Chapitre 10
- Je lis. Je dors. Je vais au cimetière. Je dors. Lee vient m'embêter. Je dors. Je lis. Je dors.
Je vis Tsunade longuement soupirer de lassitude face à mon sarcasme grossièrement dissimulé. Mais j'en avais franchement assez que mes examens de santé hebdomadaires s'éternisent à chaque fois en une séance de psy improvisée.
"Il y a des fois où j'aurais préféré que tu perdes ta langue plutôt que tes oreilles", lus-je à la va vite en l'imaginant grommeler ces mots.
Si je n'avais pas été psychologiquement traumatisée, je crois que j'aurais ris.
- Quand est ce que je pourrais reprendre l'entraînement ? demandai-je pour la millième fois depuis ma convalescence, les yeux pleins d'espoir en l'attente de ce jour où je verrai ses lèvres me dire "demain".
Mes rêves de me voir lancer des shuriken à tout va et brandir un kunaï étincelant volèrent en éclat lorsque Tsunade secoua la tête, visiblement contrariée.
- Vous m'aviez dit deux semaines ! Je suis peut-être encore un peu fatiguée, mais j'arrive à rester éveillée cinq heures de suite, maintenant ! C'est assez pour aller m'entraîner !
Le chef de notre village leva une main sévère pour m'inciter au silence, avant d'enfoncer ses prunelles noisette dans les miennes. La résolution inébranlable de ce regard me dit frissonner. Et franchement, ça ne présageait rien de bon.
"Écoute... "
Elle secoua la tête après avoir articulé ce simple mot. Les gens pensaient souvent que chaque verbe en rapport avec l'ouïe qu'ils employaient avait le même effet que s'ils me lançaient une bombe au visage. Mais ils n'avaient pas idée d'à quel point j'en avais strictement rien à cirer; au contraire, ça me donnait l'impression qu'ils me parlaient comme si tout était normal, et me confortait dans l'idée qu'un jour peut-être, je finirais par m'habituer à tout ce foutoir.
Voir Godaime s'embarrasser d'un tel détail ne fit que m'alerter davantage.
"Je ne pense pas que tu puisses reprendre ton activité de shinobi un jour. "
J'eus l'impression que le ciel venait de me tomber sur la tête.
Et je fis ce que j'étais capable de mieux en ce moment: pleurer toutes les larmes de mon corps.
***
Lorsque je passai la porte de sortie de l'hôpital, la pluie battante me faucha sans aucune pitié.
Je restai un instant là à observer le ciel gris pleurer, comme s'il reflétait mon propre état d'esprit à cet instant. Les gouttes s'abattaient violemment sur mes joues et je me surpris à rire nerveusement en me disant que pour une fois, ces larmes n'étaient pas nées de mes propres yeux.
La seule bonne nouvelle, c'est qu'il n'y avait pas âme qui vive dans les rues de Konoha. Je m'autorisai donc à déambuler librement dans chacune de ces allées que je n'avais pas osé fouler depuis mon réveil, en me fichant royalement de l'immonde sensation de l'eau imbibant petit à petit mes vêtements jusqu'à avoir l'impression de me tenir nue sous la pluie. Non, franchement, je n'en avais plus rien à foutre.
Et dans ce même élan de pensées désabusées, j'esquivai l'embranchement qui menait à mon appartement pour me diriger vers la périphérie du village, épurée de ses habitations, laissant place à ces grands terrains verdoyants encadrés d'arbres immenses. Idéal pour la kunoïchi lamentable que j'étais, déchue de ses fonctions, qui s'en allait faire ce qu'il lui était à présent interdit à jamais.
Au milieu de cette parcelle où j'avais tant transpiré pour espérer intégrer les rangs des protecteurs de mon village, j'arrachai mon bandeau de mon front pour le jeter violemment à terre en hurlant. J'avais continué de le porter, tous les jours, fière de me dire que ce symbole gravé m'assurait un rôle, un avenir, avant qu'il ne devienne la marque cuisante de mon impuissance. De toute façon, je n'étais plus capable de le porter.
Tandis que je regardai s'échouer ma carrière de shinobi dans une mare laissée par la pluie qui n'avait jamais cessé de tomber, je sortis prestement un kunaï de ma sacoche légère arrimée à ma hanche, que j'avais continué d'enfiler automatiquement tous les matins tant mes habitudes me collaient à la peau.
Il fallait que je me débarrasse de ça. De tout ça.
Je lançai violemment mon arme vers l'un des troncs de ces arbres innocents, en poussant un rugissement hargneux que je devinai s'être perdu au milieu du torrent de la pluie.
Tout le contenu de ma sacoche y passa. Pendant ce qui me parut être une éternité, j'avais écorché le bois de chacun des majestueux végétaux qui m'entouraient, et ils persistaient à ne pas crier leur douleur tandis que je crachai toute la mienne à travers mes gestes belliqueux. Le silence de la pluie s'abattant sur ma silhouette perdue ainsi que la brume moite qui s'élevait autour de moi me donna plus que jamais l'impression d'être prisonnière d'un songe confus, troublé, dans lequel je ne m'étonnai plus de sentir mes oreilles bouchées et où l'humidité qui me rongeait la chair glissait sur moi sans que je n'y prête jamais aucune attention. J'étais seule au milieu de ces arbres qui subissaient mes derniers coups, tandis que je me débarrassais de tout ce qui avait fait un jour de moi une kunoïchi digne de ce nom comme on assainit une maison dont les fondations auraient été rongées par des parasites. Tout s'effondrait autour de moi à l'image de la pluie qui percutait chacune des parcelles de ma peau sans répit, et tout était allé trop vite. Si vite que je me demandai un instant si tout cela était bien arrivé, que j'étais effectivement peut-être victime d'un cauchemar vicieux qui m'avait menti en me disant que ça, c'était la réalité.
Mais la douleur qui se déversa dans mes poings tandis que j'écorchai mes jointures sanguinolentes contre l'écorce rugueuse de ces putains d'arbres aussi inoffensifs qu'inflexibles me donna la preuve tangible que j'avais mal, que j'avais froid, et que je n'entendais pas le tumulte de la pluie. Et le pire de tout, c'était que leurs feuilles semblaient pleurer aussi.
Mais ce qui m'affirma définitivement la véracité de mon existence fut la grande main gantée qui vint attraper mon poignet au vol tandis que j'allais persécuter une nouvelle fois le tronc de l'arbre que j'avais élu coupable de mes tourments.
Je crus mourir de peur. Au moins, j'étais sûre que tout ceci n'était pas une vaste blague ; j'étais bien là, à perdre la raison au milieu de la pluie battante et à exprimer ma douce et lente folie en bataillant ardemment avec l'élite du monde végétal.
Je sus l'identité de l'individu perturbateur sans même me tourner vers son visage masqué.
Et mon premier réflexe fut de rediriger ma combativité désespérée vers mon sensei qui, par définition, ne l'étais à présent plus.
Il para mon poing dirigé vers son nez sans aucune difficulté, et entre deux gouttes d'eau tombantes, je pus entr'apercevoir son œil sombre qui paraissait aussi vide que mon propre cœur à cet instant. Prisonnière d'une rage démesurée envers cet homme aux cheveux d'argent qui n'était franchement pas là au meilleur moment, je lui envoyai un nouveau poing droit entre ses deux yeux. Droit vers ce bandeau que je ne voulais plus jamais voir.
Il ne cilla pas le moins du monde, et para une nouvelle fois mon coup comme si j'avais été le plus insignifiant des moucherons. Ma faiblesse manifeste ne fit que nourrir la fulgurance de cette colère indicible dirigée contre le monde entier, et je me mis alors essayer de le frapper comme s'il avait été l'origine de cet affreux cauchemar.
Il ne bougea pas d'un iota sous l'assaut de mes poings et de mes pieds, qu'il repoussa à chaque fois d'une simple main. Son calme apparent me mis hors de moi, d'une colère si intense qu'elle me donna l'impression de me brûler les veines.
Pourquoi restait-il aussi statique, à rester indifférent à ma rage insensée ? Pourquoi me laissait-il attaquer sans réagir excepté pour me faire comprendre à chaque nouveau coup du degré de mon impuissance, de ma faiblesse? Pourquoi me laissait-il croire qu'il était normal que j'aie envie de frapper mon propre sensei sous le coup de la colère, pourquoi se tenait-il là, sous la pluie, à me regarder comme ça ?
Pourquoi n'ôtait-il pas son masque pour me parler, m'engueuler, me consoler, me prouver que je n'avais pas déjà été prise dans les griffes de cette folie qui s'était immiscée en moi il y a bien longtemps déjà ? Pour exercer cet étrange pouvoir qu'avait son visage découvert sur moi, celui de me faire croire que j'étais chanceuse, privilégiée, protégée ?
Je ne savais plus si l'humidité de mes joues était le fruit de la pluie ou de mes pleurs. J'étais terrassée par l'insensibilité apparente de mon sensei, acculée par le froid mordant de la pluie glaciale, anéantie par les tâches devant mes yeux qui me hurlaient de ne pas poursuivre mon vain combat sous peine de m'effondrer, humiliée et vaincue.
Je finis donc par reculer, les poumons douloureux, tremblante comme une feuille et à demi aveugle, pour implorer mon sensei par les yeux en lui hurlant de partir.
Je sentis mes jambes se dérober sous moi et je compris alors que ma médiocrité avait gagné la bataille.
Ma pauvre carcasse heurta une grande masse rigide et je crus un instant m'être brisé le menton dessus. Mais je sentis deux mains se glisser à l'arrière de chacun de mes genoux et mes pieds quitter doucement le sol comme si j'avais été plus légère que le vent. Je compris que j'étais solidement arrimée sur le dos de Kakashi-sensei lorsque je vis des cheveux argentés me chatouiller gentiment le front et que je fus contrainte de m'agripper à sa veste verte pour ne pas tomber en arrière lorsqu'il entama sa marche à travers le brouillard de la pluie.
L'argenté resta insensible à mes maigres protestations et mes coups faiblards sur ses épaules, si bien je finis par déclarer forfait en posant mollement ma tête au milieu de ce dos immense qui semblait être capable de porter le poids du monde entier.
L'épuisement me faucha avec la fulgurance d'un éclair fendant le ciel. Mes muscles ankylosés semblaient avoir rouillé sous les coups de la pluie, si bien que l'idée même de bouger me fit mal. J'avais l'impression de ne même plus avoir la force de repousser mes cheveux humides de devant mes yeux, et j'enfouis mon nez dans cette veste kaki dans l'espoir de protéger un tant soit peu mon visage de la pluie ainsi que de la réalité de ce monde où je n'avais plus aucune idée de ce que j'allais bien devenir après avoir voulu attenter à la vie de mon sensei.
Je n'avais aucune idée de l'endroit où nous allions. Sûrement chez moi, puisque j'avais cru comprendre qu'il savait où j'habitais lorsqu'il était entré dans mon appartement par effraction, quelques jours plus tôt. Je ne savais pas si j'avais envie de rire ou de pleurer, si je me sentais bien à cet instant sur ce dos qui semblait supporter toute la douleur du monde et la mienne avec ou si j'étais au fond du trou, à vouloir demeurer sur lui pour l'éternité comme si je n'avais nulle part d'autre où aller. Je décidai de ne pas y penser.
Je me laissai aller au rythme des soubresauts provoqués par les pas amples de l'homme qui me portait, et bientôt, je fus happée par une inconscience fragile qui m'emporta loin de cette pluie hostile et de ce tumulte au fond de mon crâne qui avait pris un malin plaisir à conclure une alliance avec les pleurs du ciel.
***
J'ouvris un œil lorsque je sentis que nous nous étions arrêtés. Dans ma semi-inconscience, j'aurais peut-être dû me demander comment donc je m'étais retrouvée sur le dos de Kakashi-sensei, trempée jusqu'aux os, épuisée comme si j'avais couru un marathon et les mains en sang. Mais au point où j'en étais, je décidai de me dire que ce n'était qu'une étrangeté de plus dans la bizarrerie de mon existence.
Je vis du coin de mon œil fatigué Kakashi-sensei se démener pour tourner la clé dans la serrure d'une porte tout en s'arrangeant pour me tenir en équilibre sur son dos, et je me demandais alors comment il avait bien pu se procurer la clé de chez moi. Il ne m'avait pas fouillé pour la trouver et je ne lui avais jamais donnée; encore heureux, pensai-je, ç'aurait été drôlement bizarre, sinon.
En faisant l'effort monstrueux de bouger légèrement les yeux pour observer en détail notre environnement, je remarquai que la porte devant laquelle nous étions m'était totalement étrangère.
Ah. Ce n'était bel bien pas ma clé, donc.
- Vous vous êtes trompé, grognai-je contre sa veste en me demandant si ma voix enrouée par la fatigue avait été audible. C'est pas chez moi, là.
Je n'avais aucune idée de s'il m'avait entendue ou pas, puisque malgré ma faible protestation il finit par ouvrir cette fichue porte et pénétrer dans cet endroit qui ne sentait définitivement pas comme chez moi.
Une lumière violente fulgura dans la pièce et je fourrai vivement mon nez au creux de cette veste kaki pour m'en protéger. Dieu, que j'avais mal à la tête.
Je me sentis glisser du dos de mon sensei et en croyant tomber en arrière, je m'agrippai fort à sa veste dans un geste paniqué. Deux grandes mains m'incitèrent pourtant à desserrer ma poigne et en moins de temps qu'il me fallut pour cligner des yeux, je me retrouvai assise sur un canapé moelleux qui n'avait rien à voir avec le parpaing qui me servait de sofa. OK, c'était sûr; je n'étais pas chez moi.
En ouvrant timidement les yeux, je me retrouvai nez à nez avec le visage découvert de Kakashi-sensei qui me fixait en fronçant les sourcils. Mon cœur loupa un battement et cette vue soudaine me coupa le souffle.
"Tu veux que j'aille chercher Tsunade?"
Sa question mis quelques temps à me monter au cerveau, avant que je ne sursaute violemment en comprenant ce qu'il me demandait.
- Non, non!
Il haussa un sourcil indécis en me regardant m'agiter faiblement comme pourrait le faire un bébé.
- Elle me massacrerai si elle apprenait que...
J'avais la bouche affreusement pâteuse et je n'avais aucune envie d'énoncer l'étendue de ma bêtise; ainsi, je me tus et me contentai d'observer timidement les environs en prenant soin d'esquiver des yeux le visage de mon sensei accroupi devant moi.
Je me trouvai dans un appartement légèrement plus grand que le mien, aux murs unis et à la décoration très impersonnelle; le détail qui me mis la puce à l'oreille fut la petite bibliothèque en bois au coin de la pièce qui exposait fièrement une série de livre à la couverture orange criard.
J'étais définitivement chez Kakashi-sensei.
- Pour... Pourquoi vous m'avez amenée ici? bafouillai-je maladroitement, embarrassée d'entrer de la sorte dans la vie privée de mon sensei.
Ce dernier se redressa doucement en se grattant machinalement le crâne.
"Maaah... J'avais peur que tu fasses une bêtise".
Je fronçai immédiatement des sourcils.
- Mais je suis pas suicidaire, bon sang!
"Vu dans l'état où tu es, tu m'excuseras de m'inquiéter".
Je baissai timidement les yeux vers mes vêtements ruisselants et mes jointures écorchées. J'étais vraiment pas belle à voir, ça je pouvais facilement l'imaginer, et mes tremblements de froid incessants malgré la température ambiante de l'appartement ainsi que cette impression de me faire fracasser le crâne à coup de marteau chaque nouvelle seconde n'arrangeaient rien à mon malaise.
J'émergeai du flot de sombres pensées qui m'avaient assaillie lorsque je perçus du mouvement dans ma vision périphérique.
Kakashi-sensei refermait la porte d'une pièce à ma gauche avant de se diriger vers moi, une serviette de bain et un large pull sous son bras. Je me demandai quand est ce qu'il y était parti.
"Il faut te sécher et te changer, sinon tu vas attraper la mort".
Ne l'avais-je déjà pas attrapée?
Il déposa les affaires sur l'accoudoir du canapé où j'avais échoué et m'indiqua la direction de la salle de bain en me demandant si j'avais besoin qu'il m'aide à marcher.
Mais je me figeai d'horreur en réalisant que je n'étais même pas capable de bouger le petit doigt.
Mon corps semblait être prisonnier d'un ciment qui empêchait mes muscles de répondre aux demandes de mon cerveau. Chacun de mes membres était raide et engourdi, incapables de s'affranchir de leur lourde inertie, pesés par le poids d'une immense fatigue et d'une légère douleur qui semblait provenir de l'intérieur. Je me sentis d'un coup profondément malade, comme fiévreuse, et je fus prise d'une violente envie de vomir du dégoût que je m'inspirais moi même.
Je jetai un regard paniqué à mon sensei qui me fixai avec une grande patience, sans s'offusquer de mes réactions exagérément lentes ni de l'épave que j'étais devenue. Il n'y avait aucune trace de dégoût dans son œil sombre vissé sur ma silhouette misérable, aucun mépris, aucune pitié.
Il n'y brillait qu'une bienveillance infinie, qui réchauffa doucement mon cœur trempé par la pluie.
- Je... Je crois que je ne vais pas y arriver... gémis-je en sentant ma lèvre inférieure trembler dangereusement.
Avant que je ne puisse me morfondre sur mon impuissance, Kakashi-sensei s'accroupit à nouveau devant moi et sa proximité soudaine ne me donna pas d'autre choix que de le regarder lui plutôt que mes pieds.
"Tu veux que je t'aide?"
J'ouvris grand la bouche, interloquée. Est ce que j'avais bien lu?
Je crois bien que oui. Il attendait une fois de plus patiemment une réponse, toujours en me fixant de sa pupille unique d'un noir chaleureux. Il ne semblait motivé par aucune arrière pensée, comme s'il était simplement animé par la volonté irrépressible de me faire cesser de trembler de froid. Rien de plus.
Alors, j'acquiesçai.
Très lentement alors, il s'empara de la serviette et essuya précautionneusement les gouttelettes qui parsemaient mon visage et mes bras. Figée, je le laissai faire en l'observant nettoyer ces quelques parcelles de ma peau humide de pluie, ne sachant que faire d'autre que de retenir mon souffle.
Je tentai d'apaiser ma gêne extrême en le fixant intensément, en me servant de son image comme le point d'amarrage qui me maintenait éveillée, qui me disait que je n'étais pas en train de rêver.
Mais il était impossible de rêver ça.
Je passai donc au peigne fin chaque détail de ses mèches de cheveux argentés, tenus en une masse désordonnée qui défiait les lois de la gravité grâce à son bandeau qui cachait l'un de ses yeux. Pour la première fois, je m'autorisai à admirer son visage d'une beauté sans artifice, simple et naturelle, des contours de sa mâchoire anguleuse jusqu'à son nez long et droit, en passant par la ligne d'une pâleur ancienne de sa cicatrice dépassant de son son bandeau ainsi que le minuscule grain de beauté posé juste là, sous sa lèvre inférieure. Pourquoi donc m'avait-il donné le droit de le voir de cette façon? Faisait-il cela souvent, lorsqu'il était avec ses proches, sa famille? Je n'étais ni l'un ni l'autre pourtant, simplement une élève qui ne l'était même plus. Dans ce cas, pourquoi avec moi, et pas avec Naruto et Sakura? Ma surdité était-elle vraiment une raison valable pour enlever ce foutu masque qui ne le quittait normalement jamais?
J'aurais aimé lui poser toutes ces questions qui avaient soudainement assaillis mon esprit, mais je n'eus la force d'ouvrir la bouche et demeurai muette, submergée par l'aberration de cette étrange situation.
Concentré sur ses gestes lents et doux empreints de la volonté de ne pas me brusquer, Kakashi-sensei finit par poser la serviette avant de me prendre en flagrant délit dans toute l'étendue de ma contemplation silencieuse, simplement en croisant mon regard. Je me sentis rougir de honte, et je remerciai le ciel d'avoir fait en sorte que je me trouve assise à ce moment, autrement je savais pertinemment que mes jambes se seraient dérobées sous moi. Je grelottai, mais j'avais du mal à savoir si c'était à cause de l'humidité de mes vêtements ou pour cette autre chose que je parvenais pas à identifier. Et pourtant, il ne semblait aucunement gêné d'avoir été dévisagé de la sorte.
Sans que son œil sombre ne se détourne une seconde, je sentis alors ses grandes mains s'emparer doucement du bas de mon pull pour le remonter le long de mon buste d'une lenteur atroce. Je me mis à frissonner et je sentis mon cœur se ratatiner dans le fond de ma poitrine. Dieu, quelle situation absurde! Me faire déshabiller par mon sensei parce que j'étais incapable de le faire moi-même, j'étais en train d'halluciner!
Je ne parvins même pas à lever les bras pour l'aider à me débarrasser du vêtement trempé. Et pourtant, pas une fois il ne parut exaspéré, et contrairement à ce que ses lectures douteuses pouvaient démontrer de lui, ses gestes n'avaient rien de celui d'un pervers. Ils étaient même respectueux, presque tendres, comme s'il savait qu'une part de moi se posait des questions sur le fond de sa pensée à ce moment même et qu'il la traduisait par l'innocence de ses gestes et de son regard qui ne se détourna pas une seule fois du mien.
Il faisait ça pour moi, pas pour lui. Juste, rien que pour moi. Et je n'aurai su dire à quel point je lui fus redevable, à cet instant, de pouvoir lui porter une confiance pareille, de voir qu'il se trouvait au delà de l'embarras que cette situation aurait pu engendrer et qu'il m'aidait simplement, sans s'offusquer de ces choses comme la pudeur ou les arrières pensées. Cela n'avait pas lieu d'être, et c'est pour ça que la peur ne vint pas frapper à ma porte; l'intimidation, peut-être, la gêne, sûrement, mais jamais la confusion malsaine que cette situation mise hors contexte aurait pu inspirer. Le fait de ne pas voir mon malaise se refléter dans cet œil sombre aidait aussi; observer Kakashi-sensei si confiant de ses gestes malgré tout avait quelque chose de rassurant, d'un réconfort qui me fit facilement accepter son aide.
Pire, je crois que je l'avais appréciée.
Après s'être débarrassé de mon haut qui ne semblait pas vouloir se détacher de moi tant son humidité restait collée à ma peau, je fus profondément soulagée de sentir le pull doux et chaud de mon hôte me recouvrir doucement et m'affranchir de ce froid qui me rongeait les os. Il était si large qu'il ne fallut pas plus de deux secondes à mon sensei pour m'aider à passer la tête dedans; je me disais même qu'il devait être trop grand pour lui, c'était pas possible. Ou alors aimait-il s'habiller de vêtements avec une taille au dessus? Je sais pas, je n'avais jamais vraiment fait attention auparavant. Il ne portait jamais rien d'autre que son uniforme de jônin.
A cette pensée, je jetai un œil à son accoutrement; il avait délaissé sa veste kaki et ne portait plus qu'un chandail bleu marine. Trop large. Et sec.
Quand est-ce qu'il s'était changé?
Oh lala, comme j'étais fatiguée.
Les commissures de ses lèvres s'élevèrent légèrement lorsqu'il eut terminé de m'habiller. Dieu, est ce qu'un sourire avait le pouvoir d'assommer?
En regardant à nouveau timidement ce merveilleux visage, une question fit violemment irruption dans ma tête. J'essayai alors d'ouvrir la bouche et de parler le plus distinctement que ma léthargie ne me le permettait.
- Dites...
Il haussa un sourcil interrogateur.
- Euh... ça ne dérange pas votre femme que je sois là?
Il cligna de son unique œil trois fois exactement avant que son visage ne se fende en un sourire immense qui m'indiqua qu'il riait. Je crois que j'aurai adoré entendre ça.
"Non, non, ça ne la dérangera pas", lus-je sur ses lèvres tandis qu'il se redressait.
Ah bon? Fallait avouer que c'était bizarre. Même si je n'étais qu'une (ancienne) élève, si j'avais été sa femme, je n'aurais pas aimé.
Mais à quoi je pensais, bon sang?
"Pour la simple et bonne raison que je n'en ai pas".
Hein?
- Vous n'avez pas quoi?
"De femme", rit-il, visiblement amusé de me voir aussi longue à la détente.
Je m'en retrouvai complètement abasourdie. Avec ce visage, il avait le pouvoir de mettre le monde entier à ses pieds, hommes et femmes confondus. Et il n'avait personne?
En y repensant, avant qu'il ne me montre ça, je ne m'étais jamais posée trop de questions à propos de mon sensei. A part le mystère autour de son masque, ses livres douteux qu'il lisait sous les yeux du village entier et ses cheveux à la couleur étrange semblant aimer envoyer balader les lois de la gravité qui titillaient ma curiosité - tout comme celle du commun des mortels -, je ne l'avais jamais considéré autrement qu'un prestigieux shinobi de Konoha dont la réputation dépassait les frontières du Pays du Feu. Je n'avais fait que respecter le ninja qu'il était en espérant me faire une place dans son équipe, rien de plus.
Maintenant, depuis qu'il était venu me voir seul dans ma chambre d'hôpital, j'avais l'impression de le voir sous un tout autre angle; un angle que je ne parvenais pas à cerner, une impression au fond de moi qui me disait que tout cela était décidément étrange. Mais qu'est ce qui ne l'était pas, depuis mon accident? Alors j'essayai de ne pas trop y faire attention, d'oublier que je mourrais d'envie de lui poser tout un tas de questions; peut-être que le voir de cette façon me donnait la sensation de me permettre d'être moins impersonnelle? Non, non, je perdais la tête.
En attendant, j'avais foutrement envie de savoir quel âge il avait.
Son visage s'imposa alors à nouveau devant mes yeux, dissipant mes rêveries en me faisant sursauter.
"Tu as faim?"
Je secouai la tête négativement.
A vrai dire, je criai famine.
Je ne me rappelai plus la dernière fois que j'avais avalé quelque chose, puisque mon estomac s'empressait de tout rendre tant il était continuellement noué.
Mais ce dernier me trahit; je sentis des gargouillements le traverser et je sus qu'ils avaient été sonores au regard entendu que Kakashi-sensei me lança conjugué avec un petit sourire en coin qui me piétina le cœur.
"Tu veux manger quoi?", lus-je sur ses lèvres avant qu'il ne se glisse derrière le comptoir qui séparait la salle de séjour où je me trouvais et la cuisine, avant d'ouvrir un placard.
- Rien! Je ne veux rien manger!
Il se retourna vers moi et haussa un sourcil sceptique.
"Dis voir, ça fait combien de temps que tu n'as pas mangé?"
- J'ai mangé ce midi, comme tout le monde, mentis-je en détournant le regard.
Je n'avais jamais su mentir.
"Tu as maigri".
Ce fut à mon tour d'hausser un sourcil tandis qu'il se tournait à nouveau pour ouvrir le frigo.
"Tu ne t'en sortiras pas si tu te laisses dépérir," dit-il en me montrant son profil pour que je puisse lire, tout en s'affairant sur le plan de travail que je ne voyais pas d'ici. "De toute façon, je ne te laisserai pas faire, donc tu n'as pas le choix".
J'ouvris grand la bouche, sans trop savoir quoi répondre. J'avais perdu, de toute façon, et une part de moi se sentit touchée d'une telle attention, mêlée à une étrange incrédulité que je pris soin de mettre de côté.
Kakashi-sensei ne semblait plus d'humeur à parler, et moi non plus. Je m'enfonçai plus confortablement dans le moelleux du canapé, sans perdre des yeux les mouvements de mon sensei qui me tournait le dos, penché sur l'évier de sa cuisine.
Je promenai mon regard sur ses épaules dénudées de son éternelle veste kaki, larges et anguleuses. Son bandeau était sur le point de se détacher, car le nœud semblait avoir glissé à la racine de ses cheveux argentés. Si j'avais eu la force, je serai allée lui remettre.
Je ne me posai plus la question du pourquoi du comment je m'étais retrouvée ici, je ne m'embêtai plus de la gêne profonde qui m'avait habitée depuis qu'il m'avait fait passer le pas de cette porte. Ma fatigue permanente m'enveloppa doucement de ses bras en cadence avec la douce odeur de nourriture mijotée qui m'embauma le nez et l'esprit, jusqu'à ce que l'image du dos large de mon sensei disparaisse derrière mes paupières et ne m'emmène bien loin de l'effet que cette vision procurait à mon cœur.
Je ne sais pas si j'étais déjà en train de rêver lorsque je me rendis compte de l'évidence.
J'avais déjà aimé son visage à la seconde où il l'avait dévoilé à moi.
Mais c'est ce soir là que je suis tombée éperdument amoureuse de Kakashi-sensei.
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