Chapitre 15

J'avais l'impression de passer ma vie à malaxer du chakra.

Chaque moment libre voyait mon chakra bouillonner en moi. Iruka-sensei me découvrait souvent assise en tailleur au milieu du bureau des missions, les deux mains jointes et les yeux fermés, concentrée à découvrir ce que cela faisait de "sentir" cette énergie au fond de moi.

Mais il n'y avait rien à faire; je ne comprenais pas ce que je pouvais faire de plus. Je n'avais même aucune idée de ce qu'était mon réel objectif. Mon sensei m'avait lâchée dans le vague, et je luttais pour poser un doigt sur ce qu'il avait voulu dire. En théorie, j'avais saisi le concept; mais comment rendre cette finalité brumeuse bien réelle?

Ma seule piste était le chakra. Je travaillai sans relâche à le faire frémir à l'intérieur de moi, à repérer cette chaleur s'émanant de mon corps, le plus longtemps et précisément possible.

J'avais d'abord pensé à matérialiser le chakra à travers une technique, comme pouvait le faire Naruto avec son Rasengan. Peut-être qu'il s'agissait d'une bonne direction vers la résolution de cette énigme.

J'étais alors allée discrètement trouver Sakura à l'hôpital, le jour d'un énième rendez-vous avec Tsunade. Je lui avais demandé de me rejoindre dans la soirée sur le terrain d'entraînement avec Naruto.

"Mais tu n'as pas le droit de t'entraîner, je crois", m'avait-elle répondu en levant un sourcil.

- C'est... Pour un autre type d'entraînement.

Et j'étais partie sans lui en dire plus.

Lorsque j'arrivai au terrain d'entraînement en fin d'après midi, après avoir fui chaque être humain par les toits pour y parvenir, mes deux amis étaient déjà là.

- Naruto, tu peux me montrer comment tu fais ton Rasengan?

Le blond parut surpris, mais s'exécuta. Il fit apparaitre un clone et forma une boule de chakra dense et lumineuse au creux de sa main.

Je m'étais penchée pour observer avec minutie cette fabuleuse technique. J'étais tentée d'y approcher ma main, rien que pour savoir si toucher était synonyme de sentir. Mais je n'avais pas envie de m'emputer d'un membre en plus de mon audition; ainsi, je me contentai d'approcher mon visage et de garder les yeux rivés sur ce chakra visible, mais décidément toujours aussi énigmatique.

Et il n'y avait rien à faire. Je comprenais toujours rien.

- Tu peux m'expliquer en détail comment tu procèdes pour faire ça?

Naruto se gratta machinalement l'arrière du crâne, gêné.

"C'est à dire que... C'est un peu compliqué..."

Ce n'était un secret pour personne: je n'avais jamais été réellement douée en ninjutsu. Et même Naruto en était conscient; je ne devais le bandeau que j'avais sur le front qu'à mes sens inouïs dont j'étais à présent amputée. Et Naruto, malgré sa réputation de cancre qu'il avait souvent trainée, était bien meilleur que moi en ce domaine.

"Tu nous expliques ce qu'il t'arrive?", intervint Sakura en fronçant ses sourcils en une moue dubitative.

Je soupirai. Comment leur expliquer simplement?

- Je... Je cherche à sentir mon chakra, en fait.

Je tentai de leur expliquer en quelques mots les tenants et aboutissants de cet étrange entrainement. Et il s'avéra que mes deux amis n'étaient pas plus avancés que moi.

"Et donc, une fois après avoir senti ton chakra, tu pourras repérer naturellement celui des autres?, résuma Sakura, pensive.

- C'est ce que Kakashi-sensei m'a dit, en tout cas.

La rose sembla réfléchir quelques secondes avant de tourner vivement la tête vers moi pour me scruter intensément en fronçant les sourcils.

"Il te l'a dit?"

Elle semblait avoir exagérément appuyé sur le dernier mot. Je venais de faire une gaffe, je crois.

- Heu... Enfin, il me l'a écrit, me précipitai-je de préciser, légèrement paniquée. C'est comme ça qu'il communique avec moi.

Ma méprise sur le verbe utilisé ne semblait pas perturber Naruto qui suivait notre échange avec une expression incrédule, mais la rose continuait de m'observer d'un regard bien trop suspicieux à mon goût.

Kakashi-sensei ne m'avait jamais clairement demandé de garder le secret sur la façon dont il communiquait avec moi. Mais inconsciemment, j'avais considéré que le sujet de son visage découvert n'avait pas à être révélé, et je n'en avais donc jamais parlé à mes amis. 

Au fond de moi, je savais pertinemment que j'avais gardé le silence là-dessus afin de préserver ce privilège pour moi toute seule.

Je les laissai donc sur cette interrogation, en évitant le regard toujours plus équivoque de Sakura et celui étonné de Naruto. Déjà replongée dans l'énigme de mon chakra qui faisait chauffer mon cerveau, j'en avais presque oublié de leur dire au revoir tandis que je fonçai déjà vers mon appartement par la voie des airs.


Le lendemain, au cours d'une énième heure passée à trier des dossiers en tout genre au bureau des missions, exténuée par mes recherches infructueuses et courbaturée à force de me tendre pour malaxer du chakra, j'osai enfin demander de l'aide au brun qui accompagnait toutes mes journées depuis deux semaines.

- Iruka-sensei?

L'interpellé faillit chuter de l'escabot sur lequel il était perché en équilibre instable, concentré à placer laborieusement une pile immense de paperasse au dessus d'une armoire. Après s'être rattrapé de justesse avant de voir son visage imprimé sur le parquet de la pièce, il me lança un regard surpris en haussant un sourcil interrogateur. Il n'y avait pas à dire; je prenais si rarement la parole que me voir ouvrir la bouche de moi même semblait le perturber au plus haut point.

- Qu'est ce que ça veut dire, "sentir son chakra"?

"C'est bien vague, ce que tu me demandes là".

Et comment!

Il passa une main distraite sur la cicatrice longeant son nez, en levant les yeux vers le plafond pour réfléchir. J'avais remarqué qu'il faisait toujours ça lorsqu'il songeait sérieusement à quelque chose; même après avoir manqué de se casser le cou au bout d'une énième journée ennuyeuse à trier des papiers en ma sinistre compagnie, il prenait toujours le temps de se pencher attentivement sur ma question abstraite. Cet homme était la définition même de l'adorable.

"Eh bien, ça veut peut-être dire avoir conscience de l'énergie enfoui en soi. Littéralement, "sentir" son chakra est impossible; c'est comme essayer de sentir ses poumons. On sait que c'est là, à l'intérieur de soi: grâce à eux, on respire, ils nous font mal après une longue course et on les sens encombrés lorsqu'on attrape un rhume, mais à part en ouvrant le torse de quelqu'un, on ne peut pas les toucher. Le chakra, c'est un peu pareil. On l'utilise à travers le Ninjutsu, on sait qu'il est là, mais je n'ai jamais entendu parler d'une personne sachant le palper de ses mains, par exemple".

- Mais... Il existe des techniques qui peuvent matérialiser le chakra, pourtant, comme le Rasengan de Naruto, répliquai-je en songeant à la démonstration de mon ami blond la veille. Faire ça, c'est un peu "toucher" son chakra, non?

"Mh, c'est un peu plus complexe que ça. Une technique comme celle de Naruto, c'est le produit du chakra qui circule en lui et des différentes étapes pour la matérialiser, avec les mudras, les parchemins ou les incantations. Ce n'est pas son chakra pur qui sort de ses mains, mais plutôt un genre de résidu qui résulte du malaxage du chakra. Prend l'image d'un feu de bois dans ta tête; les flammes, c'est le chakra, la fumée et la chaleur, c'est la technique qui en résulte."

- Il est bancale, votre exemple. Un feu, ça crée toujours de la fumée et de la chaleur jusqu'à ce qu'il s'éteigne; or, si notre chakra est un feu, on ne passe pas notre vie à employer des techniques sans interruption. 

Iruka-sensei sembla soupirer en levant son visage contrarié vers le plafond.

"Aaah, il est loin le temps où tu buvais mes paroles sans rien révoquer..."

Il secoua la tête, dépité, avant de se retourner vers moi.

"Mais dis moi, d'où sort une telle réflexion?"

J'hésitai légèrement, avant de finalement lui avouer. Il était presque devenu un ami, après tout; et en plus d'être un intellectuel qui avait le pouvoir de me sortir du flou dans lequel je baignais, il était également un collègue de mon sensei au cheveux gris et avait peut-être, de ce fait, de précieuses informations sur l'énigme que ce dernier m'avait imposé. Je n'avais finalement aucune raison apparente de garder ma mission secrète.

- Kakashi-sensei m'a dit qu'en apprenant à sentir mon chakra, je pourrais faire pareil avec celui des autres, et ainsi repérer au loin les gens qui me font si peur autour de moi.

Iruka-sensei se mit alors à rire sous mon regard interloqué.

"Aaah, cette andouille de Kakashi, il passe son temps à toujours tout compliquer".

Il se tint le ventre, hilare, avant de reprendre son sérieux avec difficulté.

"Sentir la présence des autres, c'est quelque chose d'inné auquel on s'habitue avec le temps, comme lorsqu'on marche sur l'eau; ça devient automatique après s'être un peu exercé. Tu n'as aucun besoin d'étape au préalable pour y parvenir. Un peu de méditation, et c'est bon. Et connaissant ton sens de l'observation hors-pair, je ne me fais pas de soucis pour toi".

J'ouvrais grand la bouche de stupéfaction devant le sourire fier de Iruka-sensei. Au delà du fait que j'étais extrêmement gênée par son compliment sincère, je comprenais surtout que je m'étais fait dupée par mon sensei.

"Ne lui en veut pas. Ses manières sont un peu détournées, mais il veut simplement te faire prendre confiance en toi".

- Comment ça?

Il leva les mains en l'air comme pour faire l'innocent.

"Ca, je crois que je n'ai pas le droit de te le dire. Je n'ai jamais trop apprécié ses méthodes, mais il faut avouer que celle là est pas mal. Je te laisse régler tes comptes avec lui!"

Et il se retourna innocemment en faisant mine de se pencher sur un tas de papiers qui semblaient, pour la première fois, être la chose la plus captivante du monde, en me laissant fulminer dans mon coin sur ce mystère qui s'était épaissit plus encore, en me donnant le sentiment d'être simplement en train de me faire berner.


***


"J'ai gagné".

Shikamaru posa la dernière pièce qui signa mon énième défaite. Je soupirai de frustration ; j'arrivais à résister aux quelques premiers coups qui me faisaient perdre en moins d'une minute lorsque j'avais appris à jouer, mais même à présent, alors que j'avais pris un peu de bouteille, il arrachait la victoire avec une facilité qui frisait l'insolence. J'avais vite compris que nous ne marchions pas dans la même cour, et j'avais complètement abandonné l'idée de le vaincre un jour, mais j'avais osé espérer lui résister un peu mieux avec le temps. Il fallait croire que c'était peine perdue.

"Tu fais tout le temps les mêmes erreurs", lus-je sur les lèvres de mon vis à vis en devinant un soupir las en sortir juste après. " Ça commence à devenir barbant, à la longue".

Malgré son air profondément ennuyé, il replaca machinalement les pièces sur le plateau. Il avait beau me répéter sans arrêt que j'étais "galère" à passer mon temps à me faire démolir au shôgi, il finissait toujours par entamer une nouvelle partie avec moi.

Depuis le jour où j'avais passé l'après-midi avec lui à me faire humilier par ce jeu, j'étais revenue régulièrement pour prolonger le désastre. Il m'avait d'ailleurs déjà demandé si je n'avais une fixette bizarre frisant le masochisme pour aimer me faire évincer de la sorte, et qui me poussait à me rendre plusieurs fois par semaine sur ce perron pour me faire déguster toute l'étendue de ma nullité à ce fichu jeu.

Je n'avais pas osé lui dire que j'aimais simplement passer du temps avec quelqu'un qui ne m'enfonçait jamais dans mon silence. Alors j'avais répondu oui. Après avoir haussé un sourcil dubitatif, il m'avait traité de fille galère. Et nous nous étions remis à jouer.

Le calme, le flegme et la paresse de Shikamaru étaient réellement apaisants. Il ne faisait jamais aucun commentaire, ne s'attardait jamais sur aucun détail, et pourtant il semblait déjà tout savoir. Parce que derrière son regard fatigué, j'avais remarqué la clairvoyance qui y brillait ; avec Shikamaru, on avait jamais besoin de s'expliquer. Il comprenait, et ne disait rien. Et c'est tout.

Et Dieu que c'était reposant, au milieu de ce monde où tout allait trop vite et que j'avais du mal à rattraper.

Les moments passés à jouer au shôgi avaient le goût d'une pause bien méritée. Mes méninges fumaient sous l'intensité de mes réflexions devant ce fichu plateau, mais paradoxalement, c'était reposant. Pendant quelques heures, mon unique ambition se mesurait à faire tomber le roi de Shikamaru, et rien d'autre ne comptait plus.

"Tu pourrais gagner facilement, tu sais".

J'haussai un sourcil surpris. Cela faisait bien longtemps déjà que j'avais réalisé qu'aucun être normalement constitué pouvait vaincre Shikamaru Nara au shôgi.

Il soupira à ma mine perplexe et ouvrit à nouveau la bouche.

" T'as une fixette sur le roi. "

Il prit la pièce dans sa main et la fit rouler entre ses doigts.

" D'après toi, qui est le roi? "

Je restai pensive quelques instants.

- Notre Hokage ? tentai-je timidement.

Shikamaru secoua la tête.

"C'est ce que je pensais aussi. Mais tu te trompes".

Il me fourra la pièce sous les nez et j'écarquillai les yeux.

" Dans ton jeu, tu passes ton temps à protéger le roi, ce qui est logique, puisque c'est la pièce la plus faible. Tu ne trouve pas ça paradoxal, toi? Est ce vraiment ça, un roi? "

Je pensai immédiatement au livre de Kakashi-sensei. Une histoire dans laquelle un roi était pointé du doigt pour avoir marché des centaines de kilomètres à pied alors que là n'était pas censé être son rôle.

" Pour toi, c'est quoi, un roi? Quel est son rôle ? On met ce mot sur un piédestal alors qu'on ne sait même pas ce que ça signifie. Dans ce jeu, il est inoffensif et doit à tout prix être protégé. Qu'est ce que ça veut dire ? "

- C'est les enfants...

Shikamaru haussa un sourcil surpris.

- J'ai compris ! exultai-je, en manquant de renverser la table. Le roi... Le roi c'est un beau terme pour désigner la suite, parce sans roi, il y a rien. Ce n'est pas une personne, c'est un tout!

"C'est ça. Ce n'est pas qu'un poids mort, qu'on doit se trainer comme un boulet. C'est la relève qu'on se doit de préserver en attendant qu'ils éclosent. Et c'est ce que font les cavaliers, les tours et les fous de ce village avec nous. "

Shikamaru sembla ricaner. Je ne l'avais encore jamais vu faire ça.

"Bah, on dirait bien que t'es un peu moins longue à la détente que moi. J'ai mis un petit moment avant de comprendre, j'arrivai pas à m'enlever de la tête la figure d'autorité que représentait le roi... "

- C'est parce que j'ai lu un livre, déclarai-je doucement. J'ai lu un livre où il y avait déjà une réflexion sur l'idée un peu trop magnifiée qu'on se fait du roi. Enfin, ça parle de plein d'autres choses, mais c'est surtout ça que j'ai retenu. J'aurai jamais compris, sinon.

" Maintenant, tu n'as plus aucune excuse pour ne pas gagner ! "

Il me jeta une pièce en plein dans la face, que je me pris droit au milieu du front. En relevant la tête pour le fusiller du regard, je posai les yeux sur un Shikamaru totalement hilare. Je n'avais jamais vu autre chose en lui qu'un garçon apathique, et le voir rire à gorge déployée retournait quelque chose en moi.

Une douce allégresse prit possession de moi, malgré le fait que je n'entende pas les échos de sa joie. Elle n'en était pas moins étrangement communicative, et cela me fit du bien de rire silencieusement avec un inconnu qui n'en était plus vraiment un.

Et c'est à cet instant que les étranges conseils de Kakashi-sensei prirent tout leur sens; de la lecture du Livre des Radieux jusqu'à ses explications sommaires sur le chakra. 

Sentir son chakra, c'était finalement se sentir roi.

"Parce que c'est nous, les rois!"

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