Chapitre 21

J'avais toujours su que partir en mission signifiait forcément de se confronter à un moment ou un autre au danger, qu'il était probable que le combat soit engagé à tout moment, même aux instants où on s'y attendait le moins. Tout être qui s'engageait sur la voie shinobi y était scrupuleusement préparé, et était conscient chaque seconde de ce que cela signifiait, des épreuves qu'on se devait d'être prêt à affronter.

Pourtant, moi, j'avais l'impression de ne pas être prête du tout.

Je le sentais au fond de mon estomac, le danger qui approchait. Mon corps n'avait pas encore tout à fait émergé du sommeil, et pourtant cette chaleur menaçante que je sentais tout autour de nous m'en avait violemment extirpée. Ce frisson qui semblait m'avoir manqué, à présent, me terrifiait, parce que je me sentais aveugle et démunie d'avantages pour m'en sortir. Je me rendais compte à cet instant à quel point j'étais devenue sauvage, craintive, et surtout que les choses ne seraient jamais comme avant, que je ne savais plus m'armer de courage. Je regrettais ce temps où rien ne me faisait peur, lorsque je fonçais sans craindre les conséquences parce que je me sentais forte, comme ce doux pouvoir qu'a la vie parfois de vous faire sentir immortel parce que vous êtes sûr qu'il y a quelque chose derrière qui vous protégera toujours, et qu'il ne peut rien vous arriver, à vous.

Tout ceci se bousculait dans ma tête tandis que je m'armais lentement d'un kunaï à mon tour, et que je me plaçais derrière le dos de mon sensei pour couvrir ses angles morts. Je sondais les arbres obscurs au loin d'où pouvait surgir à n'importe quel moment cette menace palpable dans l'air, et les bourdonnement dans mes oreilles me compressèrent le crâne sous le coup de la peur et de l'agitation. Mon cœur y battait si fort, contre mes tempes, et je m'acharnai pour faire cesser les tremblements incontrôlables de mes genoux.

Je tentai de me rassurer désespérément, par tous les moyens possibles. Je me remémorai les mots que j'avais lu sur les lèvres de mon sensei la veille au soir, qui disait que l'ignorance de nos ennemis potentiels sur la véracité de ma situation constituait un avantage certain. Oui, personne ne pouvait se douter que je n'entendais pas, et c'était d'autant plus invisible maintenant que je pouvais déceler la présence d'autrui dans mon sillage. 

Je soufflai nerveusement, tendue à l'extrême. Ca s'approchait, et c'était monstrueusement oppressant de sentir une telle aura menaçante foncer droit sur nous.

Je sentis la main gantée de Kakashi-sensei frôler mon bras. Elle sembla aspirer une partie de mon angoisse, par le doux pouvoir que cet homme exerçait naturellement sur moi mais également parce que je venais d'oublier que je n'étais pas seule, et que j'avais l'un des ninjas les plus puissants du pays juste derrière moi.

La seule chose que je regrettais, c'était de combattre sans entendre l'une de ses directives qui pourrait peut-être me sauver la vie.

Toute l'étendue de ces affres et réflexions qui avaient déferlé dans ma tête n'avaient pas duré plus d'un millième de seconde.

Car à l'instant où j'avais dégainé mon kunaï, nos adversaires se jetèrent sur nous.


Qui ils étaient? Ce qu'ils voulaient? Pourquoi ils attaquaient? Je n'eus pas le loisir de le comprendre tout de suite, trop occupée à parer l'attaque de l'inconnu qui avait foncé sur moi.

Un relent de terreur me fouetta le visage tandis que mon ennemi enfonçait ses prunelles sinistres dans le fond de mes yeux, une lueur si cruelle luisant dans les siens que le temps sembla se dilater quelques instants pour que je réalise pleinement l'intensité de cette horrible hostilité. Mon adversaire recula d'un pas souple en maintenant son regard mauvais vissé droit sur moi, et je frissonnai d'horreur. J'évitai maladroitement son attaque suivante, et tandis que je je tournai sur moi même pour l'esquiver et me rendre pleinement compte de la situation, je vis bien une dizaine d'individus nous encercler, prêts à se joindre au combat. Leur chakra était glacé, si froid que je le sentais picoter ma peau, et à cet instant je me suis dit que j'aurai voulu ne jamais pouvoir sentir ce pouvoir atroce chez les autres.

J'ai longtemps cru que je cesserai de stresser une fois avoir entamé un vrai combat; je pensais que mes doutes s'évaporeraient et que me démener pour sauver ma peau repousserait cette hésitation immuable qui ne cessait de prendre ses racines à l'intérieur de moi. Mais ce trouble ne passa pas, même lorsque mon kunaï fendait l'air, même lorsque je tentai de me défendre avec férocité. Je réalisai avec horreur que mes mouvements saccadés demeuraient vacillants, que mes coups frappaient l'air plutôt que la chair et que la panique commençait doucement à monter à l'intérieur de moi, à endiguer mes membres pour enfin craindre qu'elle ne finisse par me paralyser d'impuissance. Je n'avais pas le temps de me claquer les joues pour me reprendre, et la peur venait de prendre définitivement le pas sur mon courage; je sentais les doigts glacés de la terreur longer ma colonne vertébrale et m'emprisonner de ses bras.

Ce n'était pas comme le combat que j'avais mené avec mes amis. Eux n'avaient pas cette volonté cuisante de me tuer à l'intérieur de leurs yeux, eux n'avançaient pas des coups qui risquaient de m'anéantir s'ils avaient le malheur de me toucher. J'avais à présent affaire à l'hostilité, la vraie, que j'aurai pu gérer si je ne m'étais pas retrouvée tant démunie après avoir perdu une partie de moi dans cette foutue explosion. Je me sentais submergée, et même si j'étais consciente des avantages que j'aurai pu exploiter pour m'assurer une victoire facile, mes espoirs avaient déserté mon esprit et c'est dans un moment critique comme celui ci que je me rendis compte que je n'étais plus capable d'être ninja.

Le shuriken égaré qui me frôla et m'entailla la joue au passage ne suffit pas à me faire redescendre sur terre. Je regardais le vide, des individus troubles gesticulant tout autour de moi, m'agressant de leurs auras trop fortes et trop accablantes pour moi. Je n'avais même pas le courage de m'enfuir, j'avais envie de vomir de ma propre médiocrité. Là, en plein combat, j'étais perdue dans le vague de mon esprit sentencier, qui me disait que j'avais été stupide de nourrir tant d'espoir pour un désir que j'avais toujours su, au fond, n'être qu'illusoire. Alors, j'attendais qu'on me renverse, comme le méritait l'être trop crédule que j'avais été.

Lorsque deux mains puissantes s'emparèrent de mes épaules pour me secouer brusquement, je crus que le moment de tomber était enfin arrivé. Mais la douleur ne fulgura pas, mon visage ne percuta pas le sol, et j'en fus profondément désorientée.

Je levai mon regard stérile pour rencontrer une paire de grands yeux dépareillés qui me fixèrent, profondément alarmés.

Ainsi, je redescendis sur terre avec la même violence qu'un puissant coup de pied droit dans l'estomac.

Kakashi-sensei avait relevé son bandeau qui laissait apparaitre son Sharingan flamboyant, planté profondément dans mes yeux. Il semblait à bout de souffle, et me criait par le regard de me reprendre, et vite. Mes yeux s'attardèrent prestement sur les quelques silhouettes étendues au sol qu'il devait avoir vaincu tandis que moi, j'étais restée immobile au milieu de la mêlée. Quatre individus tenaient encore debout et l'un deux ne laissa pas le temps au ninja copieur de me secouer davantage, en se jetant sur nous. Avec un réflexe qui m'étonna moi même, je parai son coup avant que Kakashi-sensei n'ait pu esquisser un geste et le repoussais de toutes mes forces pour éloigner la menace qu'il représentait et qui me tordait tant l'estomac. 

Le regard de mon sensei tomba encore une fois dans le mien avec inquiétude, comme pour vérifier si j'étais réellement capable de supporter la fin du combat. Je compris que si je n'avais encore aucune égratignure, c'était bien parce que l'homme argenté avait fait rempart entre moi et nos ennemis, et cette vérité seule suffit à me remettre les idées en place. J'avais laissé mon sensei combattre seul, et même si je ne doutais pas une seconde de sa puissance et du fait que mon niveau actuel ne lui serait sûrement pas d'une grande aide, cette idée me fut intolérable. Il était hors de question que je laisse ce sentiment pathétique m'envahir encore, et même si je rêvais de me réfugier à l'intérieur, je désirai bien plus encore ne pas être un fardeau pour personne. Cette résolution seule me donna la force de plier les genoux en position d'attaque et d'estomper mon inertie accablée, pour finalement me tenir prête à anéantir nos derniers adversaires aux côtés de mon sensei.

Je vis ce dernier me jeter un regard ébahi en me voyant m'élancer sur un homme de grande taille qui composait quelques mudras à quelques mètres de là. Je voulais que tout cela cesse, arrêter l'ascension de cette peur inconditionnelle qui me faisait perdre mes moyens. Et pour cela, il n'y avait pas trente-six milles solutions. Même si la situation m'effrayait profondément, je ne voulais plus continuer à me complaire dans ma médiocrité comme je venais de le faire. Refuser la réalité ne faisait pas disparaître le danger, et le regard dépareillé de mon sensei venait de me le faire comprendre.

Je m'abandonnai à mon nouveau sens pour guider mes pas et m'aider à émerger de ma torpeur. C'était facile, dans un sens, limpide; je connaissais la position exacte de tous les individus autour de moi, par cette chaleur au fond d'eux qu'ils dégageaient. Je m'y accrochai de toutes mes forces et avançai en conséquence, en laissant mon corps réagir par ces instincts nouveaux. 

Ne pas réfléchir, ne pas réfléchir. Frapper où mes sens me l'indiquaient. C'était ma seule chance pour ne pas sombrer dans la terreur sourde qui m'habitait depuis des mois.

Si certains de nos ennemis portaient des cagoules, d'autres me laissaient allègrement voir leurs lèvres remuer à l'air libre. J'interceptai au passage les directives qu'ils se donnaient les uns aux autres, et bientôt, je me retrouvai avec la silhouette inanimée d'un adversaire à mes pieds sans comprendre comment j'avais bien pu faire cela, tandis que mon sensei, derrière moi, venait d'en étaler un autre.

Il y eu quelques secondes de latence où je fus légèrement étourdie, où ma concentration s'échappa d'entre mes doigts. Et avant de comprendre ce qui m'arrivait, une douleur infernale fulgura à l'arrière de mon bras. 

J'avais dû lâcher un cri, car Kakashi-sensei fit volte-face pour me voir arracher le kunaï qui avait profondément pénétré la peau de mon bras. Le sang commença à s'écouler, et je posai vivement ma main sur la plaie pour contrôler l'écoulement alarmant de liquide écarlate, en pestant intérieurement de ne plus pouvoir entendre le sifflement des armes fendant l'air ni distinguer le chakra dont ils étaient démunis. Ca, c'était un gros handicap, et je remerciai le ciel à l'idée que nos ennemis n'en soient pas conscients et n'en profitent pas pour tourner l'affrontement à leur avantage.

La vague de douleur me paralysa quelques instants; à ce moment précis, je vis un individu émerger de l'obscurité d'un bosquet, l'air triomphant, et c'est avec horreur que je lus les mots que ses lèvres prononcèrent.

"La gamine! Je l'ai observée! La gamine est sourde!"

Oh non.

Les visages se tournèrent vers moi, et j'eus le sentiment brut d'être piégée. J'étais à présent la proie affolée au milieu d'un cercle de carnivores autour de moi, et une vague de terreur me gifla une nouvelle fois.

Ces gens n'étaient pas bêtes. Ils savaient qu'ils avaient devant eux le ninja copieur, et qu'ils n'étaient pas de taille à le vaincre. Mais maintenant, ils venaient de comprendre que la seule manière de l'atteindre était de s'attaquer au maillon faible de notre combinaison.

Moi.

Nos ennemis reculèrent tous d'un même geste. Dégainèrent toutes leurs armes en un même geste. 

Et les pointèrent toutes sur moi.

Si je pouvais parer celles qui me seraient lancées de front, j'étais incapable de voir à 360°. Ils étaient tout autour de moi, à une distance notable, impossible d'en approcher un sans qu'un autre me plante par derrière.

J'étais coincée.

Et la pluie de métal étincelant démarra ainsi. De toutes mes forces, j'évitai celles qui fusèrent devant moi en m'attendant à sentir mon dos transpercé. Mais Kakashi-sensei était apparu derrière moi à une vitesse affolante et éloignait les attaques que je ne pouvais pas voir, tandis que je faisais de même avec celles qu'il ne distinguait pas. Les réserves d'armes tranchantes de nos ennemis furent bien vite épuisées, et mon sensei profita de la panique croissante de nos adversaires pour bâtir un mur de boue et s'occuper des derniers nuisibles perchés sur les branches solides au dessus de nous. 

Lorsque l'homme argenté atterrit sur le sol d'un pas souple à côté de moi quelques secondes plus tard, je crus un instant que le combat était terminé. 

Puis je vis son œil rougeoyant s'agrandir soudainement lorsqu'il posa son regard au dessus de mon épaule. 

Je pivotais la tête pour voir un dernier kunaï fuser vers nous, lancé par un homme qui avait dissimulé sa présence.

Je vis au dernier moment qu'un parchemin explosif y était accroché et semblait prêt à m'exploser à la figure.

Le temps manquait. Je pouvais presque imaginer le parchemin grésiller déjà. Je n'avais même pas le temps de sauter sur le côté. De toute façon, j'étais pétrifiée.

Encore une fichue explosion.

Alors, c'était ça? Le destin tenait vraiment à me voir succomber par les ravages du feu?

Dans un geste quelque peu désespéré, je tendis le bras pour m'emparer du kunaï au vol, quitte à m'écorcher la main, en espérant que le parchemin me laisserait le temps de le lancer plus loin.

Une main gantée s'imposa soudainement devant mes yeux et ne me laissa pas le temps de m'en emparer moi même.

Le tranchant de l'arme traversa sa paume, et son propre sang me gicla au visage.

Et le parchemin explosa au milieu de ses doigts.


***


Kakashi-sensei me portait. Il fendait l'air, sautait de branches en branches à une vitesse folle, courrait sans s'arrêter, soit en slalomant entre les arbres, soit en défiant le vide dans leurs hauteurs. Je sentais son souffle saccadé contre sa poitrine où il me gardait enfermée, et le vent acéré semblait dessiner plus de coupures sur ma peau que j'en avais déjà.

Moi, comme d'habitude, je pleurais. Et surtout, je me débattais.

- Lâchez-moi! Bordel, mais lâchez-moi!

C'était n'importe quoi. Totalement illogique, stupide, injustifié. J'étais dans un état second, où je ne savais plus si je me sentais profondément en colère ou profondément coupable. Peut-être les deux. Une main semblait me serrer le cœur aussi, très fort, au point de me faire lâcher ces larmes traitresses et complètement absurdes, elles aussi.

Et surtout, je faisais comprendre mon désaccord à mon sensei en martelant ses épaules de mes poings. Bon sang, il voulait pas me lâcher!

C'était pas normal. C'est lui qui avait la main en lambeaux, c'est lui qui pissait le sang, et c'est moi qui n'avait pas le droit de marcher. Il avait noué sa main à la va vite dans son bandeau frontal, mais je voyais déjà de mes yeux imbibées de larmes affligées le bleu du tissu foncer à vue d'œil et devenir humide de son sang. Et malgré cela, il parvenait à me maintenir de force contre lui même avec la fureur de mon agitation, sans que je ne puisse me libérer de son étreinte. Mais où puisait-il une telle force après un combat pareil?

Je me sentais pathétique de me dire à cet instant que cette situation m'aurait plu dans d'autres circonstances. Pourquoi fallait-il que je pense à des choses pareilles maintenant?

Kakashi-sensei nous avait à nouveau fait rejoindre le sol. Sa respiration était devenue erratique et je commençais sérieusement à perdre la boule. Je lui donnai un nouveau coup sur la poitrine, et je sentis sa prise se faire moins ferme; j'en profitai pour me dégager vivement de ses bras. Je ne sus jamais si c'était sa fatigue ou sa résignation qui m'avait permis de me dégager.

Une fois sur mes deux jambes après ces longues minutes d'acharnement, je bataillai pour maîtriser les tremblements incontrôlables de mes genoux et posai une main ferme sur le torse de mon sensei pour l'empêcher d'avancer plus loin.

- Asseyez-vous, ordonnai-je en pointant la souche d'un arbre à proximité du doigt.

Je n'avais pas la force de lever les yeux pour regarder l'expression de son visage à moitié masqué. Je me contentai de garder le doigt tendu et d'attendre qu'il ne daigne faire ce que je lui disais.

Mais il resta immobile.

- Bon sang, asseyez-vous là, j'ai dit!

Après quelques nouvelles secondes de latence, il finit par obtempérer, docile.

Je soupirai longuement pour me calmer avant de fouiller dans ma sacoche, en prenant soin d'éviter à nouveau son regard. 

Je le vis alors lever sa main intacte pour se débarrasser de son masque.

- Mais arrêtez...

"C'est rien", lus-je sur ses lèvres à peine découvertes.

Ebahie, je levais les yeux par réflexe pour rencontrer son regard.

Il avait l'air étrangement serein, malgré son teint dangereusement pâle et ses cernes violacées. Ses cheveux en bataille tombaient devant ses deux yeux grands ouverts, et la lueur rougeoyante dans son Sharingan me fit légèrement frissonner d'effroi malgré moi.

Je ne comprenais pas pourquoi la douleur ne prenait pas possession de ses traits, pourquoi il laissait simplement ses sourcils froncés comme si tout cela n'était qu'un léger désagrément inopportun, comme si sa main n'était pas en lambeaux, comme si rien de tout ça n'avait pas de réelle importance. Il avait juste l'air... Fatigué. Et ça me sidérait.

Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais je secouai la tête pour ne pas le voir. Il y avait plus important, à cet instant.

Je finis par mettre le doigt sur un peu de bandages dans ma sacoche et j'y trouvai également un petit pot en verre, rempli du baume que Tsunade m'avait donné pour mes propres brûlures. Je remerciai le ciel de ne jamais m'avoir rappelé de le jeter lorsque j'en avais plus eu l'utilité.

Une fois tout ceci en ma possession, je me baissai devant mon sensei et m'emparai délicatement de sa main blessée. Je vérifiai l'intensité de sa douleur en le regardant dans les yeux, mais il ne réagit pas et demeura impassible. Je me demandais alors si cet homme était réellement humain.

Il se contenta de m'observer simplement dénouer doucement son bandeau imbibé de sang autour de ses doigts, et dégager les débris de son gant qu'il restait.

Je grimaçai en voyant l'état de sa main. C'était vraiment pas beau à voir. Si l'entaille profonde au milieu de sa paume avait arrêté de saigner, son épiderme boursoufflé et les morceaux de peau qui s'en détachaient me donnaient de violents haut-le-cœur. Ma gorge se serra lorsque de mauvais souvenirs affluèrent dans mon esprit, me rappelant que j'avais des traces plein le corps de ce genre de blessures qui étaient à peine cicatrisées. 

Mes doigts tremblèrent légèrement en effleurant sa peau brûlée. J'avais l'impression d'avoir mal moi-même, tant les marques sur ma propre peau sous mes vêtements me rappelaient à quel point ç'avait été douloureux. Mais Kakashi-sensei, lui, ne cilla même pas.

Je ne pus empêcher les larmes de me monter à nouveau aux yeux.

Je baissai la tête pour empêcher d'imposer cette vision pitoyable aux yeux de mon sensei en commençant à appliquer délicatement le baume sur sa peau à vif. Il eut enfin un semblant de réaction; il se raidit imperceptiblement et je vis du coin de l'œil les phalanges de sa main intacte blanchir tandis qu'il s'agrippait à la souche sur laquelle il était assis. Je ne pouvais que comprendre comme ça faisait mal, et j'admirai son sang-froid presque inhumain.

Pas un mot ne fut prononcé pendant de longues minutes, tandis que je bandais sa main avec toute la délicatesse dont j'étais capable malgré mes doigts tremblants. Cela ne suffirait pas à le guérir, mais ça pouvait à présent attendre l'intervention d'un médecin digne de ce nom.

Je ravalai mes larmes avant de lever la tête à nouveau. Kakashi-sensei ne m'avait pas quitté des yeux.

"Où est ce que tu as appris à faire ça?" demanda doucement mon sensei tandis que je me tapotais les joues pour me reprendre.

- Je... J'ai passé des semaines à regarder des médecins bander mes brûlures, murmurai-je en baissant encore le regard alors que la houle me montait une nouvelle fois aux yeux. 

Je finis le bandage après avoir fait un petit nœud pour le maintenir en place. Son avant-bras était sévèrement touché aussi, mais je ne pouvais rien faire de plus avec le peu que j'avais. Et bon sang, quelques perles salées s'étaient échappées de mes yeux et avaient formé de petits cercles foncés sur son pantalon poussiéreux. Pourquoi fallait-il toujours que je pleure, au juste?

Toute cette pression et cette terreur m'avaient rendue fébrile. Cette explosion qui avait déferlé juste devant moi et bousillé la main de Kakashi-sensei avait réveillé en moi un monstre que j'avais voulu ne plus jamais voir. Je ne savais même pas si des ennemis nous poursuivaient encore. Je m'étais également rendue compte, plus que tout, que je n'avais plus rien à faire en mission et que mon absence aurait été bien plus bénéfique à mon sensei qu'autre chose. Et le poids de son regard en ce moment même me faisait l'effet d'un lourd boulet à porter, tout comme ce que j'étais, finalement. Et à cette pensée, le flux de mes sanglots s'intensifia. C'était sûr, maintenant; j'étais grillée.

Kakashi-sensei leva doucement sa main intacte et la posa sur le haut de mon crâne. Du coin de mes yeux humides, je le vis esquisser un petit sourire. Bon sang, tout cela n'avait aucun sens.

- Vous me surveillez, hein? bégayai-je en levant lentement la tête.

L'homme argenté fronça les sourcils sans pour autant faire disparaitre cette lueur étrange qui brillait dans son regard.

- Pourquoi vous faîtes tout ça? M'accompagner, me dire des trucs sans queue ni tête avant de disparaître, prendre ma défense alors que je suis un cas désespéré, me montrer votre visage? Je comprends rien à ce que vous faites, vous voyez bien que ça sert à rien! Maintenant, votre main... Votre main...

"Ce n'est rien de grave".

Je l'avais imaginé dire cela de sa voix lente, doucement, de ce ton conciliant qu'il prenait lorsqu'il plissait les yeux pour nous révéler son sourire caché. Je n'avais jamais vraiment cru en son honnêteté chaque fois qu'il faisait ça, je trouvais qu'il sonnait faux, qu'il ne reflétait pas le côté indéchiffrable et obscur dans ses yeux qui contredisait la nonchalance de ses mots.

Et pourtant, il le faisait toujours. Et ça ne m'agaçait même plus.

- Pourquoi vous ne dites jamais rien?

Il eut un petit sourire, duquel émanait une tristesse sans nom.

"Parce qu'il y a des choses que tu ne peux pas entendre".

Le double de sens de ces mots ne fit qu'aggraver mes pleurs. Je n'arrivai plus à m'arrêter. Je me frottai les yeux comme une enfant en essayant de les faire disparaître, mais cela ne partait pas. Ca ne partait jamais.

"Je veux juste que tu ailles bien".

Il fit alors ce qu'il avait déjà fait une seule fois. Sa main migra vers l'arrière de mon crâne et il me poussa contre lui sans que je n'ai le temps de respirer. Il ne me laissa pas reculer, et j'abdiquai à la seconde ou je sentis ses deux bras puissants m'entourer et me serrer fort. Mes larmes se tarirent sur son épaule et malgré mon désarroi flagrant, cela me fit plus de bien que je n'aurais jamais imaginé.

Je sentis ses cordes vocales vibrer contre ma joue, posée dans son cou, où je m'étais mise à respirer très fort.

- Je vous entends pas...

Il le savait très bien, pourtant. Je ne comprenais pas, mais je ne cherchais pas à saisir non plus. J'étais trop déboussolée. 

Et je me sentais bien, juste là.


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