Chapitre 2
- Eh oh? T'es là?
J'émergeai doucement de mon sommeil tandis que les échos d'une voix insupportable parvenaient à mes oreilles. Je papillonnai des paupières et mon regard fit une mise au point sur une paire d'énormes yeux ronds me scrutant à quelques millimètres de mon visage.
J'hurlai de surprise.
La paire d'yeux se recula tandis que je balançai mes bras en avant pour les chasser en criant. Je finis par reconnaître du coin de l'œil une immonde combinaison verte moulante et une crinière de cheveux de jais finement coupés au bol.
- Mais t'es complètement fou, Lee! vociférai-je en lançant un regard meurtrier à l'intéressé, qui s'était retranché dans un coin de ma chambre pour éviter de se prendre une droite magistrale.
- Tu répondais pas, se contenta t-il de répondre innocemment en haussant les épaules.
- Parce que je dormais, idiot!
- Mais il faut que je te dise un truc! Je...
Je sautai de mon lit, traversai la petite pièce en deux grandes enjambées et attrapai l'individu perturbateur par le col de sa combinaison. Ce dernier n'eut pas le temps de protester que je le balançai en dehors de ma chambre en lui claquant violemment la porte au nez.
- T'attendras deux minutes!
- Bon bah, je nous fais un thé en attendant! l'entendis-je répondre énergiquement derrière ma porte.
Suivi d'un bruit de verre brisé s'écrasant sur mon parquet.
- Oups! Pardon! Je te range ça, t'inquiète pas!
Je soupirai bruyamment en me pinçant l'arrête du nez. Ce garçon allait me rendre dingue.
J'étais de la même génération que Rock Lee et nous avions passé presque la totalité de notre scolarité ensemble. J'avais décroché mon diplôme genin en même temps que lui et nous ne nous étions jamais perdus de vue malgré le fait que nous n'appartenions pas à la même équipe et que nous étions toujours affectés sur des missions différentes. D'autant plus qu'il était mon voisin depuis quelques années, maintenant. Ça joue beaucoup.
Finalement, du plus loin que je me souvienne, Lee avait toujours été présent dans ma vie. Malgré ses manières effroyablement indiscrètes et son dynamisme exagéré qui avait tendance à me donner le tourni, je savais que sous ses airs d'imbécile heureux se trouvait un garçon fort et intelligent, tenace et soucieux de son entourage.
Il était, finalement, comme mon seul et véritable ami.
Mais à cet instant, il avait simplement le don de m'exaspérer. Je soupirai une nouvelle fois lorsque qu'un nouveau fracas se fit entendre au delà de la porte de ma chambre, et je m'empressai de m'habiller pour aller mesurer l'étendue des dégâts et l'empêcher d'en commettre davantage.
J'enfilai ma tenue de shinobi prestement, en prenant le temps tout de même de jeter un coup d'œil à mon miroir qui me renvoyait le reflet d'un visage qu'on avait sorti du lit beaucoup trop tôt. Je tentai de discipliner les mèches rebelles de mes cheveux (en vain) et finis par empoigner mon bandeau frontal posé sur ma table de chevet. Je me stoppai quelques instants pour l'étudier, en suivant le contour du symbole de Konoha du bout des doigts.
Je ne pus m'empêcher de sourire à mon reflet après l'avoir noué autour de mon front.
Je finis par rejoindre Lee dans la pièce à vivre au bout de quelques minutes, et désespérai de le voir courir après chaque débris qu'il avait accidentellement disséminé aux quatre coins de mon appartement.
- Au risque de me répéter, je ne crois pas que ma maison soit un bar public, Lee.
Ce dernier leva la tête et me regarda sans comprendre.
- Bah, je sais.
- Je veux dire que tu n'as pas forcément besoin de rentrer ici comme si c'était chez toi, soupirai-je.
- Mais c'est tout comme! répondit-il avec un de ces sourires immenses dont lui seul avait le secret.
Je maugréai pour la forme mais ne pus m'empêcher de sourire doucement. Effectivement, ça avait toujours été le cas. Et je pense qu'au fond de moi, pour rien au monde je ne voulais que cela change.
Je l'aidai à ramasser ses bêtises - une tasse brisée et une fourchette tordue (?) - et attrapai ma tasse de thé fumante en passant pour la porter à mes lèvres.
- Tu pars en mission aujourd'hui, non?
Lee m'observait de ses grands yeux noirs et j'y décelai une lueur que je n'avais pas l'habitude de rencontrer chez lui.
- Oui. Je dois être aux portes du village dans une heure.
- Et... Ça va aller?
Cette fois, je posai ma tasse sur le comptoir et enfonçai profondément mon regard dans le sien, incrédule.
- Pourquoi ça n'irait pas?
Lee détourna la tête et je le vis triturer ses doigts machinalement.
- Ça fait longtemps que tu n'as plus fait de mission en équipe, non?
- Effectivement. Mais ça fait des mois que je m'entraîne avec eux. Ça va bien se passer.
- T'es pas du genre à être très prudente.
Je fronçai des sourcils.
- J'étais seule, les autres fois. Je suis pas du genre à mettre les autres en danger par ma faute, plutôt.
L'adolescent se tourna franchement vers moi. Cela faisait longtemps que je ne l'avais pas vu si sérieux, et ça me décontenançait plus que je ne le laissais voir.
- Des fois, j'ai l'impression que tu le fais exprès.
- De faire quoi?
- De tenter le diable. T'es pas immortelle, à ce que je sache.
Cette fois, ce fut moi qui détourna le regard, déconfite.
Avant d'intégrer l'unité Kakashi, j'étais restée des années sans équipe. J'avais été promue chûnin assez jeune, et j'avais commencé à accomplir des missions seule très tôt. Et j'avais toujours aimé ça.
Jusqu'à ce qu'une mission importante vire presque à la catastrophe et que je me retrouve, une semaine plus tard, dans le bureau de Tsunade qui m'annonçait mon affectation dans l'équipe 7. Elle avait posé sur la table l'argument du manque d'effectifs et de l'inconvénient qu'inspirait cette place vacante au sein d'une équipe aussi importante que celle de Kakashi-sensei. Mais je soupçonnai plutôt une intention de me recadrer en me plaçant sous les ordres de quelqu'un. Et même si je commençai à apprécier cette configuration, je l'avais toujours en travers de la gorge.
- Et à ce que je sache, j'ai toujours mené à bien toutes mes missions et je n'ai pas encore un pied dans la tombe, rétorquai-je plus sèchement que je ne l'aurai voulu.
Lee sursauta à l'entende de mon ton aigre et abrupt. Je le regrettai presque instantanément.
- Ce que je veux dire, c'est que je sais ce que je fais. On est des shinobis de Konoha, Lee, et tu sais autant que moi ce que ça implique. Je suis assez grande pour prendre mes propres décisions et pas assez stupide pour que cela nuise à mes coéquipiers. Alors t'inquiète pas.
L'adolescent afficha un petit sourire contrit, et je sus qu'il n'oserait plus dire un mot sur le sujet pour le moment. Et ça m'allait bien.
Je l'observai secouer la tête comme pour se remettre les idées en place et l'expression niaise que je lui connaissais si bien repris place sur son visage. Il tendit un doigt résolu droit vers moi et me demanda, de sa voix surexcitée:
- On se fait un petit défi, avant que tu partes?
Je souris, heureuse de voir cette atmosphère tendue se dissiper d'un coup et cette étrange discussion se clôturer.
Lee étant désireux de perpétuer les convictions de son bien aimé sensei, et moi appartenant désormais à l'unité de celui qui se révélait être l'éternel rival de ce dernier, je me voyais depuis quelques mois accepter ses défis plus stupides les uns que les autres, comme si nous représentions un prolongement de la rivalité de nos aînés. Cela semblait compter beaucoup pour mon ami aux sourcils broussailleux, et je devais bien avouer que, sous les airs harassés que j'affichai lorsque Lee me sautait dessus à chaque coin de rue pour m'affronter, j'affectionnais profondément ces instants d'insouciance qui avaient l'effet d'une bouffée d'air frais balayant les problèmes de ma petite existence.
Alors pour lui répondre, je brandis le poing en souriant.
***
J'arrivai essoufflée aux portes du village où m'attendaient Naruto et Sakura, mon sensei étant encore une fois perpétuellement absent. Je me demandai parfois pourquoi je prenais encore la peine de m'inquiéter pour arriver à l'heure, puisque j'étais de toute façon condamnée à poireauter. J'aurais pu faire une autre course avec Lee, finalement. Ou même trois.
- On était en train de se demander si tu n'allais pas arriver après Kakashi-sensei, rit mon ami blond en me voyant arriver.
- Impossible! pouffai-je en les saluant, lui et Sakura.
- C'est pas passé loin, pourtant.
Je sursautai violemment à l'entente de cette voix traînante qui avait fusé juste derrière mon dos. Je tentai de calmer mon palpitant affolé en me tournant vers Kakashi-sensei qui avait surgi de nulle part et qui nous lançait à présent un de ses sourires invisibles.
- Vous n'êtes pas trop en retard, pour une fois, remarqua Sakura non sans un petit regard réprobateur.
Notre sensei passa machinalement une main sur sa nuque dans un geste gêné avant d'arborer une expression plus sérieuse.
- Vous êtes prêts?
Nous acquiesçâmes de concert, unanimes.
***
Nous avions pris la route depuis plusieurs heures, à présent. Après avoir vagabondé de branches en branches un long moment, nous avions finalement atterri sur un chemin en terre battue où nous marchions à l'avant, Naruto, Sakura et moi, tandis que Kakashi-sensei demeurait quelques pas en arrière, un livre à la couverture orange criarde au creux de ses mains.
J'écoutai distraitement mes deux coéquipiers combler le silence tranquille de cette région déserte où régnaient le vert des forêts et le bleu uni du ciel au dessus de nous. Je restai néanmoins sur mes gardes et observai attentivement chaque mouvement environnant, jusqu'au plus petit bruissement d'un bosquet. Nous avions depuis peu dépassé la frontière du Pays du Feu; nous nous trouvions à présent sur le territoire étranger d'un pays allié, mais le risque de tomber sur des ennemis potentiel restait réel. Surtout que nous approchions du lieu de notre mission.
- Au fait...
J'émergai de mes pensées lorsque je compris que Naruto venait de s'adresser à moi.
- Comment ça se fait que tu sois presque arrivée en retard, tout à l'heure? C'est pas dans tes habitudes.
Légèrement décontenancée, je finis par lui lancer un sourire moqueur.
- Je te pensais pas aussi soucieux de ce genre de détails, Naruto.
- Hé!
Je ris de bon cœur face à sa mine outrée. Mais je remarquai également une étrange sonorité dans le son de sa voix, ainsi qu'un intérêt un peu trop exagéré dans les yeux de mes deux coéquipiers. Quelque chose de... presque forcé.
- Vous êtes pas obligés de vous forcer à m'intégrer dans votre conversation, hein.
Je compris à la lente décomposition de leur visages que j'avais touché dans le mille.
- C'est juste que... On veut pas te laisser de côté, se justifia Naruto en se grattant machinalement le crâne, un grand sourire gêné plaqué sur le visage.
Je sentis mon cœur doucement se réchauffer face à cette attention maladroite mais non moins sincère. Je me sentis un peu honteuse, d'un coup, de les voir faire tant d'efforts pour m'intégrer tandis que je persistai continuellement à me terrer dans un mutisme fermé, presque sauvage, en empêchant toujours quiconque de le franchir. Combien de fois avaient-ils déjà essayé de m'approcher sans que je ne le réalise? Je compris que nos difficultés premières n'étaient pas entièrement dûes à leur hostilité amère; je n'avais pas franchement amélioré la situation, en me fermant perpétuellement au reste du monde et en arborant sans cesse des airs imperméables à ce qu'il pouvait bien se passer autour de moi. Bien sûr, je riais beaucoup avec eux et leurs enfantillages réguliers qui avaient l'avantage de toujours adoucir l'atmosphère ; mais je réalisai que je ne savais pratiquement rien de leur personne autant qu'ils n'avaient aucune idée de qui je pouvais être.
- Je... J'étais avec Lee! dis-je précipitamment, comme si j'avais pu rattraper tout ces mois stériles de véritables attentions par le débit de mes mots.
Je vis leurs yeux s'arrondir de surprise avant que Naruto ne plisse les siens, en plaçant une main devant sa bouche dans une expression malicieuse.
- Ah oui, Lee... Il se passe quoi entre toi et lui?
Je me stoppai net, abasourdie.
- Hein?
- Il ne parle que de toi tout le temps, quand on est avec lui, renchérit Sakura en arborant le même sourire insupportable de son ami blond. Au point qu'on te connaissait presque avant de te rencontrer.
Je les observai tour à tour pendant de longues secondes avant d'éclater d'un rire net et franc, qui fit faner les sourires espiègles de leurs lèvres instantanément.
- Mais vous déconnez! hurlai-je de rire, les larmes aux yeux. Lee, c'est presque mon frère, qu'est ce que vous allez vous imaginer?
Je ris de longues secondes sans pouvoir m'arrêter, jusqu'à en avoir mal aux joues. Je ne savais pas qu'est ce qui me prenait, mais je sentais une certaine allégresse m'envahir face à la méprise ridicule de mes compagnons, et quelque chose sembla se débloquer en moi, d'une douceur subite, comme un bouchon de champagne qu'on fait sauter.
Mon hilarité s'estompa lorsque je remarquai que tous s'étaient arrêtés, et me scrutaient comme si je venais de leur avouer que je provenais d'une autre planète. Même Kakashi-sensei, pourtant éternellement absorbé par son livre et toujours imperturbable, me regardait comme s'il m'était poussé un troisième bras.
- Quoi? leur demandai-je en rougissant subitement de tous ces yeux posés sur moi.
- C'est juste que... commença Sakura, en fronçant les sourcils.
- On t'a jamais entendu vraiment rire, en fait! termina Naruto en venant me frapper amicalement le dos avec une violence inconsciente qui me coupa le souffle. Et c'est très perturbant! Mais on est contents!
Je souris timidement en voyant les deux autres approuver.
J'allais peut-être pouvoir m'épanouir avec eux, finalement. Et même en faire des amis, qui sait.
Mais à cet instant, je n'avais pas conscience je n'aurai plus jamais l'occasion de m'entendre rire à nouveau.
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