin lever le regard vers l'homme aux cheveux argentés à côté de moi.

Dans son œil aussi noir que la nuit au dessus de nous, je vis de la confusion, mais aussi et surtout, de l'approbation qui suffit à garder ma main profondément arrimée à la sienne. Et il ne la retira pas. 

Il la serra très fort à son tour.

Et nous nous avançâmes, sans qu'il ne me lâche une seconde.

___________


Bijour.

J'espère que ce chapitre vous a plu! J'ai l'impression qu'il y a parfois beaucoup de mots pour ne pas dire grand chose, finalement. Si vous ne trouvez pas ça ennuyeux, c'est que j'ai accompli ma mission :')

On vient de dépasser 10k vues et 1k votes sur cette fiction. Quelle pression. Et surtout, merci infiniment!

J'espère qu'elle continuera à vous plaire à l'avenir, même si je ne sais pas trop où cette histoire va aller. Encore merci à celles et ceux qui lisent, votent et commentent, du fond du cœur!

A la prochaine!

Emweirdoy

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top